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Acte troisième, huitième tableau


La chambre de d'Artagnan.

SCèNE PREMIèRE

PLANCHET, à plat ventre, tirant une bouteille par la trappe;

ATHOS, entrant.

ATHOS, prenant la bouteille que Planchet a posée près de lui.
Merci, Planchet; un verre !

PLANCHET
Ah ! monsieur Athos... vraiment, c'est vous ? Mon Dieu, que je suis content de vous voir!... Un verre ?... Deux, si vous voulez...Vous êtes donc sorti de la Bastille ?

ATHOS
Tu le vois bien, puisque me voilà.

PLANCHET
Je croyais cependant avoir fermé la porte à la clef

ATHOS
Tu sais que nous avons chacun une clef de nos appartements respectifs.

PLANCHET
Ah ! c'est vrai.

ATHOS
Et ton maître, où est il ?

PLANCHET
Ah ! monsieur, je ne suis pas inquiet.

ATHOS
Ah ! tu n'es pas inquiet ?

PLANCHET
Non; M. le chevalier est en bonne fortune... On s'est raccommodé.

ATHOS
Raccommodé... avec qui ?

PLANCHET
Avec cette méchante femme, vous savez.

ATHOS
Laquelle ?

PLANCHET
Celle qu'il appelle Milady, la femme de la place Royale.

ATHOS
A t il dit quelque chose en partant ?

PLANCHET
Il a dit que, s'il n'était pas rentré demain matin à neuf heures, je vous prévinsse, ainsi que MM. Porthos et Aramis... et que vous aviseriez.

ATHOS
Ah ! diable !

PLANCHET
Chut ! écoute.

ATHOS
Quoi ?

PLANCHET
Il me semble que j'entends du bruit sur l'escalier.

ATHOS
Vois.

D'ARTAGNAN, du dehors et secouant la porte.
Planchet !... mordious ! Planchet, ouvriras tu, drôle ?

PLANCHET
On y va... C'est lui !... c'est M. le chevalier !

ATHOS
Oh ! oh ! qu'y a t il ?

D'ARTAGNAN
Ah ! mille démons !

PLANCHET
Est ce que monsieur est poursuivi ?

SCèNE II

Les mêmes, D'ARTAGNAN.

D'ARTAGNAN, entrant tout bouleversé.
Je n'en sais rien, mais ferme les portes.

ATHOS
Eh bien, d'Artagnan ?

D'ARTAGNAN
Athos !... vous, mon ami ?... Vous êtes donc sorti de leurs griffes ?

ATHOS
Oui, et je suis venu vous faire ma première visite.

D'ARTAGNAN
C'est Dieu qui vous a inspiré; j'allais courir chez vous.

ATHOS
Qu'est il donc arrivé ?

D'ARTAGNAN
Ce qui est arrivé ?... Planchet, fais la garde sur l'escalier et ne laisse entrer âme qui vive.

PLANCHET
Excepté les lemmes.

D'ARTAGNAN
Les femmes moins que personne, mordious !

ATHOS
Ah ! ah ! Il paraît que nos amours ont mal tourné ?

D'ARTAGNAN
Athos, ne riez pas... oh ! non ! de par le ciel, ne riez pas ! car, sur mon âme, il n'y a pas de quoi rire !

ATHOS
En effet, vous êtes bien pâle... Seriez vous blessé ?

D'ARTAGNAN
Non, Dieu merci !

ATHOS
Mais qu'avez vous donc ?

D'ARTAGNAN
J'ai... que j'ai eu peur...

ATHOS
Vous, d'Artagnan ?... D'Artagnan a eu peur ! qu'est il donc arrivé ?

D'ARTAGNAN
Un événement terrible, Athos !

ATHOS
Expliquez vous... Qu'y a t il ?

D'ARTAGNAN
Il y a que Milady est marquée d'une fleur de lis à l'épaule.

ATHOS
Ah ! Milady... marquée... Que dites vous là ?...

D'ARTAGNAN
Voyons, répondez moi ! êtes vous sûr que l'autre soit bien morte ?

ATHOS
L'autre ?

D'ARTAGNAN
Celle dont vous me parliez avant hier... ici, là, à cette place... la femme du Berry.

ATHOS, passant sa main sur son front.
Comment est Milady ?... son âge... sa taille... ses traits ?...

D'ARTAGNAN
Vingt cinq à vingt six ans, petite plutôt que grande (les cheveux châtains, des sourcils bien marqués, l'oeil sombre et plein d'éclairs...

ATHOS
Pâle ?

D'ARTAGNAN
Pâle... Des épaules magnifiques, et, sur la gauche une fleur de lis rousse... et comme effacée sous les couches de pâte.

ATHOS
Vous la disiez Anglaise ?

D'ARTAGNAN
Eh bien, la vôtre, qu'était elle ?

ATHOS
C'est vrai... Charlotte Backson... Comment avez vous su...?

D'ARTAGNAN
Cette femme s'était aperçue qu'elle me plaisait. Eh est coquette, elle m'avait fait des avances. Je les avais acceptées; tout à coup, la camériste se prend d'un bel amour pour ma personne et m'avertit que sa maîtresse se moquait de moi. Je suis du Midi, la colère me monte à la tête, j'exige des preuves, et elle me prouve que Milady donnait des rendez vous chez elle à un M. de Vardes... «Je me vengerai d'une façon terrible ! » m'écriai je. La camériste n'avait rien à me refuser; je lui ordonnai de m'introduire dans l'appartement de sa maîtresse. C'était facile; Milady attendait son amant, et la chambre était sans lumière.

ATHOS
Sans lumière ?

D'ARTAGNAN
Naturellement; à cause de la fleur de lis, pardieu !... Eh bien, je suis entré, et mes affaires allaient à merveille... quand, tout à coup, la camériste, jalouse et craignant sans doute que ma vengeance ne fût plus douce que je ne l'avais annoncée, feint d'avoir été appelée et apparaît une lumière à la main... Milady me reconnaît; elle veut me faire sortir, je m'obstine à rester, et, dans la lutte, le peignoir s'est déchiré.

ATHOS
Ah ! et vous avez vu l'épaule ?

D'ARTAGNAN
Mon ami, enfermez moi avec une panthère enragée, avec une lionne furieuse, avec un serpent à sonnettes...j'y consens... mais avec cette femme qui me poursuivait le poignard à la main... Athos, je vous ai tout dit dans ces deux mots: ici même, près de vous, rien qu'en y pensant, j'ai peur !

ATHOS
Attendez... Qu'avez vous donc là, au doigt ?

D'ARTAGNAN
Une bague qu'elle y a mise, croyant que j'étais de Vardes.

ATHOS
Cette bague ?...

D'ARTAGNAN
Je ne l'ai pas même regardée.

ATHOS
Je la connais, moi... C'est celle que je lui ai donnée, le soir même de nos noces... D'Artagnan, c'est elle !

D'ARTAGNAN
En ce cas, mon cher Athos, j'ai bien peur d'avoir attiré sur nous deux une vengeance terrible !

ATHOS
Que m'importe ?

D'ARTAGNAN
Comment, que vous importe ?

ATHOS
Sur mon âme, d'Artagnan, je donnerais ma vie pour un cheveu... Mais vous vous alarmez à tort à mon égard... Elle me croit mort, comme je l'ai crue morte.

D'ARTAGNAN
Athos, il y a quelque horrible mystère dans tout cela; elle est prête à faire un voyage... Tenez, je ne sais pourquoi, mais j'ai la conviction que cette femme est l'espion du cardinal.

ATHOS, prenant son manteau.
C'est bien !

D'ARTAGNAN
Vous me quittez ?

ATHOS
Elle demeure place Royale, n'est ce pas ?

D'ARTAGNAN
Oui, dans l'angle, au fond à gauche.

ATHOS
A merveille !

D'ARTAGNAN
Un dernier mot: en vous en allant, envoyez ici Porthos, Aramis et les laquais; nous n'aurons peut être pas trop de toutes nos forces pour faire face à l'ennemi.

ATHOS
Bien !

D'ARTAGNAN
Allez.

SCèNE III

D'ARTAGNAN, puis MADAME BONACIEUX.

D'ARTAGNAN
Ouf ! en voilà des aventures!... sans compter que je ne suis probablement pas au bout.

UNE VOIX, dans le dessous.
Monsieur d'Artagnan ! monsieur d'Artagnan !

D'ARTAGNAN
Est ce que je n'ai pas entendu mon nom ? (On frappe sous les pieds de d'Artagnan.)

LA VOIX
Monsieur d'Artagnan !

D'ARTAGNAN, ouvrant la trappe.
Qui m'appelle ?

LA VOIX
Moi, madame Bonacieux. êtes vous seul ?

D'ARTAGNAN
Oui; voulez vous que je descende ?

LA VOIX
Non, je monte chez vous... Pouvez vous me recevoir ?

D'ARTAGNAN
Pardieu !

LA VOIX
Fermez la trappe alors. (Il ferme la trappe.)

D'ARTAGNAN
Si je puis la recevoir!... je crois bien, l'adorable créature ! Qu'elle vienne, mordious ! (Il va à la porte.) Planchet, laisse passer.

SCèNE IV

D'ARTAGNAN, MADAME BONACIEUX

MADAME BONACIEUX
Ah ! mon Dieu, je me meurs !

PLANCHET
Monsieur, faut il encore monter la garde ?

D'ARTAGNAN
Plus que jamais, Planchet.

MADAME BONACIEUX
Monsieur d'Artagnan... ah ! quel bonheur de vous rencontrer!...

D'ARTAGNAN
Me voici, madame.

MADAME BONACIEUX
Vous m'avez offert vos services.

D'ARTAGNAN
Et je vous offre encore.

MADAME BONACIEUX
Tant mieux ! car j'ai répondu de vous.

D'ARTAGNAN
A qui ?

MADAME BONACIEUX
A la reine !

D'ARTAGNAN
Et vous avez bien fait... Je suis à ses ordres et surtout aux vôtres,

MADAME BONACIEUX
Monsieur, je vous connais à peine, mais j'ai toute confiance en vous... pourquoi ? je n'en sais rien.

D'ARTAGNAN
Je le sais, moi... C'est parce que je vous aime.

MADAME BONACIEUX
Vous me le dites... écoutez moi: je jure devant Dieu que, si vous me trahissez et que mes ennemis m'épargnent, ce dont je doute, je jure que je me tuerai en vous accusant de ma mort.

D'ARTAGNAN
Et moi, devant Dieu, je jure aussi, madame, que, si je suis pris en accomplissant les ordres que vous me donnerez, je mourrai avant de rien faire ou dire qui compromette quelqu'un que je respecte ou quelqu'un que j'aime.

MADAME BONACIEUX
Eh bien, il s'agit de partir à l'instant, sans perdre une seconde...

D'ARTAGNAN
Pour quel pays ?

MADAME BONACIEUX
Pour Londres, et de remettre cette lettre...

D'ARTAGNAN
A qui ?

MADAME BONACIEUX
Au duc de Buckingham.

D'ARTAGNAN
Mais il me faut un congé de M. de Tréville ?

MADAME BONACIEUX
Je suis passée chez lui...Dans un quart d'heure, le congé sera ici.

D'ARTAGNAN
Je pars!... mais, à mon retour ?...

MADAME BONACIEUX
A votre retour ?

D'ARTAGNAN
Que fera madame Bonacieux pour l'homme qui risque sa vie pour elle ?

MADAME BONACIEUX
Silence !

D'ARTAGNAN
Quoi ?

MADAME BONACIEUX
La voix de mon mari !

D'ARTAGNAN
Soyez tranquille, Planchet défend la porte...Que fera-t elle ? Dites.

MADAME BONACIEUX
Je n'en sais rien... mais venez toujours la rejoindre où elle sera, et nous verrons.

D'ARTAGNAN
Mais où sera t elle ?

MADAME BONACIEUX
Vous le demanderez à la reine, et la reine vous le dira; ce sera votre récompense.

BONACIEUX, de l'autre côté de la porte.
Mais quand je vous dis que ce n'est pas à M. d'Artagnan que je veux parler, que c'est à ma femme.

MADAME BONACIEUX
Sauvez vous; moi, je reste...

D'ARTAGNAN, ouvrant le judas.
Par ici !

MADAME BONACIEUX
Avez vous de l'argent ?

D'ARTAGNAN
J'ai de quoi en faire...
(Il embrasse Bonacieux.)

MADAME BONACIEUX
Eh bien, que faites vous donc ?

D'ARTAGNAN
Je prends des arrhes pour ma route.

MADAME BONACIEUX
Mais vous ne partez pas encore.
(D'Artagnan descend par le judas.)

PLANCHET, en dehors.
Comment, à votre femme ?

BONACIEUX, de même
Oui; je sais que ma femme est chez M. d'Artagnan, et je veux lui parler; que diable ! j'ai le droit de parler à ma femme. Ah ! monsieur Planchet, je vous préviens que, si vous n'ouvrez pas, je vais chercher le guet.

MADAME BONACIEUX, ouvrant ta porte.
Mais laissez donc entrer, monsieur Planchet; puisque ton mari veut me parler, qu'il me parle.

SCèNE V

BONACIEUX, MADAME BONACIEUX.

BONACIEUX
C'est bien heureux!... Que faites vous ici, madame ?

MADAME BONACIEUX
J'attends M. d'Artagnan

BONACIEUX
M. d'Artagnan ? vous attendez M. d'Artagnan ? Hum ! hum !
(Il regarde autour de lui.)

MADAME BONACIEUX
Sans doute; vous voyez bien qu'il n'y est pas.

BONACIEUX
Ah ! il n'y est pas ?

MADAME BONACIEUX
Dame, il me semble.

BONACIEUX
C'est vrai; mais pourquoi attendez vous M. d'Artagnan ?

MADAME BONACIEUX
Ah ! monsieur Bonacieux, cela ne vous regarde pas.

BONACIEUX
Comment, cela ne me regarde pas ?... Et qui donc cela regarde t il, je vous le demande ?...

MADAME BONACIEUX
Cela regarde des gens que vous ne connaissez pas et à qui vous n'avez pas affaire.

BONACIEUX, croisant les bras.
Oui, n'est ce pas, cela regarde madame de Chevreuse ? cela regarde M. le due de Buckingham ?

MADAME BONACIEUX
Que dites vous là, mon Dieu !

BONACIEUX
Ah ! madame, vous ne saviez pas que je connusse votre complot.

MADAME BONACIEUX
Quels noms avez vous prononcés... et qui vous a instruit ?

BONACIEUX
Des intrigues, n'est ce pas, toujours des intrigues ?.. Mais je m'en défie maintenant, de vos intrigues, et M. le cardinal m'a éclairé là dessus.

MADAME BONACIEUX
Le cardinal!... vous avez vu le cardinal ?

BONACIEUX, avec importance.
Il m'a fait appeler, madame.

MADAME BONACIEUX
Et vous vous êtes rendu à son invitation ? Imprudent que vous êtes !

BONACIEUX
Je dois dire que je n'avais pas le choix de m'y rendre , ou de ne pas m'y rendre, attendu que j'étais entre deux gardes.

MADAME BONACIEUX
Alors, il vous a maltraité, il vous a fait des menaces ?

BONACIEUX
Il m'a tendu la main, et m'a appelé son ami... Entendez vous, madame, je suis l'ami du grand cardinal.

MADAME BONACIEUX
Du grand cardinal!... Il est des pouvoirs au dessus du sien !

BONACIEUX
J'en suis fâché, madame; mais je ne connais pas de pouvoir au dessus de celui du grand homme que j'ai l'honneur de servir.

MADAME BONACIEUX
Vous servez le cardinal ?... Il ne vous manquait plus que de servir le parti de ceux qui maltraitent votre femme, et qui insultent votre reine.
(Pendant les dernières lignes de cette scène, Porthos et Aramis, suivis de leurs Laquais, sont introduits out doucement par Planchet.)

BONACIEUX
Madame, la reine et une perfide Espagnole, et ce que M. le cardinal fait est bien fait.

MADAME BONACIEUX
Ah ! monsieur, je vous savais lâche, avare, imbécile... mais je ne vous savais pas infâme !

BONACIEUX
Hein ! que dites vous là ?

MADAME BONACIEUX
Je dis qu'il ne vous manque plus que de me suivre, de m'épier.

BONACIEUX
C'est justement ce que j'ai fait.

MADAME BONACIEUX
De me dénoncer.

BONACIEUX
C'est justement ce que je vais faire.

MADAME BONACIEUX
Comment, vous allez reporter au cardinal...?

BONACIEUX
Que je vous ai trouvée chez M. d'Artagnan et que vous n'avez pas voulu me dire le motif pour lequel vous étiez venue... Je ne doute point que vous ne conspiriez avec lui.

MADAME BONACIEUX
Vous allez faire cela ? Oh ! non, impossible.

BONACIEUX
De ce pas, madame, de ce pas, j'y vais.

MADAME BONACIEUX
Oh ! il y a une justice, et Dieu ne permettra pas...

BONACIEUX
Ah ! bon ! le cardinal est bien avec lui, il en fera son affaire...

SCèNE VI

Les mêmes, PORTHOS, ARAMIS, les Laquais.
Pardon ! brave homme, mais on ne passe pas.

BONACIEUX
Comment, on ne passe pas ?

ARAMIS
C'est la consigne... et, vous le savez, monsieur, les mousquetaires sont esclaves de leur consigne.

BONACIEUX
Et qui vous l'a donnée, cette consigne ?

PORTHOS
Notre ami d'Artagnan.

BONACIEUX
Et il n'est pas ici, votre ami d'Artagnan ?

D'ARTAGNAN, passant son corps à travers la trappe,
Pardon, mon cher Bonacieux, vous faites erreur ... ... Me voilà.

BONACIEUX
M. d'Artagnan... moitié chez lui, moitié chez moi !

PORTHOS, la main au feutre.
Que faut il faire, brigadier ?

D'ARTAGNAN
Ayez les plus grands égards pour M. Bonacieux; qu'il ne manque de rien; mais enfermez le dans sa cave et qu'il n'en sorte qu'à mon retour... Planchet, Bazin et Mousqueton le garderont à vue... Voilà l'ordre.

BONACIEUX
Qu'à votre retour... Et quand revenez vous ?

D'ARTAGNAN, disparaissant.
Je n'en sais rien... Adieu !

MADAME BONACIEUX
Cela vous apprendra, monsieur, à vous faire l'espion du cardinal.

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