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Chapitre XXXVI
L'antre du lion

Presque aussitôt entrèrent trois hommes masqués. Le premier portait un flambeau.
Samuel salua avec un profond respect et montra les fauteuils. Mais les trois hommes masqués n'avancèrent pas, surpris sans doute de la présence de Julius.
- Julius d'Hermelinfeld, messieurs, dit Samuel comme le leur présentant ; le maître de ce château, qu'il met à votre disposition et dont il devait au moins vous faire les honneurs. – Julius, nos chefs et maîtres du Conseil suprême, qui viennent, pour la première fois, reconnaître le refuge que nous leur avons préparé.
Les Trois firent un geste d'assentiment et s'assirent. Samuel et Julius restèrent debout.
- Nos Seigneurs les chefs ont-ils bien trouvé leur chemin ? dit Samuel.
- Oui, répondit l'un des Trois, grâce à la carte que vous nous aviez tracée et dont nous avons suivi les indications pas à pas.
- Cette chambre, si elle vous convenait, pourrait servir à vos délibérations particulières.
- à merveille. Seulement, les précautions sont-elles bien prises pour que nous y soyons en sûreté ?
- Vous allez voir. Julius, aide-moi à tirer cette corde.
Il montrait une grosse corde en fils de fer tressés et tordus qui tombait de la voûte contre le mur. En se pendant à la poignée, Samuel et Julius la firent descendre d'un pied. Puis, Samuel accrocha la poignée à un crampon de fer scellé dans le granit.
- Ceci, dit-il, vient d'ouvrir vingt trappes dans chacun des deux escaliers qui conduisent ici. Vous voyez que les trois portes de fer qui les ferment sont du superflu. à présent, une armée ne vous atteindrait pas ; il faudrait bombarder le burg et le démolir jusqu'à la dernière pierre, et vous avez quatre issues pour fuir.
- Bien ! dit le chef.
- Et maintenant, reprit Samuel, voulez-vous voir la grande salle des Assemblées générales ?
- Nous sommes venus pour tout examiner.
- Attendez, alors, que je referme les trappes, dit Samuel.
Il détacha la poignée qu'il avait passée au crampon, la corde de fer remonta, et l'on entendit au loin le bruit sourd des trappes qui se refermaient. Puis, prenant le flambeau, Samuel ouvrit la petite porte par où les trois chefs étaient entrés et tous les cinq descendirent l'escalier.
Au bout d'une vingtaine de marches, Samuel poussa un ressort dans le granit, une ouverture se fit, et les chefs se trouvèrent dans un long couloir droit où Samuel leur dit de le suivre.
Ils marchèrent ainsi près d'un quart d'heure. Enfin, ils arrivèrent à une porte.
- C'est ici, dit Samuel.
Il ouvrit la porte et introduisit les trois chefs et Julius dans une vaste excavation du rocher, où deux cents personnes auraient pu tenir à l'aise.
- Ici, reprit Samuel, nous ne sommes plus sous le château. Les adeptes arriveront par le flanc de la montagne et ignoreront l'existence d'une communication quelconque entre cette salle et le burg d'Eberbach. J'ai arrangé cela ainsi, pour qu'au besoin, un Otto Dormagen qui dénoncerait l'Assemblée ne pût compromettre ni les maîtres du château, ni vos réunions particulières. Et maintenant que vous avez tout vu, ce lieu vous convient-il ? êtes-vous contents ?
- Contents et reconnaissants, Samuel Gelb. Nous acceptons cet asile si sûr, si ingénieusement et si puissamment disposé. Les chefs seront désormais vos hôtes. C'est un second service que vous rendez à l'Union. Soyez remerciés tous deux.
- Non, dit Julius, je ne peux partager des éloges que Samuel mérite seul. J'aurais été heureux de m'associer à sa pensée et je lui rends grâce d'avoir disposé de mon château comme je me serais empressé de le faire. Mais j'étais absent et c'est à lui que doit revenir tout l'honneur.
- Gardez votre part, Julius d'Hermelinfeld, répondit le chef. Samuel Gelb n'aurait pas disposé de votre demeure s'il n'avait pas été sûr de votre âme. Tous deux vous avez bien mérité de l'Union et de l'Allemagne et, pour que vous soyez tous deux récompensés, nous vous conférons le même grade que nous avons conféré à Samuel. Julius d'Hermelinfeld, vous êtes Second dans l'Union.
- Oh ! merci ! s'écria Julius tout enorgueilli.
- Il ne nous reste qu'à nous retirer, dit le chef.
- Je vous accompagne, dit Samuel. Julius, attends-moi ici.
Il dirigea les Trois jusqu'à une des issues supérieures, où ils retrouvèrent leurs chevaux qu'ils avaient attachés à des branches. Puis Samuel revint prendre Julius. Julius le remercia avec effusion.
- Bah ! dit Samuel, j'ai fait, comme je te l'ai dit, un peu de géologie, voilà tout. Ne t'imagine pas pourtant que ce soient ces cavernes qui aient vidé la bourse de ton père. Elles ne t'ont pas coûté grand'chose. Elles existaient. Les anciens maîtres du burg les avaient probablement fait creuser pour s'en servir dans les sièges. Cet immense rocher est percé de corridors et d'alvéoles comme une ruche à miel. à ce propos, un conseil utile : Ne t'avise pas de t'y hasarder jamais seul. Tu y serais absorbé comme une goutte d'eau dans une éponge. Pour qui ne connaît pas les lieux comme moi, les pièges abondent, et tu disparaîtrais brusquement dans quelque trappe.
- Je comprends maintenant, dit Julius, comment tu as pu promettre à Christiane d'accourir à son appel. Tu as ta chambre quelque part ici ?
- Pardieu ! c'est ici que je loge. Veux-tu que je te montre mon appartement ?
- Voyons, dit Julius.
Samuel, retournant par le couloir qui aboutissait à la grande salle, marcha, suivi de Julius, pendant à peu près cinq minutes.
Alors il s'arrêta, ouvrit une porte à droite, monta une cinquantaine de marches, et arriva à une sorte de plate-forme divisée en trois pièces. L'une était une chambre, l'autre une écurie, la troisième un laboratoire.
Dans la chambre, il y avait un lit et seulement les meubles indispensables. Dans l'écurie, le cheval de Samuel mangeait une botte de foin. Le laboratoire était encombré de cornues, de fioles, de livres, d'herbages. C'était là évidemment le centre des opérations de Samuel. Un squelette grimaçait risiblement et terriblement dans un angle. Deux masques de verre étaient posés sur un fourneau.
Pour quelqu'un qui serait entré dans la mystérieuse caverne, après avoir admiré le même jour, dans quelque gravure, la cellule du Philosophe de Rembrandt, c'eût été un étrange contraste, de comparer le rêvoir si calme, si religieux, si doucement éclairé par le soleil levant, à cet atelier de ténèbres si nocturne, si souterrain, où vacillait si lugubrement une lueur sépulcrale. Il eût cru voir, après la lumière du visage de Dieu, le reflet des tisons de Satan.
- Voilà mon gîte, dit Samuel.
Julius ne pouvait se défendre d'une impression pénible dans ce laboratoire de sciences occultes.
- Mais il y a assez longtemps, poursuivit Samuel, que tu n'as respiré l'air supérieur, et, à la longue, quand on n'en a pas l'habitude, une montagne finit par vous peser sur les épaules. Je vais te ramener au jour. Attends seulement que j'allume mon fourneau et que je mette bouillir quelques herbes que j'ai cueillies ce matin. La cuisine préparée :
- Viens-tu ? dit-il.
Et il reconduisit Julius silencieux par un escalier qui rejoignait celui qu'ils avaient pris pour descendre.
- Tu vois, reprit-il. Remarque bien ces deux portes. Quand tu voudras venir me visiter, tu ouvriras le panneau de la bibliothèque et tu descendras quarante-quatre marches, ce qui te mettra à ces deux portes. La porte de droite mène à la salle ronde. La porte de gauche mène chez moi. Voici une clef. J'en ai une autre.
Il conduisit Julius et ne le quitta qu'à la porte de la bibliothèque.
- à bientôt, dit Julius, qui respira en retrouvant l'air et le jour.
- Quand tu voudras. Tu sais le chemin.

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