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Acte deuxième, cinquième tableau


L'intérieur du magasin de M. Bonacieux. - Quatre Hommes noirs et un Exempt verbalisent; tout est sens dessus dessous dans la maison.

SCèNE PREMIèRE

L'EXEMPT, QUATRE HOMMES NOIRS.

L'EXEMPT, lisant.
« Et, perquisition faite dans toute la maison, déclarons que nous n'avons trouvé aucun papier autre que ceux réunis dans la liasse C. En foi de quoi, avons signé.»
(Il signe.)

UN DES HOMMES NOIRS
Est ce tout ?

L'EXEMPT
Relativement aux écritures... oui... Maintenant, il s'agit de procéder au véritable objet de notre mission.

UN DES HOMMES NOIRS, se levant devant la table.
Quel est il ?

L'EXEMPT
Le voici... Comme le susdit Bonacieux peut et doit avoir des complices... qu'il est neuf heures de relevée... qu'il fait nuit close et que c'est surtout pendant la nuit que les complices se réunissent, l'objet de notre mission est de demeurer en permanence dans la maison du susdit Bonacieux, d'y laisser entrer tous ceux qui viendront frapper à la porte, et de n'en laisser sortir personne, qu'après interrogation et confrontation.

UN DES HOMMES NOIRS
Les femmes en sont elles ?

L'EXEMPT
Les femmes surtout, attendu que le grand coupable, dans tout cela, c'est la femme, et non le mari.

UN DES HOMMES NOIRS
Il me semble que l'on frappe à la porte.

L'EXEMPT
Eteignons tout... et chacun à son poste.
(Ils éteignent la lampe. Obscurité complète.)

SCèNE II

Les mêmes, MADAME BONACIEUX.

MADAME BONACIEUX, après avoir frappé du dehors, poussant doucement la porte.
Tiens, c'est singulier, la porte ouverte, et personne dais la maison.

L'EXEMPT
Psitt !...
(Un des Hommes se glisse derrière madame Bonacieux et va fermer la porte.)


MADAME BONACIEUX
Hein!... Je croyais avoir entendu!... Monsieur Bonacieux ! monsieur Bonacieux ! (Elle se retourne, l'Exempt se cache dans l'angle.) Il sera sorti. Allumons quelque chose; heureusement, il y a du feu. (Elle allume une bougie à la cheminée et aperçoit l'Exempt.) Qui êtes vous ? que me voulez vous ?

L'EXEMPT
Silence !

MADAME BONACIEUX
Que faites vous ici ?... A l'aide ! au secours !

L'EXEMPT
A moi, mes amis ! Je crois que nous tenons ce que tout le monde cherche.

MADAME BONACIEUX
Que me voulez vous ? Je suis la maîtresse de la maison.

L'EXEMPT
Justement.

MADAME BONACIEUX
Je suis madame Bonacieux.

L'EXEMPT
A merveille.

MADAME BONACIEUX
Pardon, messieurs!... A l'aide ! au secours!... Ah !
(A ce moment, la trappe du plafond se lève; on voit descendre d'Artagnan, dont on aperçoit d'abord les jambes, puis le corps, puis la tête.)

D'ARTAGNAN
Tenez ferme!... me voilà !

PLANCHET, dans la chambre.
Mais vous allez vous faire tuer !

D'ARTAGNAN
Tais toi, imbécile !

SCèNE III

Les mêmes, D'ARTAGNAN, sautant au milieu de la chambre.

L'EXEMPT
Qu'est ce que c'est que cela ?

D'ARTAGNAN
Ce que c'est ? Je m'en vais vous le dire: c'est un gentilhomme qui ne laissera pas maltraiter une femme devant lui. Allons, allons, lâchez cette femme.

L'EXEMPT
Monsieur, c'est au nom du roi.

D'ARTAGNAN
Lâchez cette femme !

L'EXEMPT, à ses Hommes.
Emmenez la ! emportez la !
(Il met l'épée à la main.)

D'ARTAGNAN
Ah ! il y a des épées ? Tant mieux ! je joue encore mieux de l'épée que du bâton... Messieurs les corbeaux, gare à vos plumes ! (Combat, tumulte. Les cinq Hommes finissent par prendre la fuite, les uns par les fenêtres, les autres par la porte; d'Artagnan ferme la porte derrière eux et revient à madame Bonacieux.) Allons, allons, madame, rassurez vous... Mon Dieu ! est ce qu'elle est évanouie ? Ce ne sera rien... Ils sont partis, madame... Le diable m'emporte, elle est charmante !

MADAME BONACIEUX
Ah !

D'ARTAGNAN
Tiens, cela l'a fait revenir.

MADAME BONACIEUX
Ah ! monsieur, c'est vous qui m'avez sauvée; permettez que je vous remercie.

D'ARTAGNAN
Madame, je n'ai fait que ce que tout autre gentilhomme eût fait à ma place; vous ne me devez donc aucun remerciement.

MADAME BONACIEUX
Oh ! pardonnez moi, je tâcherai de vous prouver que je ne suis pas une ingrate... Mais, dites moi, que me voulaient donc ces hommes, que j'ai pris d'abord pour des voleurs, et pourquoi M. Bonacieux n'est il point ici ?

D'ARTAGNAN
Ces hommes, c'étaient des agents du cardinal. Quant à M. Bonacieux, il est à la Bastille.

MADAME BONACIEUX
Mon mari à la Bastille ?... Oh ! mon Dieu, pauvre cher homme, l'innocence même ! Qu'a t il donc fait ?

D'ARTAGNAN
Son plus grand crime, madame, est, je crois, d'avoir tout à la fois le bonheur et le malheur d'être votre époux.

MADAME BONACIEUX
Mais, monsieur, vous savez donc ?...

D'ARTAGNAN
Je sais que vous avez été enlevée, madame.

MADAME BONACIEUX
Et par qui ?... le savez vous ?

D'ARTAGNAN
N'est ce point par un homme de quarante à quarante cinq ans, aux cheveux noirs, au teint basané, avec une cicatrice à la tempe gauche ?

MADAME BONACIEUX
Chut ! ne dites pas son nom.

D'ARTAGNAN
Je n'ai garde de le dire, son nom; je ne le sais pas; le sauriez vous, par hasard ?

MADAME BONACIEUX
Silence !

D'ARTAGNAN
Mais enfin ?

MADAME BONACIEUX
Silence, au nom du ciel ! Mais, dites moi, M. Bonacieux a t il deviné la cause de mon enlèvement ?

D'ARTAGNAN
Il l'attribue à un motif politique.

MADAME BONACIEUX
Ainsi, il ne m'a pas soupçonnée un seul instant ?

D'ARTAGNAN
Oh ! loin de là, madame ! il était trop fier de votre sagesse, et surtout de votre amour. Mais comment vous êtes vous enfuie, vous, prisonnière ?...

MADAME BONACIEUX
J'ai profité d'un moment où l'on m'a laissée seule, et je suis descendue par la fenêtre, à l'aide de mes draps.

D'ARTAGNAN
Mais vous risquiez votre existence ?

MADAME BONACIEUX
J'aurais eu dix existences, que je les eusse risquées.

D'ARTAGNAN
Comment vous êtes vous exposée à venir ici, un fois Libre ?

MADAME BONACIEUX
Selon toute probabilité, on ne s'apercevra de ma fuite que demain...

D'ARTAGNAN
Ah ! c'est vrai.

MADAME BONACIEUX
Et il était important que je visse mon mari ce soir.

D'ARTAGNAN
Pour vous mettre sous sa protection ?

MADAME BONACIEUX
Oh ! pauvre homme ! vous avez dû voir qu'il était incapable de me défendre... Non, mais il pouvait me servir à autre chose.

D'ARTAGNAN
A quoi ?

MADAME BONACIEUX
Oh ! ceci n'est point mon secret, je ne puis donc pas vous le dire.

D'ARTAGNAN
Mais ce que devait faire votre mari ?...

MADAME BONACIEUX, s'apprêtant à sortir.
Je le ferai, moi.

D'ARTAGNAN
Vous me quittez ?

MADAME BONACIEUX
Il le faut.

D'ARTAGNAN
Et vous allez ainsi, seule, par les rues ! Et les voleurs ?

MADAME BONACIEUX
Je n'ai pas un denier sur moi.

D'ARTAGNAN
Vous oubliez ce beau mouchoir brodé et armorié qui était tombé à vos pieds, et que j'ai remis dans votre poche.

MADAME BONACIEUX
Taisez vous ! taisez vous, malheureux ! voulez vous me perdre ?

D'ARTAGNAN
Vous voyez bien qu'il y a encore du danger pour vous, puisqu'un seul mot vous fait trembler... Tenez, chassez toute défiance, reposez vous sur moi, lisez dans mes yeux tout ce qu'il y a de dévouement, dans mon cœur tout ce qu'i y a de sympathie.

MADAME BONACIEUX
Oh ! je serais bien ingrate, si je doutais de vous, après le service que vous m'avez rendu; demandez moi donc mes secrets, je vous les dirai... Mais ceux des autres, jamais.

D'ARTAGNAN
Eh bien, soit ! Libre à vous de chercher à me les cacher; mais libre à moi de chercher à les découvrir.

MADAME BONACIEUX
Oh ! par la reconnaissance que je vous dois, gardez vous en bien, monsieur!... ne vous mêlez de rien de ce qui me regarde, ne cherchez point à m'aider dans ce que j'accomplis, je vous le demande au nom de l'intérêt que je vous inspire, au nom du service que vous m'avez rendu, et que je n'oublierai de ma vie. Non, non, croyez à ce que je vous dis, ne vous occupez plus de moi, que je n'existe plus pour vous, que ce soit comme si vous ne m'aviez jamais vue.

D'ARTAGNAN
Mais il y a donc danger ?

MADAME BONACIEUX
Oui, il y a danger de la prison, il y a danger de la vie à me connaître.

D'ARTAGNAN
Alors, je ne vous quitte plus.

MADAME BONACIEUX
Monsieur, au nom du ciel, au nom de l'honneur d'un militaire, au nom de la courtoisie d'un gentilhomme, laissez moi; voilà dix heures et demie qui sonnent... c'est l'heure où l'on m'attend, ou plutôt je suis déjà d'une demi heure en retard.

D'ARTAGNAN
Madame, je ne sais pas résister à qui me demande ainsi; soyez libre, je me retire.

MADAME BONACIEUX
Non, laissez moi sortir, vous sortirez plus tard, vous... Et votre parole ?...

D'ARTAGNAN
Eh bien ?

MADAME BONACIEUX
Que vous ne m'épierez pas, que vous ne me suivrez pas

D'ARTAGNAN
Foi de gentilhomme, madame.

MADAME BONACIEUX
Ah ! je savais bien que vous étiez un brave cœur.
(Elle lui tend la main.)

D'ARTAGNAN, lui baisant la main.
Quand vous reverrai je ?

MADAME BONACIEUX
Y tenez vous beaucoup, à me revoir ?

D'ARTAGNAN
Oh ! si j'y tiens !

MADAME BONACIEUX
Eh bien, rapportez vous en à moi.

D'ARTAGNAN
Je compte sur votre parole.

MADAME BONACIEUX
Comptez y.
(Elle sort.)

SCèNE IV

D'ARTAGNAN, puis PLANCHET
Eh bien, je déclare que celui qui verra clair dans tout ce qui m'arrive aura de bons yeux: hôtelier, madame de Boistracy, la reine, le duc de Buckingham, le cardinal, madame Bonacieux. Comment diable tous ces gens là se trouvent ils mêlés ensemble ? C'est qu'elle est charmante, cette petite madame Bonacieux: un air de princesse, un cœur ! un courage ! un esprit!... et la femme de cet affreux mercier!... En vérité, il faut venir à Paris pour voir cela, il ne s'est jamais rien fait de pareil à Tarbes.

PLANCHET, à travers le plafond.
Monsieur!... monsieur!... êtes vous encore là ?

D'ARTAGNAN
Oui.

PLANCHET
Monsieur, on frappe à la porte.

D'ARTAGNAN
Qui ?

PLANCHET
Je crois que c'est la garde,

D'ARTAGNAN
Bah !

PLANCHET
J'entends les crosses de mousquet. Faut il ouvrir ?

D'ARTAGNAN
Sans doute, puisque je n'y suis point.

PLANCHET
C'est bien, ne bougez pas.
(La trappe se referme.)

D'ARTAGNAN
Ah ! jette moi mon manteau et mon chapeau. Peste ! il n'y a pas de danger que je bouge ! Seulement, il me semble que pour surcroît de précaution, je devrais fermer la porte. (Il s'approche de la porte du fond après avoir soufflé la bougie mais, comme il s'approche, la porte s'ouvre, et Milady, exactement vêtue comme madame Bonacieux, apparaît.) Oh ! oh ! qu'est ce que je vois ?

SCèNE V

D'ARTAGNAN, MILADY. ROCHEFORT

MILADY
N'est ce donc point ici, et me serais je trompée ? Cependant, voilà bien la boutique, puis l'arrière boutique; je suis bien chez M. Bonacieux, mercier épicier, j'ai vu le nom au-dessus de la porte. (Allant à la fenêtre.) Comte !... comte !
(Rochefort paraît)

ROCHEFORT
Eh bien ?

MILADY
Eh bien, je croyais la maison occupée par nos gens, et je ne vois personne.
(D'Artagnan, dans la boutique, se heurte contre un tonneau.)

MILADY, repoussant la fenêtre.
Je me trompais, il y a quelqu'un.

D'ARTAGNAN
Déjà de retour ?

MILADY
De retour, et d'où ?

D'ARTAGNAN
Ce n'est pas sa voix.

MILADY
Qui êtes vous ?

D'ARTAGNAN
Mais je vous ferai la même question, madame; seulement, si vous refusez d'y répondre...
(Il va à la cheminée et allume la bougie.)

ROCHEFORT, à la fenêtre.
Vous avez besoin de moi ?

MILADY
Je ne sais; mais tenez vous prêt à tout... (Reconnaissant d'Artagnan.) Mon Gascon !... (A Rochefort) Ne vous inquiétez de rien.

D'ARTAGNAN
Milady !

MILADY
Eh bien, on ne m'avait donc pas trompée ?

D'ARTAGNAN
On ne vous avait pas trompée, madame ? Et que vous avait on dit ?

MILADY
On m'avait dit qu'un certain chevalier d'Artagnan, qui fit la cour à Milady de Winter, était en même temps amoureux de la petite mercière nommée madame Bonacieux.

D'ARTAGNAN
Amoureux, moi, Milady ? Je l'ai vue ce soir pour la première fois.

MILADY
Vous l'avez vue ce soir ?

D'ARTAGNAN
Oh ! mordious ! qu'est ce que j'ai dit ?

MILADY
Je croyais cependant qu'elle était en lieu de sûreté.

D'ARTAGNAN, à part.
Elle savait son arrestation ! (Haut.) C'est à dire... non... madame, et je vais être franc... Je la connais depuis longtemps, elle est de mon pays, et, ce soir, voyant que, depuis trois jours, elle n'était pas rentrée, je suis descendu pour demander de ses nouvelles à M. Bonacieux, et, ayant trouvé la maison vide, j'étais là, j'attendais, je trouvais singulier... Enfin, vous êtes venue et je suis heureux.

MILADY
Vous avez trouvé la maison vide ?

D'ARTAGNAN
Dame, voyez !

MILADY
Que veut dire ceci ?

D'ARTAGNAN
Et, comme je vous le disais, madame, je suis heureux, très heureux.

MILADY
C'est bien, chevalier, je sais ce que je voulais savoir.

D'ARTAGNAN
Et que vouliez vous savoir ?

MILADY
Je voulais savoir quel fonds on pouvait faire sur les serments d'amour du chevalier d'Artagnan.

D'ARTAGNAN
Madame, au nom du ciel !

MILADY
J'espère que vous me ferez la grâce de croire que milady de Winter se respecte trop pour entrer en lice avec madame Bonacieux. Attendez son retour, chevalier. Ah ! je n'ai pas besoin de vous dire qu'il serait inutile que vous vous présentassiez désormais à L'hôtel de la place Royale.

D'ARTAGNAN
Madame, de grâce, écoutez moi.
(Il lui barre le passage.)

MILADY
Ah ! j'espère qu'entrée ici librement, j'en sortirai librement.

ROCHEFORT, ouvrant la fenêtre.
Milady ! Milady !

D'ARTAGNAN, se retournant.
Mon homme de Meung!... Ah ! cette fois, tu ne m'échapperas point, je l'espère. (Il saute par la fenêtre; on entend sa voix qui s'éloigne.) Ah ! lâche ! ah ! misérable ! ah ! faux gentilhomme !

ROCHEFORT, se relevant et enjambant la fenêtre.
Il vous a reconnue ?

MILADY
Oui; mais j'ai donné une raison à ma présence...

ROCHEFORT
Il n'y a donc pas de crainte qu'il se doute du motif qui nous amène ?

MILADY
Pas la moindre. Et vous ?

ROCHEFORT
N'avez vous pas vu ? il a sauté par dessus ma tête, il est capable de courir droit devant lui jusqu'à la rivière; il est enragé !

MILADY
Mais...

ROCHEFORT
Mais... partons !...Il paraît que le coup est manqué, n'est-ce pas ?

MILADY
C'est encore ce damné Gascon qui sera venu donner dans notre toile.

ROCHEFORT
Soyez tranquille, il payera tout ensemble ! Venez ! venez !
(Au moment où ils quittent l'arrière boutique, on voit passer les jambes de Planchet.)

SCèNE VI

PLANCHET, D'ARTAGNAN.

PLANCHET, tout en passant à travers le plafond.
Monsieur d'Artagnan ! monsieur d'Artagnan ! Eh bien, où êtes vous, monsieur d'Artagnan ? Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! pourvu qu'il n'aille pas se livrer lui même !

D'ARTAGNAN, rentrant.
Tu ne l'as pas vu, Planchet ?

PLANCHET
Qui, monsieur ?

D'ARTAGNAN
Lui, ce démon incarné, qui m'apparaît sans cesse et que jamais je ne puis rejoindre.

PLANCHET
écoutez moi. La garde est venue... elle a trouvé M. Athos, qui était dans votre chambre, et elle l'a emmené.

D'ARTAGNAN
Mordious ! et il s'est laissé faire ?

PLANCHET
Elle l'a pris pour vous.

D'ARTAGNAN
Et il ne s'est pas fait connaître ?

PLANCHET
Bien au contraire; j'allais parler, il a mis son doigt sur sa bouche; alors j'ai compris.

D'ARTAGNAN
Oh ! brave Athos ! je te reconnais bien là ! (La porte du fond s'ouvre.)

SCèNE VII

Les mêmes, MADAME BONACIEUX.

MADAME BONACIEUX
Chevalier ! chevalier, êtes vous encore ici ?

D'ARTAGNAN
Madame Bonacieux !

MADAME BONACIEUX
Oui...

D'ARTAGNAN
Mon Dieu, qu'avez vous ? Planchet ! Planchet !

MADAME BONACIEUX
Non, non, ne vous occupez pas de moi.

D'ARTAGNAN
Qu'est il arrivé ?

MADAME BONACIEUX
J'ai perdu une demi heure.

D'ARTAGNAN
Eh bien ?

MADAME BONACIEUX
Je suis arrivée trop tard: une femme vêtue comme moi, avec un mouchoir pareil à celui ci, s'était présentée la maison de la rue de Vaugirard, et on lui avait donné l'adresse.

D'ARTAGNAN
Une femme vêtue comme vous ? Elle sort d'ici.

MADAME BONACIEUX
Vous l'avez vue ?... vous lui avez parlé ?

D'ARTAGNAN
Oui...

MADAME BONACIEUX
Qu'est elle devenue ?

D'ARTAGNAN
Un démon que je poursuis depuis trois semaines, et que je poursuivrai toute ma vie, s'il le faut, est apparu à cette fenêtre; j'ai couru après lui; pendant ce temps, je ne sais ce qu'elle est devenue... Et, tenez... cet homme, c'est le même qui vous avait enlevée.

MADAME BONACIEUX
Mon Dieu !

D'ARTAGNAN
En outre, on est venu pour m'arrêter.

MADAME BONACIEUX
Où cela ?

D'ARTAGNAN
Là haut, chez moi.

MADAME BONACIEUX
On ne vous a pas trouvé ?

D'ARTAGNAN
Non; mais on a trouvé un de mes amis qui s'est laissé emmener à ma place.

MADAME BONACIEUX
De sorte qu'ils croient vous tenir ?

D'ARTAGNAN
Parfaitement.

MADAME BONACIEUX
Monsieur d'Artagnan, il n'y a pas un instant à perdre.

D'ARTAGNAN
Ordonnez !

MADAME BONACIEUX
Dites à votre laquais d'explorer les environs.

D'ARTAGNAN
Planchet, tu entends ?

PLANCHET
Je cours, monsieur.

MADAME BONACIEUX
Vous allez m'accompagner.

D'ARTAGNAN
Où cela ?

MADAME BONACIEUX
A l'endroit où il se cache, Mon Dieu ! mon Dieu ! pourvu que nous arrivions à temps.

D'ARTAGNAN
Hâtons nous.

PLANCHET, à la porte du fond.
On n'entre pas... Quand on vous dit qu'on n'entre pas.

SCèNE VIII
Les mêmes, UN HOMME enveloppé dans un manteau.

L'HOMME
Oui, mais j'entre, moi.
(Il repousse Planchet et passe.)

PLANCHET
Monsieur ! monsieur ! à l'aide !

D'ARTAGNAN
Ah ! en voilà un qui va payer pour tous.

L'HOMME
Oses tu bien, drôle ?...

D'ARTAGNAN, tirant son épée.
On vous dit qu'on n'entre pas, monsieur.

L'HOMME
Et j'ai répondu que j'entrais.

D'ARTAGNAN
Qui êtes vous ?

L'HOMME
Qui êtes vous, vous même ?

D'ARTAGNAN
Oh ! mordious ! vous allez le savoir.

L'HOMME
Vous le voulez donc ?
(Il jette son manteau.)

MADAME BONACIEUX, le reconnaissant.
Bon ! (Elle se met entre eux et saisit les épées.) Milord ! milord !

D'ARTAGNAN, faisant trois pas en arrière.
Monsieur, vous seriez...?

MADAME BONACIEUX
Milord, duc de Buckingham. (A d'Artagnan.) Et maintenant, vous pouvez nous perdre tous.

D'ARTAGNAN
Vous, milord, ici ?... (A madame Bonacieux.) Comment se fait il ?

MADAME BONACIEUX
Oh ! je n'en sais rien, et il n'y a que milord qui puisse nous dire...

BUCKINGHAM
C'est bien simple. On s'est présenté rue de la Harpe, on m'a montré le mouchoir et l'on m'a dit que j'étais attendu rue des Fossoyeurs, près du Luxembourg, chez un mercier nommé Bonacieux; comme le nom m'était connu, je n'ai pas hésité, et me voici.

D'ARTAGNAN
C'est cela, on croyait la maison occupée encore par l'exempt et par ses hommes, et l'on voulait faire tomber milord dans un piège. Milord, pardonnez moi d'avoir tiré l'épée contre vous, et dites moi de quelle façon je puis servir Votre Grâce.

BUCKINGHAM
Merci ! vous êtes un brave; vous m'offrez vos services et je les accepte... Marchez derrière nous, à vingt pas; accompagnez nous jusqu'au Louvre, et, puisque vous savez de quels intérêts il s'agit ici, si quelqu'un nous épiait, tuez !

D'ARTAGNAN
C'est bien ! Milord, passez devant, je vous suis.

BUCKINGHAM
Venez, madame.

D'ARTAGNAN
Planchet ! préviens Porthos et hôtelier qu'ils aient à ne pas dormir de la nuit.
(Planchet sort par la fenêtre.)

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