Antony Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer


Scène 3

                              SCENE III

                              Antony, seul.
Ah ! me voilà seul enfin !... Examinons... Ces deux chambres communiquent entre elles... Oui, mais de chaque côte la porte se ferme en dedans... Enfer !... Ce cabinet ?... Aucune issue ! Si je démontais ce verrou ?... On pourrait le voir... Cette croisée ?... Ah ! le balcon sert pour les deux fenêtres... Une véritable terrasse. Il rit. Ah ! c'est bien... Je suis écrasé. Il s'assied. Oh ! comme elle m'a trompé ! je ne la croyais pas si fausse... Pauvre sot, qui te fiais à son sourire, à sa voix émue, et qui, un instant, comme un insensé, t'étais repris au bonheur, et qui avais pris un éclair pour le jour !... Pauvre sot, qui ne sais pas lire dans un sourire, qui ne sais rien deviner dans une voix, et qui, la tenant dans tes bras, ne l'as pas étouffée, afin qu'elle ne fût pas à un autre...Il se lève. Et si elle allait arriver avant que Louis, qu'elle connaît, fût parti avec les chevaux... Malheur !... Non, l'on n'aperçoit pas encore la voiture. Il s'assied. Elle vient, s'applaudissant de m'avoir trompé, et, dans les bras de son mari, elle lui racontera tout ;... elle lui dira que j'étais à ses pieds... oubliant mon nom d'homme et rampant ; elle lui dira qu'elle m'a repoussé ; puis, entre deux baisers, ils riront de l'insensé Antony, d'Antony le bâtard !... Eux rire !... mille démons ! Il frappe la table de son poignard, et le fer y disparaît presque entièrement. Riant. Elle est bonne, la lame de ce poignard ! Se levant et courant à la fenêtre. Louis part enfin... Qu'elle arrive maintenant... Rassemblez donc toutes les facultés de votre être pour aimer ; créez-vous un espoir de bonheur, qui dévolue à jamais tous les autres ; puis venez, l'âme torturée et les yeux en pleurs, vous agenouiller devant une femme ! voilà tout ce que vous en obtiendrez... Dérision et mépris... Oh ! si j'allais devenir fou avant qu'elle arrivât !... Mes pensées se heurtent, ma tête brûle... Où y a-t-il du marbre pour poser mon front ?... Et quand je pense qu'il ne faudrait, pour sortir de l'enfer de cette vie, que la résolution d'un moment, qu'à l'agitation de la frénésie peut succéder en une seconde le repos du néant, que rien ne peut, même la puissance de Dieu, empêcher que cela ne soit, si je le veux... Pourquoi donc ne le voudrais-je pas ?... est-ce un mot qui m'arrête ?... Suicide !... Certes, quand Dieu a fait, des hommes, une loterie au profit de la mort, et qu'il n'a donné à chacun d'eux que la force de supporter une certaine quantité de douleurs, il a dû penser que cet homme succomberait sous le fardeau, alors que le fardeau dépasserait ses forces... Et d'où vient que les malheureux ne pourraient pas rendre malheur pour malheur ?... Cela ne serait pas juste, et Dieu est juste !... Que cela soit donc ; qu'elle souffre et pleure comme j'ai pleuré et souffert !... Elle, pleurer !... elle souffrir, ô mon Dieu !... elle, ma vie, mon âme !... c'est affreux !... Oh ! si elle pleure, que ce soit ma mort du moins... Antony pleuré par Adèle... Oui, mais aux larmes succéderont la tristesse, la mélancolie, l'indifférence... Son coeur se serrera encore de temps en temps, lorsque par hasard on prononcera mon nom devant elle ;... puis on ne le prononcera plus... l'oubli viendra... l'oubli, ce second linceul des morts !... Enfin, elle sera heureuse... Mais pas seule !... un autre partagera son bonheur... Cet autre, dans deux heures, elle sera près de lui... pour la vie entière... et moi, pour la vie entière, je serai loin... Ah ! qu'il ne la revoie jamais !... N'ai-je pas entendu ? Oui, oui... le roulement d'une voiture... La nuit vient... C'est heureux qu'il fasse nuit !... Cette voiture,... c'est la sienne... Oh ! cette fois encore, je me jetterai au-devant de toi, Adèle !... mais ce ne sera pas pour te sauver... Cinq jours sans me voir, et elle me quitte le jour où elle me voit... et, si la voiture m'eût brisé le front contre la muraille, elle eût laissé le corps mutilé à la porte, de peur qu'en entrant chez elle, ce cadavre ne la compromit. Elle approche... Viens, viens, Adèle !... car on t'aime... et on t'attend ici... La voilà... De cette fenêtre, je pourrais la voir... Mais sais-je en la voyant ce que je ferais ?... Oh ! mon coeur, mon coeur... Elle descend... C'est sa voix, sa voix si douce qui disait hier : « A demain, demain, mon ami... » Demain est arrivé, et je suis au rendez-vous... On monte... C'est l'hôtesse.
Il s'assied, avec une tranquillité apparente, sur un meuble près de la porte.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente