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Chapitre L
Télègue, tarantasse et traîneau

Nous partions le dimanche 11 janvier russe, 23 janvier français. Nous devions nous embarquer le 21 janvier russe, 2 février de notre style.
Nous partions à deux heures de l'après-midi ; mais les deux premières stations étaient faciles : elles se composaient de trente-six verstes, neuf lieues. Nous espérions les faire pendant le reste de la journée. A la première station, je m'aperçus que Kalino, qui avait les clefs de toutes mes malles, avait oublié de me les rendre. Je lui écrivis un mot pour qu'il les remît au courrier de la poste, qui partait le lundi soir pour Koutaïs : il y a deux cent quarante verstes de Tiflis à Koutaïs. Nul doute que le courrier, qui ne manque jamais de chevaux, ne nous rejoignît.
J'indique ce détail de clefs, non pas pour fatiguer le lecteur, mais parce que ce qui va suivre montrera de quelle façon les administrations publiques sont servies en Russie. Je donnai à un Cosaque la lettre alourdie d'un rouble. Il monta à cheval, et partit devant moi pour Tiflis.
Une heure et demie après, Kalino devait l'avoir.
Nous nous remîmes en route. A mesure que nous avancions dans la montagne, la neige tombait plus épaisse. La nuit vint ; mais, comme nous marchions en plaine, elle ne nous empêcha point de gagner la seconde station. Jusqu'à cette seconde station, nous avions suivi le chemin que nous avions déjà fait pour aller à Vladikavkas, c'est-à-dire qu'à la dix-huitième verste, nous avions traversé le beau pont bâti par le père de ­oubalof, laissé à notre droite les ruines du pont de Pompée, et derrière nous l'église de Mskett, où sont enterrés les deux rois de Géorgie.
Après la seconde station, nous devions laisser la route de Vladikavkas s'enfoncer à droite dans la montagne, et nous devions, en obliquant à gauche, prendre celle de Koutaïs.
Ce fut ce que nous fîmes le lendemain matin.
Seulement, le maître de poste nous prévint que nous aurions deux rivières à traverser à gué. Au Caucase, on regarde les ponts comme une superfluité, tant qu'un homme n'a pas de l'eau jusque par-dessus la tête, et un cheval jusqu'aux oreilles. Il ajouta que, avec nous, la tarantasse, déjà chargée de plusieurs caisses, ne pourrait passer les rivières, dont, en général, les bords sont assez escarpés. Il nous fallait donc prendre un traîneau pour alléger la tarantasse.
Nous prîmes un traîneau.
Cela nous faisait trois voitures et neuf chevaux. Heureusement qu'un cheval coûte deux kopeks par verste : c'était soixante-douze kopeks, trois francs à peu près, par lieue.
Consignons ici un détail oublié par moi dans l'autre chapitre. Au moment de monter en voiture, nous avions reçu une lettre du directeur de la poste qui nous invitait à ne point partir, les communications étant interrompues entre Gori et Sourham, en raison de la quantité de neige qui était tombée. Nous n'avions pas tenu compte de l'avis.
Nous poussâmes en avant, Moynet, Grégory – c'était le nom de baptême de notre jeune Arménien – et moi, laissant la garde des deux voitures, la tarantasse et la télègue, à un bas officier russe, que le maître de poste nous avait priés de conduire à Koutaïs.
En échange du petit service que nous lui rendions, – une personne de plus n'augmentant en rien nos frais de poste, – il nous rendait le très grand service, lui, le maître de poste, de nous laisser la même télègue jusqu'à Koutaïs ; ce qui dispensait, à chaque station, de décharger et de recharger les effets. De plus, ce bas officier devait nous rendre tous les petits services que nous eût rendus un domestique.
Il s'appelait Timaf.
C'était une singulière créature, physiquement parlant, que le caporal Timaf. Au premier aspect, il paraissait gros et semblait avoir cinquante ans.
A la station du soir, quand il avait ôté ses deux ou trois capotes et sa touloupe, qu'il avait dénoué son bachelik et mis de côté sa casquette, il était maigre comme une arête et n'avait guère plus de vingt-six à vingt-huit ans.
Au moral, c'était un idiot qui, au lieu de nous rendre des services, nous pesa tout le long de la route sur les bras, par son inertie et sa timidité. Il commença, dès la seconde journée, par nous donner de son intelligence un prospectus qui ne s'est pas démenti.
J'ai dit que nous étions partis devant, le laissant à la garde de notre tarantasse et de notre télègue, qui, plus chargées que le traîneau, et roulant sur des roues au lieu de glisser sur des patins, ne pouvaient nous suivre que de loin.
Notre traîneau allait comme le vent, et, malgré le froid piquant qui gelait notre respiration à nos moustaches, nous trouvions cette manière de voyager charmante, relativement à celle de la veille, et nous fîmes une douzaine de verstes en moins de trois quarts d'heure. Mais, ces douze verstes faites, nous arrivâmes au bord de la première rivière ; c'était la plus petite et la plus facile à traverser.
Cependant notre hiemchik hésitait : mais, sur le mot pachol, répété deux ou trois fois d'une façon impérative, il lança sa troïka à l'eau ; le traîneau y descendit à son tour, en nous donnant une violente secousse et nous couvrant d'éclaboussures. L'eau monta jusqu'à moitié des banquettes ; mais, à la force des poignets, nous nous maintînmes les jambes en l'air. Seulement, au lieu d'essayer franchement et bravement de gravir directement le bord opposé, il prit la pente de biais, le traîneau pencha à gauche, perdit son équilibre et ne fit qu'un seul tas de nos trois personnes.
Par bonheur, nous étions déjà à une certaine distance de la rivière, et, au lieu de tomber dans l'eau, ce qui devait arriver, nous versâmes dans la neige. On se releva, on se secoua, on rit. Chacun reprit sa place, et le traîneau continua sa route avec sa vélocité primitive.
En arrivant à la station de Quensens, nous trouvâmes la seconde rivière ; celle-là était plus sérieuse. Il n'y avait pas moyen de la traverser en tenant nos jambes en l'air ; si haut que nous les tinssions, l'eau eût monté jusqu'au bout de nos bottes. Nous dételâmes les trois chevaux, nous montâmes chacun sur un cheval, et nous passâmes la rivière. Puis nous fîmes repasser les chevaux sans nous. L'hiemchik les rattela, et le traîneau passa à vide, mais pas à sec. Nous n'étions qu'à cent pas de la station ; nous fîmes les cent pas à pied.
Devant la porte de la station était toute une collection de télègues et de tarantasse, indiquant que la neige leur avait dit ce que Dieu dit aux vagues : « Vous n'irez pas plus loin. »
Un traîneau était tout chargé, mais dételé, au milieu de tous ces cadavres de télègues et de tarantasses.
« Mauvais signe ! » dis-je à Moynet.
En effet, il n'y avait pas de chevaux. Cette fois, c'était bien vrai. Nous allâmes aux écuries, nous fouillâmes dans tous les coins et recoins ; pas la moindre troïka !
Le maître de poste nous dit qu'il ne répondait de rien jusqu'à deux heures, mais qu'à deux heures il était sûr de pouvoir nous fournir au moins deux troïkas.
C'était un Géorgien fort convenable qui, à la vue de notre padarojné à deux cachets, recommandation toute particulière, et qui fait donner à ces sortes de feuilles de route le nom de padarojné de la couronne, nous promit que nous primerions tous les voyageurs, excepté les courriers porteurs de dépêches.
Le traîneau dételé m'avait fait insister sur nos droits, ou plutôt sur notre privilège. Au reste, une chose nous consolait de ce retard : quoique je n'eusse pas rendu, à l'endroit de la bêtise dont il était doué, une justice bien complète à Timaf, j'étais résolu à attendre la tarantasse et la télègue qui contenaient tout ce que je rapportais du Caucase en armes, en étoffes et en bijoux, ne voulant point permettre à ces objets, dont chacun me rappelait un ami, de trop s'éloigner de mes yeux.
Nous entrâmes donc, pour les attendre, dans la chambre de la station. Nous y trouvâmes le maître du traîneau dételé. C'était un Allemand qui voyageait avec son domestique. Il parlait à peine le français, je ne parle pas du tout l'allemand, la conversation devenait difficile. Nous essayâmes de l'anglais, mais là existait un autre inconvénient : je lis très bien l'anglais, mais je le parle très mal. Alors, il eut une idée, ce fut de me demander si je parlais italien. Je répondis affirmativement.
Aussitôt il appela à deux ou trois reprises :
« Paolo ! Paolo ! Paolo ! »
Paolo arriva.
Je l'accueillis par un venga qui dont son coeur bondit de joie ; il ne vint pas, il accourut. Le pauvre garçon était de Venise. Il se lamenta avec le doux zézayement de l'homme des lagunes, sur les chemins, sur le froid, sur la neige, sur les rivières à traverser, enfin sur tous les charmes d'un voyage au Caucase au mois de janvier. Mais, comme dit Dante, ce lui fut une grande joie d'entendre résonner le si de son doux pays.
Il avoua qu'il ne s'y attendait guère. Il y avait deux ou trois ans que cela ne lui était arrivé. Il revenait de la Perse par Tauris, Erivan et Alexandropol. Ils avaient pu, son maître et lui, passer par Alexandropol, mais il nous annonça que le passage du Sourham était suspendu. C'était ce que nous avait écrit le directeur des postes.
Paolo était chasseur, et, depuis Alexandropol, il s'était nourri et avait nourri son maître du gibier qu'il avait tué. Mais il manquait de plomb. Nous avions épuisé tout le nôtre, et nous avions oublié d'en racheter à Tiflis ; nous ne pûmes donc pas lui en donner.
Par bonheur, j'avais fait, avant de partir, des provisions de bouche assez considérables pour nous conduire jusqu'à Gori. A Gori, nous devions les renouveler chez le beau-frère de Gregory, gouverneur de la ville.
Notre tarantasse et notre télègue n'arrivaient toujours point ; une idée me passa par l'esprit, c'est que ni l'une ni l'autre n'avaient pu franchir le bord escarpé de la rivière où nous avions versé.
Il s'agissait de monter à cheval pour aller savoir des nouvelles de nos deux voitures. Grégory s'offrit ; Moynet, devenu fanatique d'équitation, voulut profiter de cette occasion de faire un petit temps de galop, et tous deux partirent dans la direction où devaient se trouver nos équipages.
Au bout d'une heure et demie, à peu près, j'entendis le tintement des clochettes ; Moynet et Grégory ramenaient triomphalement les deux voitures ; ils les avaient trouvées, la tarantasse au milieu de l'eau, la télègue sur l'autre bord. Les trois chevaux de la tarantasse n'étaient point assez vigoureux pour lui faire monter la berge. Timaf et l'hiemchik n'avaient pas eu, à eux deux, l'esprit de dételer les trois chevaux de la télègue et de les atteler à la tarantasse ; puis, la tarantasse passée, d'aller chercher la télègue avec ses trois chevaux renforcés à leur tour des trois chevaux de la tarantasse.
Moynet avait ordonné et fait exécuter cette manoeuvre ; les deux voitures avaient, l'une après l'autre et heureusement, franchi l'obstacle ; chacune avait repris son attelage, et leurs clochettes, dont le bruit allait sans cesse augmentant de seconde en seconde, annonçaient leur présence prochaine. Elles débouchèrent du bois et s'arrêtèrent au bord de la seconde rivière.
Là, on renouvela la manoeuvre qui avait si bien réussi une première fois, et, à l'émerveillement de Timaf, tout alla comme sur des roulettes.
Nous fûmes tirés de la préoccupation que nous donnait cet autre passage du Rhin par l'effroyable roulement des jurons allemands les plus sonores. Ils étaient adressés par notre Teuton au maître de poste de Quensens, qui, Géorgien, ayant son petit kandjar au côté, et fort à faire danser dans chacune de ses mains un Allemand de la taille du nôtre, faisait décharger son traîneau pour nous le donner, sous le spécieux prétexte que l'on doit changer de traîneau à chaque station.
Ce à quoi l'Allemand répondait, assez justement, à mon avis, que, dans ce cas, puisque nous avions droit à son traîneau, il avait droit au nôtre.
Comme le Géorgien n'avait sans doute pas de bonnes raisons à lui donner, il ne lui en donnait pas, et continuait à faire déposer sur la neige le bagage du descendant d'Arminius. La chose eût probablement assez mal fini si je ne fusse intervenu.
Notre maître de poste prenait le traîneau de l'Allemand, parce que notre tarantasse ni notre télègue ne pouvaient aller plus loin à cause de la neige, et qu'il nous fallait absolument deux traîneaux pour continuer notre route. Mais, si notre tarantasse ne pouvait pas aller plus loin, elle pouvait au moins retourner à Tiflis, puisqu'elle en venait.
L'Allemand pouvait donc prendre ma tarantasse et s'en aller à Tiflis avec elle, ce qui lui procurait l'agrément d'une voiture plus commode qu'un traîneau et lui donnait encore celui de ne pas faire décharger et recharger ses effets à chaque station.
Cette proposition fit, comme je l'avais prévu, sur la colère du Teuton l'effet que produit, selon le proverbe, une petite pluie sur un grand vent : sa colère tomba, sa main se tendit vers moi, et nous nous quittâmes les meilleurs amis du monde.
Il devait consigner la voiture dans la cour de ­oubalof ; en outre, une lettre pour Kalino autorisait celui-ci à faire de la tarantasse ce que bon lui semblerait, fût-ce du feu avec ses brancards et des bottes avec son cuir.
La respectable voiture avait vécu assez ; comme tarantasse, elle avait rendu tous les services qu'elle pouvait rendre ; je venais de faire avec elle quelque chose comme trois mille verstes dans des chemins où une voiture de France ne ferait pas dix pas sans se briser, et, à part la roue qui, sans nous prévenir, avait pris congé de nous à Nouka, elle ne nous avait pas manqué un seul instant.
Et Dieu sait, la pauvre vieille, quel âge elle avait déjà atteint et quel service elle avait déjà fait quand je l'avais achetée soixante et quinze roubles au maître de poste d'Astrakan !
A-t-elle conduit heureusement son nouveau maître à Tiflis ? ou ne reconnaissant plus, comme les chevaux d'Hippolyte, la main à laquelle elle était accoutumée, l'a-t-elle laissé en route, sous un de ces prétextes que donnent ou plutôt que ne donnent pas les vieilles voitures ? Je l'ignore complètement ; mais la probabilité est qu'elle aura fait bravement ses trois stations : les tarantasses sont les mastodontes de la locomotion ; seulement, elles sont si solidement bâties, qu'elles ont survécu au déluge et survivront probablement au jugement dernier.
Notre Géorgien, qui nous avait pris en grande tendresse, ne nous laissa point partir sans nous donner des instructions ; trois jours avant notre passage, deux Cosaques avaient été surpris, eux et leurs chevaux, par un chasse-neige sur la route que nous allions suivre, et, à dix verstes à peu près de la station, hommes et chevaux avaient été retrouvés morts.
Si quelque chose de pareil nous menaçait, si nous voyions le ciel s'abaisser, nous devions nous réfugier dans une petite chapelle que nous trouverions à quinze verstes, à gauche du chemin ; si nous l'avions dépassée, et que ce même danger nous menaçât, nous devions dételer nos six chevaux, et, de nos deux traîneaux, nous faire un rempart.
Le chasse-neige passé, nous reprendrions notre route.
Tout cela n'était pas absolument gai, et ce qui rendait la chose plus lugubre encore, c'est qu'avec tout cela, nous avions atteint trois heures de l'après- midi, et que, selon toute probabilité, nous n'arriverions à la station de Tchalaky qu'à la nuit tout à fait close.
Malgré toutes ces sombres prévisions, la route se fit heureusement. Nos hiemchiks nous montrèrent la place où avaient été retrouvés les corps des deux Cosaques et des deux chevaux ; c'était une petite vallée qui longeait la route. Ils n'avaient pu reconnaître le chemin, s'étaient trompés, et, une fois enfoncés dans cette petite vallée, qui semble une souricière à voyageurs, ils y avaient été pris par un tourbillon.
Sans les loups qui avaient gratté la neige pour arriver à eux et à leurs chevaux, on ne les eût probablement retrouvés qu'au printemps prochain.
C'est une charmante station que celle de Tchalaky.
« Que pouvez-vous nous donner à souper ?
- Tout ce que vous voudrez.
- Bon ! Avez-vous des poulets ?
- Non.
- Du mouton ?
- Non.
- Des oeufs ?
- Non. »
L'interrogatoire se prolongea indéfiniment, amenant toujours la même réponse. Tout l'approvisionnement de nos hôtes se bornait à du pain noir que nous ne pûmes manger et à du vin violet que nous ne pûmes boire.
Il fallut recourir à nos provisions et à notre cuisine : par bonheur, il nous restait encore quelques bribes de saucisson et une carcasse de dinde, que, dans un autre temps, je n'eusse pas osé offrir aux loups de la petite vallée ; nous mangeâmes le saucisson avec la peau, la viande de la dinde avec les os, et, si nous ne fûmes pas rassasiés, notre faim fut du moins endormie.
Nous prenions cette maudite tasse de thé qui me rendait furieux, parce qu'on la trouvait toujours, et qu'avec elle les Russes se passent de tout, lorsqu'on m'annonça qu'un officier désirait me parler.
« Dites-lui que, s'il vient pour me demander à souper, de quelque part qu'il vienne, il a fait une course inutile.
- Non ; il veut seulement vous faire ses compliments.
- Creux dessert d'un creux dîner ! »
L'officier entra ; c'était un homme charmant, comme presque tous les officiers russes. Il avait su que j'étais là, et n'avait pas voulu passer sans me voir. Il était parti à deux heures de l'après-midi de Tiflis, et, grâce à son titre de porteur de dépêches et à un excellent fouet dont il me paraissait connaître le véritable usage, il était parvenu à faire en six heures ce que nous avions fait en un jour et demi.
Il est vrai que ce n'était pas son bagage qui alourdissait son traîneau : pris à l'improviste par l'ordre de se rendre à Koutaïs le plus vite possible, il était parti avec ce qu'il avait sur le corps, c'est-à-dire en petite casquette et en capote militaire. C'était sous ce costume de demi-saison qu'il comptait, comme César avait fait dans les montagnes de l'Auvergne, s'ouvrir un passage dans les neiges du Sourham. Il n'avait pas même le bouclier avec lequel le vainqueur de Vercingétorix raconte, dans ses Commentaires, qu'il poussait les neiges devant lui.
Madame de Sévigné avait mal à la poitrine de sa fille : j'eus froid à la peau du pauvre officier.
Je lui enfonçai un de mes papaks sur la tête, et lui passai une de mes touloupes sur les épaules.
En échange, il me donna son nom : il s'appelait le capitaine Koupsky ; à Koutaïs, il laisserait à la station de poste mon papak et ma touloupe. Tous ces points convenus, lesté d'une demi-douzaine de verres de vodka, il remonta en traîneau et partit.
J'étais encore à la porte de la station, où je venais de lui faire mes adieux, lorsque j'entendis les clochettes de la poste. C'était notre ami Timaf qui, toujours en retard, arrivait à son tour ; mais, à mon grand étonnement, il arrivait dans la télègue et non dans le traîneau ; il avait si bien tardé, qu'avant qu'il fût parti, Koupsky était arrivé à la station de Quensens. Alors, ne sachant pas qui il démontait, il avait fait à Timaf, en vertu de son padarojné de porteur de dépêches, ce que nous avions fait à l'Allemand, en vertu de notre padarojné à deux cachets. Il lui avait pris son traîneau.
Timaf avait piteusement rechargé nos malles sur la télègue, et au risque de rester dans la neige, il était parti avec la télègue. Le bonheur avait voulu qu'il arrivât ; il était de deux heures en retard, c'est vrai ; mais il était si extraordinaire qu'il fût arrivé, qu'il n'y avait rien à lui dire.
Seulement, ce petit événement devait avoir de grands résultats.

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