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Scène 4

                              SCENE IV

Les mêmes, Monaldeschi, Sentinelli, Corneille, La Calprenède, deux officiers, le secrétaire Galdem-Blad, Paula, au fond ; deux femmes à la toilette de la reine.

                              Christine.
Venez, messieurs, venez ; de vous voir je suis fière ;
Votre patrie aussi me fut hospitalière.
Je ne l'oublierai pas, et je voudrais pouvoir
Vous rendre cet accueil qu'elle crut me devoir.          

                              La Calprenède, avec un léger accent gascon.
Je viens, poète indigne, et chevalier profane,
Comme jadis Cyrus à la cour de Mandane,
N'osant envisager votre front glorieux,
De peur que trop d'éclat n'éblouisse mes yeux.

                              Christine.
Depuis qu'il a perdu sa royale couronne
L'éclat de notre front n'éblouit plus personne.

                              La Calprenède.
Mais ce front, où le ciel imprima la grandeur,
En perdant sa couronne, a gardé sa splendeur.

                              Christine.
Dites-le, c'est très-bien : mais, moi, je le dénie.
          A Corneille.
Et vous, que lisez-vous sur mon front ?

                              Corneille.
                                        Du génie.

                              Christine.
          A Monaldeschi.
Oh ! j'accepte cela. – Voyez donc cher marquis,
C'est l'ombre d'une cour, c'est Stockholm en croquis.


                              Monaldeschi.
Madame, en abdiquant le grandeur souveraine,
De tous les coeurs encore vous demeurez la reine ;
Les arts sont accourus sur vos pas protecteurs,

                              Christine.
C'est une cour, Ebba : nous avons des flatteurs.
De l'art du courtisan il a fait une étude,
Et vous voyez l'effet d'une vieille habitude.
Vous ne me flattez pas, vous, Steinberg.

                              Steinberg.
                                                  J'en conviens.

                              Christine.
Vous êtes Français, vous ; mais ces Italiens,
L'idiome mielleux qui détrempe leurs âmes
Semblerait fait exprès pour un peuple de femmes.
D'énergiques accents ont peine à s'y mêler.
Un homme est là, l'on croit qu'en homme il va parler :
Il parle, on se retourne, et, par un brusque échange,
A la place d'un homme, on trouve une louange.
          A la Calprenède.
Que si je comprends bien, monsieur jadis brillait
Parmi les beaux esprits de l'hôtel Rambouillet ;
Là s'assemblait la fleur de la littérature :
Bois-Robert, Desmarets, Benserade, Voiture.

                              La Calprenède.
Vous oubliez leur chef, l'immortel Scudéri,
Docteur en doux parler, maître en style fleuri.

                              Christine.
Ah ! vous le connaissiez ? Faites-moi donc entendre
Ce que signifiait son royaume de Tendre.

                              La Calprenède.
C'était, sur mon honneur, d'un goût délicieux,
J'en ai le plan, daignez y reposer les yeux.

                              Christine.
Voyons.

                              La Calprenède, déroulant une carte.
          D'abord, le Tendre était une contrée
Des vulgaires amants tout à fait ignorée,
Sise sous un ciel pur dans un pays charmant,
Que traverse en entier le fleuve Sentiment.
De ce fleuve suivez la course vagabonde ;
A sa source, d'abord il baigne de son onde
Le village isolé de Douce-Emotion.
Vous voyez son pendant Tendre-Sensation ;
Vous pouvez distinguer sur le même rivage
Les hameaux Petits-Soins, Billets-Doux et Message ;
Ces hameaux dépassés, on va vite en un jour :
On pourrait les nommer antichambres d'amour.
En deux routes ici le pays se divise :
L'une mène au castel d'Amoureuse-Entreprise ;
L'autre, dont vous pouvez comprendre la longueur,
Suit ce triste chemin que l'on nomme Langueur :
Souvent il aboutit au lac d'Indifférence ;
C'est le moins usité, l'autre à la préférence.

                              Christine.
Eh bien, revenons-y.

                              La Calprenède.
                    Non loin de ce château,
Vous pouvez distinguer, au penchant d'un coteau,
Parfait-Contentement ; la forêt du Mystère
Y verse incessamment son ombre solitaire.
Heureux qui peut en paix, sous l'aile des Amours,
Aux regards envieux y dérober ses jours !
Mais, hélas ! il n'est point, pour une âme mortelle,
De jours longtemps sereins, ni de flamme éternelle ;
Et souvent de ce lieu, quand le Désir a fui,
On sort par deux chemins, le Caprice ou l'Ennui.
Eh bien, que dites-vous de la carte amoureuse ?


                              Christine.
L'idée en est, monsieur, on ne peut plus heureuse ;
Mais j'y cherche un chemin oublié sans raisons.

                              La Calprenède.
Lequel ?

                              Christine.
          Celui qui mène aux Petites-Maisons.

                               La Calprenède.
Nos héros, qui n'ont plus de têtes si légères,
S'ils sont trahis, se font ou bergers ou bergères.
Les Petites-Maisons, vous le voyez donc bien,
Dès qu'il n'est plus de fous, ne serviraient à rien.

                              Christine.
C'est juste. Oh ! que ne puis-je ici voir réunie
Cette troupe savante école du génie,
Où, près de Pavillon, Bois-Robert, Desmarets,
Sans doute vous brillez, @iprimus inter pares.

                              La Calprenède.
Sans prétendre à l'éclat de tant de renommée,
On y tenait, madame, une place estimée.
Mes ouvrages divers, empreints de leurs couleurs,
Peuvent être cités, et lus après les leurs.
De mes romans surtout le public idolâtre
A vraiment dévoré Cassandre et Cléopâtre.
Pardon si je parais en faire quelque cas,
Mais je serais le seul qui ne les louerait pas.

                              Christine.
Quoi ! vous êtes l'auteur... ? Que Dieu me soit en aide,
Si nous ne possédons monsieur la Calprenède.

                              La Calprenède.
De Votre Majesté mon nom serait connu ?


                              Christine.
Et dans quel lieu ce nom n'est-il pas parvenu ?
Il n'est pas un écho si lointain qu'il n'éveille.
          A Corneille.
Et vous, monsieur, comment vous nommez-vous ?

                              Corneille.
                                                            Corneille.

                              Christine, se levant.
          A sa suite.
Corneille ! – Inclinez-vous devant le vieux Romain.
          Allant à lui.
Me ferez-vous l'honneur de me baiser la main ?
Et quel guerrier, quel roi, sous son souffle magique,
Ranime maintenant votre muse tragique ?
Ils sont bien grands, les traits que sa main dessina ;
Que faire après le Cid et l'Horace ?


                              Corneille, avec modestie.
                                        Cinna.

                              Christine.
Quel est donc ce sujet ?

                              Corneille.
                              Par un titre plus juste,
Je devrais nommer la Clémence d'Auguste.

                              Christine.
Vous allez par ce choix courir plus d'un hasard,
Moi, j'ai bien du mépris pour ce premier César ;
Il devint généreux quand Rome fut esclave,
Et dans Auguste encore je reconnais Octave.
Mais n'importe ! parmi tous vos fragments divers,
D'un fragment préféré dites-nous quelques vers.

                              Corneille.
Lasse d'un triple poids, c'est le moment où Rome
Commence à respirer sous le poids d'un seul homme.
Comme de l'univers, de lui-même vainqueur,
Auguste s'interroge et demande à son coeur
S'il doit punir Cinna, qui contre lui conspire,
Ou s'il doit à Cinna sacrifier l'empire.

                              Christine.
Du trône redescendre au rang de citoyen
Est difficile ; Auguste y demeure, et fait bien.

                              Corneille, après avoir dit quelques vers du monologue d'Auguste.
Madame, j'ai fini.

                              Christine.
                    C'est beau.
          
                              Monaldeschi.
                                        C'est admirable !...

                              Corneille.
Monsieur...

                              Christine.
          Oh ! laissez-le, c'est un mal incurable.
Il croit toujours devoir, en courtisan adroit,
Suer lorsque j'ai chaud, et trembler quand j'ai froid.
          Regardant sa couronne.
Mais qu'aperçois-je donc ? Je crois, Dieu me pardonne,
Qu'ils ont pour ma toilette apporté ma couronne.

                              Ebba.
Madame, cette erreur...

                              Christine, la prenant.
                              C'est elle, la voila.
Regardez donc, messieurs ; connaissez-vous cela ?

                              Corneille.
A vos regards, madame, ainsi qu'à ceux du sage,
D'or et de diamants ce n'est qu'un assemblage ;
Mais en lui des grandeurs l'homme adore le sceau.

                              Christine, la rejetant.
C'est un hochet royal trouvé dans mon berceau.

                              Monaldeschi.
L'objet que sous ce nom votre dédain désigne,
Du plus profond respect n'en reste pas moins digne ;
Et devant ce hochet nous nous humilions.

                              Christine.
Je le crois bien, marquis, il vaut deux millions.
Se levant. Pardon, messieurs, le soin de ma correspondance
M'oblige d'abroger mes heures d'audience.

                              La Calprenède.
Pour Votre Majesté j'ai pourtant mis au net
Certain rondeau léger, certain galant sonnet.

                              Christine.
Vous m'enverrez les vers dont le tout se compose,
Sur beau papier vélin avec un ruban rose.
          A Corneille.
Si vous restiez ici, j'aurais voulu ce soir
Une seconde fois, monsieur, vous recevoir ;
Mais près mon alchimiste il me faudra descendre
Il m'a de beaucoup d'or déjà fait de la cendre.
Il doit enfin ce soir, quadruplant mon trésor,
De la cendre à son tour me refaire de l'or.
Vous sentez qu'il me faut voir une expérience
Où la nature doit céder à la science.
Mais, loin des importuns dont l'aspect nous gêna,
Venez me voir demain, vous me lirez Cinna.
          A son secrétaire.
Galdemblad, je renonce à votre ministère ;
Le marquis aujourd'hui sera mon secrétaire ;
          A Monaldeschi.
Conduisez ces messieurs, marquis, et revenez.
Ah ! le courrier du jour ?
                              Galdemblad.
                              Le voici.

                              Christine.
                                        Bien, donnez.
Salut.

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