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Chapitre XCVIII
Comment Saint Janvier fit son miracle et de la part qu'y prit Championnet

Dès le point du jour, les accès de la cathédrale de Sainte-Claire étaient encombrés par une effroyable affluence de peuple. Les parents de saint Janvier, les descendants de la vieille femme que l'aveugle rencontra dans le forum de Vulcano recueillant, le sang du saint dans des fioles, avaient pris leurs places dans le chœur, non pour activer le miracle, comme c'est leur habitude, mais pour l'empêcher, si c'était possible. La cathédrale était déjà pleine et dégorgeait dans la rue.

Toute la nuit, les cloches avaient sonné à pleine volée. On eût dit qu'un tremblement de terre les mettait en branle, tant elles carillonnaient, isolées les unes des autres, dans une indépendance tout individuelle.

Championnet avait donné l'ordre que pas une cloche ne dormît cette nuit-là. Il fallait non-seulement que Naples, mais que toutes les villes, tous les villages, toutes les populations environnantes fussent avertis que saint Janvier était mis en demeure de faire son miracle.

Aussi, dès le point du jour, les principales rues de Naples apparurent-elles comme des canaux roulant des fleuves d'hommes, de femmes et d'enfants. Toute cette foule se dirigeait vers l'archevêché pour prendre sa place à la procession qui, à sept heures du matin, devait se mettre en route, de l'archevêché à la cathédrale.

En même temps, par toutes les portes de la ville, entraient les pêcheurs de Castellamare et de Sorrente, les corailleurs de Torre-del-Greco, les marchands de macaroni de Portici, les jardiniers de Pouzzoles et de Baïa, enfin les femmes de Procida, d'Ischia, d'Acera, de Maddalone, dans leurs plus riches atours. Au milieu de toute cette foule diaprée, bruyante, dorée, passait de temps en temps une vieille femme aux cheveux gris et épars, pareille à la sibylle de Cumes, criant plus haut, gesticulant plus fort que tout le monde, fendant la presse sans s'inquiéter des coups qu'elle donnait, entourée, au reste, sur tout son chemin, de respect et de vénération. C'était quelque parente de saint Janvier en retard, se hâtant de rejoindre ses compagnes pour prendre, à la procession ou dans le chœur de Sainte-Claire, la place qui lui appartenait de droit.

Dans les temps ordinaires, et quand le miracle doit se faire à sa date, la procession met un jour pour se rendre de l'archevêché à la cathédrale ; les rues sont tellement encombrées, qu'il lui faut quatorze ou quinze heures pour parcourir un trajet d'un demi-kilomètre.

Mais, cette fois, il ne s'agissait point de s'amuser en route, de s'arrêter aux portes des cafés et des cabarets, de faire trois pas en avant et un en arrière, comme les pèlerins qui ont fait un vœu. Une double haie de soldats républicains s'étendait de l'archevêché à Sainte-Claire, dégageant le passage, dissipant les groupes, faisant disparaître enfin tout obstacle que la procession pouvait rencontrer. Seulement, ils avaient la baïonnette au côté et des bouquets de fleurs dans le canon de leur fusil.

Et, en effet, la procession devait faire en soixante minutes le trajet qu'elle fait ordinairement en quinze heures.

à sept heures précises, Salvato et sa compagnie, c'est-à-dire la garde d'honneur de saint Janvier, ayant au milieu d'eux Michele, revêtu de son bel uniforme, et portant une bannière sur laquelle était écrit en lettres d'or : GLOIRE à SAINT JANVIER ! se mirent en route, partant de l'archevêché pour la cathédrale.

Aussi cherchait-on vainement, dans cette cérémonie toute militaire, cet étrange laisser aller qui fait le caractère distinctif de la procession de saint Janvier à Naples.

D'habitude, en effet, et lorsqu'elle est abandonnée à elle-même, la procession s'en va vagabonde comme la Durance ou indépendante comme la Loire, battant de ses flots le double rang de maisons qui forme ses rives, s'arrêtant tout à coup sans qu'on sache pourquoi elle s'arrête, se remettant en marche sans que l'on puisse deviner le motif qui lui rend le mouvement. On ne voyait pas briller au milieu des flots du peuple les uniformes couverts d'or, de cordons, de croix, des officiers napolitains, un cierge renversé à la main, escortés chacun de trois ou quatre lazzaroni qui se heurtent, se culbutent, se renversent pour recueillir dans un cornet de papier gris la cire qui tombe de leurs cierges, tandis que les officiers, la tête haute, ne s'occupant point de ce qui se passe à leurs pieds et autour d'eux, faisant royalement largesse d'un ou deux carlins de cire, lorgnent les dames amassées aux fenêtres et sur les balcons, lesquelles, tout en ayant l'air de jeter des fleurs sur le chemin de la procession, leur envoient des bouquets en échange de leurs clins d'œil.

On cherchait encore et vainement, autour de la croix ou de la bannière, mêlés au peuple dont le flot les enveloppe en les isolant, ces moines de tous les ordres et de toutes les couleurs, capucins, chartreux, dominicains, camaldules, carmes chaussés ou déchaussés ; – les uns au corps gros, gras, rond, court, avec une tête enluminée posée carrément sur de larges épaules, s'en allant comme à une fête de campagne ou à une foire de village, sans aucun respect de cette croix qui les domine, de cette bannière qui jette son ombre flottante sur leur front ; riant, chantant, causant, offrant, dans leur tabatière de corne, du tabac aux maris, donnant des consultations aux femmes enceintes, des numéros de loterie à celles qui ne le sont pas, regardant, un peu plus charnellement qu'il ne convient aux règles de leur ordre, les jeunes filles étagées sur le pas des portes, sur les bornes des coins de rue et sur le perron des palais ; – les autres, longs, minces, maigres, émaciés par le jeûne, pâlis par l'abstinence, affaiblis par les austérités, levant au ciel leur front d'ivoire, leurs yeux caves et bistrés, marchant sans voir, emportés par le flot humain, spectres vivants, fantômes palpables qui se sont fait un enfer de ce monde, dans l'espoir que cet enfer les conduira tout droit en paradis, et qui, aux grands jours des fêtes religieuses, recueillent le fruit de leurs douleurs claustrales par le respect craintif dont ils sont environnés.

Non ! pas de peuple, pas de moines, gras ou maigres, ascétiques ou mondains, à la suite de la croix et de la bannière. Le peuple est entassé dans les rues étroites, dans les ruelles et les vicoli : il regarde d'un œil menaçant les soldats français, qui marchent insoucieusement au pas au milieu de cette foule, où chaque individu qui la compose a la main sur son couteau, n'attendant que le moment de le tirer de sa poitrine, de sa poche ou de sa ceinture, et de le plonger dans le cœur de cet ennemi victorieux, qui a déjà oublié sa victoire et qui remplace les moines dans les œillades et dans les compliments, mais qui, moins bien reçu qu'eux, n'obtient, en échange de ses avances, que des murmures et des grincements de dents.

Quant aux moines, ils sont là, mais disséminés dans la foule, qu'ils excitent tout bas au meurtre et à la rébellion. Cette fois, si différente que soit la robe qu'ils portent, leur opinion est la même, et cette voix, comme on dit à Naples, serpente dans la foule, pareille à un éclair chargé d'orage : « Mort aux hérétiques ! mort aux ennemis du roi et de notre sainte religion ! mort aux profanateurs de saint Janvier ! mort aux Français ! »

Après la croix et la bannière, portées par des gens d'église et escortées seulement de Pagliuccella, que Michele avait rallié à lui, puis fait sous-lieutenant, et qui lui-même avait rallié une centaine de lazzaroni, objets pour le moment des sarcasmes de leurs compagnons et des anathèmes des moines, venaient les soixante-quinze statues d'argent des patrons secondaires de la ville de Naples, lesquels, comme nous l'avons dit, forment la cour de saint Janvier.

Quant à saint Janvier, pendant la nuit, son buste avait été transporté à Sainte-Claire, et il attendait sur l'autel, exposé à la vénération des fidèles.

Cette escorte de saints, qui, par la réunion des noms les plus honorés du calendrier et du martyrologe, commande ordinairement sur son passage le respect et la vénération, devait être fort indignée, ce jour-là, de la façon dont elle était reçue et des apostrophes qui lui étaient adressées.

Et, en effet, comme on craignait que la plupart de ces saints, adorés en France, ne donnassent à saint Janvier le conseil de favoriser les Français, les lazzaroni, que la chronique publique avait mis au courant des peccadilles que les bienheureux avaient à se reprocher, les apostrophaient au fur et à mesure qu'ils passaient, reprochant a saint Pierre ses trahisons, à saint Paul son idolâtrie, à saint Augustin ses fredaines, à sainte Thérèse ses extases, à saint François Borgia ses principes, à saint Gaetano son insouciance, et cela, avec des vociférations qui faisaient le plus grand honneur au caractère des saints et qui prouvaient qu'en tête des vertus qui leur avaient ouvert le paradis, figuraient la patience et l'humilité.

Chacune de ces statues s'avançait portée sur les épaules de six hommes, et précédée de six prêtres appartenant aux églises où ces saints étaient particulièrement honorés, et chacune d'elles soulevait sur sa route les hourras que nous avons dits et qui, au fur et à mesure qu'elles approchaient de l'église, passaient des vociférations aux menaces.

Ainsi apostrophées, ainsi menacées, les statues arrivèrent enfin à l'église Sainte-Claire, firent humblement la révérence à saint Janvier, et allèrent prendre leur place en face de lui.

Après les saints, venait l'archevêque, monseigneur Capece Zurlo, que nous avons déjà vu apparaître dans les troubles qui ont précédé l'arrivée des Français, et qui était fortement soupçonné de patriotisme.

Le torrent aboutit à l'église Sainte-Claire, où tout s'engouffra. Les cent vingt hommes de Salvato formaient une haie allant du portail au chœur, et lui-même était à l'entrée de la nef, son sabre à la main.

Voici le spectacle que présentait l'église encombrée :

Sur le maître-autel était, d'un côté, le buste de saint Janvier ; de l'autre, la fiole contenant le sang.

Un chanoine était de garde devant l'autel ; l'archevêque, qui n'a rien à faire avec le miracle, s'était retiré sous son dais.

à droite et à gauche de l'autel était une tribune, de manière qu'entre ces deux tribunes se trouvait l'autel : la tribune de gauche chargée de musiciens attendant, leurs instruments à la main, que le miracle se fît pour le célébrer ; la tribune de droite encombrée de vieilles femmes s'intitulant parentes de saint Janvier, venant là, d'habitude, pour activer le miracle par leurs accointances avec le saint, et venues, cette fois, pour l'empêcher de se faire.

Au haut des marches conduisant au chœur s'étendait une grande balustrade de cuivre doré, à l'ouverture de laquelle, nous l'avons dit, se tenait Salvato, le sabre à la main.

Devant cette balustrade, c'est-à-dire à sa droite et à sa gauche, venaient s'agenouiller les fidèles.

Le chanoine, debout devant l'autel, prenait alors la fiole et la leur faisait baiser, montrant à tous le sang parfaitement coagulé ; puis les fidèles, satisfaits, se retiraient pour faire place à d'autres. Cette adoration du bienheureux sang avait commencé à huit heures et demie du matin.

Le saint, qui a ordinairement un jour, deux jours et même trois jours pour faire son miracle, et qui quelquefois, au bout de trois jours, ne l'a pas fait, avait deux heures et demie pour le faire.

Le peuple était convaincu que le miracle ne se ferait pas, et les lazzaroni, en se comptant et en voyant le peu de Français qu'il y avait dans l'église, se promettaient si, à dix heures et demie sonnantes, le miracle n'était pas fait, d'avoir bon marché d'eux.

Salvato avait donné l'ordre à ses cent vingt hommes, lorsqu'ils entendraient sonner dix heures, et, par conséquent, lorsque le moment décisif approcherait, d'enlever les bouquets qui ornaient les canons des fusils et d'y substituer les baïonnettes.

Si, à dix heures et demie, le miracle ne s'opérait point et si des menaces se faisaient entendre, une manœuvre était commandée pour que les cent vingt grenadiers fissent demi-tour, les uns à droite, les autres à gauche, abaissassent les armes, et, au lieu de présenter le dos à la foule, lui présentassent la pointe de leurs baïonnettes. Au commandement « Feu ! » une fusillade terrible s'engagerait ; chaque Français avait cinquante cartouches à tirer.

En outre, une batterie de canons avait été établie pendant la nuit au Mercatello, enfilant toute la rue de Tolède ; une autre à la strada dei Studi, enfilant le largo delle Pigne et la strada Foria ; enfin deux batteries, adossées, l'une au château de l'œuf, l'autre à la Victoria, enfilaient d'un côté tout le quai de Santa-Lucia, et de l'autre toute la rivière de Chiaïa.

Le Château-Neuf et le château del Carmine, pourvus de garnison française, se tenaient prêts à tout événement, et Nicolino, sur les remparts du château Saint-Elme, une lunette à la main, n'avait qu'un signe à faire à ses artilleurs pour qu'ils commençassent le feu qui, terrible traînée de poudre, incendierait Naples.

Championnet était à Capodimonte, avec une réserve de trois mille hommes, à la tête de laquelle il devait, selon les circonstances, faire son entrée solennelle et pacifique à Naples, ou descendre, la baïonnette en avant, sur Tolède. On voit que, même à part cette prière à saint Janvier, qui devait être décisive et sur laquelle comptait Championnet, toutes les mesures étaient prises, et que, si l'on s'apprêtait à attaquer d'un côté, on était près de l'autre à se défendre.

Au reste, jamais rumeurs plus menaçantes n'avaient couru dans les rues, au-dessus d'une foule plus compacte, et jamais angoisses plus émouvantes ne furent ressenties par ceux qui, de leurs balcons ou de leurs fenêtres, dominaient cette foule et attendaient ou que la paix fut définitivement rétablie, ou que les massacres, les incendies et les pillages recommençassent.

Au milieu de cette foule, et la poussant à la révolte, étaient ces mêmes agents de la reine que nous avons déjà vus si souvent à l'œuvre, les Pasquale de Simone, le beccaïo et ce terrible prêtre calabrais, le curé Rinaldi, qui, de même que l'écume ne se montre à la surface de la mer que les jours de tempête, ne se montrait à la surface de la société que les jours d'émeute et de boucherie.

Tous ces cris, tout ce tumulte, toutes ces menaces cessaient à l'instant même, comme par magie, dès que l'on entendait la première vibration du marteau des horloges frappant le timbre et marquant l'heure. Cette multitude, attentive, comptait alors les coups de marteau, mais, l'heure sonnée, remontait aussitôt à ce diapason de rumeurs confuses qui n'a de comparable que le mugissement de la mer.

Elle compta ainsi huit heures, neuf heures, dix heures.

à dix heures sonnantes, au milieu du silence qui se faisait pour écouter sonner l'heure dans l'église comme dehors, les grenadiers de Salvato enlevèrent les bouquets du canon de leurs fusils et les armèrent de leurs baïonnettes. La vue de cette manœuvre exaspéra les assistants.

Jusque-là, les lazzaroni s'étaient contentés de montrer le poing à nos soldats : cette fois, ils leur montrèrent les couteaux.

De leur côté, les vieilles hideuses qui s'intitulent les parentes de saint Janvier et qui, en vertu de cette parenté, se croient le droit de parler librement au saint, le menaçaient de leurs plus terribles malédictions, si le miracle s'accomplissait ; jamais tant de bras maigres et ridés ne s'étaient étendus vers le saint, jamais tant de bouches tordues par la colère et par la vieillesse n'avaient hurlé au pied de l'autel de plus grossières injures. Le chanoine qui faisait voir la fiole, et qu'on relayait de demi-heure en demi-heure, en était assourdi, et semblait près de devenir fou.

Tout à coup, on entendit, dans la rue, un redoublement de cris et de menaces. Il était occasionné par un peloton de vingt-cinq hussards qui, le mousqueton sur la cuisse, s'avançaient dans l'espace laissé vide, c'est-à-dire entre la double haie formée par les soldats français depuis l'archevêché jusqu'à la cathédrale. Ce peloton, commandé par l'aide de camp Villeneuve, calme, impassible, prit une des petites rues qui contournaient la cathédrale, et s'arrêta à la porte extérieure de la sacristie.

Dix heures sonnaient, et il se faisait un de ces moments de silence que nous avons indiqués.

Villeneuve descendit de cheval.

– Mes amis, dit-il aux hussards, si, à dix heures trente-cinq minutes, vous ne me voyez pas revenir et si le miracle n'est point accompli, entrez dans la sacristie sans vous inquiéter de la défense, des menaces ou même de la résistance qui pourraient vous être faites.

Un simple « Oui, mon commandant ! » fut la réponse.

Villeneuve pénétra jusqu'à la sacristie, où tous les chanoines, moins celui qui faisait baiser la fiole, étaient assemblés et s'encourageaient les uns les autres à ne point laisser s'opérer le miracle.

En voyant entrer Villeneuve, ils firent un mouvement d'étonnement ; mais, comme c'était un jeune officier de bonne maison, à la figure douce, plutôt mélancolique que sévère, et qui entrait en souriant, ils se rassurèrent, et même ils s'apprêtaient à lui demander compte d'une pareille inconvenance, lorsque, celui-ci, s'avançant vers eux :

– Mes chers frères, dit-il, je viens de la part du général.

– Pour quoi faire ? demanda le chef du chapitre d'une voix assez assurée.

– Pour assister au miracle, répondit l'aide de camp.

Les chanoines secouèrent la tête.

– Ah ! ah ! dit Villeneuve, vous avez peur, à ce qu'il paraît, que le miracle ne se fasse point ?

– Nous ne vous cacherons pas, répondit le chef du chapitre, que saint Janvier est mal disposé.

– Eh bien, répliqua Villeneuve, je viens, moi, vous dire une chose qui changera peut-être ses dispositions.

– Nous en doutons, répondirent en chœur les chanoines.

Alors, Villeneuve, toujours souriant, s'approcha d'une table, et, de la main gauche, tira de sa poche cinq rouleaux de cent louis chacun, tandis que, de la main droite, il prenait une paire de pistolets à sa ceinture ; puis, tirant sa montre à son tour et la plaçant entre les cinq cents louis et les pistolets :

– Voici, dit-il, cinq cents louis destinés à l'honorable chapitre de Saint-Janvier, si, à dix heures et demie précises, le miracle est fait. Vous le voyez, il est dix heures quatorze minutes ; vous avez donc encore seize minutes devant vous.

– Et si le miracle ne se fait point ?... demanda le chef du chapitre d'un ton légèrement goguenard.

– Ah ! ceci, c'est autre chose, répondit tranquillement l'officier, mais en cessant de sourire. Si, à dix heures et demie, le miracle n'est point fait, à dix heures trente-cinq minutes, je vous fais tous fusiller, depuis le premier jusqu'au dernier.

Les chanoines firent un mouvement pour fuir ; mais Villeneuve, prenant un pistolet de chaque main :

– Que pas un de vous ne bouge, dit-il, à l'exception de celui qui va sortir d'ici pour faire le miracle.

– C'est moi qui le ferai, dit le chef du chapitre.

– à dix heures et demie précises, riposta Villeneuve, pas une minute avant, pas une minute après.

Le chanoine fit un signe d'obéissance et sortit en se courbant jusqu'à terre.

Il était dix heures vingt minutes.

Villeneuve jeta les yeux sur sa montre.

– Vous avez encore dix minutes, dit-il.

Puis, sans détourner les yeux de la montre, il continua avec un sang-froid terrible :

– Saint Janvier n'a plus que cinq minutes ! Saint Janvier n'a plus que trois minutes ! Saint Janvier n'a plus que deux minutes !

Il est impossible de s'imaginer le tumulte qui se faisait et qui, toujours croissant, semblait les rugissements de la mer et de la foudre réunis, quand la demie sonna, précédée de deux tintements préparatoires.

Un silence de mort lui succéda.

La demie vibra lentement au milieu de ce silence ; puis on entendit la voix du chanoine qui, d'un accent plein et sonore, au moment où les cris, les menaces recommençaient, s'écria, en élevant la fiole au dessus des têtes :

– Le miracle est fait !

à l'instant même, rumeurs, cris et menaces cessèrent comme par enchantement. Chacun tomba la face contre terre en criant : « Gloire à saint Janvier ! » tandis que Michele, s'élançant hors de l'église, s'écriait du haut du perron en agitant sa bannière :

– Il miracolo è fatto !

Chacun tomba à genoux.

Puis toutes les cloches de Naples, partant avec un ensemble admirable, sonnèrent à pleine volée.

Comme l'avait dit Championnet, il savait une prière à laquelle saint Janvier ne manquerait pas de se rendre.

Et, en effet, comme on le voit, saint Janvier s'y était rendu.

Une joyeuse volée d'artillerie, partant des quatre forts, annonça à Naples et à ses environs que saint Janvier venait de se déclarer pour les Français.

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