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Chapitre XXII
Le conseil d'Etat

Outre les séances qui se tenaient chez la reine, dans cette chambre obscure où nous avons introduit nos lecteurs, et que l'on eût pu à bon droit prendre pour des séances de l'inquisition, il y avait chaque semaine, au palais, quatre conseils ordinaires : le lundi, le mercredi, le jeudi et le vendredi.

Les personnes qui composaient ces conseils d'état étaient :

Le roi, lorsqu'il y était forcé par l'importance des affaires ;

La reine, dont nous avons expliqué le droit de présence ;

Le capitaine général Jean Acton, président du conseil ;

Le prince de Castel-Cicala, ministre des affaires étrangères, marine, commerce, et espion dénonciateur et juge dans ses moments perdus ;

Le brigadier Jean-Baptiste Ariola, ministre de la guerre, homme intelligent et comparativement honnête ;

Le marquis Saverio Simonetti, ministre de grâce et justice.

Le marquis Ferdinand Corradino, ministre des cultes et des finances, qui eût été le plus médiocre de tous les ministres, s'il n'eût rencontré au conseil Saverio Simonetti, encore plus médiocre que lui.

Dans les grandes occasions, on adjoignait à ces messieurs, le marquis de la Sambucca, le prince Carini, le duc de San-Nicolo, le marquis Balthazar Cito, le marquis del Gallo et les généraux Pignatelli, Colli et Parisi.

Tout au contraire du roi, qui assistait à l'un de ces conseils sur dix, la reine y était fort assidue ; il est vrai que souvent elle semblait simple spectatrice de la discussion, se tenant éloignée de la table et assise dans quelque coin ou quelque embrasure de fenêtre avec sa favorite Emma Lyonna, qu'elle avait introduite dans la salle des séances comme une chose à elle et étant de sa suite obligée, sans plus d'importance apparente que n'en avait, derrière Ferdinand, Jupiter, son épagneul favori.

Chacun jouait sa comédie : les ministres avaient l'air de discuter, Ferdinand avait l'air d'être attentif, Caroline avait l'air d'être distraite, le roi grattait l'occiput de son chien, la reine jouait avec les cheveux d'Emma, favori et favorite étaient couchés, l'un aux pieds de son maître, l'autre aux genoux de sa maîtresse. Les ministres, soit en passant devant eux, soit dans les intervalles des discussions, faisaient une caresse à Jupiter, un compliment à Emma, et caresse et compliment étaient récompensés par un sourire du maître ou de la maîtresse.

Le capitaine général Jean Acton, seul pilote chargé de la responsabilité de ce navire battu par le vent révolutionnaire qui venait de France, et engagé, en outre, dans les récifs de cette mer dangereuse des sirènes, où sombrèrent en six siècles huit dominations différentes ; Acton, le front plissé, l'œil sombre, la main frémissante comme s'il eût en effet touché le gouvernail, semblait seul comprendre la gravité de sa situation et l'approche du danger.

Appuyée sur la flotte anglaise, à peu près sûre du concours du Nelson, forte surtout de sa haine contre la France, la reine était décidée non-seulement à affronter le danger, mais encore à aller au-devant de lui et à le provoquer.

Quant à Ferdinand, c'était tout le contraire ; il avait jusqu'alors, avec toutes les ressources de sa feinte bonhomie, louvoyé, de manière sinon à satisfaire la France, au moins à ne lui fournir aucun moyen spécieux de se brouiller avec lui.

Et voilà que, grâce aux imprudences de Caroline, les événements avaient marché plus vite que ne l'avait calculé le roi, lequel, au lieu de leur imprimer un mouvement impulsif, eût voulu les laisser se dérouler avec une sage lenteur ; voilà qu'on avait été, comme nous l'avons vu, au-devant de Nelson ; voilà qu'au mépris des traités conclus avec la France, on avait reçu la flotte anglaise dans le port de Naples ; voilà qu'on avait donné une fête splendide au vainqueur d'Aboukir ; voilà que l'ambassadeur de la République, lassé de tant de mauvaise foi, de tant de mensonges et de tant d'affronts, sans calculer si de son côté la France était prête, avait, au nom de la France, déclaré la guerre au gouvernement des Deux-Siciles ; voilà enfin que le roi, qui avait, pour le mardi 27 septembre, ordonné une magnifique chasse, dont trois fanfares devaient lui donner le signal, avait, comme nous l'avons vu, par suite de la lettre de la reine, décommandé sa chasse et été obligé de la convertir en conseil d'état !

Au reste, ministres et conseillers avaient été prévenus par Acton de la mauvaise humeur probable de Sa Majesté, et invités à se renfermer dans le silence pythagoricien.

La reine était arrivée la première au conseil, et, outre les ministres et les conseillers, elle y avait trouvé le cardinal Ruffo ; elle lui avait alors fait demander à quelle circonstance heureuse elle devait le plaisir de sa présence ; Ruffo avait répondu qu'il était là par ordre exprès du roi ; la reine et le cardinal avaient échangé, l'une une légère inclination de tête, l'autre une profonde révérence, et l'on avait silencieusement attendu l'arrivée du roi.

à neuf heures un quart, la porte s'était ouverte à deux battants, et les huissiers avaient annoncé :

– Le roi !

Ferdinand était entré doublement mécontent et faisant opposition, par son air maussade et rechigné, à l'air joyeux et vainqueur de la reine ; son épagneul Jupiter, avec lequel nous avons déjà fait connaissance, ne le cédant point en intelligence aux coursiers d'Hippolyte, le suivait, la tête basse et la queue entre les jambes. Quoique la chasse eût été renvoyée à un autre jour, le roi, comme pour protester contre la violence qui lui était faite, s'était vêtu en chasseur.

C'était une consolation qu'il s'était donnée et qu'apprécieront ceux-là seuls qui connaissent son fanatisme pour l'amusement dont on l'avait privé.

à sa vue, tout le monde se leva, même la reine.

Ferdinand la regarda de côté, secoua la tête et poussa un soupir, comme ferait un homme qui se trouve en face de la pierre d'achoppement de tous ses plaisirs.

Puis, après un salut général à droite et à gauche, en réponse aux révérences des ministres et des conseillers, et un salut personnel et particulier au cardinal Ruffo :

– Messieurs, dit-il d'une voix dolente, je suis véritablement au désespoir d'avoir été forcé de vous déranger un jour où vous comptiez peut-être, comme moi, au lieu de tenir un conseil d'état, vous occuper de vos plaisirs ou de vos affaires. Ce n'est point ma faute, je vous le jure, si vous éprouvez ce désappointement ; mais il parait que nous avons à débattre des choses pressées et de la plus haute importance, choses que la reine prétend ne pouvoir être débattues que par-devant moi. Sa Majesté va vous raconter l'affaire ; vous en jugerez et m'éclairerez de vos avis. Asseyez-vous, messieurs.

Puis, s'asseyant à son tour un peu en arrière des autres et en face de la reine :

– Viens ici, mon pauvre Jupiter, ajouta-t-il en frappant sur sa cuisse avec sa main ; nous allons bien nous amuser ; va !

Le chien vint, en bâillant, se coucher près de lui, allongeant ses pattes et se tenant accroupi à la manière des sphinx.

– Oh ! messieurs, dit la reine avec cette impatience que lui inspiraient toujours les manières de faire et de dire de son mari, si complétement en opposition avec les siennes, la chose est bien simple, et, s'il était en humeur de parler aujourd'hui, le roi nous la dirait en deux mots.

Et, voyant que tout le monde écoutait avec la plus grande attention :

– L'ambassadeur français, le citoyen Garat, ajouta-t-elle, a quitté Naples cette nuit en nous déclarant la guerre.

– Et, fit le roi, il faut ajouter, messieurs, que nous ne l'avons pas volée, cette déclaration de guerre, et notre bonne amie l'Angleterre en est arrivée à ses fins ; reste à voir maintenant comment elle nous soutiendra. Ceci, c'est l'affaire de M. Acton.

– Et du brave Nelson, monsieur, dit la reine. Au reste, il vient de montrer à Aboukir ce que peut le génie réuni au courage.

– N'importe, madame, dit le roi, je n'hésite pas à vous le dire franchement, la guerre avec la France est une lourde affaire.

– Moins lourde cependant, vous en conviendrez, reprit aigrement la reine, depuis que le citoyen Buonaparte, tout vainqueur de Dego, de Montenotte, d'Arcole et de Mantoue qu'il s'intitule, est confiné en égypte, où il restera jusqu'à ce que la France ait construit une nouvelle flotte pour l'aller chercher ; ce qui lui laissera le temps, je l'espère, de voir pousser les raves dont le Directoire lui a fourni les graines pour ensemencer les rives du Nil.

– Oui, répliqua non moins aigrement le roi ; mais, à défaut du citoyen Buonaparte, – qui est bien bon de ne s'intituler que le vainqueur de Dego, de Montenotte, d'Arcole et de Mantoue, quand il pourrait s'intituler encore celui de Roveredo, de Bassano, de Castiglione et de Millesimo, – il reste à la France Masséna, le vainqueur de Rivoli ; Bernadotte, le vainqueur du Tagliamento ; Augereau, le vainqueur de Lodi ; Jourdan, le vainqueur de Fleurus ; Brune, le vainqueur d'Alkmaer ; Moreau, le vainqueur de Radstadt ; ce qui fait bien des vainqueurs pour nous qui n'avons jamais rien vaincu ; sans compter Championnet, le vainqueur des Dunes, que j'oubliais, lequel, je vous le ferai observer en passant, n'est qu'à trente lieues de nous, c'est-à-dire à trois jours de marche.

La reine haussa les épaules avec un sourire de mépris qui s'adressait à Championnet, dont elle connaissait l'impuissance momentanée, et que le roi prit pour lui.

– Si je me trompe de deux ou trois lieues, madame, dit-il, c'est tout. Depuis que les Français occupent Rome, j'ai demandé assez souvent à quelle distance ils étaient de nous pour le savoir.

– Oh ! je ne conteste pas vos connaissances en géographie, monsieur, dit la reine en laissant retomber sa lèvre autrichienne jusque sur son menton.

– Non, je comprends, vous vous contentez de contester mes aptitudes politiques ; mais, quoique San-Nicandro ait travaillé de son mieux à faire de moi un âne, et qu'à votre avis il y ait malheureusement réussi, je ferai observer à ces messieurs qui ont l'honneur d'être mes ministres que la chose se complique. En effet, il ne s'agit plus d'envoyer, comme en 1793, trois ou quatre vaisseaux et cinq ou six mille hommes à Toulon ; et ils en sont revenus dans un bel état, de Toulon, nos vaisseaux et nos hommes ! le citoyen Buonaparte, quoiqu'il ne fût encore le vainqueur de rien, les avait bien arrangés ! Il ne s'agit plus de fournir à la coalition, comme en 1796, quatre régiments de cavalerie qui ont fait des prodiges de valeur dans le Tyrol, ce qui n'a pas empêché Cuto d'être fait prisonnier, et Moliterno d'y laisser le plus beau de ses yeux ; et notez qu'en 93 et 96, nous étions couverts par toute la largeur de la haute Italie, occupée par les troupes de votre neveu, qui, soit dit sans reproche, ne me paraît pas pressé d'entrer en campagne, quoique le citoyen Buonaparte lui ait diablement rogné les ongles par le traité de Campo-Formio. C'est que votre neveu François est un homme prudent ; il ne lui suffit pas, pour se mettre en campagne, des 60, 000 hommes que vous lui offrez, il attend encore les 50, 000 que lui promet l'empereur de Russie ; il connaît les Français, il s'y est frotté et ils l'ont frotté.

Et Ferdinand, qui commençait à reprendre un peu de sa belle humeur, se mit à rire de l'espèce de jeu de mots qu'il venait de faire aux dépens de l'empereur d'Autriche, justifiant cette maxime à la fois si profonde et si désespérante de la Rochefoucauld, qu'il y a toujours dans le malheur d'un ami quelque chose qui nous fait plaisir.

– Je ferai observer au roi, répondit Caroline, blessée de ce mouvement d'hilarité qui se manifestait aux dépens de son neveu, que le gouvernement napolitain n'est pas libre, comme celui de l'empereur d'Autriche, de choisir son temps et son heure. Ce n'est pas nous qui déclarons la guerre à la France, c'est la France qui nous la déclare, et même qui nous l'a déclarée ; il faut donc voir au plus tôt quels sont nos moyens de soutenir cette guerre.

– Certainement qu'il faut le voir, dit le roi. Commençons par toi, Ariola. Voyons ! On parle de 65, 000 hommes. Où sont-ils, tes 65, 000 hommes ?

– Où ils sont, sire ?

– Oui, montre-les-moi.

– Rien de plus facile, et le capitaine général Acton est là pour dire à Votre Majesté si je mens.

Acton fit de la tête un signe affirmatif.

Ferdinand regarda Acton de travers. Il lui prenait parfois des caprices, non pas d'être jaloux, il était trop philosophe pour cela, mais d'être envieux. Aussi, le roi présent, Acton ne donnait-il signe d'existence que si Ferdinand lui adressait la parole.

– Le capitaine général Acton répondra pour lui, si je lui fais l'honneur de l'interroger, dit le roi ; en attendant, réponds pour toi, Ariola. Où sont tes 65, 000 hommes ?

– Sire, 22, 000 au camp de San-Germano.

Au fur et à mesure qu'Ariola énumérait, Ferdinand, avec un mouvement de tête, comptait sur ses doigts.

– Puis 16, 000 dans les Abruzzes, continua Ariola, 8, 000 dans la plaine de Sessa, 6, 000 dans les murs de GaĆ«te, 10, 000 tant à Naples que sur les côtes, enfin 3, 000 tant à Bénévent qu'à Ponte-Corvo.

– Il a, ma foi, son compte, dit le roi finissant son calcul en même temps qu'Ariola terminait son énumération, et j'ai une armée de 65, 000 hommes.

– Et tous habillés à neuf, à l'autrichienne.

– C'est à dire en blanc ?

– Oui, sire, au lieu d'être habillés en vert.

– Ah ! mon cher Ariola, s'écria le roi avec une expression de grotesque mélancolie, vêtus de blanc, vêtus de vert, ils n'en ficheront pas moins le camp, va...

– Vous avez une triste idée de vos sujets, monsieur, répondit la reine.

– Triste idée, madame ! Je les crois, au contraire, très-intelligents, mes sujets, trop intelligents même ; et voilà pourquoi je doute qu'ils se fassent tuer pour des affaires qui ne les regardent pas. Ariola nous dit qu'il a 65, 000 hommes ; parmi ces 65, 000 hommes, il y a 15, 000 vieux soldats, c'est vrai ; mais ces vieux soldats n'ont jamais brûlé une amorce ni entendu siffler une balle. Ceux-là, il est possible, ne se sauveront qu'au second coup de fusil ; quant aux 50, 000 autres, ils datent de six semaines ou d'un mois, et ces 50, 000 hommes, comment ont-ils été recrutés ? Ah ! vous croyez, messieurs, que je ne fais attention à rien, parce que, la plupart du temps, pendant que vous discutez, je cause avec Jupiter, qui est un animal plein d'intelligence ; mais, au contraire, je ne perds pas un mot de ce que vous dites ; seulement, je vous laisse faire ; si je vous contrariais, je serais forcé de vous prouver que je m'entends mieux que vous à gouverner, et cela ne m'amuse point assez pour que je risque de me brouiller avec la reine, que cela amuse beaucoup. Eh bien, ces hommes, vous ne les avez enrôlés ni en vertu d'une loi, ni à la suite d'un tirage au sort ; non, vous les avez enlevés de force à leurs villages, arrachés par violence à leurs familles, et cela selon le caprice de vos intendants et de vos sous-intendants. Chaque commune vous a fourni huit conscrits par mille hommes ; mais voulez-vous que je vous dise comment cela s'est fait ? On a d'abord désigné les plus riches ; mais les plus riches ont payé rançon et ne sont point partis. On en a désigné de moins riches alors ; mais, comme les seconds pouvaient encore payer, ils ne sont pas plus partis que les premiers. Enfin, de moins en moins riches, après avoir levé trois ou quatre contributions, dont on s'est bien gardé de te parler, mon pauvre Corradino, tout mon ministre des finances que tu es, on est arrivé à ceux qui n'avaient pas un grain pour se racheter. Ah ! ceux-là, il a bien fallu qu'ils partent. Chacun de ces hommes représente donc une injustice vivante, une flagrante exaction ; aucun motif légitime ne l'oblige au service, aucun lien moral ne le retient sous les drapeaux, il est enchaîné par la crainte du châtiment, voilà tout ! Et vous voulez que ces gens-là se fassent tuer pour soutenir des ministres injustes, des intendants cupides, des sous-intendants voleurs, et, par-dessus tout cela, un roi qui chasse, qui pêche, qui s'amuse et qui ne s'occupe de ses sujets que pour passer avec sa meute sur leurs terres et dévaster leurs moissons ! Ils seraient bien bêtes ! Si j'étais soldat à mon service, dès le premier jour, j'aurais déserté, et je me serais fait brigand ; au moins, des brigands combattent et se font tuer pour eux-mêmes.

– Je suis forcé d'avouer qu'il y a beaucoup de vérité dans ce que vous dites là, sire, répondit le ministre de la guerre.

– Pardieu ! reprit le roi, je dis toujours la vérité, quand je n'ai pas de raisons de mentir, bien entendu. Maintenant, voyons ! Je t'accorde tes 65, 000 hommes ; les voilà rangés en bataille, vêtus à neuf, équipés à l'autrichienne, le fusil sur l'épaule, le sabre au côté, la giberne au derrière. Qui mets-tu à leur tête, Ariola ? Est-ce toi ?

– Sire, répondit Ariola, je ne puis être à la fois ministre de la guerre et général en chef.

– Et tu aimes mieux rester ministre de la guerre, je comprends cela.

– Sire !

– Je te dis que je comprends cela ; et d'un. Voyons, Pignatelli, cela te convient-il, de commander en chef les 65, 000 hommes d'Ariola ?

– Sire, répondit celui auquel le roi s'adressait, j'avoue que je n'oserais prendre une telle responsabilité.

– Et de deux. Et toi, Colli ? continua le roi.

– Ni moi non plus, sire.

– Et toi, Parisi ?

– Sire, je suis simple brigadier.

– Oui ; vous voulez bien tous commander une brigade, une division même ; mais un plan de campagne à tracer, mais des combinaisons stratégiques à accomplir, mais un ennemi expérimenté à combattre et à vaincre, pas un de vous ne s'en chargera !

– Il est inutile que Votre Majesté se préoccupe d'un général en chef, dit la reine : ce général en chef est trouvé.

– Bah ! dit Ferdinand ; pas dans mon royaume, j'espère ?

– Non, monsieur, soyez tranquille, répondit la reine. J'ai demandé à mon neveu un homme dont la réputation militaire puisse à la fois imposer à l'ennemi et satisfaire aux exigences de nos amis.

– Et vous le nommez ? demanda le roi.

– Le baron Charles Mack... Avez-vous quelque chose à dire contre lui ?

– J'aurais à dire, répliqua le roi, qu'il s'est fait battre par les Français ; mais, comme cette disgrâce est arrivée à tous les généraux de l'empereur, y compris son oncle et votre frère le prince Charles, j'aime autant Mack qu'un autre.

La reine se mordit les lèvres à cette implacable raillerie, qui poussait le cynisme jusqu'à se railler soi-même à défaut des autres, et, se levant :

– Ainsi, vous acceptez le baron Charles Mack pour général en chef de votre armée ? demanda-t-elle.

– Parfaitement, répondit le roi.

– En ce cas, vous permettez...

Et elle s'avança vers la porte ; le roi la suivait des yeux, ne pouvant pas deviner ce qu'elle allait faire, quand tout à coup un cor de chasse, embouché par deux lèvres puissantes et animé par une vigoureuse haleine, commença de sonner le lancer dans la cour du palais, sur laquelle donnaient les fenêtres de la chambre du conseil, et cela avec une telle vigueur, que les vitres en tremblèrent et que ministres et conseillers, ne comprenant rien à cette fanfare inattendue, se regardèrent avec étonnement.

Puis tous les yeux se reportèrent sur le roi, comme pour lui demander l'explication de cette interruption cynégétique.

Mais le roi paraissait aussi étonné que les autres et Jupiter aussi étonné que le roi.

Ferdinand écouta un instant comme s'il doutait de lui-même.

Puis :

– Que fait donc ce drôle ? dit-il. Il doit savoir cependant que la chasse est contremandée ; pourquoi donne-t-il le premier signal ?

Le piqueur continuait de sonner avec fureur.

Le roi se leva très-agité ; il était visible qu'il se livrait en lui-même un combat violent.

Il alla à la fenêtre et l'ouvrit.

– Veux-tu te taire, imbécile ! cria-t-il.

Puis, refermant la fenêtre avec humeur, il revint, toujours suivi de Jupiter, reprendre sa place sur son fauteuil.

Mais, pendant le mouvement qu'il avait fait, un nouveau personnage était entré en scène sous la protection de la reine ; celle-ci, en effet, pendant que le roi parlait à son piqueur, était allée ouvrir la porte de ses appartements qui donnait sur la salle du conseil, et l'avait introduit.

Chacun regardait avec surprise cet inconnu, et le roi avec non moins de surprise que les autres.

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