Le Bâtard de Mauléon Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre XXXIII
Comment Musaron trouva une grotte, et ce qu'il trouva dans cette grotte.

Comme l'avait dit Musaron, les voyageurs en avaient encore pour une heure de jour à peu près, et les derniers rayons de soleil purent guider leur marche ; mais du moment où le reflet de sa flamme pâlissante eut abandonné le plus haut pic de la sierra, la nuit commença d'arriver à son tour, avec une rapidité d'autant plus effrayante que, pendant cette dernière heure de jour, Musaron et son maître avaient pu remarquer combien était escarpé, et par conséquent dangereux, le chemin qu'ils suivaient.
Aussi, après un quart d'heure de marche au milieu de cette obscurité, Musaron s'arrêta-t-il tout court.
- Oh ! oh ! seigneur Agénor, dit-il, le chemin devient de plus en plus mauvais, ou plutôt il n'y a plus de chemin du tout. Nous nous tuerons infailliblement, seigneur, si vous exigez que nous allions plus loin.
- Diable ! fit Agénor. Je ne suis pas difficile, tu le sais ; cependant le gîte me paraît un peu champêtre. Voyons si nous pouvons aller plus avant.
- Impossible ! Nous sommes sur une espèce de plate-forme qui domine le précipice de tous côtés ; arrêtons-nous ici, ou plutôt faisons-y une simple halte, et rapportez-vous en à mon habitude des montagnes pour vous trouver un endroit où passer la nuit.
- Vois-tu encore quelque bonne fumée bien grasse ? demanda Agénor en souriant.
- Non, mais je flaire une jolie grotte avec des rideaux de lierre et des parois de mousse.
- D'où nous aurons à chasser tout un monde de hiboux, de lézards et de serpents.
- Ma foi ! qu'à cela ne tienne, monseigneur ! A l'heure où nous sommes et dans l'endroit où nous nous trouvons, ce n'est pas tout ce qui vole, gratte ou rampe qui m'effraie : c'est ce qui marche. D'ailleurs, vous n'êtes pas assez superstitieux pour avoir peur des hiboux, et je ne crois pas que les lézards ou les couleuvres aient beaucoup à mordre sur vos jambes de fer.
- Soit, dit Agénor, arrêtons-nous donc.
Musaron mit pied à terre et passa la bride de son cheval à une roche, tandis que son maître, debout sur sa monture, attendait, pareil à la statue équestre du courage froid et tranquille.
Pendant ce temps, l'écuyer, avec cet instinct dont la bonne volonté décuple la puissance, se mit à explorer les environs.
Un quart d'heure ne s'était pas écoulé qu'il revint l'épée nue et l'air vainqueur.
- Par ici, seigneur, par ici, dit-il, venez voir notre alcazar.
- Que diable as-tu donc ? demanda le chevalier, tu me sembles tout trempé.
- J'ai, monseigneur, que je me suis battu contre une forêt de lianes, qui me voulait faire prisonnier ; mais j'ai tant frappé d'estoc et de taille, qua je me suis ouvert un passage. Alors, toutes les feuilles humides de rosée ont plu sur ma tête. Il y a eu en même temps sortie d'une douzaine de chauve-souris, et la place s'est rendue. Figurez-vous une galerie admirable dont le sol est de sable fin.
- Ah ! vraiment, dit Agénor, tout en suivant son écuyer, mais tout en doutant quelque peu de ses belles paroles.
Agénor avait tort de douter. A peine avait-il fait cent pas dans une pente assez rapide, qu'à un endroit où le chemin semblait fermé par un mur, il commença de sentir sous ses pieds une jonchée de feuilles fraîches, un abattis de petites branches, résultat du carnage fait par Musaron ; tandis que çà et là passaient invisibles, se révélant seulement par l'air qu'envoyait au visage du chevalier le battement silencieux de leurs ailes, de grandes chauves-souris, impatientes de reprendre possession de leur demeure.
- Oh ! dit Agénor, c'est la caverne de l'enchanteur Maugis !
- Découverte par moi, monseigneur, et par moi le premier. Du diable si jamais homme a eu l'idée de mettre les pieds ici ! Ces lianes datent du commencement du monde.
- Fort bien, dit Agénor en riant ; mais si cette grotte est inconnue des hommes....
- Oh ! j'en réponds.
- Pourrais-tu en dire autant des loups ?
- Oh ! oh ! fit Musaron.
- De quelques petits ours roux, – de la race montagnarde, tu sais, – comme on en trouve dans les Pyrénées !
- Diable !
- Ou de ces chats sauvages qui ouvrent la gorge des voyageurs endormis pour leur sucer le sang.
- Monsieur, savez-vous ce qu'il faudra faire ? l'un de nous veillera pendant le sommeil de l'autre.
- Ce sera prudent.
- Maintenant, vous n'avez rien autre chose contre la caverne de Maugis ?
- Absolument rien ; je la trouve même assez agréable.
- Eh bien donc, entrons, dit Musaron.
- Entrons, dit Agénor.
Tous deux descendirent de cheval et entrèrent avec précaution en tâtonnant, le chevalier du bout de la lance, l'écuyer du bout de l'épée. Après avoir fait une vingtaine de pas, ils rencontrèrent un mur solide, impénétrable, qui semblait formé par le rocher lui-même, sans cavité apparente, sans retraite pour les animaux nuisibles.
Cette caverne était divisée en deux parties : on entrait d'abord sous une espèce de porche ; puis ensuite on pénétrait dans la seconde excavation, qui, après une espèce de porte franchie, reprenait toute sa hauteur.
C'était évidement une de ces grottes qui, dans les premiers temps du christianisme, furent habités par quelqu'un des pieux solitaires qui avaient choisi le chemin de la retraite pour les conduire au ciel.
- Dieu soit loué ! dit Musaron, notre chambre à coucher est sûre.
- En ce cas fais entrer les chevaux à l'écurie, et mets la nappe, dit Agénor ; j'ai faim.
Musaron fit, en effet, entrer les deux chevaux dans ce que son maître appelait l'écurie : c'était le porche de la grotte.
Puis ce soin rempli, il passa aux préparatifs plus importants du souper.
- Que dis-tu ? demanda Agénor, qui l'entendait grommeler tout en exécutant les ordres qu'il venait de recevoir.
- Je dis, monsieur, que je suis un grand sot d'avoir oublié de la cire pour nous éclairer. Heureusement que nous pouvons faire du feu.
- Y penses-tu, Musaron ? faire du feu ?
- Le feu éloigne les animaux féroces, c'est un axiome dont j'ai plus d'une fois eu l'occasion de reconnaître la justesse.
- Oui, mais il attire les hommes, et dans ce moment, je te l'avoue, je redoute plus l'attaque de quelque bande anglaise ou moresque que celle d'un troupeau de loups.
- Mordieu ! dit Musaron ; c'est triste cependant, monsieur, de manger de si bonnes choses sans les voir.
- Bah ! bah ! dit Agénor, ventre affamé n'a pas d'oreilles, c'est vrai, mais il a des yeux.
Musaron, toujours docile quand on savait le persuader ou quand on faisait ce qu'il désirait, reconnut cette fois la solidité des raisons de son maître et alla dresser le repas à la porte de la seconde caverne, afin qu'une dernière lueur du dehors pût pénétrer jusqu'à eux.
Ils commencèrent donc leur repas aussitôt après que les chevaux eurent reçu la permission de plonger la tête dans le sac d'avoine que Musaron portait en croupe.
Agénor, homme jeune et vigoureux, entama les provisions avec une énergie dont rougirait peut-être un amoureux de nos jours, tandis qu'on entendait l'accompagnement enthousiaste de Musaron qui, sous prétexte toujours qu'on n'y voyait pas, croquait les os avec la chair.
Tout à coup le motif continua du côté d'Agénor, mais l'accompagnement cessa du côté de Musaron.
- Eh bien ! qu'y a-t-il ? demanda le chevalier.
- Seigneur, j'avais cru entendre, reprit Musaron, mais sans doute je me trompais... Ce n'est rien.
Et il se remit à manger.
Mais bientôt il s'interrompit encore, et comme il tournait le dos à l'ouverture, Agénor put remarquer son immobilité.
- Ah ! çà, dit Agénor, deviens-tu fou ?
- Non pas, senor ; pas plus que je ne deviens sourd. J'entends, vous dis-je, j'entends.
- Bah ! tu rêves, reprit le jeune homme ; c'est quelque chauve-souris oubliée qui bat les murs.
- Eh bien ! dit Musaron en baissant la voix de manière à ce que son maître lui-même l'entendit à peine ; non seulement j'entends, mais je vois.
- Tu vois !...
- Oui ; et si vous voulez vous retourner, vous verrez vous-même.
L'invitation était si positive, qu'Agénor se retourna vivement.
En effet, au milieu du fond obscur de la caverne, scintillait une raie lumineuse ; une lumière, produite par une flamme quelconque, pénétrait dans la grotte à travers la gerçure du roc.
Le phénomène était assez effrayant pour quiconque n'y eût pas appliqué à l'instant même la réflexion.
- Si nous n'avons pas de lumière, dit Musaron, ils en ont, eux.
- Qui, eux ?
- Dame ! nos voisins.
- Tu crois donc ta grotte solitaire habitée ?
- Je ne vous ai répondu que de celle-ci, mais pas de la grotte voisine.
- Voyons, explique-toi.
- Comprenez-vous, monseigneur ? nous sommes sur la crête d'une montagne, ou à peu près ; toute montagne a deux versants.
- Très bien !
- Suivez mon raisonnement ; cette grotte a deux entrées. Un hasard a produit la séparation mal jointe que nous voyons. Nous avons pénétré dans la grotte par l'entrée occidentale, eux par l'entrée orientale.
- Mais enfin, qui, eux ?
- Je n'en sais rien. Nous allons voir, monseigneur ; vous aviez raison de ne pas vouloir que je fisse du feu. Je crois que Votre Seigneurie est aussi prudente que brave, ce qui n'est pas peu dire. Mais voyons.
- Voyons ! dit Agénor.
Et tous deux s'avancèrent, non sans un certain battement de coeur, dans les profondeurs du souterrain.
Musaron marchait le premier ; il arriva le premier, et le premier appliqua son oeil à la fente qui divisait la froide paroi du roc.
- Regardez ! dit-il à voix basse, cela en vaut la peine.
Agénor regarda à son tour et tressaillit.
- Hein ! dit Musaron.
- Chut ! fit à son tour Agénor.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente