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Chapitre XIV
La montagne de sable

Ce fut encore une tristesse, lorsque, le lendemain matin, il fallut se séparer de ces excellents hôtes. – Je ne saurais trop le répéter, l'hospitalité est exercée, en Russie, avec un charme et un abandon que l'on ne rencontre chez aucun autre peuple.
Moynet emportait cinq ou six photographies. J'emportais un portrait de Hadji-Mourad vivant. Je savais que je trouverais, à Tiflis, une copie de sa tête coupée.
De plus, nos deux colonels m'avaient, en souvenir et au nom des dragons de Nijny-Novgorod, donné un fragment du drapeau qu'ils avaient pris au naïb bien-aimé de Schamyl.
Nous partions, de plus, avec des chevaux de la couronne, la poste ne se trouvait réorganisée qu'à Unter-Kale, c'est-à-dire à une quarantaine de verstes de Tchiriourth.
Nous avions vingt-cinq hommes d'escorte, mais qui en valaient cinquante. C'étaient des Cosaques de la ligne.
Nos chevaux allaient comme le vent ; au bout d'une heure, nous étions à la forteresse.
Les Tatars qui entraient dans cette forteresse laissaient leurs armes à la porte.
Une certaine inquiétude régnait tant dans la population que chez les soldats.
Tout ce qu'il y avait de Cosaques de la ligne à la forteresse était en train de battre la campagne ; des espions arrivés le matin avaient dit qu'une soixantaine de Lesghiens – ici nous sommes sur la frontière de la Tchetchenie et du Lesghistan – étaient partis de Bourtounaï, dans le but de faire une expédition.
De quel côté s'étaient dirigés les pillards, c'est ce que personne ne savait ; mais il y avait un fait certain, c'est qu'ils étaient descendus des montagnes.
On nous donna six cosaques du Don ; avec leurs longues lances comparées aux lestes fusils des Cosaques de la ligne, ces pauvres diables faisaient la plus piteuse mine qui se pût voir.
Nous visitâmes de nouveau nos armes : toutes étaient en bon état. Nous partîmes.
Nos chevaux, qui s'étaient reposés chez Ali-Sultan et qui s'y étaient gorgés d'avoine, suivaient au galop la longue plaine qui longe le bas des montagnes ; sans doute leur allure était trop rapide pour celle des chevaux de nos Cosaques, car l'un d'eux resta en arrière ; puis deux autres imitèrent son exemple ; puis, enfin, les trois autres nous abandonnèrent à leur tour, et, du haut d'une éminence, nous vîmes les chevaux, qui avaient retrouvé leurs jambes pour rentrer à l'écurie, retourner au galop vers la forteresse.
Nous en étions réduits à nos propres forces ; mais nous étions sûrs de trouver un relais de chevaux et un poste de Cosaques au village d'Unter Kale.
Outre ces chevaux et ces Cosaques, nous savions que nous rencontrerions à droite, sur notre route, un phénomène des plus curieux.
C'est dans cette plaine, où il n'y a pas un grain de sable, que se trouve une montagne de sable de six ou sept cents mètres de hauteur.
Nous commencions d'apercevoir son sommet jaune d'or, se détachant sur la teinte grisâtre du paysage.
A mesure que nous approchions, elle semblait sortir de terre, tandis que, de son côté, la terre s'abaissait ; elle grandissait à vue d'oeil, s'étendant comme une petite chaîne, servant de contrefort aux dernières rampes du Caucase, sur une longueur de deux verstes, à peu près.
Elle avait trois ou quatre sommets, dont un plus élevé que les autres. C'était celui-là qui pouvait avoir six ou sept cents mètres.
Il faut, du reste, être tout près de cette montagne pour se rendre compte de sa hauteur ; tant qu'elle ne cache pas elle-même le Caucase, elle semble une taupinière.
Je descendis de voiture pour en aller examiner le sable. C'était du plus fin et du plus beau que l'on pût mettre dans un encrier sur la table d'un chef de division.
Ce sable est mouvant ; après chaque tourmente, la montagne change de forme. Mais la tourmente, si forte qu'elle soit, n'éparpille pas ce sable dans la plaine, et le sommet de la montagne garde sa hauteur accoutumée.
Les Tatars, qui n'ont pu s'expliquer ce phénomène, et qui ignorent les théories volcaniques d'Elie de Beaumont, ont trouvé plus court d'inventer une légende que de rechercher la véritable cause. Chez eux, comme chez nous, le poète est en avance sur le savant.
Voici ce qu'ils racontent :
Deux frères étaient amoureux de la même princesse ; elle avait son château bâti au milieu d'un lac. Seulement, comme elle s'ennuyait de ne pouvoir sortir de chez elle qu'en bateau et qu'elle aimait les courses à cheval et les chasses au faucon, elle annonça que celui des deux frères qui changerait le lac en terre ferme serait son époux.
Les deux frères eurent chacun une idée différente, mais tendant toutes deux au même but.
L'un s'en alla à Koubatchi commander un sabre d'une telle trempe, qu'il pût fendre les rochers.
L'autre s'en alla vers la mer avec un sac d'une telle grandeur, qu'après l'avoir rempli de sable, il pût, en versant ce sable dans le lac, combler le lac.
L'aîné eut le bonheur de trouver un sabre tout fait et, comme il y avait moins loin du château de la princesse à Koubatchi qu'il n'y avait du château de la princesse à la mer, il était revenu de Koubatchi, que son frère cadet était seulement à moitié chemin de son retour de la mer Caspienne.
Tout à coup, ce dernier, courbé sous son sac, haletant, en nage, mesurant de l'oeil la hauteur de la montagne qu'il avait à franchir avant d'arriver au château, entend un grand bruit, comme eût été celui de cent mille chevaux se précipitant au galop vers la mer.
C'était son frère qui avait fendu le rocher ; c'était le bruit des flots du lac qui bondissaient de montagne en montagne.
La douleur du porteur de sable fut telle qu'il s'affaissa sous son sac. Dans sa chute, le sac creva, le sable se répandit sur lui, et, comme le titan Encélade, il demeura enseveli sous une montagne.
La définition d'un savant sera plus logique. Vaudra-t-elle celle-ci ? « Elle vaudra mieux », diront les savants. « Elle vaudra moins », diront les poètes.
Derrière la montagne, et à mesure que nous la dépassions, se dressait et grandissait devant nous Unter-Kale, aoul tatar soumis aux Russes.
Pareil à Constantine, il est bâti au sommet d'une immense roche coupée en falaise. Un petit ruisseau presque tari, mais qui devient formidable à la fonte des neiges et qui doit être un affluent du Soulak, roulait au pied de ce gigantesque rempart une eau limpide et bruyante : c'était l'Osen.
Nous nous arrêtâmes sur une île de cailloux. Il était inutile de monter jusqu'à la poste par un chemin qui contourne l'aoul et qui a plus d'une verste de longueur. Les chevaux descendraient, viendraient nous trouver, et nous continuerions notre route pour aller coucher au village d'Helly, et même à Temirkhan-Choura si nous pouvions.
Les chevaux qui nous avaient amenés, et qui devaient retourner à Kasafiourte, sans escorte, – on se rappelle que nos Cosaques nous avaient quittés – furent donc dételés par les hiemchiks, qui reçurent leur pourboire et partirent au grand galop.
Il était évident que cette expédition de Lesghiens dont ils avaient entendu parler leur trottait par la tête.
Nous restâmes donc dans le lit du ruisseau, Moynet, notre jeune officier, qui avait nom Victor-Ivanovitch, le lieutenant Troïsky, ingénieur à Temirkhan- Choura, avec lequel nous avions fait connaissance à Kasafiourte, Kalino et moi.
Il s'était amassé autour de nous un certain nombre de Tatars d'assez mauvaise mine, regardant nos bagages avec un oeil de convoitise qui n'avait rien de rassurant. Nous décidâmes que Kalino et l'ingénieur monteraient jusqu'à la poste et feraient descendre les chevaux. Moynet, Victor Ivanovitch et moi garderions les bagages.
Nous nous amusâmes, pendant quelque temps, à regarder les femmes et les jeunes filles tatares descendant, par un chemin escarpé, pour venir puiser de l'eau au ruisseau, et remontant péniblement avec leurs grandes cruches sur le dos ou sur la tête.
Kalino ni Troïsky ne revenaient.
Je commençai, pour me distraire, par faire un dessin de la montagne de sable mais, comme je ne me suis jamais abusé sur mon talent de paysagiste, je refermai mon album, je le confiai au coussin de la tarantasse, et je m'acheminai vers l'aoul.
« Laissez donc votre fusil et votre poignard, me dit Moynet, vous avez l'air de Marco Spada.
- Mon cher ami, lui répondis-je, je ne suis pas énormément flatté de ressembler au héros de mon confrère Scribe ; mais je me rappelle l'avis de madame Polnobokof : « Ne sortez jamais sans vos armes ; si elles ne servent pas à vous défendre, elles serviront à vous faire respecter. » Je garde donc mon fusil et mon poignard.
- Et moi, reprit Moynet, je me contenterai de mon album et de mon crayon. »
J'étais déjà en avant ; d'ailleurs, j'ai pour principe de laisser à chacun, non seulement toute sa liberté de pensée, mais même d'action.
Moynet déposa son fusil, déboucla son poignard, tira son album de sa poitrine, son crayon de son album, et me suivit.
Il me rejoignit aux premières maisons de l'aoul ; nous nous engageâmes dans une espèce de défilé qui ressemblait à une rue, et nous débouchâmes dans une cour.
Je vis que je m'étais trompé, et je revins sur mes pas.
Nous trouvâmes une autre apparence de chemin qui aboutissait dans une seconde cour.
Les chiens de la première nous avaient suivis en grognant.
Les chiens tatars ont un prodigieux instinct pour éventer les chrétiens ; ceux de la seconde cour se joignirent à eux ; seulement, ceux-ci, au lieu de se contenter de grogner, aboyèrent.
Aux abois des chiens, le maître sortit de sa maison. Nous étions dans notre tort, c'est vrai ; mais nous y étions par erreur. Je me rappelai comment on disait, en russe, la station de poste, et je demandai :
« Postavaia stanzia ? »
Mon Tatar ne savait pas ou tenait à ne pas savoir le russe.
Il répondit en grondant comme ses chiens ; s'il eût su aboyer, il eût aboyé ; s'il avait su mordre, il aurait mordu.
Je ne compris pas plus sa réponse qu'il n'avait compris ma demande ; mais je devinai, à son geste, qu'il nous indiquait le chemin à suivre pour sortir de chez lui.
Je profitai de l'indication ; mais, en me voyant leur tourner les talons, les chiens crurent que je fuyais, et s'élancèrent à ma poursuite. Je me retournai, j'armai mon fusil et je mis les chiens en joue.
Nous recommençâmes d'opérer notre retraite par l'endroit qu'avait indiqué le Tatar. Effectivement, le passage donnait sur la rue ; mais les rues d'un aoul tatar forment un tel labyrinthe, qu'il faudrait le fil d'Ariane pour s'en tirer.
Nous n'avions pas le fil, je n'étais pas Thésée, et, au lieu d'avoir le Minotaure à combattre, nous avions toute une armée de chiens.
J'avoue que le sort déplorable de Jésabel me revint à la mémoire.
Moynet était resté quatre pas en arrière.
« Eh ! sacrebleu ! me dit-il, tirez donc, mon cher ! tirez donc ! je suis mordu. »
Je fis un pas en avant ; les chiens reculèrent, mais en montrant les dents.
« Ecoutez, dis-je à Moynet, je viens de fouiller à ma poche, je n'ai que deux cartouches ; avec les deux qui sont dans mon fusil, cela fait quatre. Il s'agit de tuer quatre hommes ou quatre chiens. Je crois qu'il est plus avantageux de tuer quatre hommes. Voilà mon poignard, éventrez le premier animal qui vous touchera. Je vous réponds de tuer le premier Tatar qui voudrait vous éventrer à son tour. »
Moynet prit le poignard et fit face aux chiens.
Il eût bien voulu, lui aussi, ressembler à Marco Spada.
Notre mauvaise étoile, dans le mouvement stratégique que nous opérions, nous conduisit près d'un boucher en plein vent.
Les bouchers tatars étalent leur marchandise aux branches d'un arbre factice, autour duquel les chiens forment cercle en regardant la viande avec un regard de convoitise.
Le cercle du boucher se composait d'une douzaine de chiens, lesquels se joignirent aux dix ou douze qui déjà nous faisaient escorte. La chose devenait inquiétante. Le boucher, qui naturellement prenait parti pour les chiens, s'était levé, et, les poings sur les hanches, nous regardait d'un air goguenard.
L'air du boucher m'exaspéra encore plus que les aboiements des chiens. Je compris que, si nous continuions de battre en retraite, nous étions perdus.
« Asseyons-nous, dis-je à Moynet.
- Je crois que vous avez raison, me répondit-il. »
Nous nous assîmes à une porte et sur un banc.
Nous venions, comme Thémistocle, nous asseoir au foyer de nos ennemis.
Le Tatar auquel appartenait la maison sortit. Je lui tendis la main.
« Kounack », lui dis-je.
Je savais que ce mot voulait dire ami.
Il hésita un instant, puis à son tour nous tendit la main en répétant : « Kounack. »
Après cet échange de civilités, il n'y avait plus rien à craindre. Nous étions sous sa sauvegarde.
« Postovaia stanzia ? lui demandai-je.
- Caracho, répliqua-t-il. »
Et, chassant les chiens, il marcha devant nous.
Dès lors, ni chiens ni Tatars ne grondèrent plus.
Nous arrivâmes à la poste. Kalino et le lieutenant y étaient venus, mais étaient partis avec le smatritel.
La poste était sur ce large chemin que nous n'avions pas voulu faire monter à nos chevaux, mais que nous étions enchantés de descendre.
Quoique la route fût retrouvée, je fis signe à notre Tatar de nous suivre.
Il nous suivit.
Au tournant du chemin, nous aperçûmes au fond du ravin, nos compagnons au grand complet, plus le maître de poste.
Nous les joignîmes.
Je voulus faire un cadeau quelconque à mon kounack en échange du service qu'il nous avait rendu ; je chargeai Kalino de lui demander quelle chose lui ferait plaisir. Comme l'enfant grec des Orientales il nous répondit sans hésiter :
« De la poudre et des balles. »
Je vidai une grande poire à poudre dans le fond de son papak, pendant que Moynet, fouillant dans le sac aux munitions, en tirait une poignée de balles.
Mon kounack fut enchanté : il mit la main sur son coeur, et, plus riche de deux amis qu'il ne reverra jamais, d'une demi-livre de poudre et de deux ou trois livres de plomb, il regagna sa maison, non sans se retourner deux ou trois fois pour nous faire ses adieux.
Nous n'étions pas au bout de nos peines.
Le smatritel venait nous dire qu'il n'avait qu'une troïka dans son écurie, et il nous fallait neuf chevaux.
Le bruit d'une excursion des Lesghiens s'était répandu dans l'aoul ; les miliciens étaient partis pour battre la campagne et avaient pris ses chevaux. Il ne savait pas quand ils reviendraient.
Je proposai de déployer la tente, de faire un grand feu et d'attendre les chevaux.
Mais la proposition fut repoussée à l'unanimité par Moynet, pressé d'aller en avant, par M. Troïsky, pressé d'arriver à Temirkhan-Choura, et par Kalino, toujours pressé d'arriver à une ville quelconque pour des raisons que je croirais immoral d'exposer à mes lecteurs.
Victor-Ivanovitch garda seul le silence, disant qu'il ferait ce que la majorité déciderait de faire.
La majorité décida de mettre la troïka du smatritel à ma tarantasse. Nous partirions dans la tarantasse, Moynet, Troïsky, Kalino et moi ; quant à Victor-Ivanovitch et à son domestique arménien, celui qui faisait si bien le schislik, ils resteraient à garder nos bagages et leur propre voiture jusqu'à ce que les chevaux revinssent.
Ils nous rejoindraient à Temirkhan-Choura, où nous les attendrions un jour.
Une garde de quatre Cosaques resterait avec eux.
Il fallut céder. On attela les chevaux ; nous montâmes dans la tarantasse et nous partîmes.
Nous arrivâmes à la nuit tombante à un poste de Cosaques. Ceux qui nous avaient accompagnés, depuis ce malheureux Unter-Kale, repartirent comme d'habitude au grand galop, et Kalino entra dans la cour de la petite forteresse exposer notre demande à l'officier cosaque.
Celui-ci sortit avec Kalino pour parler lui-même au général français.
Il était désespéré, mais il ne pouvait nous donner que quatre hommes d'escorte. Tous ses Cosaques étaient aux champs ; six seulement étaient restés près de lui : il en garderait deux pour veiller avec lui sur le poste. Ce n'était pas trop dans un moment où les Lesghiens tenaient la campagne.
Nous acceptâmes ces quatre hommes, qui montèrent à cheval en rechignant, et nous partîmes. Nous avions pour une demi-heure de jour à peine ; une pluie fine commençait à tomber ; à un quart de verste du poste cosaque, nous trouvâmes à notre droite un petit bosquet sous lequel nous comptâmes vingt-cinq croix.
Nous étions habitués à voir des pierres tatares, mais non des croix chrétiennes. Ces croix, rendues plus sombres d'aspect encore par le crépuscule et par la pluie, semblaient nous barrer le chemin.
« Demandez l'histoire de ces croix », dis-je à Kalino.
Kalino appela le Cosaque et lui transmit la question.
Oh ! mon Dieu, l'histoire de ces croix, elle était bien simple.
Vingt-cinq soldats russes venaient d'escorter une occasion. Il était midi, il faisait chaud ; le soleil du Caucase, qui donne du côté septentrional ses trente, et du côté méridional ses cinquante degrés de chaleur, frappait d'aplomb sur la tête des soldats et du sergent qui les conduisait. Ils trouvèrent ce charmant petit bosquet ; l'avis fut ouvert et accepté de faire un somme. On plaça une sentinelle, et les vingt-quatre soldats et le sergent se couchèrent à l'ombre et s'endormirent.
Comment la chose se passa-t-elle ? Quoiqu'elle se passât en plein jour et à une demi-verste du poste, personne n'en sut rien.
On trouva, vers quatre heures, vingt-cinq cadavres sans tête.
Les malheureux soldats avaient été surpris par les Tchetchens ; et les vingt- cinq croix que nous voyions recouvraient, en attendant qu'on leur fit un monument, les vingt-cinq cadavres décapités.
Nous fîmes encore cent pas, à peu près, dans la direction de Temirkhan- Choura ; mais sans doute la lugubre histoire trottait dans la tête du Cosaque qui nous avait donné ces détails, et de l'hiemchik qui nous conduisait ; car, sans rien nous dire, l'hiemchik arrêta la tarantasse et entra en conférence avec le Cosaque.
Le résultat de la conférence fut que la route était bien mauvaise, la nuit, pour la voiture, et bien dangereuse dans l'obscurité, pour les voyageurs n'ayant que quatre Cosaques d'escorte.
Certainement, nos quatre Cosaques se feraient tuer ; certainement, armés comme nous l'étions, nous pourrions faire une longue défense ; mais la chose ne serait que plus dangereuse pour nous, puisque, alors, nous aurions affaire à des hommes exaspérés.
En temps ordinaire, un simple Cosaque et un humble hiemchik ne se fussent point permis de faire une pareille observation à Mon Excellence, mais Mon Excellence n'était point sans savoir qu'on avait avis que les Lesghiens étaient en campagne.
Je n'eusse point fait l'observation ; mais j'avoue que, venant de notre propre escorte, je l'accueillis sans colère.
« Tu ne quitteras pas le poste pendant la nuit, et nous partirons demain à la pointe du jour ? demandai-je à l'hiemchik.
- Boudté pokoïne », répondit-il.
Ce qui signifiait : « Soyez parfaitement tranquille ».
Sur cette assurance, je donnai l'ordre de tourner bride, et nous reprîmes le chemin du poste cosaque.
Dix minutes après nous entrions dans l'enceinte fortifiée, à la porte de laquelle veillait une sentinelle.

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