Robin Hood le proscrit Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre II


Comment nous l'avons dit, le baron Fitz Alwine avait ramené au château de Nottingham sa belle et gracieuse fille lady Christabel.

Quelques jours avant la disparition du pauvre Will, le baron se trouvait assis dans une chambre de son appartement particulier, en face d'un petit vieillard splendidement vêtu d'un habit tout chamarré de broderies d'or.

S'il pouvait y avoir de la richesse dans la laideur, nous dirions que l'hôte du seigneur Fitz Alwine était immensément riche.

à en juger par son visage, ce coquet vieillard devait être beaucoup plus âgé que le baron ; mais il semblait ne point se souvenir de l'ancienneté de son acte de naissance.

Ridés et grimaçants comme le sont de vieux singes, nos deux personnages causaient à demi voix, et il était évident qu'ils cherchaient à obtenir l'un de l'autre, à force de ruse et de flatterie, la solution définitive d'une affaire importante.

– Vous êtes trop dur avec moi, baron, dit le très laid vieillard en branlant la tête.

– Ma foi ! non, répondit lestement lord Fitz Alwine, j'assure le bonheur de ma fille, voilà tout, et je vous mets au défi de me trouver une arrière-pensée, mon cher sir Tristram.

– Je sais que vous êtes un bon père, Fitz Alwine, et que le bonheur de lady Christabel est votre unique préoccupation... que comptez-vous lui donner pour dot, à cette chère enfant ?

– Je vous l'ai déjà dit, cinq mille pièces d'or le jour de son mariage, et la même somme plus tard.

– Il faut préciser la date, baron, il faut préciser la date, grommela le vieillard.

– Mettons dans cinq ans.

– Ce délai est long, puis la dot que vous donnez à votre fille est bien modeste.

– Sir Tristram, dit le baron d'une voix sèche, vous soumettez ma patience à une trop longue épreuve. Rappelez-vous donc, je vous prie, que ma fille est jeune et belle, et que vous n'avez plus les avantages physiques que vous pouviez posséder il y a cinquante ans.

– Allons, allons, ne vous fâchez pas, Fitz Alwine, mes intentions sont bonnes ; je puis placer un million à côté de vos dix mille pièces d'or, que dis-je ? un million, peut-être deux.

– Je sais que vous êtes riche, interrompit le baron ; malheureusement je ne suis pas à votre niveau, et néanmoins je veux placer ma fille au rang des plus grandes dames de l'Europe. Je veux que la position de lady Christabel soit égale à celle d'une reine. Vous connaissez ce paternel désir, et cependant vous refusez de me confier la somme qui doit venir en aide à sa réalisation.

– Je ne comprends pas, mon cher Fitz Alwine, quelle différence il peut y avoir pour le bonheur de votre fille à ce que je garde entre mes mains l'argent qui représente la moitié de ma fortune. Je place le revenu d'un million, de deux millions sur la tête de lady Christabel, mais je garde la propriété du capital. Ne vous tourmentez donc pas, je ferai à ma femme une existence de reine.

– Tout cela est fort bien... en paroles, mon cher Tristram ; mais permettez-moi de vous dire que, lorsqu'il y a une très grande disproportion d'âge entre deux époux, la mésintelligence se fait l'hôte de leur maison. Il peut arriver que les caprices d'une jeune femme vous deviennent insupportables et que vous repreniez ce que vous aurez donné. Si je tiens entre mes mains la moitié de votre fortune, je serai tranquille sur le bonheur à venir de ma fille ; elle n'aura rien à craindre, et vous pouvez vous quereller avec elle tant qu'il vous plaira.

– Nous quereller ! vous plaisantez, mon cher baron : jamais de la vie il n'arrivera un malheur semblable. J'aime trop tendrement la belle petite colombe pour ne pas craindre de lui déplaire. J'aspire depuis douze ans à la possession de sa main, et vous pensez que je puis être capable de blâmer ses caprices ! Elle en aura tant qu'elle voudra, elle sera riche et pourra les satisfaire.

– Permettez-moi de vous dire, sir Tristram, que si vous refusez une fois encore d'accéder à ma demande, je vous retirerai très nettement la parole que je vous ai donnée.

– Vous êtes trop vif, baron, beaucoup trop vif, grommela le vieillard ; causons encore un peu de cette affaire.

– Je vous ai dit là-dessus tout ce qu'il y avait à dire ; ma décision est prise.

– Ne vous entêtez pas, Fitz Alwine. Voyons, si je plaçais cinquante mille pièces d'or en votre possession ?

– Je vous demanderais si vous avez l'intention de m'insulter.

– Vous insulter ! Fitz Alwine, quelle opinion avez-vous donc de moi ?... Si je disais deux cent mille pièces d'or ?...

– Sir Tristram, restons-en là. Je connais votre immense fortune, et l'offre que vous me faites est une véritable moquerie. Que voulez-vous que je fasse de vos deux cent mille pièces d'or ?

– Ai-je dit deux cent mille, baron ? je voulais dire, cinq cent mille..., cinq cents, entendez-vous ? Voilà, n'est-il pas vrai, une noble somme, une bien noble somme ?

– C'est vrai, répondit le baron ; mais vous m'avez dit tout à l'heure que vous pouviez placer deux millions à côté des modestes dix mille pièces d'or de ma fille. Donnez-moi un million, et ma Christabel sera votre femme dès demain, si vous le désirez, mon bon Tristram.

– Un million ! vous voulez, Fitz Alwine, que je vous confie un million ! En vérité, votre demande est absurde ; je ne puis en conscience placer entre vos mains la moitié de ma fortune.

– Mettez-vous en doute mon honneur et ma délicatesse ? s'écria le baron d'une voix irritée.

– Pas le moins du monde, mon cher ami.

– Me supposez-vous un autre intérêt que celui qui se rattache au bonheur de ma fille ?

– Je sais que vous aimez lady Christabel ; mais...

– Mais quoi ? interrompit violemment le baron ; décidez-vous sur-le-champ, ou j'annule à jamais les engagements que j'ai pris.

– Vous ne me donnez même pas le temps de réfléchir.

En ce moment un coup discrètement frappé à la porte annonça l'arrivée d'un serviteur.

– Entrez, dit le baron.

– Milord, dit le valet, un messager du roi apporte de pressantes nouvelles ; il attend pour les communiquer le bon plaisir de Votre Seigneurie.

– Faites-le monter, répondit le baron. Maintenant, sir Tristram, un dernier mot, si vous n'adhérez pas à mes désirs avant l'entrée du courrier qui se présentera ici dans deux minutes, vous n'aurez pas lady Christabel.

– écoutez-moi, Fitz Alwine, de grâce, écoutez-moi.

– Je n'écouterai rien ; ma fille vaut un million ; puisque vous m'avez dit que vous l'aimiez.

– Tendrement, très tendrement, marmotta le hideux vieillard.

– Eh bien ! sir Tristram, vous serez très malheureux, car vous allez être à jamais séparé d'elle. Je connais un jeune seigneur, noble comme un roi, riche, très riche, et d'une agréable figure, qui n'attend que ma permission pour mettre son nom et sa fortune aux pieds de ma fille. Si vous hésitez encore pendant la durée d'une seconde, demain, entendez-vous bien, demain celle que vous aimez, ma fille, la belle et charmante Christabel, sera la femme de votre heureux rival.

– Vous êtes impitoyable, Fitz Alwine !

– J'entends les pas du courrier, répondez oui ou non.

– Mais... Fitz Alwine !

– Oui ou non ?

– Oui, oui, balbutia le vieillard.

– Sir Tristram, mon cher ami, songez à votre bonheur ; ma fille est un trésor de grâce et de beauté.

– Il est vrai qu'elle est bien belle, dit l'amoureux vieillard.

– Et qu'elle vaut bien un million de pièces d'or, ajouta le baron en ricanant. Sir Tristram, ma fille est à vous.

Ce fut ainsi que le baron Fitz Alwine vendit sa fille, la belle Christabel, à sir Tristram de Goldsborough pour un million de pièces d'or.

Aussitôt qu'il eut été introduit, le courrier annonça au baron qu'un soldat qui avait tué le capitaine de son régiment avait été suivi jusqu'en Nottinghamshire. Le roi donnait ordre au baron Fitz Alwine de faire saisir ce soldat par ses agents, et de le faire pendre sans miséricorde.

Le courrier congédié, lord Fitz Alwine serra à deux mains les mains tremblantes du futur époux de sa fille, en s'excusant de le quitter dans un moment aussi heureux ; mais les ordres du roi étaient précis, il fallait y obéir sans le moindre retard.

Trois jours après la conclusion de l'honorable marché contracté entre le baron et sir Tristram, le soldat poursuivi fut fait prisonnier et enfermé dans un donjon du château de Nottingham.

Robin Hood continuait activement la recherche de William, qui était, hélas ! le pauvre soldat saisi par les estafiers du baron.

Désespéré de l'inutilité de ses investigations dans tout le comté du Yorkshire, Robin Hood regagna la forêt, espérant obtenir quelques renseignements par ses hommes, qui, sans cesse apostés sur les routes qui vont de Mansfeld à Nottingham, auraient peut-être découvert quelque trace du jeune homme.

à un mille de Mansfeld, Robin Hood rencontra Much, le fils du meunier ; celui-ci, monté ainsi que le jeune homme sur un vigoureux cheval, galopait à toute bride vers la direction que Robin venait de quitter.

En apercevant son jeune chef, Much jeta un cri de joie et arrêta sa monture.

– Combien je suis heureux de vous rencontrer, mon cher ami, dit-il ; j'allais à Barnsdale ; j'ai des nouvelles du jeune garçon qui était avec vous à notre rencontre.

– L'avez-vous vu ? Nous sommes à sa recherche depuis trois jours.

– Je l'ai vu.

– Quand ?

– Hier au soir.

– Où ?

– à Mansfeld où je rentrais après avoir passé quarante-huit heures avec mes nouveaux compagnons. En approchant de la maison de mon père, j'aperçus devant la porte une troupe de chevaux, et sur l'un d'eux se trouvait un homme, les mains étroitement liées. Je reconnus votre ami. Les soldats, occupés à se rafraîchir, laissaient le prisonnier à la garde des liens qui l'attachaient sur le cheval. Sans attirer leurs regards, je réussis à faire comprendre à ce pauvre garçon que j'allais sur-le-champ courir à Barnsdale, et vous annoncer le malheur qui lui était arrivé. Cette promesse ranima le courage de votre ami, qui me remercia d'un coup d'œil expressif. Sans perdre une minute, je demandai un cheval, et, tout en me mettant en selle, j'adressai à un soldat quelques questions sur le sort qui était réservé à leur prisonnier. Il me répondit que, par ordre du baron Fitz Alwine, on conduisait ce jeune homme au château de Nottingham.

– Je vous remercie de l'empressement que vous avez mis à me rendre service, mon cher Much, répondit Robin. Vous venez de m'apprendre tout ce que je désirais savoir, et il faudra véritablement jouer de malheur si nous ne réussissons pas à prévenir les cruelles intentions de Sa Seigneurie normande. En selle, mon cher Much, gagnons en toute hâte le centre de la forêt ; là, je prendrai les mesures nécessaires à une prudente expédition.

– Où est Petit-Jean ? demanda Much.

– Il se rend à notre retraite par un chemin opposé à celui-

ci. En nous séparant nous avions l'espoir de recueillir des nouvelles chacun de notre côté. Le sort s'est déclaré en ma faveur, puisque j'ai eu la joie de vous rencontrer, mon brave Much.

– Toute la satisfaction est pour moi, mon capitaine, répondit gaiement Much ; votre volonté est la loi qui sert de guide à toutes mes actions.

Robin sourit, inclina la tête et partit ventre à terre, suivi de près par son compagnon.

En arrivant au rendez-vous général, Robin et Much y trouvèrent Petit-Jean. Après avoir communiqué à ce dernier les nouvelles apportées par Much, Robin lui ordonna de réunir les hommes disséminés dans la forêt, de les former en une seule troupe et de les conduire sur la lisière du bois qui avoisinait le château de Nottingham. Là, cachés sous l'ombrage des arbres, ils devaient attendre un appel de Robin et se tenir prêts au combat. Ces dispositions achevées, Robin et Much remontèrent à cheval et prirent au triple galop le chemin de Nottingham.

– Mon cher ami, dit Robin lorsqu'ils eurent atteint les limites de la forêt, nous voici arrivés au but de la course ; je ne dois pas entrer à Nottingham, ma présence dans la ville serait promptement connue, et on lui trouverait une raison que je désire tenir cachée. Vous me comprenez, n'est-ce pas ? Si les ennemis de William avaient connaissance de mon apparition soudaine, ils se tiendraient sur leurs gardes, et par conséquent il nous deviendrait fort difficile de mettre notre compagnon en liberté. Vous allez pénétrer seul dans la ville, et vous vous rendrez dans une petite maison qui se trouve à une courte distance de Nottingham. Vous y trouverez un bon garçon de mes amis nommé Halbert Lindsay ; en cas d'absence de ce dernier, une gentille femme qui porte à ravir le doux nom de Grâce vous dira où est son mari, vous irez à sa recherche et vous me l'amènerez. Avez-vous compris ?

– Parfaitement.

– Eh bien ! allez, je vais m'asseoir ici, et je vous attendrai en surveillant les environs.

Resté seul, Robin cacha son cheval dans le fourré, s'étendit sous l'ombrage d'un chêne, et se mit à combiner un plan de conduite pour tenter de secourir efficacement le pauvre Will. Tout en faisant appel aux ressources de son esprit inventif, le jeune homme surveillait la route avec une prudente attention. Bientôt il vit poindre à l'extrémité du chemin qui monte de Nottingham vers la forêt un jeune cavalier fort richement vêtu.

– Par ma foi ! se dit mentalement Robin, si cet élégant promeneur est de race normande, bien lui en a pris de choisir cet endroit pour respirer l'air parfumé de la campagne. Il me paraît si bien traité par dame Fortune qu'il y aura plaisir à prendre dans ses poches le prix des flèches et des arcs qui vont être brisés demain en l'honneur de William. Son costume est somptueux, son allure hautaine ; bien certainement ce gentil monsieur est de bonne rencontre. Avance, avance, joli damoiseau, tu seras encore plus léger lorsque nous aurons fait connaissance. Robin quitta prestement la position horizontale qu'il avait prise, et se plaça sur le chemin du voyageur. Celui-ci qui sans doute attendait de Robin un témoignage de politesse, s'arrêta courtoisement.

– Soyez le bienvenu, charmant cavalier, dit Robin en portant la main à sa toque ; le temps est si obscur que j'ai pris votre gracieuse apparition pour un messager du soleil. Votre souriante physionomie éclaire le paysage, et, si vous restez quelques minutes encore sur la lisière du vieux bois, les fleurs enveloppées d'ombre vont vous prendre pour un rayon de chaude lumière.

L'étranger se mit joyeusement à rire.

– Appartenez-vous à la bande de Robin Hood ? demanda-t-il.

– Vous jugez sur l'apparence, messire, répondit le jeune homme, et, parce que vous me voyez revêtu du costume des forestiers, vous présumez que je dois appartenir à la bande de Robin Hood. Vous êtes dans l'erreur, tous les habitants de la forêt ne sont point attachés au sort du chef proscrit.

– C'est possible, répartit l'étranger d'un ton de visible impatience ; j'ai cru rencontrer un membre de l'association des joyeux hommes, je me suis trompé, voilà tout.

La réponse du voyageur excita la curiosité de Robin.

– Messire, dit-il, votre visage respire une si franche cordialité que, en dépit de la haine profonde que depuis plusieurs années mon cœur a vouée aux Normands...

– Je ne suis pas normand, sir forestier, interrompit le voyageur ; et je puis, à votre exemple, me permettre de dire que vous juger sur l'apparence : mon costume et l'accent de mon langage vous induisent en erreur. Je suis saxon, quoiqu'il y ait dans mes veines quelques gouttes de sang normand.

– Un Saxon est un frère pour moi, messire, et je suis heureux de pouvoir vous témoigner ma sympathique confiance. J'appartiens à la bande de Robin Hood. Comme vous le savez sans doute, nous employons une manière un peu moins désintéressée pour nous faire connaître aux voyageurs normands.

– Je connais cette manière à la fois courtoise et productive, répondit l'étranger en riant, j'en ai fort entendu parler, et je me rendais à Sherwood uniquement pour avoir le plaisir d'y rencontrer votre chef.

– Et si je vous disais, messire, que vous êtes en présence de Robin Hood ?

– Je lui tendrais la main, répliqua vivement l'étranger en accompagnant ces paroles d'un geste amical, et je lui dirais : Ami Robin, avez-vous oublié le frère de Marianne ?

– Allan Clare ! vous êtes Allan Clare ! s'écria joyeusement Robin.

– Oui, je suis Allan Clare, et le souvenir de votre expressive physionomie, mon cher Robin, était si bien gravé dans mon cœur qu'au premier regard je vous ai reconnu.

– Combien je suis heureux de vous voir, cher Allan ! reprit Robin Hood en serrant à deux mains la main du jeune homme. Marianne ne s'attend pas au bonheur que lui apporte votre venue en Angleterre.

– Ma pauvre et chère sœur ! dit Allan avec une expression de profonde tendresse. Est-elle bien portante ? est-elle un peu heureuse ?

– Sa santé est parfaite, cher Allan, et elle n'a d'autre chagrin que celui d'être séparée de vous.

– Je reviens, et je reviens pour ne plus repartir ; ma bonne sœur sera ainsi tout à fait heureuse. Avez-vous appris, cher Robin, que j'étais entré au service du roi de France ?

– Oui, un homme appartenant au baron, et le baron lui-même, dans un élan de franchise soulevé par la peur, nous ont fait connaître votre situation auprès du roi Louis.

– Une circonstance favorable m'a permis de rendre un grand service au roi de France, reprit le chevalier, et dans sa gratitude, il daigna s'informer de mes désirs et me témoigner un vif intérêt. La bonté du roi m'enhardit : je lui fis connaître la douloureuse situation de mon cœur, je lui appris que mes biens avaient été confisqués, et je le suppliai de me permettre de rentrer en Angleterre. Le roi eut la bienveillance d'exaucer ma requête ; il me donna sur-le-champ une lettre pour Henri II, et sans perdre une minute, je me rendis à Londres. à la prière du roi de France, Henri II m'a rendu les biens de mon père, et la trésorerie doit me remettre en beaux écus d'or le revenu produit par mes propriétés depuis l'époque de leur confiscation. Outre cela, j'ai réalisé une forte somme qui, remise entre les mains du baron Fitz Alwine, doit me faire obtenir la main de ma chère Christabel.

– Je connais ce contrat, dit Robin ; les sept années accordées par le baron sont à la veille d'expirer, n'est-ce pas ?

– Oui, demain est mon dernier jour de grâce.

– Eh bien ! il faut vous hâter de rendre visite au baron, une heure de retard serait votre perte.

– Comment avez-vous appris l'existence de ce contrat et les conditions qu'il renferme ?

– Parmon cousin Petit-Jean.

– Le gigantesque neveu de sir Guy de Gamwell ? demanda Allan.

– Lui-même, vous vous souvenez donc de ce digne garçon ?

– Sans aucun doute.

– Eh bien, il est aujourd'hui plus grand que jamais et d'une force supérieure encore à sa taille. Ce fut par lui que j'eus connaissance de vos engagements avec le baron.

– Lord Fitz Alwine lui en avait fait la confidence ? dit Allan avec un sourire.

– Oui, Petit-Jean interrogeait Sa Seigneurie un poignard entre les mains et la menace aux lèvres.

– Je comprends alors l'expansion du baron.

– Mon cher ami, reprit sérieusement Robin, méfiez-vous de lord Fitz Alwine ; il ne vous aime pas, et, s'il peut parvenir à violer le serment qui engage sa parole, il n'hésitera pas à le faire.

– S'il tentait de me disputer la main de lady Christabel, je vous jure, Robin, que je l'en ferais cruellement repentir.

– Avez-vous un moyen quelconque pour inspirer au baron la crainte de vos menaces ?

– Oui, et, du reste, n'en aurais-je pas que je parviendrais à obtenir l'exécution de sa promesse ; j'assiégerais le château de Nottingham plutôt que de renoncer à ma bien-aimée Christabel.

– Si vous avez besoin d'assistance, je suis entièrement à vos ordres, mon cher Allan ; je puis mettre sur-le-champ à votre disposition deux cents gaillards qui ont le pied vif et la main ferme. Ils manient avec une égale adresse l'arc, l'épée, la lance et le bouclier ; dites un mot, et ils viendront, à mon commandement, se ranger autour de vous.

– Merci mille fois, cher Robin, je n'attendais pas moins de votre bonne amitié.

– Et vous aviez raison ; maintenant, permettez-moi de vous demander comment vous avez appris que j'habitais la forêt de Sherwood ?

– Après avoir terminé mes affaires à Londres, répondit le chevalier, je vins à Nottingham. Là, je fus instruit du retour du baron et de la présence de Christabel au château. Mon cœur tranquillisé sur l'existence de celle que j'aime, je me rendis à Gamwell. Jugez de ma stupéfaction en entrant au village de ne trouver que les vestiges de la riche demeure du baronnet. Je gagnai Mansfeld en toute hâte, et un habitant de cette dernière ville me fit part des événements qui s'étaient passés. Il me parla de vous avec éloge ; il me dit que la famille Gamwell s'était secrètement retirée dans ses propriétés du Yorkshire. Parlez-moi de ma sœur Marianne, Robin Hood ; est-elle bien changée ?

– Oui, cher Allan, elle est bien changée.

– Pauvre sœur !

– Elle est d'une beauté accomplie, ajouta Robin en riant, car chaque printemps lui a apporté une grâce nouvelle.

– Est-elle mariée ? demanda Allan.

– Non, pas encore.

– Tant mieux. Savez-vous si elle a donné son cœur, si elle a promis sa main ?

– Marianne répondra à cette question, dit Robin en rougissant légèrement. Comme il fait chaud aujourd'hui ! ajouta-t-il en passant une main sur son front empourpré. Mettons-nous, je vous prie, sous l'ombrage des arbres ; j'attends un de mes hommes, et il me semble que son absence se prolonge au-delà du terme fixé. à propos, Allan, vous rappelez-vous un des fils de sir Guy, William, surnommé l'écarlate à cause de la couleur un peu trop ardente de sa chevelure ?

– Un beau jeune homme aux grands yeux bleus ?

– Oui ; ce pauvre garçon, envoyé à Londres par le baron Fitz Alwine, avait été incorporé dans un régiment qui faisait partie du corps d'armée qui occupe encore la Normandie. Un beau jour, William fut pris de l'invincible désir de revoir sa famille ; il demanda un congé qu'il ne put obtenir, et, mis hors de lui par le persistant refus de son capitaine, il le tua. Will réussit à gagner l'Angleterre, un heureux hasard nous mit en présence, et je conduisis ce cher garçon à Barnsdale où habite sa famille. Le lendemain de son arrivée, toute la maison était en fête, car on célébrait non seulement le retour de l'exilé mais encore son mariage et l'anniversaire de sir Guy.

– Will va semarier ? avec qui ?

– Avec une charmante fille, que vous avez connue... miss Lindsay.

– Je ne me rappelle pas cette jeune fille.

– Comment, vous aviez oublié l'existence de la compagne, de l'amie, de la suivante dévouée de Lady Christabel ?

– J'y suis, j'y suis, répartit Allan Clare, vous me parlez de la joyeuse fille du gardien de Nottingham, de l'espiègle Maude ?

– C'est cela ; Maude et William s'aimaient depuis longtemps.

– Maude aimait Will écarlate ! Que me dites-vous là, Robin ? C'était vous, mon ami, qui aviez gagné le cœur de cette jeune fille.

– Non, non, vous êtes dans l'erreur.

– Du tout, du tout, je me souviens maintenant que, si elle ne vous aimait pas, ce dont je doute, du moins vous lui portiez un grand et tendre intérêt.

– J'avais alors et j'ai encore aujourd'hui pour elle une affection de frère.

– Vraiment ! interrogea malicieusement le chevalier.

– Sur mon honneur, oui, répondit Robin ; mais pour vous finir l'histoire de William, voici ce qui est arrivé. Une heure avant la célébration du mariage, il disparut, et je viens d'apprendre qu'il a été enlevé par les soldats du baron. J'ai réuni mes hommes, ils seront dans quelques instants à portée de ma voix, et je compte sur mon adresse appuyée de leur secours pour délivrer William.

– Où se trouve-t-il ?

– Sans nul doute au château de Nottingham ; je vais bientôt en avoir la certitude.

– Ne prenez pas une décision trop rapide, mon cher Robin, attendez jusqu'à demain ; je verrai le baron, et je mettrai en œuvre toute l'influence que peut avoir sur lui la prière ou la menace pour obtenir la mise en liberté de votre cousin.

– Mais si le vieux coquin agit sommairement, n'aurai-je pas à regretter toute ma vie d'avoir perdu quelques heures ?

– Avez-vous une raison de le craindre ?

– Comment pouvez-vous, cher Allan, m'adresser une question dont vous connaissez mieux que moi la cruelle réponse ? Vous savez bien, n'est-ce pas, que lord Fitz Alwine est sans cœur, sans pitié et sans âme. S'il osait pendre Will de ses propres mains, soyez bien assuré qu'il le ferait. Je dois me hâter d'arracher William de ses griffes de lion si je ne veux pas le perdre à jamais.

– Vous avez peut-être raison, mon cher Robin, et mes conseils de prudence seraient dans ce cas dangereux à suivre. je vais me présenter au château aujourd'hui même, et, une fois dans la place, il me sera possible de vous être de quelque secours. J'interrogerai le baron ; s'il ne répond pas à mes questions, je m'adresserai aux soldats ; ils seront accessibles à la tentation d'une riche récompense, je l'espère ; comptez sur moi, et si mes efforts restent sans résultat, je vous ferai savoir que vous devez agir avec la plus grande promptitude.

– C'est entendu, chevalier. Tenez, voici mon homme qui revient ; il est accompagné d'Halbert, le frère de lait de Maude. Nous allons apprendre quelque chose sur le sort de mon pauvre Will.

– Eh bien ? demanda Robin après avoir embrassé son jeune ami.

– J'ai peu de chose à vous dire, répondit Halbert ; je sais seulement qu'un prisonnier a été conduit au château de Nottingham, et Much m'a appris que ce malheureux était notre pauvre ami Will écarlate. Si vous voulez tenter de le sauver, Robin, il faut s'en occuper sur-le-champ. Un moine pèlerin de passage à Nottingham a été appelé au château pour confesser le prisonnier.

– Sainte mère de Dieu, ayez pitié de nous ! s'écria Robin d'une voix tremblante. Will, mon pauvre Will, est en danger de mort ! Il faut l'enlever du château, il le faut à tout prix ! Vous ne savez rien de plus, Halbert ? ajouta Robin.

– Rien qui soit relatif à Will ; mais j'ai appris que lady Christabel allait se marier à la fin de la semaine.

– Lady Christabel se marier ! répéta Allan.

– Oui, messire, répondit Halbert en regardant le chevalier d'un air surpris ; elle va épouser le plus riche Normand de toute l'Angleterre.

– Impossible ! impossible ! exclama Allan Clare.

– C'est parfaitement vrai, reprit Halbert, et l'on fait au château de grands préparatifs pour célébrer ce joyeux événement.

– Ce joyeux événement ! répéta le chevalier d'un ton amer. Quel est le nom du misérable qui prétend épouser lady Christabel ?

– Vous êtes donc étranger au pays, messire, continua Halbert, que vous ignorez la joie immense de Sa Seigneurie Fitz Alwine ? Milord baron a si bien manœuvré qu'il a réussi à conquérir une colossale fortune en la personne de sir Tristram de Goldsborough.

– Lady Christabel devenir la femme de ce hideux vieillard ! s'écria le chevalier au comble de la surprise ; mais cet homme est à demi mort ! mais cet homme est un monstre de laideur et de sordide avarice ! La fille du baron Fitz Alwine est ma fiancée, et tant qu'un souffle de vie s'échappera de mes lèvres, nul autre que moi n'aura des droits sur son cœur.

– Votre fiancée, messire ! Qui donc êtes-vous ?

– Le chevalier Allan Clare, dit Robin.

– Le frère de lady Marianne ! celui qui est si tendrement aimé de lady Christabel ?

– Oui, mon cher Hal, dit Allan.

– Hourra ! cria Halbert en faisant voler sa toque par-dessus sa tête ; voilà une heureuse arrivée. Soyez le bienvenu en Angleterre, monsieur ; votre présence changera en sourire les larmes de votre belle fiancée. Les cérémonies de cet odieux mariage devaient avoir lieu à la fin de la semaine ; si vous désirez y mettre obstacle, vous n'avez pas de temps à perdre.

– Je vais à l'instant même rendre une visite au baron, dit Allan ; s'il croit qu'il lui est encore possible aujourd'hui de se jouer de moi, il se trompe.

– Comptez sur mon aide, chevalier, dit Robin ; je m'engage à mettre à l'accomplissement de votre malheur un obstacle tout-puissant, celui de la force unie à la ruse. Nous enlèverons lady Christabel. Je suis d'avis que nous nous rendions tous les quatre au château, vous y pénétrerez seul, et j'attendrai votre retour en compagnie de Much et d'Halbert.

Les jeunes gens atteignirent bientôt les abords de la demeure seigneuriale. Au moment où le chevalier allait prendre le chemin qui mène au pont-levis, un bruit de chaînes se fit entendre, le pont s'abaissa, et un vieillard revêtu du costume des pèlerins sortit de la poterne du château.

– Voici le confesseur appelé par le baron pour le pauvre William, dit Halbert ; questionnez-le, Robin, il vous apprendra peut-être à quel sort est destiné notre ami.

– J'avais la même pensée que vous, mon cher Halbert, et je considère la rencontre de ce saint homme comme un secours envoyé par la divine Providence. Que la sainte Vierge te protège, mon bon père ! dit Robin en s'inclinant avec respect devant le vieillard.

– Ainsi soit-il à ta bonne prière, mon fils ! répondit le pèlerin.

– Vous venez de bien loin, mon père ?

– De la Terre sainte, où je suis allé faire un long et douloureux pèlerinage pour expier les péchés de ma jeunesse ; aujourd'hui, épuisé de fatigue, je reviens pour mourir sous le ciel qui m'a vu naître.

– Dieu vous a accordé de longues années, bon père.

– Oui, mon fils, je vais avoir bientôt quatre-vingt-dix ans, et ma vie ne semble plus être qu'un songe.

– Je prie la Vierge de donner à vos dernières heures le calme du repos, mon père.

– Ainsi soit-il, cher enfant, à l'âme douce et pieuse. à mon tour, je demande au ciel de répandre toutes les bénédictions sur ta jeune tête. Tu es croyant et bon, montre-toi charitable et donne une pensée à ceux qui souffrent, à ceux qui vont mourir.

– Expliquez-vous, mon père, je ne vous comprends pas, dit Robin d'une voix tremblante.

– Hélas ! hélas ! reprit le vieillard, une âme est près de remonter au ciel, sa souveraine demeure ; le corps qu'elle anime de son souffle divin compte à peine trente ans. Un homme de ton âge peut-être va mourir d'une mort bien cruelle ; prie pour lui, mon fils.

– Cet homme vous a fait sa dernière confession, mon père ?

– Oui, dans quelques heures il sera violemment enlevé de ce monde.

– Où se trouve cet infortuné ?

– Dans un des sombres cachots de cette vaste demeure.

– Il y est seul ?

– Oui, mon fils, seul.

– Et ce malheureux doit mourir ? interrogea le jeune homme.

– Demain matin au lever du soleil.

– Vous êtes bien assuré, mon père, que l'exécution du condamné n'aura pas lieu avant les premières heures du jour ?

– J'en suis certain. Hélas ! n'est-ce pas encore assez tôt ? Tes paroles me font mal, enfant ; désirerais-tu la mort de ton frère ?

– Non, saint vieillard, non, mille fois non ! je donnerais ma vie pour sauver la sienne. Je connais ce pauvre garçon, mon père, je le connais et je l'aime. Savez-vous à quel supplice il est condamné ? savez-vous encore s'il doit mourir à l'intérieur du château ?

– J'ai appris par le geôlier de la prison que ce malheureux jeune homme devait être conduit à la potence par le bourreau de Nottingham. Les ordres sont donnés pour une exécution publique sur la place de la ville.

– Que Dieu nous protège, murmura Robin. Cher et bon père, ajouta-t-il en prenant la main du vieillard, voulez-vous me rendre un service ?

– Que désires-tu de moi, mon enfant ?

– Je désire, je demande, mon père, que vous veuilliez bien rentrer au château et prier le baron de vous accordez la faveur d'accompagner le prisonnier au pied de la potence.

– J'ai déjà obtenu cette grâce, mon fils ; je serai demain matin auprès de votre ami.

– Soyez béni, saint père, soyez béni. J'ai un mot suprême à dire à celui qui va mourir, et je voudrais vous charger, bon vieillard, de le lui répéter pour moi. Demain matin je serai ici près de ce groupe d'arbres ; daignez avoir la bonté, avant d'entrer au château, de venir entendre ma confidence.

– Je serai exact au rendez-vous que tu me donnes, mon cher fils.

– Merci, bon père ; à demain.

– à demain, et que la paix du Seigneur soit avec toi !

Robin s'inclina respectueusement, et le pèlerin, les mains croisées sur sa poitrine, s'éloigna en priant.

– Oui, à demain, répéta le jeune homme ; nous verrons demain si Will sera pendu !

– Il faudrait, dit Hal, qui avait prêté l'oreille à la conversation de Robin avec le confesseur du pauvre prisonnier, que vos hommes fussent placés à une courte distance du lieu de l'exécution.

– Ils seront à portée d'un appel, dit Robin.

– Comment ferez-vous pour les soustraire à la vue des soldats.

– Soyez sans inquiétude, mon cher Halbert, répondit Robin, mes joyeux hommes possèdent depuis longtemps l'art de se rendre invisibles, même sur les grands chemins, et, croyez-moi, ils n'iront pas frôler de leur pourpoint la poitrine des soldats du baron, et ils ne feront leur entrée en scène qu'à un signal indiqué à l'avance.

– Vous me paraissez si certain d'obtenir un succès, mon cher Robin, dit Allan, que j'en viens à souhaiter pour mes propres affaires une partie de la confiance qui vous anime en ce moment.

– Chevalier, répondit le jeune homme, permettez-moi de mettre William en liberté, de le conduire à Barnsdale, de le voir entre les mains de sa chère petite femme, et ensuite nous nous occuperons de lady Christabel. Le mariage projeté ne doit point avoir lieu avant quelques jours, nous avons le temps de nous préparer à une lutte sérieuse avec lord Fitz Alwine.

– Je vais entrer au château, dit Allan, et j'y apprendrai d'une manière ou d'une autre le secret de cette comédie. Si le baron a jugé à propos de rompre un engagement que l'honneur et la délicatesse devaient lui rendre sacré, je me trouverai en droit de mettre en oubli tout témoignage de respect, et il arrivera que, bon gré, mal gré, lady Christabel sera ma femme.

– Vous avez raison, mon cher ami, présentez-vous sur-le-champ devant le baron ; il ne s'attend pas à votre visite, ce qui est très probable, la surprise vous le livrera pieds et poings liés. Parlez-lui hardiment, et faites-lui comprendre que vous êtes dans l'intention d'employer la force pour obtenir lady Christabel. Pendant que vous allez faire auprès du lord Fitz Alwine cette importante démarche, je vais aller retrouver mes hommes et les préparer à accomplir avec prudence l'expédition que je médite. Si vous avez besoin de moi, envoyez un exprès à l'endroit où nous nous sommes rencontrés il y a quelques instants, vous êtes certain d'y trouver à toute heure du jour ou de la nuit, un de mes braves compagnons ; s'il est nécessaire pour vous d'avoir un entretien avec votre fidèle allié, vous vous ferez conduire à ma retraite. Maintenant, ne craignez-vous pas que, une fois entré au château, il vous devienne impossible d'en sortir ?

– Lord Fitz Alwine n'oserait agir de violence avec un homme comme moi, répondit Allan, il s'exposerait à un trop grand danger ; du reste, s'il a réellement le projet de donner Christabel à cet abominable Tristram, il sera tellement pressé de se débarrasser de moi que j'ai plutôt à craindre qu'il refuse de me recevoir qu'à appréhender qu'il me retienne auprès de lui. Ainsi, adieu, ou plutôt au revoir, mon cher Robin ; j'irai vous retrouver bien certainement avant la fin du jour.

– Je vous attendrai. Tandis qu'Allan Clare se dirigeait vers la poterne du château, Robin, Halbert et Much gagnaient rapidement la ville. Introduit sans la moindre difficulté dans l'appartement de lord Fritz Alwine, le chevalier se trouva bientôt en présence du terrible châtelain.

Si un spectre se fût levé de son tombeau, il eût causé moins d'effroi et de terreur au baron que ne lui en fit éprouver la vue du beau jeune homme qui, dans une attitude digne et fière, se tenait debout devant lui.

Le baron lança à son valet un regard si foudroyant que celui-ci s'échappa de la chambre de toute la vitesse de ses jambes.

– Je ne m'attendais pas à vous voir, dit Sa Seigneurie en ramenant ses yeux enflammés de colère sur le chevalier.

– C'est possible, milord ; mais me voilà.

– Je le vois bien. Heureusement pour moi que vous avez manqué à votre parole : le terme que je vous avais fixé est échu depuis hier.

– Votre Seigneurie fait erreur, je suis exact au gracieux rendez-vous qu'elle m'a donné.

– Il m'est difficile de vous croire sur parole.

– J'en suis fâché, parce que vous allez me mettre dans l'obligation de vous y contraindre. Nous avons pris de plein gré des deux parts un engagement formel, et je suis en droit d'exiger la réalisation de vos promesses.

– Avez-vous rempli toutes les conditions du traité ?

– Je les ai remplies. Il y en avait trois : je devais être remis en possession de mes biens, je devais posséder cent mille pièces d'or, je devais venir au bout de sept ans vous demander la main de lady Christabel.

– Vous possédez vraiment cent mille pièces d'or ? demanda le baron d'un air d'envie.

– Oui, milord. Le roi Henri m'a rendu mes propriétés et j'ai reçu le revenu produit par mon patrimoine depuis le jour de la confiscation. Je suis riche et j'exige que dès demain vous me donniez lady Christabel.

– Demain ! s'écria le baron, demain ! et si vous n'étiez pas ici demain, ajouta-t-il d'un air sombre, le contrat serait nul ?

– Oui ; mais écoutez-moi, lord Fitz Alwine : Je vous engage à éloigner de votre esprit le projet diabolique que vous méditez en ce moment ; je suis dans mon droit, je me trouve devant vous à l'heure fixée pour y paraître et rien au monde (il ne faut pas songer à employer la force), rien au monde ne pourra me contraindre à renoncer à celle que j'aime. Si vous agissez de ruse, en désespoir de cause, je prendrai, soyez-en certain, une revanche cruelle. Je connais une mystérieuse particularité de votre vie, je la révélerai. J'ai vécu à la cour du roi de France, j'ai été initié aux secrets d'une affaire qui vous concerne personnellement.

– Quelle affaire ? interrogea le baron avec inquiétude.

– Il est inutile pour le moment que j'entre avec vous dans de longues explications ; qu'il vous suffise de savoir que j'ai appris et garde en note le nom des misérables Anglais qui ont offert de livrer leur patrie au joug étranger. (Lord Fitz Alwine devint livide.) Tenez la promesse que vous m'avez faite, milord, et j'oublierai que vous avez été lâche et félon envers votre roi.

– Chevalier, vous insultez un vieillard, dit le baron en prenant une attitude indignée.

– Je dis la vérité, et rien de plus ; encore un refus, milord, encore un mensonge, encore un subterfuge et les preuves de votre patriotisme seront envoyées au roi d'Angleterre.

– Il est bien heureux pour vous, Allan Clare, dit le baron d'un ton doucereux, que le ciel m'ait donné un caractère calme et patient ; si j'étais d'une nature irritable et emportée, vous expieriez cruellement votre audace, je vous ferais jeter dans les fossés du château.

– Cette action serait une grande folie, milord, car elle ne vous sauverait pas de la vengeance royale.

– Votre jeunesse est une excuse à l'impétuosité de vos paroles, chevalier ; je veux bien me montrer indulgent alors qu'il me serait facile de punir. Pourquoi parler la menace aux lèvres avant de savoir si j'ai réellement l'intention de vous refuser la main de ma fille ?

– Parce que j'ai acquis la certitude que vous avez promis lady Christabel à un misérable et sordide vieillard, à sir Tristram de Goldsborough.

– En vérité, en vérité ! et quel est, je vous prie, le bavard imbécile qui vous a raconté cette histoire ?

– Ceci importe peu, toute la ville de Nottingham est en rumeur à propos des préparatifs de ce riche et ridicule mariage.

– Je ne puis être responsable, chevalier, des stupides mensonges qui circulent, autour de moi.

– Alors vous n'avez pas promis à sir Tristram la main de votre fille ?

– Permettez-moi de ne point répondre à cette question. Jusqu'à demain je suis libre de penser et de vouloir à ma guise ; demain est à vous : venez, je donnerai à vos désirs une entière satisfaction. Adieu, chevalier Clare, ajouta le vieillard en se levant, je vous souhaite bien le bonjour et je vous prie de me laisser seul.

– Au plaisir de vous revoir, baron Fitz Alwine. Souvenez-vous qu'un gentilhomme n'a qu'une parole.

– Très bien, très bien, grommela le vieillard en tournant le dos à son visiteur.

Allan sortit de l'appartement du baron le cœur rempli d'inquiétude. Il n'y avait point à se le dissimuler, le vieux seigneur méditait quelque perfidie. Son regard plein de menace avait accompagné le jeune homme jusqu'au seuil de la chambre ; puis il s'était retiré dans l'embrasure d'une fenêtre, dédaignant de répondre au dernier salut du chevalier.

Aussitôt qu'Allan eut disparu (le jeune homme se rendait auprès de Robin Hood), le baron agita avec violence une sonnette placée sur la table.

– Envoyez-moi Pierre le Noir, dit brusquement le baron.

– à l'instant, milord.

Quelques minutes après, le soldat demandé par lord Fitz Alwine paraissait devant lui.

– Pierre, dit le baron, vous avez sous vos ordres de braves et discrets garçons qui exécutent, sans les commenter, les ordres qu'on leur donne ?

– Oui, milord.

– Ils sont courageux et savent oublier les services qu'ils sont à même de rendre ?

– Oui, milord.

– C'est bien. Un cavalier, élégamment vêtu d'un habit rouge, vient de sortir d'ici ; suivez-le avec deux bons garçons et faites en sorte qu'il ne gêne plus personne. Vous comprenez ?

– Parfaitement, milord, répondit Pierre le Noir avec un affreux sourire et en tirant à moitié de son fourreau un gigantesque poignard.

– Vous serez récompensé, brave Pierre. Allez sans crainte, mais agissez secrètement et avec prudence ; si ce papillon suit le chemin du bois, laissez-le pénétrer sous les arbres et là vous aurez le champ libre. Une fois expédié dans l'autre monde, enterrez-le au pied de quelque vieux chêne, couvrez la place de feuillage et de ronces ; personne ne pourra ainsi découvrir son cadavre.

– Vos ordres seront fidèlement exécutés, milord, et lorsque vous me reverrez, ce cavalier dormira sous un tapis de vert gazon.

– Je vous attends ; suivez sans retard cet impertinent damoiseau. Accompagné de deux hommes, Pierre le Noir sortit du château et se trouva bientôt sur les traces du chevalier.

Celui-ci, le front pensif, l'esprit absorbé et le cœur gonflé de tristesse, marchait lentement du côté de la forêt de Sherwood. En voyant le jeune homme sous l'ombrage des arbres, les assassins qui étaient sur sa piste tressaillirent d'une sinistre joie. Ils hâtèrent le pas et se tinrent cachés derrière un buisson prêts à s'élancer sur le jeune homme au moment opportun.

Allan Clare chercha des yeux le conducteur promis par Robin et, tout en explorant les environs, il réfléchissait aux moyens qu'il fallait prendre pour arracher Christabel d'entre les mains de son indigne père.

Un bruit de pas rapides vint arracher le chevalier à sa douloureuse rêverie ; il tourna la tête et aperçut trois hommes aux visages sinistres qui, l'épée à la main, s'avançaient vers lui.

Allan s'adossa contre un arbre, tira son épée du fourreau et dit d'un ton ferme :

– Misérables ! que me voulez-vous ?

– Nous voulons ta vie, élégant papillon ! cria Pierre le Noir en s'élançant sur le jeune homme.

– Arrière, coquin ! dit Allan en frappant son agresseur au visage. Arrière tous ! continua-t-il en désarmant avec une adresse incomparable le second de ses adversaires.

Pierre le Noir redoubla d'efforts, mais il ne put réussir à frapper son adversaire, qui avait mis non seulement un des assassins hors de combat en envoyant son épée sur les branches d'un arbre, mais qui avait encore fendu le crâne au troisième.

Désarmé et ivre de rage, Pierre le Noir arracha un jeune arbuste et revint vers Allan. Il frappa le chevalier sur la tête avec tant de violence que celui-ci laissa échapper son arme et tomba sans connaissance.

– La proie est abattue ! cria joyeusement Pierre en aidant ses compagnons blessés à se remettre sur leurs jambes ; traînez-vous jusqu'au château et laissez-moi seul, j'achèverai ce garçon. Votre présence ici est un danger et vos plaintes me fatiguent. Allez-vous-en, je creuserai moi-même le trou où je dois enfouir le corps de ce jeune seigneur. Donnez-moi la bêche que vous avez apportée.

– La voici, dit un des hommes. Pierre, ajouta le misérable, je suis à demi mort, il me sera impossible de marcher.

– Décampe ou je t'achève, répliqua Pierre.

Les deux hommes, transis de douleur et d'épouvante, se traînèrent péniblement hors du fourré.

Resté seul, Pierre se mit à l'œuvre ; il avait en partie achevé sa terrible besogne lorsqu'il reçut sur l'épaule un coup de bâton si énergiquement appliqué, qu'il tomba de tout son long sur le bord de la fosse.

Lorsque la violence de la douleur se fut un peu apaisée, le misérable tourna les yeux vers celui qui venait de le gratifier d'une aussi juste récompense. Il aperçut alors le visage rubicond d'un robuste gaillard vêtu du costume des frères dominicains.

– Comment, profane coquin au museau noir ! cria le frère d'une voix de stentor, tu frappes un gentilhomme à la tête et afin de cacher ton infamie, tu enterres ta malheureuse victime ! Réponds à ma question, brigand ; qui es-tu ?

– Mon épée va parler pour moi, dit Pierre en bondissant sur ses pieds ; elle va t'envoyer dans l'autre monde et là il te sera loisible de demander à Satan le nom que tu désires savoir.

– Je n'aurais pas besoin de me donner cette peine si j'avais le malheur de mourir avant toi, insolent coquin ; je lis sur ton visage ta parenté avec l'enfer. Maintenant, permets-moi de donner à ton épée le conseil de se taire, car si elle tente de remuer la langue, mon bâton lui imposera un éternel silence. Va-t'en d'ici, c'est ce que tu as de mieux à faire.

– Pas avant de t'avoir montré que je suis habile tireur, dit Pierre en frappant le moine de son épée.

Le coup fut si rapide, si violent, si adroitement dirigé, qu'il atteignit le frère à la main gauche en lui coupant trois doigts jusqu'à l'os.

Le moine jeta un cri, tomba sur Pierre comme la foudre, le courba sous sa puissante étreinte et lui appliqua une volée de coups de bâton.

Alors une sensation étrange s'empara du misérable assassin ; il perdit son épée, ses yeux se troublèrent, le sens des choses lui échappa, il devint fou et perdit la force de se défendre.

Lorsque le frère cessa de frapper, Pierre était mort.

– Le fripon ! murmura le moine épuisé de douleur et de fatigue, le damné fripon ! Croyait-il que les doigts du pauvre Tuck fussent faits pour être coupés par un chien normand ? Je lui ai donné, je crois, une bonne leçon ; malheureusement il lui sera difficile de la mettre à profit, puisqu'il a rendu le dernier souffle ; tant pis, c'est sa faute et non la mienne ; pourquoi a-t-il tué ce joli garçon ? Ah ! mon Dieu ! s'écria le bon frère en portant sa main restée intacte sur le corps du chevalier, il respire encore, son corps est chaud et son cœur bat, faiblement, il est vrai, mais assez pour révéler un reste de vie. Je vais le prendre sur mes épaules et le porter à la retraite. Pauvre jeune homme, il n'est pas lourd ! Quant à toi, vil assassin, ajouta Tuck en repoussant du pied le corps de Pierre, reste là, et si les loups n'ont pas encore dîné, tu leur serviras de pâture.

Cela dit, le moine se dirigea d'un pas ferme et rapide dans la direction de la demeure des joyeux hommes.

Quelques mots suffiront pour expliquer la capture de Will écarlate.

L'homme qui avait rencontré Will en compagnie de Robin Hood et de Petit-Jean dans une auberge de Mansfeld était, par ordre supérieur, à la recherche du fugitif. Voyant le jeune homme en compagnie de cinq robustes gaillards qui pouvaient lui prêter main-forte, le prudent batteur d'estrade avait retardé le moment de sa capture. Il était sorti de l'auberge, avait envoyé à Nottingham la demande d'une troupe de soldats et ceux-ci, guidés par l'espion, s'étaient rendus à Barnsdale au milieu de la nuit.

Le lendemain, une étrange fatalité conduisit Will hors du château ; le pauvre garçon tomba entre les mains des soldats et il fut enlevé sans pouvoir opposer la moindre résistance.

William se livra d'abord à un violent désespoir ; puis la rencontre de Much lui rendit quelque espérance. Il comprit vite qu'une fois instruit de sa malheureuse situation, Robin Hood ferait tout au monde pour lui venir en aide, et que, s'il ne pouvait réussir à le sauver, du moins ne reculerait-il devant aucun obstacle pour venger sa mort. Il savait aussi, et c'était là une grande consolation pour son pauvre cœur, que bien des larmes seraient répandues sur sa cruelle destinée ; il savait encore que Maude, si heureuse de son retour, pleurerait amèrement la perte de leur mutuel bonheur.

Renfermé dans un sombre cachot, Will attendait dans les angoisses de la crainte l'heure fixée pour son exécution, et chaque heure lui apportait à la fois une espérance et une douleur. Le pauvre prisonnier prêtait anxieusement l'oreille à tous les bruits venus du dehors, espérant percevoir l'écho lointain du cor de Robin Hood.

Les premières lueurs du jour trouvèrent William en prières ; il s'était pieusement confessé au bon pèlerin, et l'âme recueillie, le cœur confiant en celui dont il attendait la secourable présence, Will se prépara à suivre les gardes du baron qui devaient venir le chercher au lever du soleil.

Les soldats placèrent William au milieu d'eux et ils prirent le chemin de Nottingham.

En pénétrant dans la ville, l'escorte se trouva bientôt entourée d'une grande partie des habitants qui, depuis le matin, étaient dans l'attente de l'arrivée du funèbre cortège.

Quelque grand que fût l'espoir du malheureux jeune homme, il le sentit chanceler en ne voyant autour de lui aucun visage de connaissance. Le cœur de William se gonfla, des larmes, violemment contenues, mouillèrent sa paupière ; néanmoins il espéra encore, car une voix secrète lui disait : Robin Hood n'est pas loin, Robin Hood va venir.

En arrivant au pied de la hideuse potence qui avait été dressée par les ordres du baron, William devint livide ; il ne s'attendait pas à mourir d'une mort aussi infamante.

– Je désire parler à lord Fitz Alwine, dit-il.

En sa qualité de shérif, ce dernier était tenu d'assister à l'exécution.

– Que voulez-vous de moi, malheureux ? demanda le baron.

– Milord, ne puis-je espérer d'obtenir grâce ?

– Non, répondit froidement le vieillard.

– Alors, reprit William d'un ton calme, j'implore une faveur qu'il est impossible à une âme généreuse de me refuser.

– Quelle faveur ?

– Milord, j'appartiens à une noble famille saxonne, son nom est le synonyme d'honneur, et jamais aucun de ses membres n'a encouru le mépris de ses concitoyens. Je suis soldat et gentilhomme, je dois mourir de la mort d'un soldat.

– Vous serez pendu, dit brutalement le baron.

– Milord, j'ai risqué ma vie sur les champs de bataille et je ne mérite pas d'être pendu comme l'est un voleur.

– Ah ! ah ! vraiment, ricana le vieillard, et de quelle façon désirez-vous expier votre crime ?

– Donnez-moi une épée et ordonnez à vos soldats de me frapper de leur lame ; je voudrais mourir comme meurt un honnête homme, les bras libres et le visage tourné vers le ciel.

– Me croyez-vous assez imbécile pour risquer l'existence d'un de mes hommes afin de satisfaire votre dernier caprice ? Du tout, du tout, vous allez être pendu.

– Milord, je vous en conjure, je vous en supplie, ayez pitié de moi ; je ne demande même pas d'épée, je ne me défendrai pas, je laisse vos hommes me tailler en morceaux.

– Misérable ! dit le baron, tu as tué un Normand et tu implores la pitié d'un Normand ! tu es fou ! Arrière ! tu mourras sur la potence, et bientôt, je l'espère, tu auras pour compagnon le bandit qui infeste la forêt de Sherwood de son entourage de fripons.

– Si celui dont vous parlez avec tant de mépris était à portée de ma voix, je rirais de vos bravades, lâche poltron que vous êtes ! Souvenez-vous de ceci, baron Fitz Alwine : si je meurs, Robin Hood me vengera. Prenez garde de Robin Hood ; avant que la semaine soit écoulée, il sera au château de Nottingham.

– Qu'il y vienne en compagnie de toute sa bande, je ferai dresser deux cents potences. Bourreau, faites votre devoir, ajouta le baron.

Le bourreau mit la main sur l'épaule de William. Le pauvre garçon jeta autour de lui un regard désespéré et ne voyant qu'une foule silencieuse et attendrie, il recommanda son âme à Dieu.

– Arrêtez ! dit la voix tremblante du vieux pèlerin, arrêtez ! j'ai une dernière bénédiction à donner à mon malheureux pénitent.

– Vous avez accompli tous vos devoirs auprès de ce misérable, cria le baron d'un ton furieux ; il est inutile de retarder davantage son exécution.

– Impie ! s'écria le pèlerin ; voudriez-vous priver ce jeune homme des secours de la religion ?

– Hâtez-vous, répondit lord Fitz Alwine avec impatience, je suis fatigué de toutes ces lenteurs.

– Soldats, éloignez-vous un peu, dit le vieillard ; les prières d'un moribond ne doivent point tomber dans des oreilles profanes.

Sur un signe du baron, les soldats mirent une certaine distance entre eux et le prisonnier.

William et le pèlerin se trouvèrent seuls au pied de la potence. Le bourreau écoutait respectueusement les ordres du baron.

– Ne bougez pas, Will, dit le pèlerin courbé devant le jeune homme, je suis Robin Hood ; je vais couper les liens qui entravent vos mouvements, nous nous élancerons au milieu des soldats, la surprise leur fera perdre la tête.

– Soyez béni. Ah ! mon cher Robin, soyez béni ! murmura le pauvre Will suffoqué de bonheur.

– Baissez-vous, William, feignez de me parler ; bon ! voici vos liens coupés, prenez l'épée qui est suspendue sous ma robe ; la tenez-vous ?

– Oui, murmura Will.

– Très bien ; maintenant appuyez votre dos contre le mien, nous allons montrer à lord Fitz Alwine que vous n'êtes point venu au monde pour être pendu.

Par un geste plus rapide que la pensée, Robin Hood fit tomber sa robe de pèlerin et montra aux regards ébahis de l'assemblée le costume bien connu du célèbre forestier.

– Milord ! cria Robin d'une voix ferme et vibrante, William Gamwell fait partie de la bande des joyeux hommes. Vous me l'aviez enlevé, je suis venu le reprendre ; en échange, je vais vous envoyer le cadavre du coquin qui avait reçu de vous la mission de tuer lâchement le chevalier Allan Clare.

– Cinq cents pièces d'or au brave qui arrêtera ce bandit ! hurla le baron ; cinq cents pièces d'or au vaillant soldat qui lui mettra la main sur l'épaule !

Robin Hood promena sur la foule, immobile de stupeur, un regard étincelant.

– Je n'engage personne à risquer sa vie, dit-il, je vais être entouré de mes compagnons.

En achevant ces mots, Robin sonna du cor, et au même instant une nombreuse troupe de forestiers sortit du bois les mains armées de leur arc tendu.

– Aux armes ! cria le baron, aux armes ! Fidèles Normands, exterminez tous ces bandits !

Une volée de flèches enveloppa la troupe. Le baron, saisi d'effroi, se jeta sur son cheval et le dirigea, en jetant de grands cris, dans la direction du château. Les citoyens de Nottingham éperdus d'épouvante, s'élancèrent sur les traces de leur seigneur, et les soldats, entraînés par la terreur de cette panique générale, se sauvèrent au triple galop.

– La forêt et Robin Hood ! criaient les joyeux hommes en chassant leurs ennemis devant eux avec de grands éclats de rire.

Citoyens, forestiers et soldats traversèrent la ville pêlemêle, les uns muets d'effroi, les autres riant, les derniers la rage dans le cœur. Le baron pénétra le premier dans l'intérieur du château : tout le monde l'y suivit, à part les joyeux hommes, qui, arrivés là, saluèrent par des acclamations dérisoires leurs pusillanimes adversaires.

Lorsque Robin Hood, accompagné de sa troupe, eut repris le chemin de la forêt, les citoyens qui n'étaient point blessés et qui n'avaient rien perdu dans cette étrange algarade proclamèrent le courage du jeune chef et sa fidélité au malheur.

Les jeunes filles mêlèrent leur douce voix à ce concert d'éloges, et il arriva même que l'une d'elles en vint à déclarer que les forestiers lui paraissaient si aimables et si bienveillants qu'elle ne craindrait plus désormais de traverser la forêt toute seule.

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