Chapitre XIII
Anecdotes
Chaque pays a sa queue rouge qui résume dans une seule individualité la bêtise générale de la nation : Milan a Girolamo, Rome a Cassandre, Florence a Stentarelle, Naples a monsignor Perelli.
Monsignor Perelli est le bouc émissaire de toutes les sottises dites et faites à Naples pendant la dernière moitié du dernier siècle. Pendant cinquante ans qu'il a vécu, monsignor Perelli a défrayé de lazzis, d'anecdotes et de quolibets la capitale et la province, et depuis quarante ans que monsignor Perelli est mort, comme on n'a encore trouvé personne digne de le remplacer, c'est à lui que l'on continue d'attribuer tout ce qui se dit de mieux dans ce genre.
Monsignor Perelli, ainsi que l'indique son titre, avait suivi la carrière de la prélature et était arrivé aux bas rouges, ce qui est une position en Italie ; puis, comme au bout du compte il était d'une probité reconnue, il avait été nommé trésorier de Saint-Janvier, place que, ses jocrisseries à part, il occupa honorablement pendant toute sa vie.
Monsignor Perelli était de bonne famille. Aussi, comme nous l'avons dit, était-il parfaitement reçu en cour ; il faut dire qu'aux yeux du roi Ferdinand, comme aux yeux du roi Louis XIV, si un homme eût pu se passer d'aïeux, c'eût été un prêtre. Le pape, souverain temporel de Rome, roi spirituel du monde, n'est le plus souvent qu'un pauvre moine. Mais la question n'est point là. Monsignor Perelli était noble, et le roi Nasone n'avait pas même eu la peine de vaincre à son égard les répugnances que nous avons racontées à l'endroit du pauvre marquis de Soval.
Aussi Sa Majesté napolitaine, spirituelle et railleuse de sa nature, avait-elle vu tout de suite le parti qu'elle pouvait tirer d'un homme tel que monsignor Perelli. Comme le Charivari, qui tous les matins raconte un nouveau bon mot de monsieur Dupin et une nouvelle réponse fine de monsieur Sauzet, le roi Ferdinand demandait tous les matins à son lever :
- Eh bien ! qu'à dit hier monsignor Perelli ? Alors, selon que l'anecdote de la veille était plus ou moins bouffonne, le roi, pour tout le reste de la journée, était lui-même plus ou moins joyeux. Une bonne histoire sur monsignor Perelli était la meilleure apostille présentée au roi Ferdinand.
Une fois seulement il arriva à monsignor Perelli de rencontrer plus bête que lui : c'était un soldat suisse. Le roi Ferdinand le fit caporal, le soldat bien entendu.
Un ordre avait été donné par l'archevêque de ne laisser entrer dans les églises que les ecclésiastiques en robe, et des sentinelles avaient été mises aux portes des trois cents temples de Naples avec ordre de faire observer cette consigne. Justement, le lendemain même du jour où cette mesure avait été prise, monsignor Perelli sortait du bain en habit court, et n'ayant que son rabat pour le faire distinguer des laïques ; soit qu'il ignorât l'ordonnance rendue, soit qu'il se crût exempt de la règle générale, il se présenta avec la confiance qui lui était naturelle à la porte de l'église del Carmine.
La sentinelle mit son fusil en travers.
- Qu'est-ce à dire ? demanda monsignor Perelli.
- Vous ne pouvez point entrer, répondit la sentinelle.
- Et pourquoi ne puis-je entrer ?
- Parce que vous n'avez point de robe.
- Comment ! s'écria monsignor Perelli, comment ! je n'ai point de robe ! Que dites-vous donc là ? J'en ai quatre chez moi, dont deux toutes neuves.
- Alors, c'est autre chose, répondit le Suisse ; passez.
Et monsignor Perelli passa malgré l'ordonnance.
Monsignor Perelli eut un jour un autre triomphe qui ne fit pas moins de bruit que celui-là. Il éclaircit d'un seul mot un grand point de l'histoire naturelle resté obscur depuis la naissance des âges.
Il y avait réunion de savants aux Studi, et l'on discutait, sous la présidence du marquis Arditi, sur les causes de la salaison de la mer. Chacun avait exposé son système plus ou moins probable, mais aucun encore n'avait été d'une assez grande lucidité pour que la majorité l'adoptât, lorsque monsignor Perelli, qui assistait comme auditeur à cette intéressante séance, se leva et demanda la parole. Elle lui fut accordée sans difficulté ni retard.
- Pardon, messieurs, dit alors monsignor Perelli ; mais il me semble que vous vous écartez de la véritable cause de ce phénomène, qui, à mon avis, est patente. Voulez-vous me permettre de hasarder une opinion ?
- Hasardez, monsignor, hasardez, cria-t-on de toutes parts.
- Messieurs, reprit monsignor Perelli, une seule question.
- Dites.
- D'où tire-t-on les harengs salés ?
- De la mer.
- N'est-il pas dit dans l'histoire naturelle que ce cétacé se trouve dans les mers, et presque toujours par bandes innombrables ?
- C'est la vérité.
- Eh bien donc, reprit monsignor Perelli satisfait de l'adhésion générale, qu'avez-vous besoin de chercher plus loin ?
- C'est juste, dit le marquis Arditi. Personne de nous n'y avait jamais songé : ce sont les harengs salés qui salent la mer.
Et cette lumineuse révélation fut inscrite sur les registres de l'Académie, où l'on peut encore la lire à cette heure, quoique je sois le premier peut-être qui l'ait communiquée au monde savant.
Lors du baptême de son fils aîné, le roi Ferdinand fit un cadeau plus ou moins précieux à chacun de ceux qui assistaient à la cérémonie sainte. Monsignor Perelli obtint dans cette distribution générale une tabatière d'or enrichie du chiffre du roi en diamants.
On comprend qu'une pareille preuve de la magnifique amitié de son roi devint on ne peut plus chère à monsignor Perelli. Aussi cette bienheureuse tabatière était-elle l'objet de son éternelle préoccupation. Il était toujours à la poursuivre des poches de sa veste dans les poches de son habit, et des poches de son habit dans celles de sa veste. Un savant mathématicien calcula, en procédant du connu à l'inconnu, que monsignor Perelli dépensait, par jour et par nuit, quatre heures trente-cinq minutes vingt-trois secondes à chercher ce précieux bijoux ; or, comme, pendant les quatre heures trente- cinq minutes et vingt-trois secondes qu'il passait par nuit et par jour à cette recherche, monsignor, ainsi qu'il le disait lui-même, ne vivait pas, c'était autant de secondes, de minutes et d'heures à retrancher à son existence. Il en résulta que, tout compte fait, monsignor Perelli eût vécu dix ans de plus si le roi Ferdinand ne lui eût point donné une tabatière.
Un soir que monsignor Perelli était allé faire sa partie de reversi chez le prince de C... et que, selon son habitude, le digne prélat avait perdu une partie de sa soirée à s'inquiéter de sa tabatière, il arriva qu'en rentrant chez lui, et en fouillant dans ses poches, monsignor s'aperçut que le bijou était pour cette fois bien réellement disparu. La première idée de monsignor Perelli fut que sa tabatière était restée dans sa voiture. Il appela donc son cocher, lui ordonna de fouiller dans les poches du carrosse, de retourner les coussins, de lever le tapis, enfin de se livrer aux recherches les plus minutieuses. Le cocher obéit ; mais cinq minutes après il vint rapporter cette désastreuse nouvelle, que la tabatière n'était pas dans la voiture.
Monsignor Perelli pensa alors que peut-être, comme les glaces de son carrosse étaient ouvertes, et qu'il avait plusieurs fois passé les mains par les portières, il avait pu, dans un moment de distraction, laisser échapper sa tabatière ; elle devait donc en ce cas se retrouver sur le chemin suivi pour revenir du palais du prince de C... à la maison qu'occupait monsignor Perelli. Heureusement il était deux heures du matin, il y avait quelque chance que le bijou perdu n'eût point encore été retrouvé. Monsignor Perelli ordonna à son cocher et à sa cuisinière, qui composaient tout son domestique, de prendre chacun une lanterne et d'explorer les rues intermédiaires, pavé par pavé.
Les deux serviteurs rentrèrent désespérés ; ils n'avaient pas trouvé vestige de tabatière.
Monsignor Perelli se décida alors, quoiqu'il fût trois heures du matin, à écrire au prince de C... pour qu'il fit immédiatement et par tout son palais chercher le bijou dont l'absence causait au digne prélat de si graves inquiétudes. La lettre était pressante et telle que peut la rédiger un homme sous le coup de la plus vive inquiétude. Monsignor Perelli s'excusait vis-à- vis du prince de l'éveiller à une pareille heure, mais il le priait de se mettre un instant à sa place et de lui pardonner le dérangement qu'il lui causait.
La lettre était écrite et signée, pliée, et il n'y manquait plus que le sceau, lorsqu'en se levant pour aller chercher son cachet, monsignor Perelli senti quelque chose de lourd qui lui battait le gras de la jambe. Or, comme le docte prélat savait qu'il n'y a point dans ce monde d'effet sans cause, il voulut remonter à la cause de l'effet, et il porta la main à la basque de son habit : c'était la fameuse tabatière qui, par son poids, ayant percé la poche, avait glissé dans la doublure, et donnait signe d'existence en chatouillant le mollet de son propriétaire.
La joie de monsignor Perelli fut grande. Cependant, il faut le dire, si sa première pensée fut pour lui-même, la seconde fut pour son prochain : il frémit à l'idée de l'inquiétude qu'aurait pu causer sa lettre à son ami le prince de C..., et, pour en atténuer l'effet, il écrivait au-dessous le post-scriptum suivant :
« Mon cher prince, je rouvre ma lettre pour vous dire que vous ne preniez pas la peine de faire chercher ma tabatière. Je viens de la retrouver dans la basque de mon habit. »
Puis il remit l'épître à son cocher, en lui ordonnant de la porter à l'instant même au prince de C..., que ses gens réveillèrent à quatre heures du matin pour lui remettre, de la part de monsignor Perelli, le message qui lui apprenait à la fois qu'il avait perdu et retrouvé sa tabatière.
Cependant monsignor Perelli avait un avantage sur beaucoup de gens de ma connaissance ; c'était une bête et non un sot ; il y avait en lui une certaine conscience de son infirmité d'esprit, d'où il résultat qu'il ne demandait pas mieux que de s'instruire. Aussi, un soir, ayant entendu dire au comte de M... que vers l'Ave Maria il était malsain de rester à l'air, attendu que le crépuscule tombait à cette heure, la remarque hygiénique lui resta dans la tête et le préoccupa gravement. Monsignor Perelli n'avait jamais vu tomber le crépuscule, et ignorait parfaitement quelle espèce de chose c'était.
Pendant plusieurs jours, il eut des velléités de demander à ses amis quelques renseignements sur l'objet en question ; mais le pauvre prélat était tellement habitué aux railleries qu'éveillaient presque toujours ses demandes et ses réponses, qu'à chaque fois que la curiosité lui ouvrait la bouche, la crainte la lui refermait. Enfin, un jour que son cocher le servait à table :
- Gatan, mon ami, lui dit-il, as-tu jamais vu tomber le crépuscule ?
- Oh ! oui, monseigneur, répondit le pauvre diable, à qui, comme on le comprend bien, depuis vingt-cinq ans qu'il était cocher, une pareille aubaine n'avait pas manqué : certainement que je l'ai vu.
- Et où tombe-t-il ?
- Partout, monseigneur.
- Mais plus particulièrement ?
- Dame ! au bord de la mer.
Le prélat ne répondit rien, mais il mit à profit le renseignement, et, avant de faire sa sieste, il ordonna que les chevaux fussent attelés à six heures précises.
A l'heure dite, Gatan vint prévenir son maître que la voiture était prête. Monsignor Perelli descendit son escalier quatre à quatre, tant il était curieux de la chose inconnue qu'il allait voir : il sauta dans son carrosse, s'y accommoda de son mieux, et donna l'ordre d'aller stationner au bout de la Villa-Réale, entre le Boschetto et Mergellina.
Monsignor Perelli demeura à l'endroit indiqué depuis sept heures jusqu'à neuf, regardant de tous ses yeux s'il ne verrait pas tomber ce crépuscule tant désiré ; mais il ne vit rien que la nuit qui venait avec cette rapidité qui lui est toute particulière dans les climats méridionaux. A neuf heures, elle était si obscure que monsignor Perelli perdit toute espérance de rien voir tomber ce soir-là. D'ailleurs, l'heure indiquée pour la chute était passée depuis longtemps. Il revint donc tout attristé à la maison ; mais il se consola en songeant qu'il serait probablement plus heureux le lendemain.
Le lendemain, à la même heure, même attente et même déception ; mais monsignor Perelli avait entre autres vertus chrétiennes une patience développée à un haut degré ; il espéra donc que sa curiosité, trompée déjà deux fois, serait enfin satisfaite la troisième.
Cependant Gatan ne comprenait rien au nouveau caprice de son maître qui, au lieu de s'en aller passer sa soirée, comme il en avait l'habitude, chez le prince de C... ou chez le duc de N.... venait s'établir au bord de la mer, et, la tête à la portière, restait aussi attentif que s'il eût été dans sa loge de San- Carlo un jour de grand gala ; et puis Gatan n'était plus tout à fait un jeune homme, et il craignait pour sa santé l'humidité du soir, dont, assis sur son siège, rien ne le garantissait. Le troisième jour arrivé, il résolut de tirer au clair la cause de ces stations inaccoutumées. En conséquence, au moment où commençait à sonner l'Ave Maria :
- Pardon, Excellence, dit-il, en se penchant sur son siège de manière à dialoguer plus facilement avec monsignor Perelli, qui se tenait à la portière, les yeux écarquillés dans leur plus grande dimension, peut-on, sans indiscrétion, demander à Votre Excellence ce qu'elle attend ainsi ?
- Mon ami, dit le prélat, j'attends que le crépuscule tombe ; j'ai attendu inutilement hier et avant-hier : je ne l'ai pas vu malgré la grande attention que j'y ai faite : mais aujourd'hui j'espère être plus heureux.
- Peste ! dit Gatan, il est cependant tombé, et joliment tombé, ces deux jours-ci, Excellence, et je vous en réponds !
- Comment ! tu l'as donc vu, toi ?
- Non seulement je l'ai vu, mais je l'ai senti !
- On le sent donc aussi ?
- Je le crois bien qu'on le sent !
- C'est singulier, je ne l'ai vu ni senti.
- Et tenez, dans ce moment même...
- Eh bien !...
- Eh bien ! vous ne le voyez pas, Excellence ?
- Non.
- Voulez-vous le sentir ?
- Je ne te cache pas que cela me serait agréable.
- Alors rentrez la tête entièrement dans la voiture.
- M'y voilà.
- Etendez la main hors de la portière.
- J'y suis.
- Plus haut. Encore. Là, bien.
Gatan prit son fouet et en cingla un grand coup sur la main de monseigneur Perelli.
Le digne prélat poussa un cri de douleur.
- Eh bien ! l'avez-vous senti ? demanda Gatan.
- Oui, oui, très bien ! répondit monsignor Perelli. Très bien ; je suis content, très content. Revenons chez nous.
- Cependant, si vous n'étiez pas satisfait, Excellence, continua Gatan, nous pourrions revenir encore demain.
- Non, mon ami, non, c'est inutile ; j'en ai assez. Merci.
Monsignor porta huit jours sa main en écharpe, racontant son aventure à tout le monde, et assurant que, malgré les premiers doutes, il en était revenu à l'avis du comte de M..., qui avait dit qu'il était fort malsain de rester dehors tandis que le crépuscule tombait, ajoutant que si le crépuscule lui était tombé sur le visage au lieu de lui tomber sur la main, il n'y avait pas de doute qu'il n'en fût resté défiguré tout le reste de sa vie.
Malgré sa fabuleuse bêtise, et peut-être même à cause d'elle, monsignor Perelli avait l'âme la plus évangélique qu'il fût possible de rencontrer. Toute douleur le voyait compatissant, toute plainte le trouvait accessible. Ce qu'il craignait surtout, c'était le scandale ; le scandale, selon lui, avait perdu plus d'âmes que le péché même. Aussi faisait-il tout au monde pour éviter le scandale. Non pas pour lui ; Dieu merci, monsignor Perelli était un homme de moeurs non seulement pures, mais encore austères. Malheureusement, le bon exemple n'est pas celui que l'on suit avec le plus d'entraînement. Monsignor Perelli avait, dans sa maison même, une jeune voisine et, dans la maison en face de la sienne, un jeune voisin qui donnaient fort à causer à tout le quartier. C'était la journée durant, et d'une fenêtre à l'autre, les signes les plus tendres, si bien que plusieurs fois les âmes charitables de la rue qu'habitait monsignor Perelli le vinrent prévenir des distractions mondaines que donnait aux esprits réservés cet éternel échange de signaux amoureux.
Monsignor Perelli commença par prier Dieu de permettre que le scandale cessât ; mais, malgré l'ardeur de ses prières, le scandale, loin de cesser, alla toujours croisant. Il s'informa alors des causes qui forçaient les jeunes gens à passer à cet exercice télégraphique un temps qu'ils pouvaient infiniment mieux employer en louant le Seigneur, et il apprit que les coupables étaient deux amoureux que leurs parents refusaient d'unir sous prétexte de disproportion de fortune. Dès lors, au sentiment de réprobation qui lui inspirait leur conduite se mêla un grain de pitié que lui inspirait leur malheur ; il alla les trouver l'un après l'autre pour les consoler, mais les pauvres jeunes gens étaient inconsolables ; il voulut obtenir d'eux qu'ils se résignassent à leur sort, comme devaient le faire des chrétiens soumis et des enfants respectueux ; mais ils déclarèrent que le mode de correspondance qu'ils avaient adopté étant le seul qui leur restât après la cruelle séparation dont ils étaient victimes, ils ne renonceraient pour rien au monde à cette dernière consolation, dût-elle mettre en rumeur toute la ville de Naples. Monsignor Perelli eut beau prier, supplier, menacer, il les trouva inébranlables dans leur obstination. Alors voyant que, s'il ne s'en mêlait pas plus efficacement, les deux malheureux pêcheurs continueraient d'être pour leur prochain une pierre d'achoppement, le digne prélat leur offrit, puisqu'ils ne pouvaient se voir ni chez l'un ni chez l'autre pour se dire, loin de tous les yeux, ce qu'ils étaient forcés de se dire ainsi coram populo, de se rencontrer chez lui une heure ou deux tous les jours, à la condition que les portes et les fenêtres de la chambre où ils se rencontreraient seraient fermées, que personne ne connaîtrait leurs rendez-vous, et qu'ils renonceraient entièrement à cette malheureuse correspondance par signes qui mettait en rumeur tout le quartier. Les jeunes gens acceptèrent avec reconnaissance cette évangélique proposition, jurèrent tout ce que monsignor Perelli leur demandait de jurer, et, à la grande édification du quartier, parurent avoir, à compter de ce jour, renoncé à leur fatal entêtement.
Plusieurs mois se passèrent pendant lesquels monsignor Perelli se félicitait chaque jour davantage de l'expédient ingénieux qu'il avait trouvé à l'endroit des deux amants, lorsqu'un matin, au moment où il rendait grâce à Dieu de lui avoir inspiré une si heureuse idée, les parents de la jeune fille tombèrent chez monsignor Perelli pour lui demander compte de sa trop grande charité chrétienne. Seulement alors monsignor Perelli comprit toute l'étendue du rôle qu'il avait joué dans cette affaire. Mais comme monsignor Perelli était riche, comme monsignor Perelli était la bonté en personne, comme toute chose pouvait s'arranger, au bout du compte, avec une niaiserie de deux ou trois mille ducats, monsignor Perelli dota la jeune pécheresse, à la grande satisfaction du père du jeune homme, de la part duquel venait tout l'empêchement, et qui ne vit plus dès lors aucun inconvénient à la recevoir dans sa famille. La chose, grâce à monsignor Perelli, finit donc comme un conte de fées : les deux amants se marièrent, furent constamment heureux, et obtinrent du ciel beaucoup d'enfants.
Maintenant, il me resterait bien une dernière histoire à raconter, qui, à l'heure qu'il est, désopile encore immodérément la rate des Napolitains ; mais l'esprit des nations est chose si différente, que l'on ne peut jamais répondre que ce qui fera pouffer de rire l'une fera sourciller l'autre. Conduisez Falstaff à Naples, et il y passera incompris ; transplantez Polichinelle à Londres, et il mourra du spleen.
Et puis nous avons une malheureuse langue moderne si bégueule qu'elle rougit de tout, et même de sa bonne aïeule la langue de Molière et de Saint- Simon, à laquelle je lui souhaiterais cependant de ressembler. Il en résulte que, tout bien pesé, je n'ose point vous raconter l'histoire de monsignor Perelli, laquelle fit néanmoins tant rire le bon roi Nasone, lequel, à coup sûr, avait au moins autant d'esprit que vous et moi en pouvons avoir, soit séparément, soit même ensemble. Et pourtant, elle lui avait été racontée un certain jour où il ne fallait rien moins qu'une pareille histoire pour dérider le front de Sa Majesté. On venait d'apprendre à Naples une nouvelle escapade des Vardelli.
Comme ces honnêtes bandits m'offrent une occasion de faire connaître le peuple napolitain sous une nouvelle face, et qu'on ne doit négliger dans un des tableaux aucun des détails qui peuvent en augmenter la vérité ou l'effet, disons ce que c'était que les Vardarelli.
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