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Chapitre XXXV
Vent debout

Notre sommeil ne fut pas long. Nous nous éveillâmes avec le jour. Le temps était sombre, et nous apercevions Bône à travers un voile de fine pluie. Le vent venait toujours de l'ouest, variable au sud-ouest. Une forte houle du nord faisait rouler le navire.
On résolut d'aller prendre le mouillage du fort Génois, excellent mouillage en comparaison de celui de Bône. à neuf heures, nous étions mouillés avec l'ancre de tribord par dix-sept brasses, fond de sable. Deux heures après, les vergues étaient dégréées et laissées sur leurs balancines et les drisses du milieu.
La journée se passa à chercher l'endroit où notre ancre avait été submergée, notre capitaine ne comptant point en faire cadeau à la Méditerranée.
Le temps demeurait couvert. Un grand vent d'ouest nous arrivait par de vigoureuses rafales, le cap de la Garde était submergé par une puissante houle, et de temps en temps l'embrun, montant à plus de cent pieds, le couronnait d'un gigantesque panache d'écume.
Nous avions de la besogne pour toute la journée et peut-être pour celle du lendemain. Maquet, brisé par le mal de mer, demanda à descendre à terre avec le docteur. Nous étions à six cents pas de la côte à peu près, en face d'une montagne couverte de maquis. Le capitaine fit mettre une chaloupe à la mer, Maquet et le docteur prirent leurs fusils. Nous les vîmes aborder au rivage et s'enfoncer dans le bois avec la même tranquillité qu'ils eussent fait dans un carré de la plaine Saint-Denis.
Je restai à bord, je voulais achever ma lettre au duc de Montpensier, lettre que le mouvement exagéré du navire m'avait forcé d'interrompre, et que notre calme actuel me permettait de continuer.
Ma lettre achevée, je montai sur le Pont. Giraud restait réfugié dans la cabine de Vial, qui, ouverte à tous les vents, lui donnait le premier soulagement que demande l'homme malade du mal de mer : l'air.
Desbarolles et Boulanger dormaient sur le banc de quart, amoureusement caressés par un rayon de soleil glissant entre deux nuages. Alexandre et Chancel jouaient aux cartes.
Mes deux Arabes fumaient. Ils avaient cru, au milieu du tohu bohu de la veille, que leur dernier jour, ou plutôt leur dernière nuit, était arrivée ; mais ils l'avaient attendue avec cette tranquillité fatidique qui fait le fond du caractère de tout bon musulman.
Tous les matelots, à qui on avait accordé quelques heures de repos, après la terrible nuit qu'ils venaient de passer, étaient réfugiés dans l'entrepont.
Vers cinq heures, Maquet et le docteur rentrèrent. Ils avaient vu et poursuivi deux hyènes, mais ils n'avaient pu les joindre.
Tout le monde avait assez mal déjeuné, excepté moi que le roulis creuse et que le tangage affame. On attendait donc le dîner avec impatience. Il va sans dire que la conversation roula sur le danger que nous avions couru la veille, et qui, de l'aveu même de messieurs les officiers, avait été des plus sérieux.
Ce soir, personne ne veilla, chacun avait grand besoin de son lit, et, à dix heures, tout le monde rattrapait ou essayait de rattraper le temps perdu.
Au point du jour, nous fûmes réveillés par un grand bruit qui se faisait sur le pont et par une voix qui retentissait comme celle de Dieu sur le mont Sinaï. Le bruit était causé par l'équipage, qui regardait mouiller le bateau à vapeur l'Etna, lequel arrivait de la pleine mer, et venait chercher un abri dans les mêmes eaux que nous. La voix était celle du capitaine qui, à l'aide de son porte-voix, interrogeait l'Etna et répondait aux interrogations.
La mer avait été affreuse, ce qu'il nous était facile de reconnaître, au reste, en jetant un regard au large, dont l'horizon dentelé nous laissait soupçonner ce que pouvaient être les vagues en pleine mer. Une flamme arborée au fort Génois avait indiqué à l'Etna que le port de Bône n'était point praticable.
Le soir cependant, le vent étant tombé et la mer ayant calmé, l'Etna leva l'ancre et alla mouiller dans le port.
Le lendemain, nous levâmes l'ancre nous-mêmes, nous doublâmes le Lion, et allâmes à la recherche de notre ancre. Il nous paraissait assez difficile à nous autres, gens de terre, de comprendre comment on reconnaîtrait la place où gisait une ancre à quarante ou cinquante pieds sous l'eau. Mais les marins nous dirent au contraire que c'était la chose la plus facile du monde.
Je le désirais de tout mon cœur. Pour être parti le soir de Bône, au lieu de partir le lendemain matin, nous avions perdu trois jours.
Nous jetâmes l'ancre à cinq cents pas du Lion à peu près. Puis nous envoyâmes chercher à Bône des chalants, et prévenir le capitaine du port. Des chalants, Madame, sont de grands bateaux qui ressemblent aux bacs avec lesquels on passe les rivières.
Les chalants vinrent. Pendant ce temps, un de nos matelots avait plongé à la recherche de notre ancre, et, au quatrième ou cinquième plongeon, l'avait en effet trouvée. Elle était à quarante-cinq pieds de profondeur.
Il s'agissait de pénétrer à ces quarante-cinq pieds de profondeur, et de passer un câble dans l'anneau de la chaîne au bout de laquelle se trouvait l'ancre. Le matelot s'y reprit à sept fois. La septième fois, il remonta en rapportant le bout du câble et annonçant que l'opération était terminée.
Les chalants étaient arrivés, on commença l'extraction de l'ancre. C'était une lourde opération à accomplir, aussi tous les hommes furent-ils appelés au cabestan.
à Bône, j'avais rencontré une pauvre famille de musiciens maltais. Les pauvres gens, ayant épuisé toutes les ressources que pouvait leur offrir le point de l'Afrique sur lequel ils se trouvaient, demandaient à passer à Alger. J'avais obtenu leur passage du capitaine. Nous avions alors fait une collecte entre nous, et je leur avais donné le produit avec lequel ils avaient acheté des vivres afin de n'être point à charge au budget du Véloce.
Nous avions complètement oublié les pauvres diables, quand tout à coup nous les vîmes sortir de l'écoutille, leurs instruments en mains. Ils venaient encourager les marins dans leur effroyable travail.
Ni la double ration de vin, ni la ration de rhum, ni la gratification en argent, n'a sur le marin l'influence de la musique. Aussi nos travailleurs, encouragés par les polkas maltaises, firent-ils si bien des pieds et des mains, qu'au bout de deux heures de travail, l'ancre était à bord.
La même nuit, nous partîmes, et, le lendemain, nous mouillâmes devant Stora.
J'ai dit, en parlant du Var, que le Var était après l'Arno le plus grand fleuve sans eau que je connaisse. Je dirai qu'après le port de Bône, le port de Stora est le plus mauvais port que l'on puisse trouver. La mer était fort agitée, même au mouillage, de sorte que, lorsqu'il nous fallut descendre, ce fut toute une histoire : tantôt la chaloupe qui nous attendait montait avec la vague à la hauteur du pont, tantôt elle descendait à dix pieds au-dessous de l'escalier de tribord, sur lequel nous faisions nos évolutions.
De temps en temps, il y avait deux ou trois secondes de calme pendant lesquelles la chaloupe et l'escalier se trouvaient en contact.
Ces moments de calme sont ce qu'en termes de marine on appelle une embellie. Vial nous criait d'en haut : « Allons, allons, profitons de l'embellie. » Mais, malgré l'avis, l'embellie était si rapide, que nous arrivions toujours trop tôt ou trop tard.
Enfin, l'escalier finit par nous égrainer les uns après les autres comme les perles d'un chapelet, et nous passâmes, nous, nos armes et nos bagues, à bord de la chaloupe.
Nos Arabes éreintés avaient besoin de prendre terre, et me firent demander par Paul la permission de venir jusqu'à Philippeville, permission qui leur fut bien entendu accordée.
Ce que voyant les Maltais, ils demandèrent à aller donner un concert au susdit Philippeville, ce qui leur fut accordé avec pareille facilité. Deux chaloupes au lieu d'une furent donc mises à la mer : l'une pour notre transport personnel, l'autre pour le transport de notre suite.
Vous ne pouvez vous imaginer, Madame, ce que c'est que les vagues aux jours de tempête dans le port de Stora. Je vais vous en donner une idée.
Le 26 janvier 1841, jour du naufrage de la Marne, au moment où cette corvette venait de couler, une goélette toscane emportée par la vague franchit la corvette française de bâbord à tribord sans la toucher, passant entre le mât de misaine et son grand mât, et alla enfoncer son beaupré dans la falaise.
Que dites-vous d'une mer qui fait jouer au saut de mulet les bricks et les corvettes ? Vous dites que c'est impossible, n'est-ce pas, Madame ?
Prenez garde, le mot est lâché. Maintenant, vous acceptez mes preuves. Je ne sais rien d'ailleurs de plus dramatique que le simple récit que je vais mettre sous vos yeux, et qui n'est rien autre chose que le procès-verbal de ce terrible événement, fait par le capitaine de la Marne lui-même.

Rapport adressé à Son Excellence le ministre de la Marine, par monsieur Gatier, capitaine de corvette, sur le naufrage de la corvette la Marne.

« Stora, 26 janvier 1841.
« Monsieur le ministre, j'ai à remplir le pénible devoir de faire connaître à Votre Excellence le naufrage de la corvette la Marne, dont le commandement m'avait été confié.
» Arrivé le 15 janvier à Stora, où nous avions à débarquer un matériel considérable, le bâtiment fut amarré par le maître du port au mouillage le plus convenable, entre les deux rangs de navires du commerce qui occupent d'ordinaire la position la plus abritée.
» Deux ancres de bossoirs, l'une avec cent brasses de chaîne, l'autre avec quatre-vingts brasses par onze et dix brasses de fond, furent mouillées en barbe. L'ancre de veille de tribord fut mouillée par bâbord arrière pour servir d'ancre d'évitage ; elle avait une bitture de quatre-vingts brasses ; deux grelins bout à bout fixés sur les rochers qui bordent la plage nous tenaient par tribord. Telle était la disposition de notre amarrage à quatre. Dès qu'elle fut terminée, on dépassa les mâts de perroquet et le déchargement commença.
» Le 21, dans la journée, la mer devint houleuse, le temps de mauvaise apparence, le baromètre marquait 27 pouces 6 lignes, le vent soufflait par rafales violentes du nord-est au nord-nord-est, au nord et au nord-ouest. La mer continuant à grossir, j'ordonnai de mouiller par précaution l'ancre de veille de bâbord, de filer des chaînes pour la faire travailler, et donner en même temps du mou dans les amarres que le ressac de terre faisait fatiguer.
» Dans cette soirée du 21, plusieurs navires de commerce demandèrent du secours ; nos ancres à jet et des grelins leur furent envoyés. Quelques équipages, abandonnant leur bâtiment, vinrent chercher un refuge à bord de la Marne ; nous calâmes les mâts de hune, les basses vergues furent amenées sur les porte-lofs. Nous tînmes parfaitement, malgré la grosseur prodigieuse de la houle, qui déjà avait jeté deux navires à la côte.
» Le 22, à dix heures du soir, la chaîne de bâbord se brisa, le câble et la seconde chaîne nous maintinrent.
» Le 23 et le 24, le temps parut s'améliorer, la mer s'amortit, et nous pûmes draguer la chaîne cassée en rembarquant les grappins sur un brick mouillé devant nous. Cette recherche, d'abord infructueusement tentée, réussit dans la nuit du 24. Le 25 au matin, nous pûmes ramailler la chaîne et la faire travailler avec les autres.
» Cette opération était terminée depuis quelques heures, lorsque le temps devint affreux. Le golfe de Stora n'était plus qu'un vaste brisant d'où surgissaient des lames monstrueuses qui venait déferler sur le mouillage. Je fis condamner les panneaux du pont et de la batterie ; nos canots de porte-manteau et quelques hommes furent enlevés par la mer, dans laquelle la corvette plongeait jusqu'au mât de misaine. Vingt bâtiments se brisaient à la côte. Trois autres, mouillés près de nous, venaient de sombrer sur leurs ancres. La chaîne de bâbord se rompit, nous commençâmes à chasser, quoique avec lenteur.
» Par mesure de précaution, en voyant ce temps extraordinaire, j'avais fait prendre le bout du câble d'évitage par l'avant. Je fis couper les bosses qui se maintenaient sur l'arrière, espérant rappeler dessus, et en bordant l'artimon, pour profiter des rafales, maintenir le bâtiment entre les lames du large et le ressac qui venait de terre et éviter les brisants dont nous n'étions plus qu'à une faible distance.
» Cette espérance fut vaine : rien ne pouvait plus résister à la mer qui nous maîtrisait. à deux heures trente minutes, nous talonnâmes. La position était désespérée.
» Je réunis les officiers : le maître du port, le maître d'équipage et quelques capitaines au long cours réfugiés à bord, pour avoir leur opinion. Leur avis unanime, qui était le mien aussi, fut de filer toutes nos amures pour éviter de tomber sur les rochers de la Pointe-Noire et chercher à faire côte dans l'anse de plus facile accès qui se trouve au sud de ces brisants sur lesquels nous venions de voir broyer et disparaître, en moins de deux minutes, un navire du commerce. Nous fûmes assez heureux pour réussir, et le bâtiment, après d'affreuses secousses, vint se crever sur un banc de sable, dur et mêlé de rochers, à environ quarante brasses de la côte, où monsieur le commandant de la marine, à Stora, dirigeait les secours que toutes les armes de la garnison de Philippeville et la population civile s'empressaient de nous apporter. C'est à ce dévouement admirable, qui fut fatal à plusieurs de ces hommes généreux, que nous devons d'avoir sauvé une partie de l'équipage.
» Au moyen de pièces de mâture et de panneaux filés à la côte, on parvint à établir un va-et-vient. Le sauvetage commença un à un, sans confusion, avec cet héroïque sang-froid que, dans tout ce désastre, n'a cessé de montrer l'équipage de la Marne.
» Nous trouvant plus rapprochés de terre, je fis abattre le mât d'artimon, espérant de faire un pont qui présenterait quelque moyen de salut. Au moment de sa chute, un affreux coup de mer fit dévier sa direction ; il tomba le long du bord et la corvette se divisa en trois parties. Le va-et-vient ne pouvait plus être utile qu'à ceux qui se trouvaient près du couronnement. Le grand mât venait de s'abattre ; j'ordonnai à ce qui se trouvait d'hommes à portée de passer dessus. Je m'y réfugiai ensuite avec l'enseigne de vaisseau Nougarède. Quelques instants après, une lame monstrueuse s'abattit sur les débris de la Marne. Tout fut englouti. Au retrait de cette effroyable masse d'eau qui avait poussé le grand mât plus près de terre, ceux qui étaient dessus purent se sauver. J'y restai seul avec le maître charpentier, homme de courage et d'intelligence. à une nouvelle embellie, je le fis partir et me lançai le dernier sur la grève, conformément à l'article 289 de l'ordonnance de 1827. Là, mes forces faillirent. J'ai appris depuis qu'un marin, nommé Zénéco, et monsieur Dessoulière, ancien marin et colon de Philippeville, avaient généreusement exposé leur vie pour me traîner à terre au moment où la mer allait m'atteindre et me porter au large.
» J'ai, Monsieur le Ministre, à vous signaler des pertes douloureuses et d'héroïques dévouements. Nous avons perdu cinquante-trois hommes, au nombre desquels le chirurgien-major, le commis d'administration, l'enseigne Karche, et mon second, le lieutenant de vaisseau Dagorne, officier d'un rare mérite et dont la perte se fera longtemps sentir à mon cœur.
» En regard de ce pénible tableau, je mettrai sous les yeux de Votre Excellence la belle conduite de l'équipage de la Marne : pas un cri, pas une plainte, pas une marque de faiblesse ; mes ordres, jusque dans les derniers instants, ont été exécutés comme dans les temps ordinaires, et de grandes preuves d'affection m'ont été données.
» Blessé à la jambe, c'est par les soins de mes matelots que j'ai pu gagner le grand mât, et il a fallu employer toute mon autorité pour les forcer à quitter avant moi.
» L'enseigne de vaisseau Nougarède, seul officier échappé à ce désastre, est resté constamment près de son capitaine, a fait exécuter mes ordres avec un admirable sang-froid, et a contribué à diminuer le nombre des victimes. C'est un officier digne de votre bienveillance.
» Monsieur l'Amiral, en vous traçant l'historique du naufrage de la Marne, j'ose espérer que vous jugerez que chacun a fait son devoir et que j'ai tenté tout ce qu'il était humainement possible pour sauver d'abord le bâtiment et ensuite l'équipage. Nous avons subi les conséquences d'un temps extraordinaire. Nous avons lutté avec énergie, mais la lutte était trop inégale. Vingt-quatre bâtiments brisés sur la côte de Stora et trois sombrés sur leurs ancres vous feront assez connaître le temps que nous avons éprouvé. Il est une chose qui paraîtrait incroyable si cela ne s'était passé sous les yeux de plus de deux mille spectateurs, et que je ne puis comparer à rien de ce que j'ai vu depuis que je sers dans la marine.
» Après l'évacuation des débris encore debout de la Marne, un brick chaviré, poussé par une de ces étonnantes masses d'eau qui nous avaient assaillis, les a franchis sans s'y arrêter et est venu planter son beaupré dans les falaises.
» Il me reste, Monsieur l'Amiral, à vous faire connaître le dévouement sublime avec lequel nous avons été secourus par les troupes et les habitants de Philippeville. Au coup de canon que nous avons tiré en hissant le pavillon en berne, monsieur le colonel d'Alphonse, commandant supérieur, s'est porté sur la côte à la tête de sa garnison, qu'il a mise à la disposition du commandant de la marine.
» Un service d'ambulance pour nos malheureux naufragés, transis de froid, a été organisé rapidement. Des prolonges, des brancards, munis de couvertures, servaient à leur transport. Ce service était dirigé avec une intelligence et une activité rares par monsieur le sous-intendant militaire de Pontbriant. Qu'il me soit permis d'acquitter ici une faible part de la reconnaissance que nous avons contractée envers monsieur le capitaine de corvette de Marqué, commandant du port de Stora.
» Nous devons à la bonne direction qu'il a donnée au sauvetage et à son dévouement particulier qui, deux fois, a failli lui être si funeste, la conservation de plusieurs de nos compagnons d'infortune. Nos marins ont été casernés dans une des salles de l'hôpital. De vieux effets de troupe leur ont été distribués. à l'exception de quelques blessés, tous sont parfaitement remis.
» Dès que le temps le permettra, nous commencerons le sauvetage de ce qui reste encore de la Marne. Cette opération terminée, je m'occuperai de revenir en France pour rendre compte de ma conduite.
« Signé : GATIER. »

Extrait du rapport de monsieur de Marqué, commandant du port, à Stora.

« Il y avait trente et un bâtiments sur rade. à midi, le 25, le désastre commença ; à six heures du soir, le temps se calma un peu. Vingt-cinq bâtiments n'existaient plus, et dans ce nombre se trouve la corvette la Marne. Les bâtiments de commerce perdent quatorze hommes.
» Quand le moment du grand danger s'est fait sentir, presque tous les équipages ont abandonné leurs bâtiments, et se sont réfugiés à bord du brig sarde l'Industrie, capitaine Ferro. Pendant la nuit du 25 au 26, il y avait à bord de ce navire cent cinquante-trois marins, y compris ceux du stationnaire. Le bon capitaine Ferro a prodigué à tous ces étrangers qu'il avait à bord tous les services possibles. »
Souvenirs du capitaine Gavoti, commandant l'Adolfo.

« Le 25, le vent était au nord-ouest faible brise ; le temps était couvert et pluvieux ; la mer du large était monstrueuse. Tout enfin, dans l'état du temps et de la mer, annonçait un raz de marée, phénomène peu connu dans la Méditerranée.
» à midi et demi, le désastre commença. Les navires mouillés dans la crique de Stora disparaissaient sous la lame ou étaient emportés par elle. Ceux qui résistaient, par suite de la bonne tenue du fond, sombraient sur place, et enfin les autres chaviraient dans le sens de la longueur, malgré les ancres qui les retenaient à l'avant. De ce nombre on cite une goélette espagnole chargée de bestiaux et une goélette toscane, qui, après avoir chaviré la quille en l'air, passa, avec sa mâture renversée, sur les débris de la Marne, entre le grand mât et le mât de misaine de cette corvette, et fut planter son beaupré à terre dans les falaises qui bordent la plage près du port de Stora. On saborda ce navire pour en retirer les marchandises qui y étaient enfermées.
» Le capitaine Gavoti profite du temps qui s'écoule d'un brisant à un autre pour couper le câble de son navire. Il est favorisé dans cette manœuvre par l'expérience de ses vieux matelots. Poussé par le second brisant, après avoir fait une demi-évolution par l'arrière, il vient s'échouer à deux longueurs de navire de terre, dans la crique de Stora, ce qui permet à son équipage et à celui de la Mathilde et de plusieurs bateaux allèges, qui s'étaient réfugiés à son bord, de mettre pied à terre et à sec. Peu d'instants après, l'Adolfo disparaissait, emporté par le retrait d'une effroyable masse d'eau qui l'avait entouré de toutes parts, sans que jamais le capitaine Gavoti et son équipage aient rien pu découvrir qui ait appartenu à leur navire. »

Le bateau stationnaire l'Arach, à bord duquel on avait la veille déposé deux cent mille francs pour payer l'armée, tint bon sur ses amarres, mais sa mâture et tout ce qui, sur le pont, donna prise à la lame, fut emporté.
Trois bâtiments de commerce : un génois, un toscan et un français sont les seuls bâtiment qui soient restés sur rade à la suite de ce désastre.

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