Chapitre XXXIII
Le Tartare et les Champs-Elysées
Tout au contraire des choses de ce monde, l'Averne s'est fort embelli en vieillissant. S'il faut en croire Virgile, c'était du temps d'Enée un lac noir, entouré de sombres bois, au-dessus duquel les oiseaux, si rapide que fût leur vol, ne pouvaient passer sans être frappés de mort. Aujourd'hui c'est un charmant lac comme le lac de Némi, comme le lac des Quatre-Cantons, comme le lac de Loch Leven, qui fait à merveille dans le paysage, et qui semble un beau miroir mis là tout exprès pour réfléchir un beau ciel.
Notre cicerone en Italie il n'y a pas moyen d'éviter le cicerone nous conduisit, Barbaia, Duprez, madame Malibran, Jadin et moi, aux ruines d'un temple qu'il nous donna pour un temple d'Apollon. Comme, grâce à nos études préliminaires, nous savions à quoi nous en tenir, nous le laissâmes tranquillement barboter dans ses définitions ; et nous en revînmes à Pluton, le véritable patron de la localité.
Ce temple, au reste, était fort ancien et fort célèbre. Annibal, arrêté devant Pouzzoles, où les Romains avaient envoyé une colonie sous le commandement de Quintus Fabius, alla visiter ce même temple, et, pour se rendre les habitants des environs favorables, y fît, dit Tite-Live, un sacrifice au roi des enfers.
Nous longeâmes les bords du lac en marchant de l'orient à l'occident, et bientôt nous traversâmes une tranchée antique que nous ne franchîmes qu'en sautant de pierres en pierres : c'était le lit du canal que Néron, ce désireur de l'impossible, comme dit Tacite, fit creuser en allant de Baïa à Ostie, et qui devait avoir vingt lieues de long et être assez large pour que deux galères à cinq rangs de rames pussent y passer de front. Ce canal était destiné, dit Suétone, à remplacer la navigation des côtes qui alors, comme aujourd'hui, était fort mauvaise. Néron fut un des empereurs les plus prudents qu'il y ait eu : un coup de tonnerre lui fit un jour remettre un voyage de Grèce pour lequel tout était préparé. Malheureusement, il ne put jouir de la voie qu'il avait ouverte à force de bras et d'argent. La révolution de Galba arriva, et comme le dit Néron lui-même au moment de se couper la gorge, le monde eut le malheur de perdre ce grand artiste.
Cependant nous venions de mettre le pied sur le sol que couvrait autrefois la ville de Cumes. Une seule porte est restée debout, et on l'appelle, je ne sais pourquoi, l'Arco Felice. C'est à deux pas de cette porte qu'était le tombeau de Tarquin-le-Superbe, qui, banni de Rome, vint mourir à Cumes. Pétrarque vit ce tombeau dans son voyage à Naples, et en parle dans son itinéraire. On assure qu'il a été transporté au musée. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il y a au musée un tombeau qu'on montre pour celui-là.
C'est aussi à Cumes que Pétrone se fit ouvrir les veines, mais en véritable sybarite qu'il était, dans un bain parfumé, en causant avec ses amis. Il se refermait les veines quand la conversation devenait plus intéressante, il les rouvrait quand elle languissait. Enfin, il se fit apporter les vases Murrhins, qu'il brisa pour que Néron n'en héritât point ; puis il changea de lieu, car il fallait que cette mort violente eût l'apparence d'une mort volontaire ; puis il glissa, au moment de mourir, à un ami le manuscrit de Trimalcion, cet immortel monument des débauches impériales, dont il avait été le complice avant d'en être l'historien.
C'était une époque curieuse que celle-là ! Le pouvoir suprême s'était tellement perfectionné que le bourreau était devenu un personnage inutile. Un signe suffisait, un geste disait tout. Le condamné comprenait la sentence, rentrait chez lui, faisait un testament où il léguait la moitié de son bien à César, pour que sa famille pût hériter de l'autre moitié ; remerciait l'empereur de sa clémence, faisait chauffer un bain, se couchait dedans et s'ouvrait les veines. S'ouvrir les veines était la mort à la mode ; un homme comme il faut ne se servait plus de l'épée ni du poignard : c'était bon pour les stoïciens comme Caton, ou pour des soldats comme Brutus et Cassius ; mais à des Romains du temps de Néron il fallait une mort voluptueuse comme la vie, une mort sans douleur, quelque chose de pareil à l'ivresse et au sommeil. Quand on appelait son barbier, il demandait avec la plus grande simplicité du monde : « Faut-il prendre mes rasoirs ou ma lancette ? » et il était arrivé un temps où ces vénérables fraters pratiquaient plus de saignées qu'ils ne faisaient de barbes.
Puis, comme ceux à qui on ne pouvait pas faire signe de se tuer, comme à Pétrone, qui n'était qu'un riche dandy ; comme à Lucain, qui n'était qu'un pauvre poète ; comme à Sénèque, qui n'était qu'un beau parleur ; comme à Burrhus, qui n'était qu'un vieux soldat ; comme à Pallas, qui n'était qu'un misérable affranchi ; pour un père qui vivait trop vieux, par exemple ; pour une mère, pour un oncle, on avait Locuste, la Voisin du temps. Il y avait chez elle un assortiment de poisons comme peu de chimistes modernes en possèdent. Chez elle, on achetait de confiance. D'ailleurs, ceux qui avaient peur d'être volés essayaient sur des enfants et ne payaient que s'ils étaient contents.
Peut-on se faire une idée de ce qu'un pareil monde serait devenu si la religion chrétienne n'était pas arrivée pour le purifier !
Cependant, comme Enée, nous nous avancions vers l'antre de la Sibylle. A cinquante pas de la porte, nous trouvâmes le concierge qui vint à nous la clef à la main, tandis que des porteurs, restés en arrière, nous attendaient sur le seuil avec des torches allumées. L'appareil nous paraissait peu agréable, nous avions déjà vu tant de souterrains, de grottes et d'antres, que nous commencions à avoir assez de ces sortes de plaisanteries. Nous échangeâmes un signe qui voulait dire : Sauve qui peut ! Mais il était trop tard ; nous étions entourés, nous étions captifs, nous étions la chose des ciceroni ; nous étions venus pour voir, nous ne devions pas nous en aller sans avoir vu. En un instant, la porte s'ouvrit, nous fûmes enveloppés, pris, poussés, et nous nous trouvâmes dedans. Il n'y avait plus moyen de s'en dédire.
Nous fîmes à peu près cent pas, non dans cette haute caverne que nous nous attendions à trouver sur la foi de Virgile : Spelunca alla fuit, mais dans un corridor assez bas et assez étroit. Ces cent pas faits, nous crûmes que nous en étions quittes, et nous voulûmes retourner en arrière. Bast ! nous n'avions vu encore que le vestibule. En ce moment, Jadin, qui marchait le premier, jeta des cris de paon ; il n'avait pas écouté ce que lui disait son guide, et il était tombé dans l'eau jusqu'au genou. Cette fois, nous crûmes que c'était fini et que nous avions eu assez de plaisirs ; nous nous trompions encore. Comme chacun de nous était entre deux guides, l'un qui portait une torche, et l'autre qui, comme le page de M. Malborough, ne portait rien du tout, une manoeuvre à laquelle nous ne pouvions nous attendre s'exécuta. Le guide qui était devant nous se baissa, le guide qui était derrière nous se haussa, de sorte que, par un mouvement rapide comme la pensée, chacun de nous, madame Malibran comme les autres, se trouva sur le dos d'un cicerone. Dès lors il n'y eut plus de défense possible, et nous nous trouvâmes à la merci de l'ennemi.
Hélas ! ce que l'on nous fit faire de tours et de détours dans cette affreuse caverne, ce qu'on nous conta de bourdes abominables à l'endroit de cette bonne sibylle qui n'en pouvait mais, la quantité innombrable de coups qu'on nous donna à la tête contre le plafond, et aux genoux contre la muraille, Dieu seul le sait ! Mais ce que je sais, moi, c'est qu'en sortant de ce guêpier j'avais une envie démesurée de rendre à qui de droit les horions que j'avais reçus. Cependant nous comprîmes que, comme on n'irait pas dans de pareils lieux de son plein gré, et qu'il est convenu qu'on doit les avoir vus, il faut bien qu'il y ait des gens qui vous y portent de force. Le résultat de ce raisonnement fut que nos porteurs se partagèrent deux piastres de pourboire ; moyennant quoi ils nous reconduisirent, les torches à la main et en nous appelant altesses, jusqu'aux bords du lac Achéron.
L'Achéron est encore une déception pour les amateurs du terrible. Les eaux en sont toujours bleu foncé. Mais ce n'est plus ce marais de douleur qui lui a fait donner son nom ; c'est, au contraire, un joli lac qui partage avec son ami, le lac Agnano, le monopole de rouir le chanvre, et avec son voisin, le lac Lucrin, le privilège d'engraisser d'excellentes huîtres que l'on va pêcher soi-même à l'aide d'une barque que manoeuvre le successeur de Caron. La seule chose qui lui soit restée de son véritable aïeul, c'est son exactitude à vous demander l'obole.
Au bord du lac est une espèce de casino lisez guinguette où les lions de Naples viennent faire de petits soupers dans le genre de ceux de la régence.
Des bords de l'Achéron on nous montra le Cocyte, qui nous parut moins changé que son terrible voisin. C'est toujours une mare d'eau stagnante. Je crois même qu'elle a conservé l'avantage qu'elle avait dans l'antiquité, de sentir fort mauvais.
L'antre de Cerbère est à l'extrémité du canal qui communique de l'Achéron à la mer. L'antre de Cerbère a son cicérone à lui, comme le moindre trou de cet heureux coin de la terre. Seulement on a pensé que l'antre de Cerbère n'avait pas assez d'importance pour lui donner un homme tout entier : on lui a donné un bossu auquel il manque une jambe, mais à qui heureusement il reste une langue et les deux mains. Il fit de ces deux mains et de cette langue tout ce qu'il put pour nous entraîner vers la localité qu'il exploite ; mais, comme il n'osa pas nous répondre positivement que nous trouverions Cerbère chez lui, la vue de l'antre, dénué de son locataire, nous parut par trop ressembler à celle de la carpe et du lapin, père et mère de ce fameux monstre que l'on montrerait en province si M. de Lacépède ne l'avait fait demander pour le Musée de Paris.
Nous offrîmes à Milord la survivance de Cerbère, mais Milord n'avait pas assez de confiance dans les grottes depuis qu'il avait vu celle du Chien, pour accepter la position, si avantageuse qu'elle fût.
Il est inutile d'ajouter que le bossu eut son carlin, comme si nous avions visité l'antre de son dogue.
Des bords du Cocyte nous fûmes en un instant aux ruines du palais de Néron.
Ce palais s'élevait sur le point le plus ravissant du golfe de Baïa, qui, au dire d'Horace, l'emportait sur les plus doux rivages de l'univers, et où l'air, comme à Paestum, portait avec lui un tel parfum, un tel enivrement, que Properce prétendait qu'une femme était compromise rien qu'en y restant une semaine. Malgré cela, et peut-être à cause de cela, tout ce qu'il y avait de riches Romains à Rome avait sa maison à Baïa. Marins, Pompée, César, y venaient passer leur été. C'est dans la maison de ce dernier que mourut le jeune Marcellus, très probablement empoisonné par Livie, et dont la mort devait fournir à Virgile un des hémistiches à la fois les plus beaux et les plus lucratifs de son sixième chant. Byron se vantait de vendre ses poèmes une guinée le vers. Demandez à Virgile ce que lui rapporta le Tu Marcellus eris !
Mais revenons au palais de Néron, aujourd'hui à moitié écroulé dans les flots, et dont la vague emporte chaque jour quelque sanglante parcelle. C'est dans ce palais qu'il avait appelé sa mère Agrippine ; c'est là qu'il voulait célébrer avec elle les fêtes de la réconciliation.
Voyez, en face l'un de l'autre, la lionne et le lionceau : la lionne, habituée depuis longtemps au carnage ; le lionceau, qui n'a encore goûté qu'une fois le sang : il est vrai que c'est le sang de son frère.
Un coup d'oeil en passant sur ce tableau : nous promettons au lecteur que nous allons mettre sous ses yeux une des plus terribles pages qui aient été écrites sur le livre de l'histoire universelle.
D'abord faisons le tour de nos personnages : voyons ce que c'était que Agrippine, car le crime du fils nous a fait oublier les crimes de la mère ; et, comme elle nous est apparue dans son linceul ensanglanté, nous n'avons pas su distinguer le sang qui était à elle du sang qui appartenait aux autres.
Elle est la fille de Germanicus ; sa mère est cette Agrippine, noble veuve et féconde matrone, qui abordait à Brindes, portant dans ses bras l'urne funéraire de son mari, et suivie de ses six enfants, dont quatre devaient aller promptement rejoindre leur père. Les premiers qui disparurent furent les deux aînés, Néron et Drusus ne pas confondre ce Néron-là, dernier espoir des républicains, avec le fils de Domitius, dont nous allons parler tout à l'heure. Néron fut exilé à Pontia, où il mourut. Comment ? on ne le sait pas, probablement comme on mourait alors. Quant à Drusus, il n'y a pas de doute sur lui, et la chose est des plus claires : on l'enferma un beau matin dans les souterrains du palais, et pendant neuf jours on oublia de lui porter à manger ; le dixième jour, on descendit ostensiblement dans sa prison avec un plateau couvert de viande, de vins et de fruits ; on le trouva expirant : il avait vécu huit jours en dévorant la bourre de son matelas.
Quant à la mère, elle fut punie pour un crime énorme : elle avait pleuré ses enfants. On l'exila ob lacrymas ; elle se tua dans l'exil.
Bref, il ne restait plus de toute la race de Germanicus que notre Agrippine et Caïus Caligula, ce serpent que Tibère élevait, disait-il, pour dévorer le monde.
Tibère, qui, comme on l'a vu, s'intéressait fort à toute sa race, avait marié Agrippine à un certain Eneus Domitius, dont le vol et l'homicide étaient les moindres crimes. Comme préteur, il avait volé les enjeux des courses. Un jour, en plein Forum, il avait crevé l'oeil d'un chevalier. Un autre jour, il avait écrasé sous les pieds de ses chevaux un enfant qui ne se rangeait pas assez vite. Un autre jour, enfin, il avait tué un affranchi à qui il avait donné un verre plein de vin à vider d'un seul coup, et qui, manquant de respiration, avait commis la faute de s'y reprendre à deux fois. Lors de l'agonie de Tibère, il était accusé de lèse-majesté. Tibère mourut étouffé par Macron, et Eneus Domitius fut absous.
Caligula était mort. Des six enfants de Germanicus, Agrippine restait seule. Claude régnait. Claude venait de faire tuer Messaline, sa troisième femme, qui avait eu le caprice d'épouser publiquement, toute femme de l'empereur qu'elle était, son amant Silius. Dégoûté du mariage, l'empereur avait juré à ses prétoriens de vivre désormais sans femme. Mais les affranchis de Claude avaient décidé que Claude se remarierait.
Ils étaient trois : Caliste, Narcisse et Pallas, les premiers personnages de l'Etat, les véritables ministres de l'empereur. Voulez-vous connaître la fortune de ces trois anciens esclaves ? Pallas avait trois cents millions de sesterces soixante millions de francs ; Narcisse était plus riche du quart : il avait quatre cents millions de sesterces quatre-vingt millions de francs ; quant à Caliste, c'était le plus pauvre : le malheureux n'avait que quarante millions à peu près. Au reste, c'était l'époque des fortunes insensées. Un esclave qui avait été dispensator, titre qui répond à celui de munitionnaire général, avait, au dire de Pline, acheté sa liberté pour la bagatelle de treize millions. Vous vous rappelez le gourmand Apicius, lequel, après avoir dépensé vingt millions pour sa table, est averti par son intendant qu'il ne lui reste plus que deux millions cinq cent mille francs. Or, que croyez-vous que fera Apicius ? Qu'il placera son argent à dix pour cent, taux légal de Rome, et que, des bribes de son patrimoine, il se fera deux cent cinquante mille livres de rente, ce qui est encore un fort joli denier ? Point. Apicius s'empoisonne : il n'a plus assez pour vivre. Il est vrai que Apicius avait donné jusqu'à mille deux cents francs d'un surmulet de quatre livres et demie que faisait vendre Tibère, trouvant ce poisson trop beau pour sa table. On a de la peine à croire à de pareilles folies. Lisez pourtant Sénèque, épître 95. Mais revenons encore à nos affranchis.
Chacun d'eux avait une femme qu'il protégeait, une impératrice de sa main qu'il voulait donner à Claude, l'empereur imbécile qui dormait à table, à qui on laçait ses sandales aux mains, à qui on chatouillait le nez avec une plume, et qui alors, à la grande joie des convives, se frottait le nez avec ses sandales. Caliste présentait Lollia Paulina, qui avait autrefois été la femme de Caligula. Narcisse présentait Elia Petina, qui avait été déjà la femme de Claude, ce qui épargnait la dépense de nouvelles noces. Enfin Pallas présentait Agrippine, dont il était l'amant, et qui apportait en dot à César un petit-fils de Germanicus. On lâcha les trois femmes après Claude. Agrippine l'emporta et fut impératrice.
Agrippine était donc enfin arrivée à une position digne d'elle. Voyons-la à l'oeuvre.
Silanus est le fiancé d'Octavie, fille de Claude ; mais Octavie est devenue un parti sortable pour le fils d'Agrippine. Silanus est dépouillé de la préture, accusé du premier crime qu'on imagine, et invité à se donner la mort ; Silanus se tue.
Sa rivale Lollia Paulina, cette veuve de son frère qui avait failli l'emporter sur elle, était belle comme elle, violente comme elle, débauchée comme elle, capable de tout comme elle, mais plus riche qu'elle, ce qui lui donnait un grand avantage. Un jour, elle était venue à un souper avec une parure d'émeraudes qui valait quarante millions de sesterces huit millions de notre monnaie. La fortune de Lollia Paulina fut confisquée, Lollia Paulina fut envoyée en exil, et six mois après un centurion vint dans son exil annoncer à Lollia Paulina qu'il fallait mourir. Lollia Paulina mourut.
Après Lollia Paulina vint Calpurnie, dont Claude avait vanté imprudemment la beauté ; après Calpurnie, Lepida, tante de Néron. Pourquoi moururent- elles toutes deux ? Demandez à Pline : Mulieribus ex causis, pour des raisons de femmes ; il ne vous dira pas autre chose. En effet, ces trois mots disent tout.
Nous ne parlons pas d'un Taurus qui avait une villa qu'Agrippine voulait acheter, qu'il refusa de vendre, et qui, trois mois après, mourut en la lui léguant.
Cependant Claude, qui était devenu méfiant depuis la mort de Messaline, s'apercevait de tout cela et secouait la tête. Puis, dans ses moments d'abandon, quand il réformait la langue avec ses grammairiens, ou le monde avec ses affranchis, il disait : « J'ai eu tort de me remarier, mais qu'on y prenne garde ! Je suis destiné à être trompé, c'est vrai, mais je suis destiné aussi à punir celles qui me trompent ! »
Claude n'avait pas tort de penser cela, mais Claude avait grand tort de le dire. Ces menaces conjugales revinrent aux oreilles d'Agrippine : le tribun qui avait tué Messaline vivait encore ; il ne fallait qu'un signe de Claude, un mot de Narcisse, pour qu'il en fût de la quatrième femme de Claude comme il en avait été de la troisième. Agrippine prit les devants.
Un soir, elle jeta un voile sur sa tête, sortit du Palatin par une porte de derrière et s'en alla trouver Locuste.
Il s'agissait, cette fois, de trouver le chef-d'oeuvre des poisons, quelque chose d'agréable au goût, qui ne tuât ni trop vite ni trop lentement, qui fit mourir, voilà tout, mais sans laisser de traces. Agrippine ne regardait pas au prix.
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