Le Bâtard de Mauléon Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre XLIX
Messager.

Il y avait huit jours que Mauléon habitait près de Pennes, chez le comte de Laval, lorsqu'un soir, au moment où il rentrait chargé d'un sac d'or, dûment enregistré par le scribe ducal et l'agent de la dame Tiphaine Raguenel, le bon chevalier se trouvant entre la ville et le château, dans un ravin bordé de haies, aperçut deux hommes d'un étrange aspect et d'une attitude inquiétante.
- Quels sont ces gens ? demanda Agénor à son écuyer.
- Sur mon âme ! on dirait des gens de Castille, s'écria Musaron en regardant de travers un cavalier suivi d'un page, lesquels montaient chacun un petit cheval andalou à tous crins, et, salade en tête, écu sur la poitrine, s'étaient adossés à la haie pour regarder les Français et les interroger au passage.
- En effet, c'est l'armure d'un Espagnol ; et les longues épées fines et plates sentent le Castillan.
- Cela ne vous fait-il pas certain effet, messire ? demanda Musaron.
- Oui, certes...Mais ce cavalier veut me parler, je crois.
- Ou vous prendre votre sac, seigneur. Heureusement, j'ai mon arbalète.
- Laisse en repos ton arbalète ; vois, ni l'un ni l'autre n'a touché à ses armes.
- Senor ! cria l'étranger en espagnol.
- Est-ce à moi que vous parlez ? dit Agénor dans la même langue.
- Oui.
- Que me voulez-vous ?
- Indiquez-moi le chemin du château de Laval, s'il vous plaît, demanda le cavalier avec cette politesse qui distingue l'homme de condition partout, mais le simple Castillan quel qu'il soit.
- J'y vais, senor, dit Agénor, et je puis vous servir de guide ; mais je voue avertis que le seigneur du lieu est absent : il est parti ce matin pour une excursion dans le voisinage.
- Il n'y a personne au château ? dit l'étranger avec un désappointement visible. Quoi ! encore chercher ! murmura-t-il.
- Mais je n'ai pas dit qu'il n'y eût personne, senor.
- Peut-être vous défiez-vous, dit l'étranger en levant la visière de son casque ; car cette visière, ainsi que celle de Mauléon, était baissée, habitude prudente adoptée par tous les voyageurs qui, dans ces temps de défiance et de brigandages, craignaient toujours l'attaque et la trahison.
Mais à peine le Castillan eut-il laissé voir son visage à découvert, que Musaron s'écria :
- Oh ! Jésus !
- Qu'y a-t-il ? fit Agénor surpris.
L'étranger regarda, étonné aussi de cette exclamation.
- Gildaz ! murmura Musaron à l'oreille de son maître.
- Qu'est-ce que Gildaz ? demanda Mauléon du même ton.
- L'homme que nous avons rencontré en voyage, et qui accompagnait madame Maria ! le fils de cette bonne vieille bohémienne qui est venue vous donner le rendez-vous de la chapelle.
- Bonté divine ! fit Agénor saisi d'inquiétude, que viennent-ils faire ici ?
- Nous poursuivre, peut-être.
- De la prudence !
- Oh ! vous savez qu'il n'est pas besoin de me recommander cela.
Pendant ce colloque, le Castillan examinait les deux interlocuteurs, en se reculant peu à peu avec crainte.
- Bah ! que peut nous faire l'Espagne au centre de la France ? dit Agénor rassuré après un instant de réflexion.
- Au fait, quelque nouvelle seulement, dit Musaron.
- Oh ! c'est cela qui me fait frémir. Je crains plus les événements que les hommes. N'importe ! questionnons-le.
- Soyons prudents, au contraire. Si c'étaient des émissaires de Mothril !
- Mais tu te rappelles avoir vu cet homme près de Maria Padilla.
- N'avez-vous pas vu Mothril près de don Frédéric ?
- C'est vrai.
- Soyons donc sur nos gardes, dit Musaron en ramenant sur sa poitrine l'arbalète qui se balançait en bandoulière.
Le Castillan vit le mouvement.
- De quoi vous défiez-vous ? dit-il, nous sommes-nous présentés discourtoisement, ou est-ce la vue de mon visage qui a pu vous déplaire ?
- Non, dit Agénor balbutiant, mais... qu'allez-vous faire au château du sire de Laval ?
- Je veux bien vous le dire, senor, j'ai besoin de rencontrer un chevalier qui loge chez le comte.
Musaron, par les trous de sa visière, décocha un regard parlant à son maître.
- Un chevalier ?... qui se nomme ?...
- Oh ! senor, ne me demandez pas une indiscrétion en échange du service que vous me rendez ; j'aimerais mieux attendre qu'il passât sur cette route un autre voyageur moins curieux.
- C'est vrai, senor, c'est vrai. Je ne vous questionnerai plus.
- J'avais conçu un grand espoir en vous entendant me répondre dans la langue de mon pays.
- Quel espoir ?
- Celui du prompt succès de ma mission.
- Près de ce chevalier ?
- Oui, senor.
- Quel tort cela vous fait-il de le nommer, puisque je vais savoir son nom quand nous arriverons au château ?
- Alors, senor, je serai sous le toit d'un seigneur qui ne souffrira pas qu'on me maltraite.
Musaron eut une heureuse inspiration. Il était toujours brave quand un danger menaçait son maître.
Il leva résolument sa visière et s'approcha du Castillan.
- Vala me Dios ! s'écria celui-ci.
- Eh bien ! Gildaz, bonjour, dit-il.
- Vous êtes l'homme que je cherche ! s'écria le Castillan.
- Et me voici, fit Musaron, dégainant son lourd coutelas.
- Il s'agit bien de cela, dit Gildaz ; ce seigneur est-il votre maître ?
- Quel seigneur et quel maître ?
- Ce chevalier est-il don Agénor de Mauléon ?
- Je le suis, dit Agénor ; voyons ! s'accomplisse mon sort : j'ai hâte de savoir le bien ou le mal.
Gildaz regarda aussitôt le chevalier avec une sorte de défiance.
- Mais si vous me trompez ? dit-il.
Agénor fit un brusque mouvement.
- Ecoutez donc, dit le Castillan, bon messager doit craindre.
- Tu reconnais mon écuyer, drôle !
- Oui, mais je ne connais pas le maître.
- Tu te défies donc de moi, coquin ? cria Musaron furieux.
- Je me défie de toute la terre quand il s'agit de bien faire mon devoir.
- Prends garde, face jaune, que je te corrige ! Mon couteau est pointu.
- Eh ! dit le Castillan, ma rapière aussi... Vous n'êtes pas raisonnable... Moi mort, ma commission sera-t-elle faite ? et vous autres tués, le sera-t- elle davantage ? Allons, s'il vous plaît, doucement jusqu'au manoir de Laval ; que là, sans être prévenu, quelqu'un nomme devant moi le seigneur de Mauléon, et aussitôt j'accomplis l'ordre de ma maîtresse.
Ce mot fit bondir Agénor ; il s'écria :
- Bon écuyer, tu as raison, nous avions tort ; tu viens à moi de la part de dona Maria, peut-être ?
- Vous le saurez tout à l'heure, si vous êtes bien don Agénor de Mauléon, dit le Castillan opiniâtre.
- Viens donc ! s'écria le jeune homme avec la fièvre de l'impatience, viens... les tours du château sont là-bas, viens vite !... Tu auras toute satisfaction, bon écuyer...
- Piquons, Musaron, piquons !
- Laissez-moi passer devant, alors, dit Gildaz, je vous en prie.
- Comme tu voudras ; va, mais, va vite.
Et les quatre cavaliers hâtèrent le pas de leurs montures.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente