Henri III et sa cour Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Scène 7

                              SCENE VII
Les mêmes, Crucé ; puis Bussy-Leclerc, La Chapelle-Marteau et Brigard.

                              Le duc de Guise.
C'est vous, Crucé ! quelles nouvelles ?

                              Crucé.
Mauvaises, monseigneur, mauvaises ! rien ne marche,... tout dégénère. Morbleu ! nous sommes des conspirateurs à l'eau rose.

                              Le duc de Guise.
Comment cela ?

                              Crucé.
Eh ! oui... Nous perdons le temps en fadaises politiques ; nous courons de porte en porte pour faire signer l'Union. Par saint Thomas ! vous n'avez qu'à vous montrer, monsieur le duc ; quand ils vous regardent, les huguenots sont de la Ligue...


                              Le duc de Guise.
Est-ce que votre liste ?..

                              Crucé.
Trois ou quatre cents zélés l'ont signée ; cent cinquante politiques y ont mis leur parafe ; une trentaine de huguenots ont refusé en faisant la grimace... Quant à ceux-là, morbleu ! j'ai fait une croix blanche sur leur porte, et, si jamais l'occasion se présente de décrocher ma pauvre arquebuse qui est au repos depuis six ans... Mais je n'aurai pas ce bonheur-là, monseigneur ; les bonnes traditions se perdent... Tête-Dieu ! si j'étais à votre place...

                              Le duc de Guise.
Et la liste ?...

                              Crucé.
La voici... Faites-en des bourres, monsieur le duc, et plus tôt que plus tard.

                              Le duc de Guise.
Cela viendra, mon brave, cela viendra.

                              Crucé.
Dieu le veuille !... Ah ! ah ! voilà les camarades.
Entrent Bussy-Leclerc, La Chapelle-Marteau et Brigard.

                              Le duc de Guise.
Eh bien, messieurs, la récolte a-t-elle été bonne ?

                              Bussy-Leclerc.
Pas mauvaise : deux ou trois cents signatures, pour ma part ; des avocats, des procureurs.

                              Crucé.
Et toi, mon petit Brigard, as-tu fait marcher les boutiquiers ?

                              Brigard.
Ils ont tous signé.

                              Crucé, lui frappant sur l'épaule.
Vive Dieu ! monsieur le duc, voilà un zélé. Tous ceux de l'Union peuvent se présenter à sa boutique, au coin de la rue Aubry-le-Boucher ; ils y auront un rabais de trente deniers par livre sur tout ce qu'ils achèteront.

                              Le duc de Guise.
Et vous, monsieur Marteau ?

                              La Chapelle-Marteau.
J'ai été moins heureux, monseigneur... Les maîtres des comptes ont peur, et M. le président de Thou n'a signé qu'avec restriction.

                              Le duc de Guise.
Il a donc ses fleurs de lis bien avant dans le coeur, votre président de Thou ?... Est-ce qu'il n'a pas vu que l'on promet obéissance au roi et à sa famille ?

                              La Chapelle-Marteau.
Oui ; mais on se réunit sans sa permission.

                              Le duc de Guise.
Il a raison, M. de Thou... Je me rendrai demain au lever de Sa Majesté, messieurs... Mon premier soin aurait dû être d'obtenir la sanction du roi, il n'aurait pas osé me la refuser... Mais, Dieu merci ! il n'est point encore trop tard. Demain, je mettrai sous les yeux de Henri de Valois la situation de son royaume ; je me ferai l'interprète de ses sujets mécontents. Il a déjà reconnu tacitement la Ligue ; je veux qu'il lui nomme publiquement un chef.

                              La Chapelle-Marteau.
Prenez garde, monseigneur ! il n'y a pas loin du bassinet à la mèche d'un pistolet, et quelque nouveau Poltrot...

                              Le duc de Guise.
Il n'oserait !... D'ailleurs, j'irai armé.

                              Crucé.
Que Dieu soit pour vous et la bonne cause !... Cela fait, monseigneur, je crois qu'il sera temps de vous décider.

                              Le duc de Guise.
Oh ! ma décision est prise depuis longtemps ; ce que je ne décide pas en une heure, je ne le déciderai de ma vie.


                              Crucé.
Oui ;... et, avec votre prudence, toute votre vie ne suffira peut-être pas à exécuter ce que vous aurez décidé en un quart d'heure...

                              Le duc de Guise.
Monsieur Crucé, dans un projet comme le nôtre, le temps est l'allié le plus sûr.
                              Crucé.
Tête-Dieu !... vous avez le temps d'attendre, vous ; mais, moi, je suis pressé ; et puisque tout le monde signe...

                              Le duc de Guise.
Oui.. Et les douze mille hommes, tant Suisses que reîtres, que Sa Majesté vient de faire entrer dans sa bonne ville de Paris,... ont-ils signé ?... Chacun d'eux porte une arquebuse ornée d'une belle et bonne mèche, monsieur Crucé ; sans compter les fauconneaux de la Bastille... Fiez-vous-en à moi pour marquer le jour ; et, quand il sera venu...

                              Bussy-Leclerc.
Eh bien, que ferons-nous au Valois ?...
                              Le duc de Guise.
Ce que lui promettait hier madame de Montpensier, en me montrant une paire de ciseaux : une troisième couronne.

                              Bussy-Leclerc.
Ainsi soit-il !... n'est-ce pas, mon vieux sorcier ? car je présume que tu es de notre avis, puisque tu ne dis rien...

                              Ruggieri.
J'attendais l'occasion favorable de vous présenter une petite requête.

                              Bussy-Leclerc.
Laquelle ?

                              Ruggieri, lui donnant le billet de d'Epernon.
La voici...

                              Bussy-Leclerc.
Comment ! un bon du d'Epernon... sur moi ? C'est une plaisanterie.

                              Ruggieri.
Il a dit que, si vous n'y faisiez pas honneur, il irait vous trouver, et le ferait acquitter lui-même...

                              Bussy-Leclerc.
Qu'il vienne, morbleu !... a-t-il oublié qu'avant d'être procureur, j'ai été maître d'armes au régiment de Lorraine ?... Je crois que le cher favori est jaloux des statues qui ornent les tombeaux de Quélus et de Maugiron ? Eh bien, qu'à cela ne tienne : nous le ferons tailler en marbre à son tour.

                              Le duc de Guise.
Gardez-vous-en bien, maître Bussy ! Je ne voudrais pas, pour vingt-cinq de mes amis, ne pas avoir un tel ennemi... Son insolence recrute pour nous... Donne-moi ce billet, Ruggieri. Dix écus noble rose, c'est cent vingt livres tournois... Les voici.

                              Bussy-Leclerc.
Que faites-vous donc, monseigneur ?...


                              Le duc de Guise.
Soyez tranquille ; quand le moment de régler nos comptes sera arrivé, je m'arrangerai de manière qu'il ne reste pas mon débiteur... Mais il se fait tard... A demain soir, messieurs. Les portes de l'hôtel de Guise seront ouvertes à tous nos amis ; madame de Montpensier en fera les honneurs ; et seront doublement bien reçus par elle ceux qui viendront avec la double croix ! Ruggieri, reconduis ces messieurs. Ainsi, c'est dit ; à demain soir, à l'hôtel de Guise.

                              Crucé.
Oui, monseigneur...
                                                                      Ils sortent.

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