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Chapitre LXX
Où Samuel pâlit

à la même heure où ceci se passait à Aschaffenburg, Samuel, dans la chambre souterraine du château, révélait aux Sept sa tentative et son moyen.
- Il est dix heures et quelques minutes, disait Samuel ; en ce moment, messieurs, Napoléon est mort, l'Empire écroulé, l'Allemagne libre.
Les Sept se taisaient.
- Vous gardez le silence ? reprit Samuel. Est-ce un désaveu ? Désapprouvez-vous ce que j'ai fait ?
- Frédéric Staps s'est dévoué lui-même, dit un des Sept.
- Mesquin scrupule ! répliqua Samuel en haussant les épaules. Le général ne fait pas le coup de fusil. Il me semble, d'ailleurs, que votre Providence ne s'y prend pas autrement que moi, et qu'elle fait de nous tous ce que j'ai fait de Trichter. Elle nous emploie au profit de ses dessins et ne s'inquiète guère de nous tuer quand notre mort lui paraît nécessaire à la vie d'une idée. Qu'ai-je fait autre chose ? J'ai sacrifié Trichter, mon ami. D'un ivrogne j'ai fait un martyr. Je ne crois pas qu'il ait perdu au change. Allons ! plus de ces scrupules d'enfant ! êtes-vous contents de moi ?
- Tes moyens, dit enfin le Chef, sont entre ta conscience et toi. Mais si tu as réellement délivré l'Allemagne, nous ne verrons que le résultat et tu auras bien mérité de la patrie et de l'Union de Vertu. Quand aurons-nous la nouvelle ?
- Le Voyageur du Neckar est en route. Attendons.
Ils attendirent dans une profonde anxiété.
à une heure, le timbre résonna.
- C'est lui, dit Samuel.
Et il alla ouvrir.
Le Voyageur du Neckar entra, grave et lent.
- Eh bien ? demandèrent-ils tous.
- Voici ce que j'ai vu, répondit le Voyageur. J'ai obéi ponctuellement aux ordres que Samuel Gelb m'a transmis de votre part. Je n'ai pas quitté Trichter jusqu'au moment où il a présenté le placet à Napoléon. L'empereur l'a fait entrer avec lui dans le palais du prince-primat.
- à merveille ! dit Samuel.
- Attendez, reprit le Voyageur. Comme je ne voyais plus Trichter sortir, je rôdais autour du palais, cherchant par où m'introduire, quand j'aperçus, se glissant par une porte de derrière, deux hommes qui portaient une civière couverte et qui se dirigeaient du côté de l'hôpital. J'ai suivi ces hommes. Les rideaux de la civière se sont écartés un moment. Une main a passé. J'ai reconnu un gant pareil à celui que portait Trichter. Je me suis informé auprès du portier de l'hôpital. Il m'a dit qu'il avait enregistré un mort inconnu, à faire ensevelir le soir même.
- Trichter mort ! interrompit Samuel pâlissant.
Le Voyageur reprit :
- Je suis retourné vers le palais. Au moment où j'arrivais, j'ai vu l'empereur monter en voiture avec l'impératrice et prendre le chemin de Wurtzbourg, au milieu des acclamations unanimes et enthousiastes de la foule.
Un long silence suivit ces paroles qui ne laissaient subsister aucun doute.
- C'est bien, dit le Chef au Voyageur du Neckar, tu peux te retirer.
Le Voyageur salua et sortit.
- Samuel Gelb, reprit le Chef, Dieu est plus fort que toi. Tu n'as tué que ton ami. Si nous avons un conseil à te donner, c'est de te mettre en sûreté le plus tôt possible.
Et, se tournant vers ses compagnons masqués :
- Nous-mêmes, messieurs, nous ferons prudemment de nous disperser.
Les Sept sortirent, laissant Samuel muet et frappé de la foudre.


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