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Chapitre XXXI
Guillaume Tell

Le lendemain du jour où les choses que nous venons de raconter s'étaient passés, on annonça au bailli Hermann Gessler de Brouneig un messager du chevalier Beringuer de Landenberg. Il donna l'ordre de le faire entrer. Le messager raconta l'aventure de Mechtal et la vengeance de Landenberg.
à peine eut-il fini, qu'on annonça un archer du seigneur de Wolfranchiess. L'archer raconta la mort de son maître et de quelle manière le meurtrier s'était échappé, grâce au secours que lui avait porté un homme nommé Guillaume, de Burglen, village placé sous la juridiction de Gessler. Le bailli promit qu'il serait fait justice de cet homme.
Il venait d'engager sa parole, lorsqu'on annonça un soldat de la garnison de Schwanau. Le soldat raconta que le gouverneur du château, ayant attenté à l'honneur d'une jeune fille d'Arth, avait été surpris à la chasse par les deux frères de cette jeune fille et assommé par eux. Puis les assassins s'étaient réfugiés dans la montagne, où on les avait poursuivis inutilement.
Alors Gessler se leva et jura que si le jeune Mechtal, qui avait cassé le bras à un valet de Landenberg, que si Conrad de Baumgarten, qui avait tué le seigneur de Wolfranchiess dans son bain, que si les jeunes gens qui avaient assasiné le gouverneur du château de Schwanau tombaient entre ses mains, ils seraient punis de mort. Les messagers allaient se retirer avec cette réponse, mais Gessler les invita à l'accompagner auparavant sur la place publique d'Altdorf.
Arrivé là, il ordonna qu'on plantât en terre une longue perche, et, sur cette perche, il plaça son chapeau, dont le fond était entouré par la couronne ducale d'Autriche ; puis il fit annoncer à son de trompe que tout noble, bourgeois ou paysan, passant devant cet insigne de la puissance des comtes de Habsbourg eût à se découvrir en signe de foi et hommage. Alors il congédia les messagers en leur ordonnant de raconter ce qu'ils venaient de voir et d'inviter ceux qui les avaient envoyés à en faire autant dans leurs juridictions respectives – ce qui était, ajouta-t-il, le meilleur moyen de reconnaître les ennemis de l'Autriche. Enfin il plaça une garde de douze archers sur la place et leur ordonna d'arrêter tout homme qui refuserait d'obéir à l'ordonnance qu'il venait de rendre.
Trois jours après, on vint le prévenir qu'un homme avait été arrêté pour avoir refusé de se découvrir devant la couronne des ducs d'Autriche. Gessler monta à l'instant à cheval et se rendit à Altdorf, accompagné de ses gardes. Le coupable était lié à la perche même au haut de laquelle était fixé le chapeau du gouverneur, et, autant qu'on en pouvait juger à son justaucorps de drap vert de Bâle et à son chapeau orné d'une plume d'aigle, c'était un chasseur de montagne. Arrivé en face de lui, Gessler donna ordre qu'on détachât les liens qui le retenaient. Cet ordre accompli, le chasseur, qui savait bien qu'il n'en était pas quitte, laissa tomber ses bras et regarda le gouverneur avec une simplicité aussi éloignée de la faiblesse que de l'arrogance.
- Est-il vrai, lui dit Gessler, que tu aies refusé de saluer ce chapeau ?
- Oui, Monseigneur.
- Et pourquoi cela ?
- Parce que nos pères nous ont appris à ne nous découvrir que devant Dieu, les vieillards et l'empereur.
- Mais cette couronne représente l'Empire.
- Vous vous trompez, Monseigneur, cette couronne est celle des comtes de Habsbourg et des ducs d'Autriche. Plantez cette couronne sur les places de Lucerne, de Fribourg, de Zug, de Bienne et du pays de Glaris, qui leur appartiennent, et je ne doute pas que les habitants ne lui rendent hommage. Mais nous, qui avons reçu de l'empereur Rodolphe le privilège de nommer nos juges, d'être gouvernés par nos lois et de ne relever que de l'Empire, nous devons respect à toutes les couronnes, mais hommage seulement à la couronne impériale.
- Mais l'empereur Albert, en montant sur le trône romain, n'a point ratifié ces libertés accordées par son père.
- Il a eu tort, Monseigneur, et voilà pourquoi Uri, Schwyz et Unterwald ont fait alliance entre eux et se sont engagés par serment à défendre mutuellement envers et contre tous leurs personnes, leurs familles, leurs biens, et à s'aider les uns les autres par les conseils et par les armes.
- Et tu crois qu'ils tiendront leur serment ? dit en souriant Gessler.
- Je le crois, répondit tranquillement le chasseur.
- Et que les bourgeois mourront plutôt que de le rompre ?
- Jusqu'au dernier.
- C'est ce qu'il faudra voir.
- Tenez, Monseigneur, continua le chasseur, que l'empereur y prenne garde, il n'est pas heureux en expéditions de ce genre. Il se souviendra du siège de Berne, où sa bannière impériale fut prise ; de Zurich, dans laquelle il n'osa point entrer, quoique toutes ses portes fussent ouvertes ; et cependant, avec ces deux villes, ce n'était point une question de liberté, mais de limites. Je sais qu'il vengea ces deux échecs sur Glaris. Mais Glaris était faible et fut surprise sans défense, tandis que nous autres Confédérés nous sommes prévenus et armés.
- Et où as-tu pris le temps d'apprendre les lois et l'histoire, si tu n'es qu'un simple chasseur, comme on pourrait le croire d'après ton costume ?
- Je sais nos lois parce que c'est la première chose que nos pères nous apprennent à respecter et à défendre. Je sais l'histoire parce que je suis quelque peu clerc, ayant été élevé au couvent de Notre-Dame-des-Ermites, ce qui fait que j'ai obtenu la place de receveur des rentes du fraumünster de Zurich. Quant à la chasse, ce n'est point mon état, mais mon amusement, comme celui de tout homme libre.
- Et comment te nomme-t-on ?
- Guillaume de mon nom de baptême, et Tell de celui de nos aïeux.
- Ah ! répondit Gessler avec joie, n'est-ce pas toi qui as porté secours à Conrad de Baumgarten et à son épouse, lors du dernier ouragan ?
- J'ai donné passage dans ma barque à un jeune homme et à une jeune femme qui étaient poursuivis, mais je ne leur ai pas demandé leur nom.
- N'est-ce pas toi aussi que l'on cite comme le plus habile chasseur de toute l'Helvétie ?
- Il enlèverait à cent cinquante pas une pomme sur la tête de son fils, dit une voix qui s'éleva de la foule.
- Dieu pardonne ces paroles à celui qui les a dites ! s'écria Guillaume. Mais, à coup sûr, elles ne sont pas sorties de la bouche d'un père.
- Tu as donc des enfants ? dit Gessler.
- Quatre, trois garçons et une fille. Dieu a béni ma maison.
- Et lequel aimes-tu le mieux ?
- Je les aime tous tendrement.
- Mais n'en est-il pas un pour lequel ta tendresse soit plus grande ?
- Pour le plus jeune, peut-être, car c'est le plus faible, et, par conséquent, celui qui a le plus besoin de moi, ayant sept ans à peine.
- Et comment se nomme-t-il ?
- Walter.
Gessler se retourna vers un des gardes qui l'avaient suivi à cheval.
- Courez à Burglen, lui dit-il, et ramenez-en le jeune Walter.
- Et pourquoi cela, Monseigneur ?
Gessler fit un signe, le garde partit au grand galop.
- Tu le verras, dit Gessler en se retournant vers le groupe et en causant tranquillement avec les écuyers et les gardes qui l'accompagnaient.
Quant à Guillaume, il resta debout à la place où il était, la sueur sur le front, les yeux fixes et les poings fermés. Au bout de dix minutes, le garde revint, ramenant l'enfant assis sur l'arçon de sa selle. Puis, arrivé près de Gessler, il le descendit à terre.
- Voilà le petit Walter, dit le garde.
- C'est bien, répondit le gouverneur.
- Mon fils ! s'écria Guillaume.
L'enfant se jeta dans ses bras.
- Tu me demandais, père ? dit l'enfant en frappant de joie ses petites mains l'une dans l'autre.
- Comment ta mère t'a-t-elle laissé venir ? murmura Guillaume.
- Elle n'était point à la maison, il n'y avait que mes deux frères et ma sœur. Oh ! ils ont été bien jaloux, va ! Ils ont dit que tu m'aimais mieux qu'eux.
Guillaume poussa un soupir et serra son enfant contre son cœur. Gessler regardait cette scène avec des yeux brillants de joie et de férocité. Puis, lorsqu'il eut bien donné aux cœurs du père et du fils le temps de s'ouvrir :
- Qu'on attache cet enfant à cet arbre, dit-il en montrant un chêne qui s'élevait à l'autre extrémité de la place.
- Pour quoi faire ? s'écria Guillaume en le serrant dans ses bras.
- Pour te prouver qu'il y a parmi mes gardes des archers qui, sans avoir ta réputation, savent aussi diriger une flèche.
Guillaume ouvrit la bouche comme s'il ne comprenait pas, quoique la pâleur de son visage et les gouttes d'eau qui lui ruisselaient sur front annonçassent qu'il avait compris. Gessler fit un signe, les hommes d'armes s'approchèrent.
- Attacher mon enfant pour exercer l'adresse de tes soldats ! Oh ! N'essaye pas cela, gouverneur, Dieu ne te laisserait pas faire.
- C'est ce que nous verrons, dit Gessler.
Et il renouvela l'ordre. Les yeux de Guillaume brillèrent comme ceux d'un lion. Il regarda autour de lui pour voir s'il n'y avait pas un passage ouvert à la fuite, mais il était entouré.
- Que me veulent-ils donc, père ? dit le petit Walter, effrayé.
- Ce qu'ils te veulent, mon enfant ? Ce qu'ils te veulent ? Oh ! les tigres à face humaine ! Ils veulent t'égorger.
- Et pourquoi cela, père ? dit l'enfant en pleurant. Je n'ai fait de mal à personne.
- Bourreaux ! bourreaux ! bourreaux ! s'écria Guillaume en grinçant des dents.
- Allons, finissons, dit Gessler.
Les soldats s'élancèrent sur lui et lui arrachèrent son fils. Guillaume se jeta aux pieds du cheval de Gessler.
- Monseigneur, lui dit-il en joignant les mains, Monseigneur, c'est moi qui vous ai offensé, c'est donc moi qu'il faut punir. Monseigneur, punissez-moi, tuez-moi, mais renvoyez cet enfant à sa mère.
- Je ne veux pas qu'ils te tuent, cria l'enfant en se débattant dans les bras des archers.
- Monseigneur, continua Guillaume, ma femme et mes enfants quitteront l'Helvétie, ils vous laisseront ma maison, mes terres, mes troupeaux, ils s'en iront mendier de ville en ville, de maison en maison et de chaumière en chaumière. Mais, au nom du ciel, épargnez cet enfant !
- Il y a un moyen de le sauver, Guillaume, dit Gessler.
- Lequel ? s'écria Tell en se relevant et en joignant les mains. Oh ! lequel ? Dites, dites vite, et si ce que vous voulez exiger de moi est au pouvoir d'un homme, je le ferai.
- Je n'exigerai rien qu'on ne te croie capable d'accomplir.
- J'écoute.
- Il y a une voix qui a dit, tout à l'heure, que tu étais si habile chasseur, que tu enlèverais, à cent cinquante pas de distance, une pomme sur la tête de ton fils.
- Oh ! C'était une voix maudite, et j'avais cru qu'il n'y avait que Dieu et moi qui l'avions entendue.
- Eh bien ! Guillaume, continua Gessler, si tu consens à me donner cette preuve d'adresse, je te fais grâce pour avoir contrevenu à mes ordres en ne saluant pas ce chapeau.
- Impossible, impossible, Monseigneur, ce serait tenter Dieu.
- Alors, je vais te prouver que j'ai des archers moins craintifs que toi. Attachez l'enfant.
- Attendez, Monseigneur, attendez ! Quoique ce soit une chose bien terrible, bien cruelle, bien infâme, laissez-moi réfléchir.
- Je te donne cinq minutes.
- Rendez-moi mon fils, pendant ce temps au moins.
- Lâchez l'enfant, dit Gessler.
L'enfant courut à son père.
- Ils nous ont donc pardonné, père ? dit l'enfant en essuyant ses yeux avec ses petites mains, en riant et en pleurant à la fois.
- Pardonné ? Sais-tu ce qu'ils veulent ? ô mon Dieu ! Comment une pareille pensée peut-elle venir dans la tête d'un homme ! Ils veulent... mais non, ils ne le veulent pas, c'est impossible qu'ils veuillent une telle chose. Ils veulent, pauvre enfant, ils veulent qu'à cent cinquante pas, j'enlève avec une flèche une pomme sur ta tête.
- Et pourquoi ne le veux-tu pas, père ? répondit naïvement l'enfant.
- Pourquoi ? Et si je manquais la pomme, si la flèche allait t'atteindre ?
- Oh ! Tu sais bien qu'il n'y a pas de danger, père, dit l'enfant en souriant.
- Guillaume ! cria Gessler.
- Attendez, Monseigneur, attendez donc, il n'y a pas cinq minutes !
- Tu te trompes, le temps est passé. Guillaume, décide-toi.
L'enfant fit un signe d'encouragement à son père.
- Eh bien ? murmura Guillaume à demi-voix. Oh ! jamais, jamais !
- Reprenez son fils, cria Gessler.
- Mon père veut bien, dit l'enfant.
Et il s'élança des bras de Guillaume pour courir de lui-même vers l'arbre. Guillaume resta anéanti, les bras pendants et la tête sur la poitrine.
- Donnez-lui un arc et des flèches, dit Gessler.
- Je ne suis pas archer, s'écria Guillaume en sortant de sa torpeur, je ne suis pas archer, je suis arbalétrier.
- C'est vrai, c'est vrai, cria la foule.
Gessler se tourna vers les soldats qui avaient arrêté Guillaume, comme pour les interroger.
- Oui, oui, dirent-ils, il avait une arbalète et des viretons.
- Et qu'en a-t-on fait ?
- On les lui a pris quand on l'a désarmé.
- Qu'on les lui rende, dit Gessler.
On alla les chercher et on les apporta à Guillaume.
- Maintenant, une pomme, dit Gessler.
On lui en apporta une pleine corbeille. Gessler en choisit une.
- Oh ! pas celle-là ! s'écria Guillaume, pas celle-là ! à la distance de cent cinquante pas, je la verrai à peine. Il n'y a vraiment pas de pitié à vous de la choisir si petite.
Gessler la laissa retomber et en prit une autre, d'un tiers plus grosse.
- Allons, Guillaume, je veux te faire beau jeu, dit le gouverneur. Que dis-tu de celle-ci ?
Guillaume la prit, la regarda et la rendit en soupirant.
- Allons, voilà qui est convenu. Maintenant, mesurons la distance.
- Un instant, un instant, dit Guillaume. Une distance royale, Monseigneur, des pas de deux pieds et demi, pas plus. C'est la mesure, n'est-ce pas, Messieurs les archers, c'est la mesure pour les tirs et pour les défis ?
- On la fera telle que tu désires, Guillaume.
Et l'on mesura la distance en comptant cent cinquante pas de deux pieds et demi. Guillaume suivit celui qui calculait l'espace, mesura lui-même trois fois la distance. Puis, voyant qu'elle avait été loyalement prise, il revint à la place où étaient son arbalète et ses traits.
- Une seule flèche, cria Gessler.
- Laissez-la-moi choisir, au moins, dit Guillaume. Ce n'est pas une chose de peu d'importance que le choix du trait. N'est-ce pas, Messieurs les archers, qu'il y a des flèches qui dévient, soit parce que le fer en est trop lourd, soit qu'il y ait un nœud dans le bois, soit qu'elles aient été mal empennées ?
- C'est vrai, dirent les archers.
- Eh bien ! choisis, reprit Gessler. Mais une seule, tu m'entends ?
- Oui, oui, murmura Guillaume en cachant un vireton dans sa poitrine. Oui, une seule, c'est dit.
Guillaume examina toutes ces flèches avec la plus scrupuleuse attention. Ils les prit et reprit les unes après les autres, les essaya sur son arbalète pour s'assurer qu'elles s'emboîtaient exactement dans la rainure, les posa en équilibre sur son doigt pour voir si le fer n'emportait pas de son côté, ce qui aurait fait baisser le coup. Enfin il en trouva une qui réunissait toutes les qualités suffisantes, mais, longtemps après l'avoir trouvée, il fit semblant de chercher parmi les autres, afin de gagner du temps.
- Eh bien ? dit Gessler avec impatience.
- Me voilà, Monseigneur, dit Guillaume, le temps de faire ma prière.
- Encore ?
- Oh ! c'est bien le moins que, n'ayant pas obtenu pitié des hommes, je demande miséricorde à Dieu. C'est une chose qu'on ne refuse pas au condamné sur l'échafaud.
- Prie.
Guillaume se mit à genoux et parut absorbé dans sa prière. Pendant ce temps, on litait l'enfant à l'arbre. On voulut lui bander les yeux, mais il refusa.
- Eh bien ! eh bien ! dit Guillaume en interrompant sa prière. Ne lui bandez-vous pas les yeux ?
- Il a demandé à vous voir, crièrent les archers.
- Et moi, je ne veux pas qu'il me voie, s'écria Guillaume. Je ne le veux pas, entendez-vous ? Ou sans cela, rien n'est dit, rien n'est arrêté ; il fera un mouvement en voyant venir la flèche, et je tuerai mon enfant. Laisse-toi bander les yeux, Walter, je t'en prie à genoux.
- Faites, dit l'enfant.
- Merci, dit Guillaume en s'essuyant le front et en regardant autour de lui avec égarement. Merci, tu es un brave enfant.
- Allons, courage, père ! lui cria Walter.
- Oui, oui, dit Guillaume en mettant un genou en terre et en bandant son arbalète. Puis, se tournant vers Gessler :
- Monseigneur, il est encore temps, épargnez-moi ce crime, et à vous un remords. Dites que tout cela était pour me punir, pour m'éprouver, et que maintenant que vous voyez ce que j'ai souffert, vous me pardonnez, n'est-ce pas, Monseigneur ? N'est-ce pas que vous me faites grâce ? continua-t-il en se traînant sur ses genoux. Au nom du ciel, au nom de la Vierge Marie, au nom des saints, grâce ! grâce !
- Allons, hâte-toi, Guillaume, dit Gessler, et crains de lasser ma patience. N'est-ce pas chose convenue ? Allons, chasseur, montre ton adresse !
- Mon Dieu, Seigneur, ayez pitié de moi ! murmura Guillaume en levant les yeux au ciel.
Alors, ramassant son arbalète, il y plaça le vireton, appuya la crosse contre son épaule, leva lentement le bout ; puis, arrivé à la hauteur voulue, cet homme, tremblant tout à l'heure comme une feuille agitée par le vent, devint immobile comme un archer de pierre. Pas un souffle ne se faisait entendre, toutes les respirations étaient suspendues, tous les yeux étaient fixes. Le coup partit, un cri de joie éclata : la pomme était clouée au chêne et l'enfant n'avait point été atteint. Guillaume voulut se lever, mais il chancela, laissa échapper son arbalète, et retomba évanoui.
Lorsque Guillaume revint à lui, il était dans les bras de son enfant. Lorsqu'il l'eut embrassé mille fois, il se tourna vers le gouverneur et rencontra ses yeux étincelants de colère.
- Ai-je fait ainsi que vous me l'aviez ordonné, Monseigneur ? dit-il.
- Oui, répondit Gessler, et tu es un vaillant archer. Aussi, je te pardonne, comme je te l'ai promis, ton manque de respect à mes ordres.
- Et moi, Monseigneur, dit Guillaume, je vous pardonne mes angoisses de père.
- Mais nous avons un autre compte à régler ensemble. Tu as donné secours à Conrad de Baumgarten, qui est un assassin et un meurtrier, et tu dois être puni comme son complice.
Guillaume regarda autour de lui comme un homme qui devient fou.
- Conduisez cet homme en prison, mes maîtres, continua Gessler. C'et un procès en forme qu'il faut pour punir l'assassinat et la haute trahison.
- Oh ! il doit y avoir une justice au ciel, dit Guillaume.
Et il se laissa conduire dans son cachot.
Quant à l'enfant, il fut fidèlement rendu à sa mère.

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