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Chapitre XXVI
Difficulté de donner

Trois mois après la scène que nous venons de raconter, c'est-à-dire au commencement d'août 1829, le comte d'Eberbach, à demi étendu sur une chaise longue, causait avec Frédérique, en ce moment seule dans sa chambre.
Les rideaux épais et fermés laissaient filtrer çà et là quelques minces filets du soleil d'août, qu'on sentait chaud et brûlant au dehors.
Ainsi que l'avait prédit Samuel Gelb et les médecins appelés en consultation, la convalescence de Julius avait été longue, si longue, qu'au bout de trois mois elle durait encore.
Julius commençait pourtant à se lever. Mais il était si faible et si abattu, qu'il n'avait pu sortir encore que deux fois en voiture, et qu'on avait même été forcé de le ramener presque aussitôt, incapable qu'il était de supporter la secousse du pavé et le bruit de la rue. C'est à peine s'il pouvait rester debout quelques instants. Il n'était pas plus tôt levé, qu'il ressentait le besoin de son lit.
Samuel lui interdisait sévèrement tous les excitants qui, pour lui ajouter une force factice, avaient achevé de lui ôter tout ce qui lui restait de force réelle. Julius obéissait aux prescriptions de Samuel. Car maintenant, soit qu'en voyant la mort de près il se fût mis à la craindre, soit que quelque affection, en renouvelant son âme, l'eût rattaché à l'existence, le fait est qu'il tenait à la vie, et qu'il faisait tout pour vivre.
Il avait, lui auparavant si désireux du tombeau, des moments d'impatience et de colère contre cette invincible langueur qui le clouait sur un fauteuil de convalescent, et qui faisait de sa chambre une ébauche de tombe.
Et ni lui ni Samuel ne pouvait prévoir l'instant où il pourrait surmonter cette étrange faiblesse.
Une seule chose lui donnait du courage : la présence de Frédérique. Car, pour Lothario, hélas ! il était absent encore, et ses lettres, depuis trois mois, remettaient son retour de semaine en semaine.
Mais, pendant ces trois mois qui venaient de s'écouler, les soins touchants et le dévouement filial de la blonde jeune fille ne s'étaient pas démentis une seule minute. Pour remplacer Lothario, elle s'était doublée. C'était quelque chose de charmant que cette fraîche et vivace figure se prodiguant à ce jeune vieillard pâli et mourant, que cette fontaine de vie se répandant à profusion sur cette organisation tarie plus qu'à moitié, que toute cette jeunesse mettant dans cette chambre plus de vie et de santé que la maladie ne pouvait en prendre.
Chaque jour, des côtés non développés encore de l'âme de Frédérique se révélaient aux yeux ravis de Julius. Comprimée jusque-là par l'amère et sévère ironie de Samuel, la candide et croyante créature s'épanouissait mieux auprès de la bonté tendre et un peu faible du comte d'Eberbach. Elle pouvait mettre dans son affection pour lui cette protection qu'aiment tant les femmes. Elle lui prêtait son bras pour marcher, elle lui faisait la lecture ; il ne mangeait avec appétit que ce qu'elle lui servait. Elle se sentait nécessaire ! privilège dont les mauvais cœurs abusent pour se vendre plus cher, et dont les bons profitent pour se donner davantage.
Ce jour-là, comme les autres, Frédérique était auprès du comte d'Eberbach, attentive à ses moindres désirs, arrangeant ses oreillers et ses coussins, épiant ses besoins dans ses yeux.
- Sortirez-vous aujourd'hui, monsieur le comte ? demanda la jeune fille.
- Si j'en ai la force, répondit Julius ; mais j'attendrai que la chaleur du jour soit un peu apaisée ; car ce soleil est lourd à porter. Mais soyez tranquille, ma chère Frédérique, je sens que je reprends au fond. Toutes vos peines auront un terme. Vous êtes si gracieusement bonne pour moi que je serais bien ingrat de ne pas guérir tout à fait et tout de suite.
- Voulez-vous que je vous lise quelque chose ? vous ennuyez-vous ?
- Je ne m'ennuie jamais quand vous êtes là, Frédérique. Je ne m'étonne plus de m'être ennuyé si longtemps. C'est que je ne vous connaissais pas. Mais, si vous avez cette complaisance, continuez-moi la lecture que vous m'avez commencée hier. J'ai toujours eu le goût des poètes, mais il me semble que je ne les comprends complètement que depuis que vous me les lisez.
Frédérique alla prendre un volume de Goethe qui était sur une table, et revint s'asseoir auprès du comte d'Eberbach.
Elle ouvrit le livre et allait se mettre à lire, lorsque Samuel entra.
Il avait à la main une petite fiole qu'il déposa sur la cheminée.
- Ah ! te voilà, dit Julius.
- Oui, dit Samuel. Et je t'apporte une nouvelle.
- Une nouvelle qui me concerne ?
- Une nouvelle qui concerne tout le monde.
- Qu'est-ce donc ?
- Le ministère Martignac est décidément tombé. Le ministère Polignac le remplace. La nomination paraîtra demain au Moniteur.
- Ce n'est que cela, ta nouvelle ? dit Julius, en apparence indifférent.
- Diable ! s'il t'en faut d'autres, tu es difficile. C'est tout simplement la guerre qui commence. La provocation part du roi, tant pis pour lui ! Vois-tu, cette nomination sera datée du 8 août 1829. Eh bien ! sans être un grand sorcier, je te parie que le 8 août 1830, Charles X ne sera plus sur le trône. La destitution du ministère de Martignac, c'est la démission de la royauté.
- Qu'est-ce que cela me fait ? répondit Julius. Je ne me soucie plus de la politique. J'ai à te parler de choses bien autrement sérieuses.
Frédérique se leva.
- Je vous laisse, dit-elle.
- Oui, permettez-moi de vous renvoyer, ma chère fille, dit Julius en souriant. J'ai à causer avec Samuel de choses qui vous regardent trop pour que vous puissiez les entendre. Mais vous pouvez sortir sans regret, vous ne serez pas absente de notre entretien, croyez-moi.
Frédérique sortie, Samuel déboucha la fiole qu'il avait apportée, la vida dans un verre, et vint à Julius.
- Bois, dit-il.
Julius prit le verre.
- Qu'est-ce donc, demanda-t-il, que cet étrange élixir que tu me fais prendre depuis quelques jours, et qui glace, ce me semble, dans mes veines, le peu de chaleur que mon sang y conserve encore ?
- Bois, te dis-je, enfant qui rechignes devant une médecine à prendre. Ton sang brûlé a besoin que je le refroidisse ; il ne peut retrouver un peu d'animation que dans l'engourdissement, comme après une nuit d'orgie on se refait dans le sommeil. Ceci est le suc d'une plante que j'ai découverte dans l'Inde. C'est une préparation d'une puissance incroyable. Ce breuvage conserve le sang dans cette sorte de glace. Mais, que diable ! tu n'as pas besoin d'être fringant et jeune ! Pourvu que tu vives ! Tu n'exiges pas que je te rende tes vingt ans ; je te promets de t'en ajouter une douzaine.
- Une douzaine d'années ? dit Julius. C'est plus que je n'en réclame et que je n'en espère, et c'est justement là-dessus que je veux te poser une question, pour moi solennelle.
Il but et reprit :
- écoute, ami, je suis un homme et nous sommes seuls. Tu me connais assez pour savoir que je suis capable de tout entendre. Donc, j'entends, je veux que tu me dises mon état réel.
- Mais... tu le sais.
- Non pas. Ton amitié pour moi t'a jusqu'ici poussé à me montrer l'avenir en beau, à ne me parler que des bonnes chances, à me promettre tout. Mais, vois-tu, je ne crains qu'une chose, c'est d'être pris au dépourvu ; c'est de m'en aller subitement, sans en avoir conscience, sans le savoir. Tu es un trop grand médecin pour ne pas connaître, à une semaine près, les instants qui me sont comptés. Eh bien ! je demande, j'exige comme un service que tu m'apprennes toute la vérité.
- Tu le veux ? dit Samuel hésitant.
- Je le veux et je t'en prie. Et une chose qui va te retirer tout scrupule, c'est que, quoi que tu me dises, tu ne me diras rien de pire que ce que je me dis moi-même. Cette prostration que je ne puis vaincre m'avertit assez. Je tâche de temps en temps de me relever de ce lit et de ce fauteuil, et de me tenir droit, mais je retombe bien vite. La position horizontale est déjà une habitude pour moi. De là au tombeau, il n'y a pas loin. Voyons, mon vieux camarade, au nom de notre enfance et de notre jeunesse, combien me reste-t-il de minutes ?
- Tu veux toute la vérité ? répéta Samuel.
- Toute la vérité, dit Julius.
- Eh bien, le probable, mais songe que c'est souvent l'invraisemblable qui arrive, le probable est que ta vie est, en effet, épuisée. J'espère encore. J'use, tu le vois, de moyens héroïques. Tu parles de minutes, je te réponds que tu vivras encore des mois, peut-être des années. Mais, puisque tu me le demandes en ces termes, je ne crois pas que tu aies devant toi cette longue série de jours que rêvent, si souvent en vain, les hommes les plus robustes et les mieux constitués.
- Merci, Samuel, dit Julius. Je te suis reconnaissant de m'avoir parlé ainsi. Tu m'as rassuré, d'ailleurs. Tu me promets des mois, et je n'espérais pas même des semaines.
- Au reste, reprit Samuel, la durée de la vie dépend encore bien plus de toi que de mes remèdes. L'essentiel est d'éviter toute émotion plus forte que toi. Une imprudence te tuerait sur le coup.
- Cela étant, dit Julius, il est temps que Lothario revienne. Je vais lui écrire une lettre encore plus pressante que les autres. Je ne comprends pas ce qui peut le retenir à Berlin, malgré les vingt lettres que je lui ai écrites depuis trois mois. Il ne peut plus dire maintenant que c'est à cause de l'ambassade, puisque j'ai envoyé ma démission, et que j'attends mon successeur d'un instant à l'autre.
- Tu lui as écrit de hâter là-bas ton remplacement. Il remplit ta volonté.
- Mais non, je sais que mon remplaçant est désigné. à présent, tout est donc fini, et Lothario nous serait plus nécessaire ici qu'autre part. Quand mon successeur va arriver, Lothario le mettrait au courant, et je voudrais même, et j'obtiendrais sans doute qu'il restât tout à fait auprès de lui : Lothario est trop jeune, lui, pour me suivre dans ma retraite. Il est parti pour quinze jours, et ces quinze jours ont duré trois mois, et il ne parle pas de revenir. Il a fait un voyage à Vienne. Il n'écrit que des réponses vagues et brèves. Il a évidemment quelque chose.
- Eh ! il a une maîtresse, dit Samuel.
- Qu'en sais-tu ? demanda Julius, qui aurait bien voulu se reprendre à cette explication.
- Je sais son âge, répondit Samuel. Qu'est-ce que tu veux qui retienne un jeune homme, beau, charmant, spirituel et riche ? Ne te souviens-tu pas de ce qu'est Vienne ? Toutes les femmes lui auront sauté au cou. Nous autres, nous sommes graves, moroses, austères. Tu joins à cela d'être malade. Je ne voudrais pas calomnier ton neveu, mais c'est un jeune homme. Il y a un contresens absurde à vouloir enfermer un garçon de sa figure dans une chambre de malade. C'est bon pour Frédérique qui n'a pas commencé de vivre, et pour moi qui ai fini. Mais Lothario s'amuse, et il fait bien. Tu n'es pas assez égoïste pour lui en vouloir. Ne t'inquiète plus de lui, si tu l'aimes. Tu plains quelqu'un qui ne se plaint pas, sois-en certain.
- N'importe ! dit Julius, je vais lui écrire une dernière lettre, et je suis sûr qu'il ne me laissera pas mourir sans l'avoir revu.
- Oh ! dit Samuel, si tu ne veux que cela, il aura, j'espère, bien le temps de se brouiller avec toutes ses maîtresses et de revenir avant qu'il ne soit l'heure de dicter ton testament.
- L'heure peut sonner plus tôt que nous ne pensons. Il est temps qu'il fasse ses préparatifs de retour, et que, moi, je fasse mes préparatifs de départ.
- Que veux-tu dire ?
- Je veux dire qu'en effet je vais, selon ta parole, dicter mon testament.
- Bon ! encore une fois, tu n'en es pas là, s'écria Samuel.
- Qu'importe ! dit Julius, que je le dicte une semaine plus tôt ou plus tard ? à quoi bon remettre une chose nécessaire ? Je serai plus tranquille, ce devoir accompli. J'aurai une inquiétude de moins dans l'esprit, je ne craindrai pas de m'en aller sans avoir remercié ceux qui m'ont rendu service, et je ne m'en porterai que mieux. Au reste, ce n'est pas d'aujourd'hui que j'y pense. J'ai déjà arrêté dans ma pensée ce que je veux faire. Inutile de te dire que je ne t'ai pas oublié.
Samuel fit un geste de refus.
- Oh ! je sais, reprit Julius, que ton ambition est plus haute que l'argent. J'ai voulu seulement que tu n'eusses jamais besoin de personne. Les nécessités matérielles sont les barreaux de la cage où la société enferme les grands cœurs et les grandes idées. Tu ne refuseras pas la liberté et le plein air. D'ailleurs, ce n'est pas un don que je te fais, c'est une dette que je te paie, et tu ne voudras pas que mon tombeau te fasse banqueroute. Passons à Lothario.
Samuel écoutait, impassible en apparence, ému au fond.
- Lothario est mon seul parent, poursuivit le comte d'Eberbach. Et encore, il n'est mon parent que par alliance. J'ai fait sa part. Je lui donne le château d'Eberbach et ce qu'il faut pour y vivre seigneurialement. Il y trouvera le souvenir de sa tante Christiane, qui l'a aimé comme elle savait aimer. J'aime mieux que ce soit lui qu'un autre qui habite ce souvenir. Reste maintenant Frédérique.
Il y eut un moment de silence.,
Julius ne savait comment continuer. Samuel regardait Julius, attentif et profond, pareil au poète dramatique qui suit le mouvement et l'intonation qu'il a indiqués à l'acteur chargé d'interpréter sa pensée.
Samuel prit la parole.
- Ceci est plus embarrassant, dit-il. Tu n'as, en somme, que quarante ans. Il est difficile qu'un homme, jeune encore, et connu par toutes sortes de bonnes fortunes, lègue une somme considérable à une jeune fille sans lui léguer en même temps...
- Le déshonneur, n'est-ce pas ? dit Julius en soupirant. C'est juste, et je me le dis bien. Mais que faire !
- Je te le demande, répliqua Samuel voulant le forcer à dire son dernier mot.
- J'avais bien pensé, reprit Julius, à tourner la difficulté en mariant Frédérique à quelqu'un que j'aurais eu le droit d'enrichir. Par exemple Lothario...
- Lothario ! interrompit Samuel avec un accent de menace.
- Tout aurait été simple si Lothario et Frédérique s'étaient aimés. J'aurais laissé tous mes biens à Lothario qui, en l'épousant, les lui aurait naturellement apportés. J'ai cru un moment que Lothario l'aimait, au ton dont il m'avait parlé d'elle la première fois qu'il l'avait entrevue. Mais, depuis, j'ai reconnu que je m'étais trompé. S'il l'aimait, il ne s'entêterait pas à rester éloigné de la maison quand elle y habite. à moins qu'elle ne l'ait repoussé et découragé d'une façon décisive. Dans tous les cas, qu'il ne l'aime pas ou qu'il soit retenu là-bas par une autre, ou que ce soit Frédérique qui ne veuille pas de lui, il n'y a pas à songer à les marier. Et pourtant je ne vois pas d'autre moyen qu'un mariage.
- Ni moi non plus, dit Samuel, fixant toujours sur Julius son regard perçant et impénétrable.
- Mais quel mari prendre que j'aie le droit de faire riche ? Je ne puis léguer une somme importante qu'à Lothario ou à toi. Et tu es pour Frédérique un mari plus impossible encore que Lothario.
- Ah ! tu trouves ? dit Samuel.
- Sans doute, il y a la disproportion d'âge ; et puis ton caractère. Je doute, à te parler franchement, continua en riant Julius, que ta nature soit faite pour rendre bien heureuse une femme.
- Mais, dit Samuel avec quelque amertume, il est possible que Frédérique ne pense pas là-dessus absolument comme toi ?
- Si elle pensait autrement, reprit sérieusement Julius, je t'avoue que je serais le premier à la dissuader d'un acte qui, pour moi, ne serait chez elle que l'irréflexion de la reconnaissance.
- Je plaisantais, dit Samuel glacial. Mais tu as sans doute trouvé un meilleur moyen d'enrichir Frédérique sans la compromettre.
- J'en ai trouvé un, en effet.
- Parle, dit Samuel.
- C'est que c'est embarrassant et attristant à dire, reprit Julius. En deux mots, j'ai fait ce raisonnement : Le mariage n'est ici que le prétexte et l'accessoire ; or, la cause la plus légitime qui me permette de léguer à Frédérique une partie considérable de ma fortune, c'est... c'est qu'elle soit ma femme.
- Eh bien ! j'y avais pensé, dit tranquillement Samuel.
- Tu y avais pensé ? reprit Julius non sans mélancolie. C'est qu'en effet c'est le plus simple, et que par là tout s'arrange. Et pour ce mariage... de transition, où trouver dans des conditions meilleures et plus sûres un époux... qui n'en soit pas un. Moi, je ne serai pas une bien longue gêne dans sa vie. Dans quelques mois, je serai mort, et elle sera riche. Avec tout autre, son mariage est une chaîne, avec moi, c'est la liberté.
- Rien de plus juste.
- Ainsi, tu ne désapprouves pas mon idée, Samuel ?
- Je t'approuve pleinement.
- Tu aimes véritablement Frédérique ! Je ne l'ennuierai pas longtemps, va. Elle aura toute sa vie à être indépendante. Et moi, les jours qui me restent seront consolés et éclairés par elle. Désormais, sa sollicitude filiale, si charmante, sera son devoir et mon droit. Eh bien ! puisque tu es de mon avis, veux-tu te charger de la sonder ? Tu comprends : de ma part, l'ouverture est un peu délicate, et je ne veux ni qu'elle s'effarouche ni qu'elle se méprenne.
- Je ferai tout ce qu'il te plaira, dit Samuel.
- Elle est dans sa chambre, reprit Julius. Tu serais bien excellent d'aller lui parler tout de suite.
- J'y vais.
- Merci. Tu n'as, ajouta Julius avec un sourire triste, que ces deux choses à lui dire : d'abord, que je mourrai bientôt, que je le lui promets, qu'elle soit bien tranquille. Et puis que, jusque-là, ma tendresse ne veut, ne peut, ne doit être que paternelle. Ne me présente pas, cela va sans dire, comme un mari, mais comme un père.
- Sois sans inquiétude. Je la persuaderai.
- Va. C'est à elle, non à moi, que tu rends service.
Samuel sortit.
En allant à la chambre de Frédérique, il murmurait entre ses dents :
- Je lui avais pourtant dit qu'une imprudence pouvait le tuer raide. Et celle-ci peut compter pour une ! Une tendresse paternelle ! je voudrais bien voir qu'il en eût une autre. Mais, s'il croit que je vais m'en rapporter à sa parole ! Ah ! que tu le veuilles ou non, j'y mettrai bon ordre ! L'imbécile ! il pouvait se sauver en me la donnant. Il a manqué cette chance. Tant pis pour lui ! Il faut que Frédérique l'épouse, puisque c'est le seul moyen maintenant. Mais, au rebours de ce qui se passe dans Hamlet, je réponds que les plats refroidis de la noce pourront servir à une autre cérémonie. Faisons d'abord le mariage, il ne restera plus qu'à défaire le mari.
Il était devant la porte de la chambre de Frédérique.
- Il s'agit maintenant de préparer l'autre partie de la comédie tragique.
Il frappa à la porte, et Frédérique vint ouvrir.



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