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Scène 1

                              ACTE TROISIEME.

                              Corneille.
Un appartement du palais de Fontainbleau. Au fond, les portes de la chambre à coucher de la reine ; à gauche, une porte de l'appartement de Monaldeschi.

                              SCENE PREMIERE
Monaldeschi, sortant de l'appartement de la reine ; Paula, debout, appuyé contre la porte de l'appartement de Monaldeschi.

                              Monaldeschi.
Encore ?

                              Paula.
          Toujours.

                              Monaldeschi.
                    Paula !

                              Paula.
                              Monaldeschi !

                              Monaldeschi.
                                                  Pourquoi
Me poursuivre ainsi ?... Dis ! que veux-tu donc de moi ?
Parle.

                              Paula.
          Je ne veux rien ; seulement, je suis l'ombre
Que le ciel à ton jour mêle pour qu'il soit sombre ;
Le songe qui, la nuit, tourmente ton sommeil,
Et la voix qui te dit : « Malheur ! » à ton réveil.

                              Monaldeschi.
Paula, depuis trois ans, je souffre ta démence ;
C'est assez.

                              Paula.
          C'est assez ?... De sa parole immense,
Au jour du jugement, où tu crieras merci,
Quand Dieu t'appellera, je dirai : « Me voici ! »
C'est assez ? Oh ! non, non...

                              Monaldeschi, réfléchissant un moment, puis allant à elle.           
                              Eh bien, encore peut-être,
Si vous voulez, Paula , je puis faire renaître
Le bonheur dans les jours qui vous sont réservés.
Voulez-vous être heureuse encore, vous le pouvez.

                              Paula.
Serait-ce de ta bouche une ironie affreuse,
Que de me dire à moi : « Voulez-vous être heureuse ? »
Sous le poids des douleurs j'ai si longtemps plié,
Que, pour moi, le bonheur est un mot oublié.
Quand la lente infortune a creusé notre joue,
Sillonné notre coeur, crois-tu qu'on la secoue,
Comme le voyageur, de son chemin lassé,
Ferait d'un peu de poudre à ses pieds amassé ? –
Dis, cependant.

                              Monaldeschi.
                    Paula, je hais mon esclavage.
Porter toujours un masque, et jamais un visage
Me gêne ; et l'avenir, que d'ici j'entrevois,
Déjà sur mon présent pèse de tout son poids.
Lasse de son repos, Christine, qui conspire,
Sur elle ne me peut pardonner mon empire ;
Toujours un mot amer, un regard courroucé,
Soulèvent de son coeur mon amour repoussé ;
Et, pour se dérober à son propre anathème,
Elle verse sur moi le mépris d'elle-même.
Pour oublier les siens, elle me fait des torts ;
Il lui faut toujours là quelqu'un pour ses remords.
Le vieillard l'avait dit de sa voix solennelle,
Que l'heure du regret arriverait pour elle ;
Que manqueraient, un jour, cherchés par elle en vain,
La couronne à son front, et le sceptre à sa main.
Aussi, dans son ennui, maintenant que fait-elle ?
Souillant son avenir d'une tache immortelle,
Pour ressaisir un sceptre imprudemment quitté,
Christine sourdement conspire.

                              Paula, avec indifférence.
                                        En vérité,
Je ne sais pas, marquis, ce que vous voulez dire.
Eh ! que me font, à moi, les débats d'un empire ?

                              Monaldeschi.
Mais ce n'est point à moi qu'ils importent si peu.
Tous ces débats de roi ne me sont point un jeu,
Qu'en leurs destins divers mon regard accompagne,
Sans qu'il soit inquiet de qui perd ou qui gagne ;
Je vis et je touchai le trône de trop près,
Pour m'en être éloigné sans d'éternels regrets.

                              Paula.
Eh bien, Monaldeschi, puisque Christine tente
D'y remonter, ton âme est, j'espère, contente ?
                              Monaldeschi..
Deux choses adviendront : ou Gustave saura
Qu'on conspire, et, dès lors le complot échouera ;
Ou, conduit avec l'art que Christine possède,
Il la replacera sur le trône de Suède.
Si Gustave est vainqueur, comme j'ai conspiré,
D'un exil éternel je puis être assuré.
Si Christine triomphe, à me perdre enhardie,
Je devine pour moi le sort de la Gardie ;
j'ai tout prévu. Magnus ne doit point à demi
De qui l'humilia s'être fait l'ennemi.
Une lettre par moi lui vient d'être adressée ;
J'y dénonce en détail l'espérance insensée
Que Christine a conçue, et j'y demande au roi,
A la cour de Stockholm, un refuge pour moi.
Pour tant de dévouement, le moins qu'il puisse faire
Est de me replacer dans mon ancienne sphère ;
La Gardie est chargé de régler avec lui
Ce que nous demandons tous les deux ; aujourd'hui
Ou demain, je reçois sa réponse peut-être.
                              Paula.
Vous avez oublié qu'on lit dans une lettre
Sans la décacheter. – Vous disiez vrai, l'enjeu
Est important, marquis : votre tête est au jeu.

                              Monaldeschi.
Mes mesures, je crois, ont été trop bien prises
Pour que je me fatigue à craindre des surprises.
Adressée à Christine, une lettre viendra ;
Mais c'est Sentinelli qu'elle dénoncera.
Lors de Fontainebleau je m'éloigne sur l'heure ;
Puis, une fois parti, que Sentinelli meure
Ou vive, peu m'importe !

                              Paula.
                              Et dans quel intérêt
Me mettez-vous, marquis, d'un aussi grand secret ?

                              Monaldeschi.
J'ai besoin de quelqu'un qui d'un mot me comprenne,
Lorsqu'il en sera temps, qui sorte et qui m'amène
Les chevaux qui d'ici me doivent emporter,
Sans que sa longue absence ait droit d'inquiéter ;
Alors nous partirons, et, hors de sa présence
Une fois, mon amour et ma reconnaissance,
Ma Paula, te feront oublier tes tourments.
Tu me retrouveras tel qu'autrefois.

                              Paula, le regardant.
Tu mens !.., N'importe, l'on ne peut trahir sa destinée :
La mienne est à la tienne à jamais enchaînée.
Compte sur moi.

                              Monaldeschi, avec joie.
          Paula, de mes biens la moitié
Est à toi, ma Paula.

                              Paula, le repoussant.
                    Vous me faites pitié.

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