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Chapitre XLVI
Les inquisiteurs d'Etat

Le capitaine général Acton n'avait point oublié l'ordre que lui avait donné la reine le matin même, et il avait convoqué les inquisiteurs d'état dans la chambre obscure.

Neuf heures étaient l'heure indiquée ; mais, pour faire preuve de zèle d'abord, et ensuite par inquiétude personnelle, chacun avait voulu arriver le premier ; de sorte qu'à huit heures et demie, tous trois étaient réunis.

Ces trois hommes, dont les noms sont restés en exécration à Naples, et qui doivent être inscrits par l'historien sur les tables d'airain de la postérité, à côté de ceux des Laffémas et des Jeffreys, s'appelaient le prince de Castelcicala, Guidobaldi, Vanni.

Le prince de Castelcicala, le premier en grandeur, et, par conséquent, le premier en honte, était ambassadeur à Londres, lorsque la reine, ayant besoin de mettre sous la protection d'un des premiers noms de Naples ses vengeances publiques et privées, le rappela de son ambassade ; il lui fallait un grand seigneur qui fût disposé à tout sacrifier à son ambition et prêt à boire toute honte pourvu qu'il trouvât au fond du verre de l'or et des faveurs : elle pensa au prince de Castelcicala ; celui-ci accepta sans discussion ; il avait compris qu'il y avait quelquefois plus à gagner à descendre qu'à monter, et, ayant calculé ce que pouvait attendre de la reconnaissance d'une reine l'homme qui se mettait au service de ses haines, de prince, il se faisait sbire et, d'ambassadeur, espion.

Guidobaldi n'était ni monté ni descendu en acceptant la mission qui lui était offerte : juge inique, magistrat prévaricateur, il était resté le même homme sans conscience qu'il avait toujours été ; seulement, honoré de la faveur royale, membre d'une junte d'état au lieu d'être membre d'un simple tribunal, il avait opéré sur une plus large base.

Mais, si craints et si exécrés que le fussent le prince de Castelcicala et le juge Guidobaldi, ils étaient cependant moins craints et moins détestés que le procureur fiscal Vanni ; celui-là, il n'y avait point encore de comparaison pour lui dans l'espèce humaine, et, si l'avenir lui réservait dans le Sicilien Spéciale un hideux pendant, ce pendant était encore inconnu. – Fouquier-Tinville, me direz-vous ? Non, il faut être juste pour tous, même pour les Fouquier-Tinville. Celui-ci était l'accusateur du comité de salut public ; comme au sacrificateur, on lui amenait la victime et on lui disait : Tue ! mais il ne l'allait point chercher ; il n'était pas tout à la fois comme Vanni, espion pour la découvrir, sbire pour l'arrêter, juge pour la condamner. « Que me reproche-t-on ? criait Fouquier-Tinville à ses juges, qui l'accusaient d'avoir fait tomber trois mille têtes ; est-ce que je suis un homme, moi ? Je suis une hache. Si vous me mettez en accusation, il faut y mettre aussi le couteau de la guillotine. »

Non, c'est dans le genre animal, c'est dans la famille des bêtes de nuit et de carnage, qu'il faut chercher l'équivalent de Vanni ; il y avait en lui du loup et de l'hyène non-seulement au moral, mais encore au physique ; il avait les bonds imprévus du premier lorsqu'il fallait saisir sa proie, la marche tortueuse et muette de la seconde lorsqu'il fallait s'en approcher. Il était plutôt grand que petit ; son regard était sombre et concentré ; son visage était couleur de cendre, et, comme ce terrible Charles d'Anjou, dont Villani nous a laissé un si magnifique portrait, il ne riait jamais et dormait peu.

La première fois qu'il vint prendre place à la première junte, dont il fit partie, il entra dans la salle des séances, le visage bouleversé par la terreur, – était-elle vraie ou fausse ? – les lunettes relevées sur le front, se heurtant à tous les meubles, à la table ; il vint à ses confrères, en s'écriant :

– Messieurs, messieurs, voilà deux mois que je ne dors point en voyant les dangers auxquels est exposé mon roi !

Et, comme, en toute occasion, il ne cessait de dire mon roi, le président de la junte, s'impatientant, lui répondit à son tour :

– Votre roi ! Qu'entendez-vous par ces mots, qui cachent votre orgueil sous l'apparence du zèle ? Pourquoi ne dites-vous pas comme nous simplement : notre roi ?

Nous répondrons pour Vanni, qui ne répondit point :

– Celui qui dans un gouvernement faible et despotique dit : Mon roi, doit nécessairement l'emporter sur celui qui dit seulement : Notre roi.

Ce fut grâce au zèle de Vanni que, comme nous l'avons dit, les prisons s'emplirent de suspects ; de prétendus coupables furent entassés dans des cachots infects, privés d'air, de lumière et de pain ; une fois enfermé dans une de ces fosses, le prisonnier, qui souvent ignorait la cause de son arrestation, ne savait plus, non-seulement quand il serait mis en liberté, mais même en jugement. Vanni, suprême directeur de la douleur publique, cessait de s'occuper de ceux qui étaient en prison une fois qu'ils y étaient, mais s'occupait seulement de ceux qui restaient à emprisonner. Si une mère, si une femme, si un fils, si une sœur, si une amante, venaient prier Vanni pour un fils, pour un époux, pour un frère, pour un amant, la prière du suppliant ajoutait encore au délit du prisonnier ; si les solliciteurs recouraient au roi, la chose était plus qu'inutile, elle devenait dangereuse, parce qu'alors, du roi, Vanni en appelait à la reine, et que, si le roi pardonnait quelquefois, la reine ne pardonnait jamais.

Vanni, tout au contraire de Guidobaldi, – et c'était cela qui le rendait plus terrible encore, – s'était fait une réputation de juge intègre mais inflexible ; il réunissait à une ambition sans bornes une cruauté sans limites, et, pour le malheur de l'humanité, c'était en même temps un enthousiaste ; l'affaire qui l'occupait était toujours une affaire immense, attendu qu'il la regardait au microscope de son imagination. De tels hommes sont non-seulement dangereux pour ceux qu'ils ont à juger, mais encore funestes pour ceux qui les font juges, parce que, ne sachant pas satisfaire leur ambition par des actions vraiment grandes, ils donnent une grandeur imaginaire à leurs petites actions, les seules qu'ils puissent produire.

Il avait commencé à se faire cette réputation de juge intègre, mais inflexible, dans la conduite qu'il avait tenue à l'égard du prince de Tarsia. Le prince de Tarsia, avant le cardinal Ruffo, avait dirigé la fabrique de soie de San-Leucio : c'était une double erreur que le roi et le prince de Tarsia commettaient chacun de son côté, le roi en nommant le prince de Tarsia à un tel poste, le prince de Tarsia en l'acceptant. Ignorant dans une question de comptabilité, mais incapable de frauder ; honnête homme lui-même, mais ne sachant pas s'entourer d'honnêtes gens, il se trouva, au bout de quelques années, dans la gestion du prince, un déficit de cent mille écus que Vanni fut chargé de liquider.

Rien n'était plus facile que cette liquidation. Le prince était riche à un million de ducats et offrait de payer ; mais, si le prince payait, il n'y avait plus de bruit, il n'y avait plus de scandale, et tout le bénéfice qu'espérait Vanni de cette affaire s'évanouissait ; en deux heures, la chose pouvait être terminée et le déficit comblé sans que la fortune du prince en souffrit une grave atteinte ; l'affaire, grâce au liquidateur, dura dix ans ; le déficit persista et le prince fut ruiné, d'argent et de réputation.

Mais Vanni eut un nom qui lui valut le sanglant honneur de faire partie de la junte d'état de 1796.

Une fois nommé, Vanni se mit à crier tout haut, à tous et partout, qu'il ne garantissait pas la sûreté de ses augustes souverains si on ne lui laissait pas incarcérer vingt mille jacobins à Naples seulement.

Chaque fois qu'il voyait la reine, il s'approchait d'elle, soit par un de ces bonds inattendus qu'il partageait avec le loup, soit par cette marche oblique qu'il tenait de l'hyène, et lui disait :

– Madame, je tiens le fil d'une conspiration ! Madame, je suis sur la trace d'un nouveau complot !

Et Caroline, qui se croyait entourée de complots et de conspirations, disait :

– Continuez, continuez, Vanni ! servez bien votre reine, et vous serez récompensé.

Cette terreur blanche dura plus de trois ans ; au bout de trois ans, l'indignation publique monta comme une marée d'équinoxe, et vint en quelque sorte battre les murs des prisons, où tant de prévenus étaient enfermés sans que jamais on eût pu prouver qu'un seul était coupable ; au bout de trois ans, les instructions, faites avec l'acharnement des haines politiques, n'avaient pu constater aucun délit ; Vanni recourut à une dernière espérance, se réfugia dans une dernière ressource, la torture.

Mais ce n'était point assez pour Vanni de la torture ordinaire : des traditions qui remontaient au moyen âge, époque depuis laquelle la torture n'avait point été appliquée, disaient que des esprits fermes, des corps robustes l'avaient supportée ; non, il réclamait la torture extraordinaire, que les anciens législateurs autorisaient dans les cas de lèse-majesté, et demandait que les chefs du complot, c'est-à-dire le chevalier de Medici, le duc de Canzano, l'abbé Monticelli et sept ou huit autres, fussent soumis à cette torture qu'il spécifiait lui-même dans un de ces sourires fatals qui tordaient sa bouche lorsqu'il était dans l'espérance que cette faveur lui serait accordée : tormenti spietati come sopra cadaveri, c'est-à-dire des tourments pareils à ceux que l'on exercerait sur des cadavres.

La conscience des juges se révolta, et, quoique Guidobaldi et Castelcicala fussent pour la torture comme sur des cadavres, le tribunal la repoussa à l'unanimité moins leurs deux voix.

Cette unanimité était le salut des prisonniers et la chute de Vanni.

Les prisonniers furent mis en liberté, la junte fut dissoute par le dégoût public, et Vanni renversé de son fauteuil de procureur fiscal.

Ce fut alors que la reine lui tendit la main, qu'elle lui fit donner le titre de marquis, et que, de ces trois hommes qui avaient encouru l'exécration publique, elle forma son tribunal à elle, son inquisition privée, jugeant dans la solitude, frappant dans les ténèbres, non plus avec le fer du bourreau, mais avec le poignard du sbire.

Nous avons vu à l'œuvre Pasquale de Simone ; nous allons y voir Guidobaldi, Castelcicala et Vanni.

Les trois inquisiteurs d'état étaient donc réunis dans la chambre obscure ; ils étaient assis, inquiets et sombres, autour de la table verte, éclairée par la lampe de bronze ; l'abat-jour laissait leur visages dans l'ombre, de sorte que, d'un côté à l'autre de la table, ils ne se fussent point reconnus, s'ils n'eussent point su qui ils étaient.

Le message de la reine les troublait : un espion plus habile qu'eux avait-il découvert quelque complot ?

Chacun d'eux roulait donc en silence son inquiétude dans son esprit, sans en faire part à ses compagnons, attendant avec anxiété que la porte des appartements royaux s'ouvrit et que la reine parût.

Puis, de temps en temps, chacun jetait un regard rapide et ombrageux sur le coin le plus obscur de la chambre.

C'est que, dans ce coin, presque entièrement perdu dans l'ombre, à peine visible, se tenait le sbire Pasquale de Simone.

Peut-être en savait-il plus qu'eux, car, plus qu'eux encore, il était avant dans les secrets de la reine ; mais, quoiqu'ils lui donnassent des ordres, pas un des inquisiteurs d'état n'eût osé l'interroger.

Seulement, sa présence témoignait de la gravité de l'affaire.

Pasquale de Simone, aux yeux mêmes des inquisiteurs d'état, était un personnage bien plus effrayant que maître Donato.

Maître Donato, c'était le bourreau public et patenté : Pasquale de Simone, c'était le bourreau secret et mystérieux ; l'un était l'exécuteur de la loi, l'autre celui du bon plaisir royal.

Que le bon plaisir royal cessât de tenir pour ses fidèles Guidobaldi, Castelcicala, Vanni, il ne pouvait les déférer à la loi : ils savaient et eussent révélé trop de choses.

Mais il pouvait les désigner à Pasquale de Simone, faire un seul geste, et, alors, tout ce qu'ils savaient, tout ce qu'ils pouvaient dire ne les protégeait plus, mais au contraire les condamnait ; un coup bien appliqué entre la sixième et la septième côte gauche, tout était dit, les secrets mouraient avec l'homme, et son dernier soupir, pour celui qui passait à dix pas de l'endroit où il était frappé, n'était plus qu'une haleine du vent, plus triste, un souffle de la brise, plus mélancolique que les autres.

Neuf heures sonnèrent à cette horloge dont nous avons vu le timbre faire tressaillir la reine, la première fois qu'à sa suite nous introduisîmes le lecteur dans cette chambre, et, comme le dernier coup du marteau vibrait encore, la porte s'ouvrit et Caroline parut.

Les trois inquisiteurs d'état se levèrent d'un seul mouvement, saluèrent la reine et s'avancèrent vers elle. Elle tenait divers objets cachés sous un grand châle de cachemire rouge, jeté sur son épaule gauche plutôt en manière de manteau que de châle.

Pasquale de Simone ne bougea point ; la silhouette rigide du sbire resta collée contre la muraille, comme une figure de tapisserie.

La reine prit la parole sans même laisser aux inquisiteurs d'état le temps de lui adresser leurs hommages.

– Cette fois, monsieur Vanni, dit-elle, ce n'est point vous qui tenez le fil d'un complot, ce n'est point vous qui êtes sur la trace d'une conspiration, c'est moi ; mais, plus heureuse que vous qui avez trouvé les coupables sans trouver les preuves, j'ai trouvé les preuves d'abord, et, par les preuves, je vous apporte le moyens de trouver les coupables.

– Ce n'est cependant pas le zèle qui nous manque, madame, dit Vanni.

– Non, répondit la reine, puisque beaucoup même vous accusent d'en avoir trop.

– Jamais, quand il s'agit de Votre Majesté, dit le prince de Castelcicala.

– Jamais ! répéta comme un écho Guidobaldi.

Pendant ce court dialogue, la reine s'était approchée de la table ; elle écarta son châle et y déposa une paire de pistolets et une lettre encore légèrement teintée de sang.

Les trois inquisiteurs la regardèrent faire avec le plus grand étonnement.

– Asseyez-vous, messieurs, dit la reine. Marquis Vanni, prenez la plume et écrivez les instructions que je vais vous donner.

Les trois hommes s'assirent, et la reine, restant debout, le poing fermé et appuyé sur la table, enveloppée de son châle de pourpre comme une impératrice romaine, dicta les paroles suivantes :

– Dans la nuit du 22 au 23 septembre dernier, six hommes étaient réunis dans les ruines du château de la reine Jeanne ; ils en attendaient un septième, envoyé de Rome par le général Championnet. L'homme envoyé par le général Championnet avait quitté son cheval à Pouzzoles ; il y avait pris une barque, et, malgré la tempête qui menaçait, et qui, quelque temps après, éclata en effet, il s'avança par mer vers le palais en ruine où il était attendu. Au moment où la barque allait aborder, elle sombra ; les deux pêcheurs qui la conduisaient périrent ; le messager tomba à l'eau comme eux, mais, plus heureux qu'eux, se sauva. Les six conjurés et lui restèrent en conférence jusqu'à minuit et demi, à peu près. Le messager sortit le premier et s'achemina vers la rivière de Chiaïa ; les six autres hommes quittèrent les ruines ; trois remontèrent le Pausilippe, trois autres suivirent en barque le bord de la mer en descendant du côté du château de l'œuf. Un peu avant d'arriver à la fontaine du Lion, le messager fut assassiné...

– Assassiné ! s'écria Vanni ; et par qui ?

– Cela ne nous regarde point, répondit la reine d'un ton glacé ; nous n'avons pas à poursuivre ses assassins.

Vanni vit qu'il avait fait fausse route et se tut.

– Avant de tomber, il tua deux hommes avec les pistolets que voici, et en blessa deux avec le sabre que vous trouverez dans cette armoire. (Et la reine indiqua l'armoire où, quinze jours auparavant, elle avait enfermé le sabre et le manteau.) Le sabre, vous pourrez le voir, est de fabrique française ; mais les pistolets, vous pourrez le voir aussi, sont des manufactures royales de Naples ; ils sont marqués d'une N., première lettre du nom de baptême de leur propriétaire.

Pas un souffle n'interrompit la reine ; on eût dit que ses trois auditeurs étaient de marbre.

– Je vous ai dit, continua-t-elle, que le sabre était de fabrique française ; mais, au lieu de l'uniforme que le messager portait en arrivant et qui avait été mouillé par la pluie et par l'eau de mer, il portait une houppelande de velours vert à brandebourgs qui lui avait été prêtée par un des six conjurés. Le conjuré qui lui avait prêté cette redingote avait oublié dans la poche une lettre ; c'est une lettre de femme, une lettre d'amour, adressée à un jeune homme dont le nom est Nicolino. Les N incrustées sur les pistolets prouvent qu'ils appartiennent à la même personne à laquelle est adressée la lettre, et qui, en prêtant la redingote, a prêté aussi les pistolets.

– Cette lettre, dit Castelcicala après l'avoir examinée avec soin, n'a pour toute signature qu'une initiale, un E.

– Cette lettre, dit la reine, est de la marquise Elena de San-Clemente.

Les trois inquisiteurs se regardèrent.

– Une des dames d'honneur de Votre Majesté, je crois, fit Guidobaldi.

– Une de mes dames d'honneur, oui, monsieur, répondit la reine avec un singulier sourire, qui semblait dénier à la marquise de San-Clemente la qualification de dame d'honneur que Guidobaldi lui donnait. Or, comme les amants sont encore, à ce qu'il paraît, dans leur lune de miel, j'ai donné ce matin congé à la marquise de San-Clemente, qui était de service près de moi demain, et qui sera remplacée demain par la comtesse de San-Marco. Or, écoutez bien ceci, continua la reine.

Les trois inquisiteurs se rapprochèrent de Caroline en s'allongeant sur la table et entrèrent dans le cercle de lumière versé par la lampe, de manière que leurs trois têtes, restées jusque-là dans l'ombre, se trouvèrent tout à coup éclairées.

– Or, écoutez bien ceci : il est probable que la marquise de San-Clemente, ma dame d'honneur, comme vous l'appelez, monsieur Guidobaldi, ne dira pas à son mari un mot du congé que je lui donne, et consacrera toute la journée de demain à son cher Nicolino ; vous comprenez maintenant, n'est-ce pas ?

Les trois hommes levèrent leurs yeux interrogateurs sur la reine ; ils n'avaient point compris.

Caroline continua.

– C'est bien simple cependant, dit-elle. Pasquale de Simone entoure avec ses hommes le palais de la marquise de San-Clemente ; ils la voient sortir, ils la suivent sans affectation ; le rendez-vous est dans une maison tierce ; ils reconnaissent le Nicolino, ils laissent aux amants tout le loisir d'être ensemble. La marquise sort probablement la première, et, quand Nicolino sort à son tour, ils arrêtent Nicolino, mais sans lui faire aucun mal... La tête de celui qui le toucherait autrement que pour le faire prisonnier, dit la reine en élevant la voix et en fronçant le sourcil, me répondrait de sa vie ! Les hommes de Pasquale de Simone le prennent donc vivant, le conduisent au château Saint-Elme et le recommandent tout particulièrement au gouverneur, qui choisit pour lui un de ses cachots les plus sûrs. S'il consent à nommer ses complices, tout va bien ; s'il refuse, alors, Vanni, cela vous regarde ; vous n'aurez plus un tribunal stupide pour vous empêcher de donner la torture, et vous agirez comme sur un cadavre. Est-ce clair, cela, messieurs ? Et, quand je me mêle de découvrir des conspirations, suis-je un bon limier ?

– Tout ce que fait la reine est marqué au coin du génie, dit Vanni en s'inclinant. Votre Majesté a-t-elle d'autres ordres à nous donner ?

– Aucun, répliqua la reine. Ce que le marquis Vanni vient d'écrire vous servira de règle à tous trois ; après le premier interrogatoire, vous me rendrez compte. Prenez le manteau et le sabre qui se trouvent dans cette armoire, les pistolets et la lettre qui se trouvent sur cette table comme preuves de conviction, et que Dieu vous garde !

La reine fit aux trois inquisiteurs un salut de la main ; tous trois saluèrent profondément et sortirent à reculons.

Lorsque la porte se fut refermée derrière eux, Caroline fit un signe à Pasquale de Simone ; le sbire s'approcha au point de n'être séparé de la reine que par la largeur de la table.

– Tu as entendu ? lui dit la reine en jetant sur la table une bourse pleine d'or.

– Oui, Votre Majesté, répondit le sbire en prenant la bourse et en remerciant par un salut.

– Demain, ici, à la même heure, tu te trouveras pour me rendre compte de ce qui se sera passé.

Le lendemain, à la même heure, la reine apprenait de la bouche de Pasquale que l'amant de la marquise de San-Clemente, surpris à l'improviste, avait été arrêté à trois heures de l'après-midi sans avoir pu opposer aucune résistance, conduit au château Saint-Elme et écroué.

Elle apprit, en outre, que cet amant était Nicolino Caracciolo, frère du duc de Rocca Romana et neveu de l'amiral.

– Ah ! murmura-t-elle, si nous avions le bonheur que l'amiral en fût !

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