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Chapitre IX
Récit de Gamba

Julius fut exact au souper de lord Drummond. à onze heures moins un quart, il entrait, avec Samuel, dans les vastes et splendides salons de l'hôtel de la rue de la Ferme-des-Mathurins.
Il allait donc entendre encore la voix, voir enfin le visage de cette cantatrice inconnue qui avait remué si profondément et si douloureusement les souvenirs du passé endormi dans les fibres de son cœur. La réflexion lui disait bien que la chanteuse ne pouvait pas être celle qui avait emporté son amour, son bonheur et sa jeunesse dans l'abîme d'Eberbach. Une vague et lointaine ressemblance dans la voix, voilà tout ce qu'il y avait de commun entre cette femme et Christiane. Mais il y avait si longtemps que Julius n'avait tressailli et qu'il ne s'était senti vivre, jusqu'à cette soirée où les deux spectres d'autrefois, son mauvais génie et son bon ange, lui étaient apparus ensemble ! Quant à Samuel, il ne s'était pas trompé, c'était bien lui en chair et en os. Et c'était sans doute cette brusque apparition de Samuel qui l'avait prédisposé à l'émotion que lui avait causée la voix masquée. Voyant revenir la moitié de sa jeunesse, son imagination avait trouvé tout simple que l'autre revînt aussi.
Son rêve, depuis le bal de la duchesse de Berry, était d'entendre de nouveau cette voix sympathique et troublante, de voir sortir du masque cette tête sans doute charmante et belle. Aussi avait-il reçu à merveille lord Drummond, lorsque celui-ci, amené par Samuel, était venu l'inviter. La connaissance avait été bientôt faite.
Outre l'espèce de solidarité et d'intimité de famille de l'aristocratie européenne, lord Drummond avait pour Julius l'immense mérite de connaître la chanteuse.
Julius avait accepté sans cérémonie l'invitation pour le lendemain même. Ce devait être un dîner : mais c'était justement le jour de réception à l'ambassade. Samuel avait alors proposé de substituer un souper au dîner. Le comte d'Eberbach échapperait à ses hôtes à dix heures et demie.
Julius avait mieux aimé cela que de retarder de vingt-quatre heures le moment qui l'attirait, et le rendez-vous avait été fixé à onze heures.
Julius, nous l'avons dit, devança l'heure. Quand il entra dans le salon de lord Drummond, il jeta autour de lui un coup d'œil avide.
Elle n'était pas encore arrivée.
Lord Drummond vint à Julius et lui présenta les cinq ou six convives arrivés avant lui.
Il y avait deux lords, un duc espagnol et trois Français, aussi peu nobles que possible, mais à qui le prestige de la cause populaire et libérale qu'ils défendaient alors prêtait un certain éclat. C'étaient un banquier bruyamment mêlé à la politique, un député grave et sonore de l'opposition, et un petit avocat de province qui publiait alors, avec un énorme succès, une très médiocre Histoire de la Révolution
En les observant et en les écoutant, Julius trouva moyen de dissimuler l'émotion que lui causait l'attente de la signora Olympia.
Samuel, lui, en entrant, avait salué les trois Français comme des connaissances avec ce respect demi-ironique et cette humilité dédaigneuse d'un homme supérieur dans une position inférieure.
- Nous n'attendons plus que la signora Olympia et son frère, dit lord Drummond.
à ce moment, la porte s'ouvrit, et un valet annonça :
- Monsieur Gamba.
Julius regarda avec anxiété du côté de la porte.
Mais, Gamba entré, la porte se referma.
- Il était seul.
Gamba essaya de saluer. La difficulté, pour lui, ne fut pas de se plier, au contraire, sa souple échine ne s'y prêta que trop, et ce fut, en propres termes, un salut jusqu'à terre. Mais ce qui, dans ces saluts, était toujours pénible au pauvre Gamba, c'était de résister à cette admirable occasion de passer lestement sa tête entre ses jambes, de tourner sur ses mains et de se retrouver debout, ferme et droit, après avoir fait la roue. Disons-le à son éternelle louange, il eut l'héroïsme de surmonter cette démangeaison invitante et de remonter piteusement et directement à la position perpendiculaire. Il fit ce sacrifice aux salons.
- Et la signora Olympia ? demanda lord Drummond.
- Ne va-t-elle pas venir ? ajouta involontairement Julius.
- Si fait ! elle va venir, messieurs, dit Gamba, fort à l'aise et dégagé dans cette honorable compagnie. Elle m'a envoyé devant pour demander pardon à ces messieurs de les faire attendre. Oh ! nous pouvons nous asseoir ; nous avons une grande demi-heure devant nous. Elle n'est pas prête parce qu'elle s'est attardée à déchiffrer je ne sais quelle musique diabolique de je ne sais quel Allemand inconnu. Et quand elle fait de la musique, voyez-vous, c'est comme moi quand je fais...
Ici, Gamba s'interrompit, sentant que ce n'était pas le moment de s'étendre longuement sur la beauté et la difficulté de la pyramide humaine.
Mais Samuel ne fut pas, sans doute, de cet avis, car il pria Gamba d'achever sa phrase.
- C'est comme vous quand vous faites quoi ? reprit-il.
- Oh ! rien, s'empressa de dire lord Drummond. Des choses qui ne nous intéressent guère, je vous jure.
- M. Gamba a donc son art aussi ? insista Samuel, voulant à toute force le faire parler.
Gamba regarda malicieusement tour à tour Samuel et lord Drummond.
- Art, industrie, manie, comme il vous plaira de l'appeler, reprit-il, bien que, à tout prendre, se tenir en équilibre sur la corde raide ne me paraisse pas un exercice moins élevé que de filer une roulade, et bien que je ne voie pas ce qu'il y a de plus noble à faire des tours de force avec le gosier qu'à en faire avec les reins.
Lord Drummond était au supplice.
- Vous auriez été danseur ? interrogea Samuel.
- De corde ! répondit fièrement Gamba. Mais, ajouta-t-il, ne parlons pas de cela, car j'en parlerais trop, et je contrarierais peut-être lord Drummond. Une fois lancé sur le tremplin de mes chers souvenirs, je serais capable de ne plus pouvoir m'arrêter en route, et je vous raconterais toute mon histoire et celle de ma sœur.
- Parlez ! s'écria Julius.
- Allons ! puisque vous parlez à des gens d'esprit, parlez donc, étourdi bavard ! reprit lord Drummond.
- Ne m'en défiez pas, dit Gamba. Quand je repense aux jours écoulés, à la vie en plein air, à l'admiration de tous les fainéants des places publiques, il me semble que mon cœur recommence à battre. Ah ! le soleil d'Italie ; ah ! la population des carrefours ; ah ! les rayons d'or sur les paillettes d'argent ! voilà ce qui s'appelle exister ! Mais si vous êtes curieux de mon passé ou de celui de ma sœur, elle vous le racontera mieux que moi tout à l'heure, pourvu qu'elle s'arrache à sa musique ; car elle a la rage des notes, je ne dis pas depuis l'âge de raison, mais depuis qu'elle a recouvré la raison.
- Comment ! elle l'avait donc perdue ? demanda Samuel.
Les fauteuils se rapprochèrent, et les convives se pressèrent curieusement autour de Gamba. Tous, et surtout Julius et Samuel, étaient avides de détails sur la vie de la célèbre cantatrice.
- Oh ! dit Gamba, heureux d'avoir, par ses habiles et audacieuses préparations, amorcé son auditoire, je puis bien le dire maintenant, mais ma pauvre sœur a été longtemps idiote. Son esprit n'était pas encore venu, ou bien il se cachait. Elle était nonchalante, rêveuse, indifférente à tout ; elle vivait en elle-même. Il est vrai que la manière dont notre père la traitait ne l'encourageait pas prodigieusement à l'expansion. Mon père était un homme d'une grande distinction parmi les polichinelles, il avait la parole brève et le geste prolixe ; sa phraséologie écourtée s'allongeait volontiers en coups de poing. J'ai conservé une assez grande vénération de ses sauts de carpe pour avoir le droit de confesser qu'il était brutal. Pour moi, le saut de carpe excuse, et je le remercie des coups de pied dont il m'a nourri. C'est à eux que je dois les progrès que j'ai faits dans cette noble science de l'acrobatie qui m'est, hélas ! si inutile maintenant.
Tout en parlant, Gamba s'était assis sur une chaise. Instinctivement, il avait relevé ses jambes et les avait croisées sous lui à la façon des Turcs et des tailleurs.
- Mon père, donc, continua-t-il, ravi de l'attention qu'on lui accordait, mon père était un zingaro, un bohème, un de ces hommes libres qui vont d'un pays à l'autre, qui ne sont pas enracinés végétalement dans un lieu, et qui prennent toutes les villes comme maîtresses au lieu d'en prendre une comme femme. Il disait la bonne aventure et montrait les marionnettes. Il parcourait toute l'Europe, surtout l'Italie. Il mélangeait trois métiers : danseur, chanteur et sorcier. Mais ce qu'il préférait, c'était la sorcellerie. C'était sa faiblesse. Je ne dis pas de mal des sorciers, je les respecte, mais je ne conçois pas qu'on préfère la carte à la corde. Moi, je préférais la corde. Olympia, elle, ne préférait rien du tout. Elle n'avait de goût à rien. Quand on lui disait de danser, elle pleurait. Alors mon père la battait. Moi, je prenais le parti de ma sœur parce qu'elle était toute petite. Alors mon père me battait aussi. Au reste, ne croyez pas que mon père fût méchant. C'était le meilleur homme de la terre. Le père de lord Drummond l'a connu.
- Ah ! votre père, milord, a connu le père de la signora Olympia ? demanda Julius.
- Oui, dit lord Drummond. Mon père voyageait, il y a quelque vingt ans, dans cette morne et désolée campagne de Rome, quand il fut attaqué la nuit par trois brigands très convenablement armés. Un d'eux avait jeté le postillon à bas de son cheval, et mon père, à moitié endormi, était seul contre les deux autres, quand un zingaro accourut et se précipita intrépidement sur les deux misérables qui, effrayés de ce secours inattendu, prirent la fuite. Ce courageux auxiliaire avait deux enfants, il signor Gamba, ici présent, et sa sœur, qui fut depuis notre divine Olympia. Mon père ne quitta son sauveur qu'après lui avoir fait promettre de lui donner de ses nouvelles. Mais le zingaro mourut peu de jours après, et mon père ne put retrouver sa trace ni celle de ses enfants. J'étais tout jeune homme, alors. Mon père me parlait très souvent de cette rencontre, me chargeant de payer sa dette s'il mourait avant d'avoir pu s'acquitter. C'est pourquoi, lorsque j'ai retrouvé plus tard les enfants du sauveur de mon père, je leur ai voué une amitié et un dévouement de frère.
Julius évidement ne pouvait conserver aucune illusion. Pourquoi donc soupira-t-il en entendant lord Drummond s'exprimer avec cette netteté sur les premières années d'Olympia ?
Pour Samuel, il regardait fixement Gamba, et paraissait épier si rien dans sa physionomie ne contredisait la sincérité de l'histoire. Mais nous devons dire, à l'éloge de la véracité de Gamba, que pas un pli, si imperceptible qu'il fût, ne dénonçait dans son visage la moquerie sournoise d'un homme qui abuse et raille son auditoire.
Il parlait de l'air le plus placide et le plus candide du monde, mêlant seulement à son récit une pantomime hasardée, changeant par instant de siège, et ne s'apercevant pas qu'il quittait sa chaise pour sauter à cheval sur un bras de fauteuil.
- Et, votre père mort, demanda Samuel, que devîntes-vous ?
- Naturellement, dit Gamba, je me chargeai de ma sœur, et je me fis en quelque sorte son père, moins les coups. Nous avions une petite carriole d'osier, attelée d'une pauvre haridelle, dans laquelle je la traînais de bourg en ville. Nous avons ainsi visité l'Allemagne du temps de l'empire. Mais il faut que vous sachiez que j'ai une infirmité. Pour attrouper les passants devant mes tours de force, il était nécessaire de faire du bruit, de jouer d'une trompette ou d'un tambour quelconque. N'ayant pas le sou alors, j'avais l'habitude d'employer le plus économique de tous les instruments : la voix humaine. Je chantais. J'appelle cela chant, faute d'un autre mot pour caractériser un mélange harmonieux de glapissements, de miaulements et d'aboiements. Mais le mal n'est pas là. L'inconvénient est que, dès que j'entre dans un pays, je perds aussitôt la mémoire de toutes les nombreuses chansons que je sais pour ne plus me rappeler que les airs interdits par la police de ce pays. Ainsi, depuis que je suis en France, toutes sortes de refrains séditieux, comme la Marseillaise ou le Chant du départ, me montent aux lèvres malgré moi, et, sans le respect qui me retient, je suis sûr que dans ce moment même je m'échapperais à chanter :
Allons, enfants de la patrie,
Le jour de gloire est arrivé !...
Gamba, qui entonnait à pleine voix l'hymne révolutionnaire, s'interrompit tout à coup, honteux de son escapade. Tous se mirent à rire.
- Vous voyez, dit-il, c'est plus fort que moi. Eh bien ! un jour, à Mayence, je chantais une chanson contre Napoléon. Au second couplet, le violon faisait le refrain. Autrement dit, et sans jeu de mots vil, on m'interceptait dans la citadelle. Heureusement, j'avais un autre talent que la musique. Le chanteur fut délivré par l'acrobate. Je me sauvai comme un chat par-dessus les toits de la prison ; je rejoignis ma sœur, et nous fûmes bientôt hors de la portée de la police impériale. Voilà, monsieur le comte, dit Gamba, s'adressant à Julius, le souvenir que j'ai rapporté de votre patrie ; il est pénible.
- Et depuis, demanda Julius, vous avez vécu avec votre sœur en Italie ?
- Oui, Excellence ; et c'est seulement sur cette terre bénie qu'Olympia a recouvré sa raison et son âme. La miraculeuse guérison s'est accomplie un jour de Pâques à la chapelle Sixtine. La musique, porte ouverte sur l'autre monde, l'a fait rentrer dans celui-ci. En entendant ces psaumes divins, elle pleura de joie et elle fut sauvée. Marcello fut son premier médecin, Cimarosa le second.
» Quand je vis l'effet de révélation, de résurrection produit sur cette pauvre et grande intelligence par l'harmonie des instruments et des voix, je dépensai toutes mes économies à conduire presque chaque soir Olympia aux théâtres d'Argentina et d'Alberti. Elle retenait tout de suite tous les airs et les chantait elle-même, puis riait ou pleurait, selon son humeur ou sa mélodie. Dès lors, elle avait un bonheur, un rêve, un amour. Elle avait la vie. Et quelle belle et bonne âme, messieurs, avait grandi sous son apparente déraison !
» Dans les premiers temps, je fus bien heureux. Nous gagnions notre pain sans peine dans les rues, moi dansant et sautant, elle chantant pour m'éviter toute velléité d'opposition aux gouvernements établis. Elle était vite devenue la prima donna du peuple, la diva des faubourgs. Tous l'aimaient et la respectaient, et moi, je n'enviais sous le soleil ni empereur ni pape, lorsqu'un événement soudain vint bouleverser toute notre existence et nous précipiter dans la richesse. »
- Quel événement ? demanda-t-on.
Gamba reprit tristement.
- C'était à Naples. Olympia venait de chanter une complainte populaire, aux chauds applaudissements d'un vrai parterre de dilettanti en haillons. Un homme beaucoup mieux mis, certes, que notre public ordinaire, et qui s'était arrêté dans le cercle formé autour d'elle, nous aborda quand la foule se fut écoulée, et demanda à Olympia combien elle gagnait par an.
» Elle lui répondit qu'elle gagnait ce qu'il lui fallait pour manger.
» - Voulez-vous gagner plus de ducats que vous ne gagnez de baïoques ? reprit-il.
» Elle regarda d'un air hautain, car elle a toujours été fière et d'une chasteté inabordable.
» - à quoi faire ? dit-elle.
» - à faire ce que vous faites.
» - à chanter ?
» - Rien qu'à chanter. Je suis le directeur du théâtre de San-Carlo. Vous avez une voix admirable, je vous donnerai des maîtres, et vous serez riche.
» La pensée de paraître sur un théâtre, d'être applaudie, de connaître et de chanter cette belle musique qu'elle aimait tant ravit Olympia. Le directeur lui fit un long traité et lui donna des maîtres, de belles robes, beaucoup d'argent qu'elle partagea avec moi, un palais que j'habitai avec elle. C'est de ce jour que datent tous mes soucis. »
Gamba, qui avait d'abord parlé avec une volubilité joyeuse et frétillante, prenait maintenant une mine et un accent de plus en plus mornes. Signe de consternation énorme ! il retourna la chaise où il s'était assis à contre-sens, les jambes écartées et le dossier dans l'estomac, et il s'assit à la mode vulgaire, le dos appuyé au dossier.
- L'opulence me perdit, poursuivit-il piteusement. Par une complète inintelligence de la valeur respective des professions humaines, le directeur de San-Carlo prétendit que cela ferait du tort au prestige de ma sœur si elle avait un frère saltimbanque sur les places publiques. Hélas ! il me donna des sommes considérables pour renoncer à la corde raide et à la force du poignet. Je cédai, non pour l'argent, qui m'était bien égal et qu'Olympia dépensait en charités, mais pour ma sœur, qui embellissait, rayonnait et fleurissait depuis qu'elle nageait en pleine musique. Elle avait alors dix-huit ans. En deux ans, elle eut achevé les études nécessaires, et elle débuta dans Tancredi. Hélas ! hélas ! dire le succès qu'elle eut, c'est inutile pour ceux qui connaissent Naples et la fureur des admirations. La manière simple et large d'Olympia, sa voix charmante et puissante, non pas une voix d'un seul timbre, d'un seul metallo, mais qui comprend tous les registres, le mezzo-soprano le plus inouï, et, avec cela, sa passion, son jeu, sa beauté, tout contribua à produire une ovation frénétique qui dépassa tous les triomphes connus, et dont on n'avait jamais eu idée, même à San-Carlo. Ce fut un succès d'enthousiasme, et qui alla, comme nous disons chez nous, jusqu'aux étoiles. Hélas ! hélas ! Dès lors, applaudissements, fête, gloire, richesse, rien ne nous a manqué.
Gamba était devenu tout à fait lugubre.
- Au moins, ajouta-t-il, comme pour se consoler, elle est heureuse, elle. Moi, je n'existe plus ; je ne suis plus que l'ombre du Gamba alerte et sautillant des temps disparus ; j'ai sacrifié mon art à celui de ma sœur. Mais elle, elle a tout ce qu'elle désire. Indifférente et farouche à ce qui charme les femmes ordinaires, cette fière rebelle à l'amour des hommes a réfugié tout son cœur, toute son âme, toute sa vie dans l'amour de l'art. Elle adore la musique et n'est sensible que par là. Eh bien ! de ce côté, elle a tout ce qu'on peut avoir. Elle est riche, applaudie, illustre ; cela me console un peu de ne plus faire la roue, et remplace pour mon cœur, sinon pour ma vie, les délices des souplesses du corps.
Au moment où Gamba achevait cette plainte trop sentie et trop dévouée pour ne pas être touchante, la porte du salon s'ouvrit, et un valet annonça :
- La signora Olympia.
Tous les yeux se tournèrent vers la porte. Lord Drummond courut à la rencontre de la cantatrice.
Malgré la vraisemblance irrécusable du récit de Gamba, le comte d'Eberbach ne put s'empêcher de ressentir au cœur une étrange commotion.
Samuel était immobile, et pas un muscle ne bougeait à son visage ; mais ses yeux étaient plus fixes et plus sombres que jamais.
Olympia entra au bras de lord Drummond.


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