Le grand dictionnaire de cuisine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Bec-figue


Les anciens l'appelaient Avis Cypria, oiseau de Chypre, parce que, en Grèce et à Rome, on le faisait venir de Chypre, confit dans la saumure.
« Le bec-figue, comme la caille et l'ortolan, cuit dans du papier beurré, sous la cendre, ne laisse rien à désirer pour la saveur. » Vuillemot.
Brillat-Savarin, qui possède pour le bec-figue une grande affection, dit :
« Parmi les petits oiseaux, le premier, par ordre d'excellence, est sans contredit le bec-figue.
« Il s'engraisse au moins autant que le rouge-gorge et l'ortolan ; la nature lui a donné, en outre, une amertume légère et un parfum unique si exquis qu'ils engagent, remplissent et béatifient toutes les puissances digestives. Si un bec- figue était de la grosseur d'un faisan, on le payerait certainement à l'égal d'un arpent de terre.
« C'est grand dommage que cet oiseau privilégié se voie si rarement à Paris, où il en arrive quelques-uns ; mais il leur manque la graisse qui fait tout leur mérite, et l'on peut dire qu'ils ressemblent à peine à ceux qu'on voit dans les départements de l'Est et du Midi de la France.
J'ai entendu parler à Belley, dans ma jeunesse, du Jésuite Faby, né dans ce diocèse, et du goût particulier qu'il avait pour les bec-figues. Dès qu'on entendait crier : « Aux bec-figues ! aux bec-figues ! » – le bec-figue est, comme on sait, un oiseau de passage, – on disait : « Le père Faby va arriver. »
Le premier janvier, sans faute, il paraissait avec un ami et venait s'en régaler pendant tout le passage ; chacun se faisait un plaisir de les inviter.
Ils partaient vers le vingt-cinq, quand les bec-figues étaient partis, bien entendu.
Tant que le père Faby resta en France, il ne manqua pas une seule fois son voyage gastronomique. Par malheur, il fut envoyé à Rome où il mourut grand pénitencier.
Sa plus grande pénitence, à lui, fut bien certainement de ne plus pouvoir manger de nos bec-figues de Provence. Peu de gens savent manger de petits oiseaux : ortolans, bec-figues, fauvettes, rouges-gorges ; en voici la recette, telle qu'elle m'a été confidentiellement transmise par le chanoine Charcot, gourmand par état, puisqu'il était chanoine, mais qui, à force d'études, s'était élevé de la gourmandise jusqu'à la gastronomie.
Recette du chanoine Charcot, transcrite par Brillat-Savarin pour manger des ortolans, fauvettes, bec-figues et rouges-gorges :
« Commencez par ôter le gésier, puis prenez par le bec un petit oiseau bien gras, saupoudrez-le d'un peu de sel et de poivre ; enfoncez-le adroitement dans votre bouche, sans le toucher des lèvres ni des dents, tranchez tout près de vos doigts et mâchez vivement. Il en résulte un suc assez abondant pour envelopper tout l'organe et dans cette mastication, vous goûterez un plaisir inconnu du vulgaire. »
Le roi Ferdinand de Naples, grand chasseur et grand gourmand, ayant reconnu que, à leur passage sur l'antique Parthénope, les bec-figues s'abattaient particulièrement sur la colline de Capodimonte, il y fit bâtir un château qui lui coûta cinq millions.
L'ordre était donné, lorsqu'un vol de bec-figues s'abattrait à Capodimonte, de venir chercher le roi partout où il était, même au conseil.
Le jour où fut portée au conseil la question de la guerre contre la France, guerre que la reine voulait, mais que le roi ne voulait pas, le roi se rendit au conseil avec la ferme résolution de s'opposer à cette triste fanfaronnade par un vigoureux veto.
Mais, à peine la question était-elle engagée, que l'on vint prévenir le roi qu'un magnifique vol de bec-figues venait de s'abattre à Capodimonte.
Le roi essaya de tenir ferme contre lui-même, mais ne pouvant y réussir, il se leva et sortit de la salle du conseil en criant :
« Faites ce que vous voulez et allez au diable ! »
La guerre fut décrétée et les bec-figues qui avaient déjà coûté au roi cinq millions, faillirent lui coûter encore son trône.

Recette précédente | Recette suivante

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente