Christine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer


Scène 1

                              ACTE DEUXIEME

                              Charles-Gustave.
                    La salle du trône au palais d'Upsal.

                              SCENE PREMIERE
Christine, entrant, suivie d'un huissier suivie et d'un autre homme ;
Paula, cachée derrière un rideau.

                              Christine, à l'huissier, qui lui remet une lettre.
                    Lisant.
Donnez. « Charles-Gustave, à vos ordres rendu,
Est au palais d'Upsal à l'instant descendu.
Seize juin. » Est-ce tout ?

                              L'huissier.
Oui, Majesté.

                              Christine, montrant la seconde personne.
                              Cet homme ?...
                              L'huissier..
Est votre architecte...

                              Christine.
                              Ah ! monsieur, l'on vous renomme
Pour votre promptitude et votre habileté.

                              L'architecte.
Reine !...

                              Christine.
          Un grand homme est mort. Il aurait mérité
De ne point expirer sur la terre étrangère ;
La terre où l'on naquit au cercueil est légère.
Dans l'église d'Upsal, élevez son tombeau.
Comme un tombeau de roi, je le veux grand et beau,
Point d'éloges surtout dont le bon goût s'écarte ;
Gravez-y seulement son nom : René Descartes...
L'Huissier et l'architecte sortent ; tandis que Christine les suit des yeux, Paula sort de derrière le rideau où elle était cachée, et se met à genoux.
                              Paula.
Majesté ! Majesté !

                              Christine.
                    Hein !... Que me voulez-vous,
Enfant ?

                              Paula.
          Oh ! Majesté, je suis à vos genoux.

                              Christine.
Où vous ai-je donc vu, mon beau page ? Il me semble
Que nous avons déjà dû nous trouver ensemble.

                              Paula.
Au palais de Stockholm, le jour...

                              Christine.
                                        Je me souviens.
Vous êtes au marquis, n'est-ce pas ? Allons, viens...
Relève-toi... J'avais oublié cette histoire.

                              Paula.
Elle doit plus longtemps rester en ma mémoire,
A moi...

                              Christine.
          Vous êtes donc au marquis ?

                              Paula.
                              Majesté,
Je ne suis plus à lui depuis...

                              Christine.
                              En vérité,
Notre grand écuyer vous devait, que je pense,
Pour votre dévouement meilleure récompense.
Qu'avez-vous donc fait ?


                              Paula.
                              Rien.

                              Christine.
                                        Rien ?...

                              Paula.
                                                  Rien, sur mon honneur !
Mais le marquis me craint.

                              Christine.
                              Il vous craint ?

                              Paula.
                                                  Son bonheur
Dépend d'un grand secret dont je suis seul le maître
Avec lui.

                              Christine.
          Ce secret quel est-il ?
                              Paula.
                                        Oh ! peut-être
Plus que je ne le suis devrais-je être discret ;
Car vous aussi, madame, êtes de ce secret.

                              Christine.
0à, mon fils, la harangue est bien mystérieuse.
De savoir nos secrets nous sommes curieuse :
Expliquez-vous donc vite...

                              Paula, laissant tomber sa tête tomber sa tête dans ses mains.
                              Oh ! je l'avais bien dit
Que vous vous fâcheriez... C'est que je suis maudit...

                              Christine.
Non. Voyons, qu'est cela ?... Cette crainte est trop forte ;
D'avance, quel que soit ton tort, peu nous importe.
Nous t'absolvons.

                              Paula.
                    Eh bien, madame, vous savez
Qu'à Stockholm, tous les deux, nous sommes arrivés
D'Italie... ensemble.

                              Christine.
                    Oui, je le sais.

                              Paula.
                              Et peut-être
Vous a-t-il dit aussi qu'excepté lui, mon maître,
Au milieu de ce monde auquel j'ai dit adieu,
Je n'avais d'autre espoir que dans la tombe et Dieu.

                              Christine.
Je le sais, vous n'avez plus ni père ni mère.

                              Paula.
Jugez donc si jamais douleur fut plus amère
Que la mienne, aussitôt qu'il m'eut dit qu'il fallait
Que je partisse !

                              Christine.
                    Vous, le quitter ?

                              Paula.
                                        Qu'il voulait
Que d'un exil sans fin ma faveur fût suivie,
Et que je ne devais le revoir de ma vie !

                              Christine.
A quelle occasion vous a-t-il dit cela !
Voilà ce que je veux savoir...

                              Paula.
                              C'est que voilà
Ce que je n'ose dire, à vous.

                              Christine.
                                        Miséricorde !
Vous me criez merci, d'avance je l'accorde,
Sans demander pourquoi vous voulez ce pardon ;
Et puis vous hésitez ? Mais, vrai Dieu ! parlez-donc !

                              Paula.
Eh bien, vous comprenez que, n'ayant que mon maître,
Ne le quittant jamais..., je devais le connaître
Comme je me connais, et que tout sentiment
Qui frappait sur son coeur, presque au même moment
Retentissait au mien ; c'est ainsi que mon âme
Christine fait un mouvement.
Devina qu'il aimait, avant mes yeux. – Madame,
Je vous l'avais bien dit ; – mais, si vous le voulez,
Je puis me taire encore. Dites un mot...

                              Christine.
                                                  Parlez !...

                              Paula.
C'est ainsi que, voyant sa tristesse croissante,
Je sus que son amour serait longue et puissante ;
Ainsi je devinai, voyant moins soucieux.
Son front, que sur la terre il espérait les cieux,
Etre aimé ! Son espoir bientôt fut de la joie,
Il l'était ! Ces cheveux où votre main se noie,
Madame, ne sont pas et plus beaux et plus noirs
Que ceux qu'avec amour il baisait tous les soirs.
Puis sa joie augmenta ;... c'était presque un délire...
Il pleurait... et soudain se reprenait à rire...
Un soir que je rentrais, je vis, oh ! sans chercher
A le voir, un portrait !... Entendant s'approcher
Quelqu'un, il le cacha... trop lentement encore ;
Car c'était le portrait de celle qu'il adore.
Ainsi que vos cheveux, les siens étaient ornés
D'une couronne.

                              Christine, se soulevant sur son fauteuil.
                    Hein !


                              Paula.
                              Madame, pardonnez !
Tant de hardiesse aura récompense sanglante
Peut-être... Vengez-vous...

                              Christine, souriant.
                              Etais-je ressemblante ?

                              Paula.
Oh ! oui !... car ce portrait, objet de tant d'ardeur,
Fut, depuis qu'il l'obtint, nuit et jour sur son coeur.

                              Christine.
Un vieux flatteur, enfant, pour mon âme attendrie,
N'aurait pas inventé meilleur flatterie
Que ce que tu dis là... Tu veux donc d'un seul coup
Avoir beaucoup de moi ?

                              Paula.
                              Reine !... oui, je veux beaucoup,
Car je n'ai pas tout dit. Le jour où vous promîtes
De choisir un époux, aujourd'hui même, dites
Avez-vous oublié que, dans son coeur d'amant,
Chaque mot pénétrait et tremblait sourdement,
Comme un stylet lancé par une main trop sûre
Frappe à fond ! et longtemps tremble dans la blessure ?
Voilà ce qu'il souffrit... Et, le soir, en rentrant,
Cet homme heureux hier, aujourd'hui délirant,
De son amour cessa de me faire mystère ;
Me dit tout, puis pensa qu'il eût dû tout me taire,
Et que me mettre en tiers dans un secret royal
Etait affreux, fussé-je un confident loyal.
C'est alors qu'il voulut, peut-être avec justice,
Que de Stockholm pour Rome à l'instant je partisse.
J'implorai... Pour garant, j'offris mon sang, mes jours,
S'il cessait de vouloir ;... mais il voulut toujours.
Alors je me sauvai, fou, délirant, stupide ;
Puis, à travers le front comme un éclair rapide,
Un espoir me passa ; je sentis qu'il fallait
Partir, et je me dis : « Si la reine voulait,
Je ne partirais pas ; qu'elle veuille, et, fidèle
A l'ordre qui, pour moi, vers lui descendra d'elle
Monaldeschi pourra me rattacher à lui. »
Je vous suivis partout ;... mais ce n'est qu'aujourd'hui
Que j'eus ce grand bonheur de voir ma souveraine,
Pour tomber à ses pieds que je supplie,... ô reine !...

                              Christine.
L'homme qu'un autre homme aime et peut aimer ainsi,
Doit être grand et bon... Viens, mon enfant, merci !
Je l'ignorais encore, tu me l'as fait connaître.
Oh ! non,... tu ne dois pas, enfant, quitter ton maître.
Garde-nous les secrets confiés à ta foi ;
J'accueille ta prière en t'attachant à moi.

                              Paula.
A vous, madame, à vous ! vous vous trompez, je pense ?

                              Christine.
Non, ton amour pour lui mérite récompense ;
Le marquis t'en doit une, et je veux l'acquitter.
Reste donc avec moi pour ne le plus quitter.

                              Paula.
Mais...

                              Christine.
          Assez. Qu'est cela ? Ton nom ?

                              Paula.
                              Paulo.

                              Christine.
                                        Ton âge ?

                              Paula.
Quinze ans.

                              Christine.
          Paulo, je vais te charger d'un message
Secret... Charles-Gustave arrive en ce moment
Dans ce château d'Upsal ; vers cet appartement,
Sans que personne ici vous entende ou vous voie,
Tu pourras l'amener. Cette secrète voie,
En tournant le palais, à sa chambre conduit ;
Tu prendras un flambeau, car tu vois qu'il fait nuit
Dans ce passage. – Ah ! tiens, la clef de l'autre porte.

                              Paula, à part, en sortant.
Ai-je réussi ? – Non. Mais je reste. – Qu'importe !

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente