Robin Hood le proscrit Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XIV


Robin Hood accomplit religieusement la dernière volonté de sa femme ; il fit creuser une fosse sous l'arbre du Rendez-Vous, et les dépouilles mortelles de l'ange qui avait été l'égide et le consolateur de sa vie furent ensevelies sous une couche de fleurs. Les jeunes filles du comté, accourues en foule pour assister à la funèbre cérémonie de l'enterrement, couvrirent de guirlandes de roses la tombe de Marianne, et mêlèrent leurs larmes aux sanglots du malheureux Robin.

Allan et Christabel, avertis par message du fatal événement, arrivèrent aux premières heures du jour ; tous deux étaient au désespoir, et ils pleurèrent amèrement la perte irréparable de leur bien-aimée sœur.

Lorsque tout fut achevé, lorsque le corps de Marianne eut disparu à tous les regards, Robin Hood, qui avait présidé aux navrants détails de l'inhumation, jeta un cri déchirant, tressaillit de la tête aux pieds comme le fait un homme atteint en pleine poitrine par une flèche meurtrière, et sans écouter Allan, sans répondre à Christabel, tout effrayés de ce désespoir furieux, il s'échappa de leurs mains et disparut dans le bois. Le pauvre Robin voulait être seul, seul avec sa douleur, seul avec Dieu.

Le temps, qui calme et adoucit les plus grandes blessures, n'eut aucune influence sur celle qui faisait une plaie vive du cœur de Robin Hood. Il pleura sans cesse, il pleura toujours la femme qui avait éclairé de son doux visage la demeure du vieux bois, celle qui avait trouvé le bonheur dans son amour, qui avait été la seule joie de son existence.

Le séjour de la forêt devint bientôt insupportable au jeune homme, et il se retira au hall de Barnsdale ; mais là, les déchirants souvenirs du passé furent plus vifs encore, et Robin Hood tomba dans la morne apathie que donne l'engourdissement de toutes les facultés morales. Il ne vivait plus, ni par l'esprit, ni par la pensée, ni même par le souvenir.

Cette tristesse splénétique, si l'on peut s'exprimer ainsi, jeta sur la bande des joyeux hommes les ombres noires d'une profonde mélancolie. Les larmes du jeune chef avaient éteint toute lueur de gaieté, et dans les sentiers du vieux bois erraient pensivement, comme des âmes en peine, les pauvres forestiers. On n'entendait plus retentir sous l'ombrage des vertes feuilles le gros rire du moine Tuck ; on n'entendait plus résonner au milieu d'un concert de bravos les bâtons agiles luttant de vigueur et d'adresse ; les flèches restaient inoffensives dans les carquois, et le tir était abandonné.

La privation de sommeil, le dégoût de toute nourriture, amenèrent un visible changement dans les traits de Robin ; il pâlit, ses yeux se cerclèrent d'une teinte de bistre, une toux sèche fatigua sa poitrine, et une fièvre lente acheva l'œuvre commencée par le chagrin. Petit-Jean, qui assistait en silence à cette cruelle transformation, parvint un jour à faire comprendre à Robin qu'il devait non seulement s'éloigner de Barnsdale, mais encore du Yorkshire, et chercher dans les distractions d'un voyage un soulagement à sa douleur. Après une heure de résistance, Robin s'était rendu aux sages conseils de Petit-Jean, et avant de se séparer de ses compagnons, il les avait placés sous le commandement de son excellent ami.

Afin de voyager dans le plus strict incognito, Robin avait revêtu un costume de paysan, et ce fut dans ce modeste équipage qu'il arriva à Scarborough. Il s'arrêta pour prendre quelque repos à la porte d'une pauvre chaumière habitée par la veuve d'un pêcheur, et lui demanda l'hospitalité. La bonne vieille fit un accueil amical à notre héros, et tout en lui servant son repas, elle lui raconta les petites misères de sa vie, et lui dit qu'elle possédait un bateau équipé par trois hommes, dont l'entretien était pour elle bien lourd, quoique ces hommes fussent insuffisants pour conduire le bateau et le ramener à la berge alors qu'il était chargé de poisson.

Désireux de tuer le temps d'une manière quelconque, Robin Hood offrit à la vieille femme de compléter pour un mince salaire le nombre de ses compagnons, et la paysanne, tout enchantée des bonnes dispositions de son hôte, accepta de grand cœur ses offres de services.

– Comment vous nommez-vous, mon gentil garçon ? demanda la vieille femme lorsque les arrangements de l'installation de Robin Hood dans la chaumière furent terminés.

– Je porte le nom de Simon de Lee, ma brave dame, répondit Robin Hood.

– Eh bien ! Simon de Lee, vous vous mettrez demain à l'ouvrage, et si le métier vous convient, nous resterons longtemps ensemble.

Dès le lendemain, Robin Hood s'en alla sur mer avec ses nouveaux compagnons ; mais nous sommes obligés de dire que, en dépit de tous les efforts de sa volonté, Robin, qui ignorait même les premiers éléments de la manœuvre, ne put être utile en rien aux habiles pêcheurs. Heureusement pour notre ami, il n'avait point affaire à de mauvais camarades, et au lieu de le gourmander sur son ignorance, ils se contentèrent de rire de l'idée qu'il avait eue d'apporter avec lui ses flèches et son arc.

– Si je tenais ces gaillards-là dans la forêt de Sherwood, pensait Robin, ils ne seraient pas aussi empressés de rire à mes dépens ; mais, bah ! à chacun son métier ; je ne les vaux pas bien certainement dans celui qu'ils exercent.

Après avoir rempli le bateau de poisson jusqu'au plat bord, les pêcheurs déferlèrent les voiles et se dirigèrent vers la jetée. Tout en marchant, ils aperçurent une petite corvette française qui se dirigeait sur eux. La corvette paraissait avoir peu de monde à son bord, néanmoins les pêcheurs parurent épouvantés de son approche, et s'écrièrent qu'ils étaient perdus.

– Perdus ! et pourquoi donc ! demanda Robin.

– Pourquoi ? niais que tu es ! répondit un des pêcheurs ; parce que cette corvette est montée par des hommes ennemis de notre nation ; parce que nous sommes en guerre avec eux ; parce que s'ils nous abordent ils nous feront prisonniers.

– J'espère bien qu'ils n'y réussiront pas, répondit Robin ; nous tâcherons de nous défendre.

– Quelle défense pourrions-nous opposer ? Ils sont une quinzaine et nous sommes trois.

– Vous ne me comptez donc pas, mon brave ? demanda Robin.

– Non, mon garçon ; tu as les mains trop blanches pour en avoir jamais écorché l'épiderme au contact de la rame et de l'aviron. Tu ne connais pas la mer, et si tu tombais à l'eau, il y aurait sur la terre un imbécile de moins. Ne prends pas la mouche, tu es très gentil, je te porte dans mon cœur ; mais tu ne vaux pas le pain que tu manges.

Un demi-sourire effleura les lèvres de Robin.

– Je n'ai pas l'amour-propre chatouilleux, dit-il ; cependant, je désire vous donner la preuve que je puis encore être bon à quelque chose au moment du danger. Mon arc et mes flèches vont nous tirer d'embarras. Attachez-moi au mât ; il faut que j'aie la main sûre, et laissez venir la corvette à portée de mes flèches.

Les pêcheurs obéirent ; Robin fut solidement attaché au grand mât, et son arc tendu, il attendit.

Aussitôt que la corvette se fut rapprochée, Robin visa un homme qui se trouvait à l'avant du vaisseau et l'envoya, une flèche dans le cou, tomber sans vie au milieu du pont. Un second matelot eut le même sort. Les pêcheurs, un instant effarés de surprise et de ravissement, jetèrent un cri de triomphe, et celui qui avait la priorité sur ses compagnons désigna à Robin l'homme qui se tenait au gouvernail de la corvette. Robin le tua aussi rapidement qu'il avait tué les deux autres.

Les deux vaisseaux se placèrent bord à bord ; il ne restait plus que dix hommes sur la corvette, et bientôt Robin eut réduit à trois le nombre des malheureux Français. Aussitôt que les pêcheurs se furent aperçus qu'il ne restait plus que trois hommes sur le bâtiment, ils résolurent de s'en emparer, et cela leur fut d'autant plus facile que les Français, voyant que toute défense était dangereuse et inutile, avaient mis bas les armes et s'étaient rendus à discrétion. Les matelots eurent la vie sauve et la liberté de regagner la France sur un bateau de pêcheur.

La corvette française était de bonne prise, car elle portait au roi de France une grosse somme d'argent : douze mille livres.

Il va sans dire qu'en prenant possession de ce trésor inespéré, les braves pêcheurs adressèrent à celui dont ils s'étaient si bien moqués quelques heures auparavant d'amicales excuses ; puis, avec un désintéressement plein de cœur, ils déclarèrent que la prise appartenait tout entière à Robin, parce que Robin avait seul décidé la victoire par son adresse et son intrépidité.

– Mes bons amis, dit Robin, à moi seul appartient le droit de résoudre la question, et voici comment je désire arranger nos affaires : la moitié de la corvette et de son contenu deviendra la propriété de la pauvre veuve à qui appartient ce bateau, et le reste sera partagé entre vous trois.

– Non, non, dirent les hommes, nous ne souffrirons pas que tu te dépouilles d'un bien que tu as acquis sans l'aide de personne. Le vaisseau t'appartient et, si tu le veux, nous serons tes serviteurs.

– Je vous remercie, mes braves garçons, répondit Robin, mais je ne puis accepter les témoignages de votre dévouement. Le partage de la corvette aura lieu suivant mon désir, et j'emploierai les douze mille livres à faire bâtir pour vous et pour les pauvres habitants de la baie de Scarborough des maisons plus saines que celles que vous possédez.

Les pêcheurs tentèrent, mais inutilement, de modifier le projet de Robin ; ils tentèrent de lui persuader qu'en donnant à la veuve, aux pauvres et à eux-mêmes un quart des douze mille livres, il agirait encore très généreusement ; mais Robin ne voulut rien entendre, et finit par imposer silence à ses honnêtes compagnons.

Robin Hood séjourna pendant quelques semaines au milieu des bonnes gens que sa générosité avait rendus si heureux ; puis un matin, fatigué de la mer, affamé du désir de revoir le vieux bois et ses chers compagnons, il réunit les pêcheurs et leur annonça son départ.

– Mes bons amis, dit Robin, je me sépare de vous le cœur plein de reconnaissance pour les soins et toutes les attentions que vous avez eus pour moi. Nous ne nous reverrons probablement jamais ; cependant, je désire que vous conserviez un bon souvenir à celui qui a été votre hôte, à votre ami Robin Hood.

Avant que les pêcheurs, ébahis de surprise, eussent eu le temps de reprendre l'usage de la parole, Robin Hood avait disparu.

Aujourd'hui encore, la petite baie qui a abrité sous l'humble toit de ses chaumières le célèbre outlaw, porte le nom de baie de Robin Hood.

Ce fut aux premières heures d'une belle matinée de juin que Robin atteignit les lisières du bois de Barnsdale. Il pénétra, l'esprit agité par une profonde émotion, dans une étroite allée de la forêt, où bien des fois, hélas ! la chère créature dont il devait éternellement pleurer l'absence était venue l'attendre, le cœur en joie et le sourire aux lèvres. Après quelques instants d'une muette contemplation des lieux témoins de son bonheur perdu, Robin respira plus librement ; il se sentit revivre dans le passé, et le souvenir de Marianne glissa léger et suave comme une odorante vapeur le long des allées sombres, sur les pelouses fleuries, dans les clairières largement ombragées par des rideaux de chênes séculaires contre les rayons du soleil. Robin Hood suivit l'ombre chérie, il pénétra avec elle dans les bosquets touffus, il descendit sur ses traces au fond des vallées, et ce fut toujours accompagné par cette douce vision qu'il arriva au carrefour où se tenait d'habitude le corps principal des joyeux hommes.

Ce jour-là, le vaste emplacement était vide : Robin porta un cor de chasse à ses lèvres et fit retentir les profondeurs du bois d'un violent appel.

Un cri, ou plutôt une sorte de clameur répondit à la voix du cor : les branches des arbres qui entouraient le carrefour s'écartèrent brusquement, et Will écarlate, suivi de toute la bande, s'élança les bras étendus au devant de Robin Hood.

– Cher Rob, très cher ami, murmura le beau Will d'une voix entrecoupée, vous voilà donc enfin de retour ; béni soit le Seigneur ! Nous vous attendions avec une bien vive impatience, n'est-ce pas vrai, Petit-Jean ?

– Oui, c'est vrai, répondit Jean, dont les yeux pleins de larmes contemplaient douloureusement le pâle visage du voyageur ; et Robin a eu pitié de notre inquiétude et de nos angoisses, puisqu'il est revenu.

– Oui, mon cher Jean, et je l'espère, pour ne plus te quitter.

Jean prit la main de Robin Hood et la lui serra avec une violence si pleine de tendresse que le jeune homme n'osa pas se plaindre de la douleur que cette ardente passion lui fit éprouver.

– Soyez le bienvenu au milieu de nous, Robin Hood ! crièrent joyeusement les forestiers ; soyez mille fois le bienvenu !

Les transports d'allégresse excités par sa présence étendirent un baume rafraîchissant sur l'incurable plaie du cœur de notre héros. Il sentit qu'il ne devait pas s'abandonner plus longtemps à sa douleur et laisser sans appui les braves gens qui s'étaient attachés à sa mauvaise fortune.

Cette courageuse résolution fit monter une rougeur brûlante au front du pauvre Robin. Hélas ! son cœur était en révolte contre sa volonté ; mais celle-ci fut la plus forte, car, après avoir adressé au souvenir de Marianne un adieu mental, il tendit la main vers ses fidèles serviteurs, et leur dit d'une voix calme et forte :

– Désormais, chers compagnons, vous me trouverez en toute chose votre ami, votre guide et votre chef, Robin Hood le proscrit, le capitaine Robin Hood !

– Hourra ! crièrent les forestiers en jetant leurs bonnets en l'air ; hourra ! hourra !

– ça, qu'on s'amuse, dit Robin, et que la gaieté règne ici encore en souveraine ; aujourd'hui le repos, demain la chasse et gare aux Normands !

Les nouveaux exploits de Robin Hood devinrent bientôt le sujet de toutes les conversations en Angleterre, et les riches seigneurs du Nottinghamshire, du Derbyshire et du Yorkshire fournirent largement aux besoins des pauvres et à l'entretien de la bande.

De longues années s'écoulèrent sans amener de changement dans la situation des outlaws ; mais, avant de fermer ce livre, nous devons faire connaître aux lecteurs la destinée de quelques-uns de nos personnages.

Sir Guy de Gamwell et sa femme étaient morts dans un âge très avancé, laissant leur fils au hall de Barnsdale, où ils s'étaient retirés en cessant de faire partie de la bande de Robin Hood.

Will écarlate avait suivi l'exemple donné par ses frères ; il habitait une charmante maison avec sa chère Maude, déjà mère de plusieurs enfants, et toujours aussi tendrement aimée de son mari qu'aux premiers jours de leur union. Much et Barbara étaient venus s'établir auprès de Maude ; mais Petit-Jean, qui avait eu le malheur de perdre Winifred, n'ayant aucune raison pour déserter le bois, restait fidèlement aux ordres de Robin ; du reste, hâtons-nous de le dire, Jean aimait trop tendrement Robin pour avoir jamais eu, même un seul instant, la pensée de le quitter, et les deux compagnons vivaient l'un auprès de l'autre intimement convaincus que la mort seule aurait la puissance de séparer leurs cœurs.

N'oublions pas de dire quelques mots du brave Tuck, le pieux chapelain qui a béni tant de mariages. Tuck était resté fidèle à Robin ; il était toujours le consolateur spirituel de la bande, et il n'avait rien perdu de ses remarquables qualités : il était toujours le digne moine ivrogne, bruyant et hâbleur.

Halbert Lindsay, le frère de lait de Maude, nommé maréchal du château de Nottingham par Richard Cœur-de-Lion, avait si bien rempli les devoirs de sa charge, qu'il était parvenu à la conserver. La femme de Hal, la jolie Grâce May, était restée charmante en dépit de la marche du temps, et sa petite Maude promettait toujours d'être dans l'avenir le vivant portrait de sa mère.

Sir Richard de la Plaine vivait tranquille et heureux auprès de sa femme et de ses deux enfants Herbert et Lilas. L'honnête Saxon gardait à Robin Hood une reconnaissance et une affection qui ne devaient s'éteindre qu'avec les derniers battements de son cœur, et c'était fête au château lorsque Robin, attiré par cet aimant de tendresse, y venait avec Petit-Jean se reposer de ses fatigues.

Il y avait peu de temps que la magna charta était signée, lorsque le roi Jean, après une série d'actions monstrueuses, se mit en personne à la poursuite du jeune roi d'écosse, qui fuyait devant lui, et marcha vers Nottingham en semant sur son passage la désolation et la terreur. Jean était accompagné de plusieurs généraux, et les exploits de ces derniers leur ont valu les surnoms énergiques, l'un de Jaleo Sans-Entrailles, l'autre de Mauléon le Sanglant, Walter Much le Meurtrier, Sottim le Cruel, Godeschal au Cœur de Bronze. Ces misérables étaient les chefs d'une bande de mercenaires étrangers, et les traces de leurs pas étaient le viol, la mort et l'incendie. Le bruit de l'approche de cette armée de brigands sonnait comme un glas funèbre aux oreilles des populations épouvantées, qui fuyaient en désordre, abandonnant leurs demeures à la merci des Normands.

Robin Hood apprit l'odieuse conduite des soldats et il résolut aussitôt de leur infliger les supplices qu'ils faisaient subir à leurs faibles victimes.

Les forestiers répondirent à l'appel de leur chef avec un enthousiasme qui eût fait frissonner les hommes du roi Jean, tant la haine du vaincu contre le vainqueur, du Saxon contre le Normand, s'y montrait implacable.

La bande préparée au combat, Robin Hood attendit.

En approchant de la forêt de Sherwood, les chefs normands envoyèrent en éclaireurs une petite troupe de batteurs d'estrade, et quand le gros de l'armée pénétra sous bois, il aperçut, pendus aux branches des arbres, inanimés sur le chemin, expirant dans la poussière, les hommes dont ils avaient vainement attendu le retour. Ce terrifiant spectacle glaça quelque peu l'ardeur guerrière des Normands ; néanmoins, comme ils étaient en nombre, ils continuèrent leur marche. Le plan de Robin ne pouvait être d'attaquer ouvertement une armée tout entière, il ne devait demander le succès qu'à la ruse ; aussi employa-t-il adroitement l'agilité de ses hommes et leur inimitable adresse. Il harassa les soldats en leur envoyant la mort par des flèches dont le point de départ restait invisible ; il se mit à leur suite, tuant les traîneurs et massacrant sans pitié tous ceux que leur mauvaise fortune faisait tomber entre ses mains. Une terreur générale paralysa les mouvements de l'armée ; elle se vit perdue, et les idées superstitieuses de l'époque lui permirent de croire qu'elle était la proie des maléfices d'un génie infernal. Un des chefs étrangers, Sottim le Cruel, voulut essayer de mettre fin à un massacre qui menaçait de jeter le désordre et la désunion dans le corps de l'armée ; il ordonna une halte, engagea ses hommes, dans l'intérêt de leur propre salut, à se rendre maîtres de leur épouvante, et à la tête d'une cinquantaine de Normands déterminés, il alla explorer les profondeurs des taillis. Mais à peine cette petite troupe se fut-elle enfoncée dans les inextricables détours d'un sentier perdu, qu'une volée de flèches descendit de la cime des arbres, monta du fond des halliers, et frappa de mort Sottim le Cruel et les cinquante soldats.

La disparition de ces batteurs d'estrade et de leur intrépide chef redoubla l'instinctive terreur des Normands et leur donna des ailes pour traverser la forêt de Sherwood et atteindre Nottingham. Arrivés là, brisés de fatigue et exaspérés de colère, ils se livrèrent avec une nouvelle rage aux excès inqualifiables qui avaient signalé leur passage dans la vallée de Mansfeld.

Le lendemain de ces funestes représailles, l'armée, toujours conduite par le roi Jean, se dirigea vers le Yorkshire, incendiant et massacrant à plaisir les inoffensifs habitants des villages qu'elle traversait.

Tandis que les Normands se creusaient ainsi un sillon de larmes, de sang et de feu, les Saxons, qui avaient été les uns dépouillés de leurs biens, les autres violemment séparés de leurs femmes et de leurs enfants, se joignirent, ivres à leur tour de meurtre et de carnage, à la bande de Robin et notre héros, à la tête de huit cents braves Saxons, se jeta à la poursuite de la sanglante cohorte.

Un bonheur providentiel protégea contre les Normands la paisible demeure d'Allan Clare et le château de sir Richard de la Plaine. Ni l'une ni l'autre de ces deux maisons ne se trouva sur le chemin suivi par les pillards, car il va sans dire que Jean n'épargnait point les riches Saxons ; il les chassait de leurs habitations et donnait à ses favoris le droit de s'installer en maîtres au lieu et place des malheureux gentilshommes. Mais alors arrivaient Robin Hood et ses formidables compagnons et le nouveau propriétaire, les soldats qu'il avait pris à ses gages pour l'aider à maintenir par la force les droits de cette injuste usurpation, tombaient entre les mains des outlaws qui les tuaient impitoyablement.

Le roi apprit par les clameurs publiques et les plaintes de ses gens la marche triomphante du vengeur des Saxons et il envoya contre lui une petite fraction de son armée, espérant qu'elle parviendrait à cerner la bande de Robin Hood, qu'on avait dit installée dans un petit bois. Nous croyons inutile de dire que les soldats de Jean n'eurent même pas la satisfaction de revenir confesser leur défaite au roi ; ils furent tués avant même d'avoir gagné le prétendu camp où ils devaient surprendre Robin Hood.

Les prouesses de notre héros firent grand bruit en Angleterre et son nom devint aussi formidable pour les Normands que l'avait été celui d'Hereward le Wake à leurs prédécesseurs, sous le règne de Guillaume Ier.

Jean gagna édimbourg ; mais, n'ayant pu s'emparer du roi d'écosse, il se rendit à Douvres, en laissant à ses troupes disséminées en plusieurs endroits l'ordre de le rejoindre. Mais la plus grande partie de ces troupes furent arrêtées par les hommes de Robin, les unes dans le Derbyshire, les autres dans le Yorkshire. Sur ces entrefaites, le roi Jean mourut et son fils Henri lui succéda.

Sous le règne de ce nouveau prince, l'existence de Robin Hood ne fut pas aussi aventureuse et aussi active qu'elle l'avait été pendant la sanglante période du règne de Jean ; car le comte de Pembroke, tuteur du jeune roi, s'occupa sérieusement d'améliorer le sort du peuple et réussit à maintenir la paix dans toute l'étendue du royaume.

La suspension subite de toute activité physique et morale jeta Robin Hood dans l'abattement et amoindrit ses forces. Il est vrai que notre héros n'était plus jeune ; il avait atteint sa cinquante-cinquième année et Petit-Jean venait tout doucement de gagner l'âge respectable de soixante-six ans. Comme nous l'avons dit, le temps ne devait apporter aucun soulagement à la douleur de Robin Hood et le souvenir de Marianne, aussi frais et aussi vivace qu'au lendemain de la séparation, avait fermé à tout autre amour le cœur de Robin.

La tombe de Marianne, pieusement soignée par les joyeux hommes, se couvrait tous les ans de nouvelles fleurs et bien des fois, depuis le retour de la paix, les forestiers avaient surpris leur chef, pâle et sombre, agenouillé sur la pelouse de gazon qui s'étendait comme une ceinture d'émeraude autour de l'arbre du Rendez-Vous.

De jour en jour, la tristesse de Robin devint plus lourde et plus accablante, de jour en jour son visage prit une expression plus morne, le sourire disparut de ses lèvres et Jean, le patient et dévoué Jean, ne parvenait pas toujours à obtenir de son ami une réponse à ses inquiètes questions.

Il arriva cependant que Robin se laissa toucher par les soins de son compagnon et qu'il consentit, à sa prière, à aller demander des consolations religieuses à une abbesse dont le couvent était peu éloigné de la forêt de Sherwood.

L'abbesse, qui avait déjà vu Robin Hood et qui connaissait toutes les particularités de sa vie, le reçut avec beaucoup d'empressement et lui offrit tous les secours qu'il était en son pouvoir de lui donner.

Robin Hood se montra sensible au bienveillant accueil de la religieuse et lui demanda si elle voulait avoir la complaisance de lui ôter à l'instant même quelques palettes de sang. L'abbesse y consentit ; elle emmena le malade dans une cellule et, avec une adresse merveilleuse, elle fit l'opération demandée ; puis, toujours aussi légèrement qu'eût pu le faire un habile médecin, elle entoura de bandages le bras du malade et le laissa, à demi épuisé, étendu sur un lit.

Un sourire étrangement cruel desserra les lèvres de la religieuse lorsque, en sortant de la cellule, elle ferma la porte à double tour et en emporta la clef.

Disons quelques mots sur cette religieuse.

Elle était parente de sir Guy de Gisborne, le chevalier normand qui, dans une expédition tentée de concert avec lord Fitz Alwine contre les joyeux hommes, avait eu la mauvaise chance de mourir de la mort qu'il préméditait de donner à Robin Hood. Cependant, il ne serait pas venu à l'esprit de cette femme de venger son cousin, si le frère de ce dernier, trop lâche pour exposer sa vie dans un combat loyal, ne lui eût persuadé qu'elle accomplirait à la fois un acte de justice et une bonne action en débarrassant le royaume d'Angleterre du trop célèbre proscrit. La faible abbesse se soumit à la volonté du misérable Normand : elle accomplit le meurtre et coupa l'artère radiale du confiant Robin Hood.

Après avoir abandonné le malade pendant une heure à l'invincible sommeil qui devait résulter d'une très grande perte de sang, la religieuse remonta silencieusement auprès de lui, enleva le bandage qui fermait la veine et, lorsque le sang eut recommencé à couler, elle s'éloigna sur la pointe des pieds.

Robin Hood dormit jusqu'au matin, sans ressentir aucun malaise ; mais, en ouvrant les yeux, en essayant de se lever, il éprouva une si grande faiblesse qu'il se crut arrivé à sa dernière heure. Le sang, qui n'avait cessé de se répandre par l'ouverture faite à l'artère, inondait le lit et Robin Hood comprit alors le danger mortel de sa situation. à l'aide d'une volonté presque surhumaine, il parvint à se traîner jusqu'à la porte ; il essaya de l'ouvrir, s'aperçut qu'elle était fermée et, toujours soutenu par la force de son caractère, force si puissante qu'elle parvenait à raviver l'épuisement de tout son être, il arriva à la fenêtre, l'ouvrit, se pencha pour essayer d'en franchir les bords ; puis, ne pouvant le faire, il jeta vers le ciel un suprême appel et, comme inspiré par son bon ange, il prit son cor de chasse, le porta à ses lèvres et en tira péniblement quelques faibles sons.

Petit-Jean, qui n'avait pu se séparer sans douleur de son bien-aimé compagnon, avait passé la nuit sous les murs du couvent. Il venait de se réveiller et il se préparait à tenter une démarche pour voir Robin Hood, lorsque les mourantes intonations du cor de chasse vinrent frapper son oreille.

– Trahison ! trahison ! cria Jean en courant comme un fou vers un petit bois où une partie des joyeux hommes avaient établi leur camp pour passer la nuit. à l'abbaye ! mes garçons, à l'abbaye ! Robin Hood nous appelle, Robin Hood est en danger !

Les forestiers furent debout en un instant et s'élancèrent à la suite de Petit-Jean, qui vint frapper à coups redoublés à la porte de l'abbaye. La tourière refusa d'ouvrir ; Jean ne perdit pas une seconde à lui adresser des prières qu'il savait inutiles, il enfonça la porte à l'aide d'un bloc de granit qui se trouvait là et, guidé par les sons du cor, il gagna la cellule où gisait dans une mare de sang le pauvre Robin Hood. à la vue de Robin expirant, le vigoureux forestier se sentit défaillir ; deux larmes de douleur et d'indignation roulèrent sur son visage bronzé ; il tomba sur ses genoux et, prenant son vieil ami dans ses bras, il lui dit en sanglotant :

– Maître, cher maître bien-aimé, qui a commis le crime infâme de frapper un malade ? quelle est la main impie qui a tenté un meurtre dans une pieuse maison ? Répondez, de grâce, répondez !

Robin secoua doucement la tête.

– Qu'importe, dit-il, maintenant que tout est fini pour moi, maintenant que j'ai perdu jusqu'à la dernière goutte tout le sang de mes veines...

– Robin, reprit Jean, dis-moi la vérité ; je dois la savoir, il faut que je sache ; c'est à la trahison que je dois demander compte de ce lâche assassinat ? – Robin Hood fit un signe affirmatif. – Cher bien-aimé, continua Jean, accorde-moi la suprême consolation de venger ta mort, permets-moi de porter à mon tour le meurtre et la douleur là où a été commis un meurtre, là où naît pour moi la plus cruelle douleur. Dis un mot, fais un signe et demain il n'existera pas un vestige de cette odieuse maison : je l'aurai démolie pierre à pierre ; je me sens encore la force d'un géant et j'ai cinq cents braves pour me venir en aide.

– Non, Jean, non, je ne veux pas que tu portes tes mains pures et honnêtes sur des femmes vouées à Dieu, ce serait un sacrilège. Celle qui m'a tué a sans doute obéi à une volonté plus forte que ne le sont ses sentiments religieux. Elle souffrira les tortures du remords dans cette vie si elle se repent et elle sera punie dans l'autre si elle n'obtient pas du ciel le pardon que je lui accorde. Tu le sais, Jean, je n'ai jamais fait ni laissé faire de mal à une femme et pour moi une religieuse est doublement sacrée et respectable. Ne parlons plus de cela, mon ami ; donne-moi mon arc et une flèche, porte-moi à la fenêtre, je veux aller rendre mon dernier soupir là où ira tomber ma dernière flèche.

Robin Hood, soutenu par Petit-Jean, visa au loin, tira la corde de l'arc et la flèche, rasant comme un oiseau la cime des arbres, alla tomber à une distance considérable.

– Adieu, mon bel arc ; adieu, mes flèches fidèles, murmura Robin d'une voix attendrie en les laissant glisser de ses mains. Jean, mon ami, ajouta-t-il d'un ton plus calme, porte-moi à la place où j'ai dit que je voulais mourir.

Petit-Jean prit Robin entre ses bras et descendit, chargé de ce précieux fardeau, dans la cour du couvent, où, par ses ordres, les joyeux hommes s'étaient paisiblement rassemblés ; mais, à la vue de leur chef couché comme un enfant sur la robuste épaule de Jean, à l'aspect de son visage livide, ils jetèrent un cri de fureur et voulurent sur l'heure même punir celles qui avaient frappé Robin.

– Paix, mes garçons ! dit Jean ; laissez à Dieu le soin de faire justice ; pour le moment, la situation de notre bien-aimé maître doit seule nous occuper. Suivez-moi tous jusqu'à l'endroit où nous trouverons la dernière flèche tirée par Robin.

La troupe se divisa en deux rangs afin d'ouvrir au vieillard un passage au milieu d'elle et Jean le traversa d'un pas ferme, puis il gagna rapidement la place où était fichée en terre la flèche de Robin Hood.

Là, Jean étendit sur le gazon des vêtements apportés par les joyeux hommes et y coucha avec des précautions infinies le pauvre agonisant.

– Maintenant, dit Robin d'une voix faible, appelle tous mes joyeux hommes ; je veux une fois encore être entouré des braves cœurs qui m'ont servi avec tant d'affection et de fidélité. Je veux rendre mon dernier soupir au milieu des vaillants compagnons de ma vie.

Jean sonna du cor à trois reprises différentes, parce que l'appel ainsi formulé, en prévenant les outlaws d'un danger imminent, activait encore la vélocité de leur marche.

Parmi les hommes qui répondirent à l'appel de Jean, se trouvait Will écarlate ; car, tout en cessant de faire partie de la bande, Will lui prodiguait ses visites et passait rarement une semaine sans venir abattre quelque cerf, serrer la main de ses amis et partager avec eux les produits de sa chasse.

Nous n'essayerons pas de dépeindre la stupeur et le désespoir du bon William lorsqu'il apprit l'état de Robin Hood, lorsqu'il vit le visage décomposé de cet ami si cher et si digne de la tendresse qu'il inspirait.

– Sainte Vierge ! dit Will, qu'est-il arrivé, ô mon pauvre ami, mon pauvre frère, mon cher Robin ? Fais-moi connaître ton mal, es-tu blessé ? celui qui a porté sur toi sa main maudite existe-t-il encore ? Dis-le-moi, dis-le-moi et demain il aura expié son crime.

Robin Hood souleva sa tête endolorie du bras de Jean sur lequel elle s'appuyait, regarda Will avec une expression de vive tendresse et lui dit en souriant d'un pâle et triste sourire :

– Merci, mon bon Will, je ne veux pas être vengé ; éloigne de ton cœur tout sentiment de haine contre le meurtrier de celui qui meurt, sinon sans regret, du moins sans souffrance. J'étais arrivé au terme de ma vie, sans doute, puisque la divine mère du Sauveur, ma sainte protectrice, m'a abandonné à ce moment fatal. J'ai vécu longtemps, Will, et j'ai vécu aimé et honoré de tous ceux qui m'ont connu. Quoi qu'il me soit pénible de me séparer de vous, bons et chers amis, continua Robin en enveloppant d'un regard de tendresse Petit-Jean et Will, cette douleur est adoucie par une pensée chrétienne, par la certitude que notre séparation ne sera pas éternelle et que Dieu nous réunira dans un monde meilleur. Ta présence à mon lit de mort est une grande consolation pour moi, cher Will, cher frère, car nous avons été l'un pour l'autre un bon et tendre frère. Je te remercie de tous les témoignages d'affection dont tu m'as entouré ; je te bénis du cœur et des lèvres et je prie la sainte Mère de te rendre aussi heureux que tu mérites de l'être. Tu diras de ma part à Maude, ta très chère femme, que je ne l'ai point oubliée en faisant des vœux pour ton bonheur et tu l'embrasseras de la part de son frère Robin Hood. – William sanglotait convulsivement. – Ne pleure pas ainsi, Will, reprit Robin après un instant de silence ; tu me fais trop de mal ; ton cœur est donc devenu faible comme celui d'une femme, que tu ne peux supporter courageusement la douleur ? – William ne répondit pas ; il était à demi suffoqué par les larmes. – Mes vieux camarades, chers amis de mon cœur, continua Robin en s'adressant aux joyeux hommes silencieusement groupés autour de lui, vous qui avez partagé mes travaux et mes dangers, mes joies et mes chagrins avec un dévouement et une fidélité au-dessus de tout éloge, recevez mes derniers remerciements et ma bénédiction. Adieu, mes frères, adieu, braves Saxons ! Vous avez été la terreur des Normands ; vous avez conquis à jamais l'amour et la reconnaissance des pauvres : soyez heureux, soyez bénis et priez quelquefois notre chère protectrice, la mère du Sauveur des hommes, pour votre ami absent, pour votre cher Robin Hood.

Quelques gémissements étouffés répondirent seuls aux paroles de Robin ; éperdus de douleur, les yeomen écoutaient ces adieux sans vouloir en comprendre la cruelle signification.

– Et toi, Petit-Jean, reprit le moribond d'une voix qui, de minute en minute, devenait plus lente et plus faible, toi le noble cœur, toi que j'aime de toutes les forces de mon âme, que vas-tu devenir, à qui donneras-tu l'affection que tu avais pour moi ? avec qui vivras-tu sous les grands arbres de la vieille forêt ? ô mon Jean ! tu vas être bien seul, bien isolé, bien malheureux ; pardonne-moi de te quitter ainsi ; j'avais espéré une mort plus douce, j'avais espéré mourir avec toi, auprès de toi, les armes à la main, pour la défense de mon pays. Dieu en a décidé autrement, que son nom soit béni ! Mon heure approche, Jean ; mes yeux se troublent ; donne-moi ta main, je veux mourir en la tenant serrée entre les miennes. Jean, tu connais mon désir, tu connais la place où ma dépouille mortelle doit être déposée, sous l'arbre du Rendez-Vous, auprès de celle qui m'attend, auprès de Marianne.

– Oui, oui, soupira le pauvre Jean les yeux pleins de larmes, tu seras...

– Merci, mon vieil ami, je meurs heureux. Je vais rejoindre Marianne et pour toujours. Adieu, Jean...

La mourante voix de l'illustre proscrit cessa de se faire entendre, une tiède vapeur effleura le visage de Petit-Jean et l'âme de celui qu'il avait tant aimé s'envola vers le ciel.

– à genoux, mes enfants ! dit le vieillard en faisant le signe de la croix ; le noble et généreux Robin Hood a cessé de vivre !

Tous les fronts s'inclinèrent et William prononça sur le corps de Robin une courte mais ardente prière ; puis, avec l'aide de Petit-Jean, il emporta le corps à l'endroit où il devait trouver son dernier lit de repos.

Deux forestiers creusèrent la fosse auprès de celle où reposait Marianne et Robin y fut déposé sur une couche de fleurs et de feuillage. Petit-Jean plaça auprès de Robin son arc, ses flèches ; et le chien favori du mort, qui ne devait plus servir aucun maître, fut tué sur la tombe et enterré avec lui.

Ainsi se termina la carrière de celui qui a offert un des traits les plus extraordinaires des annales de ce pays.

Paix à ses mânes !

Les biens de la bande furent loyalement partagés entre ses membres par Petit-Jean, qui désirait finir dans quelque retraite les derniers jours d'une existence désormais douloureuse. Les outlaws se séparèrent, les uns vécurent à Nottingham, les autres se disséminèrent çà et là dans les comtés environnants, mais pas un seul n'eut le courage de rester dans le vieux bois. La mort de Robin Hood en avait rendu le séjour trop cruellement triste.

Petit-Jean, lui, ne pouvait se décider à sortir de la forêt ; il y passa quelques jours, rôdant comme une âme en peine dans les allées solitaires et appelant à grands cris celui qui ne pouvait plus lui répondre. Il se décida enfin à aller demander un asile à Will écarlate. Will le reçut les bras ouverts et, quoique bien triste lui-même, essaya d'apporter quelque soulagement à cette inconsolable douleur : mais Jean ne voulait pas être consolé.

Un matin, William, qui cherchait Petit-Jean, le trouva dans le jardin, debout, le dos appuyé contre un vieux chêne et la tête tournée vers la forêt. La figure de Jean était très pâle, ses yeux ouverts et fixes paraissaient sans regard. Will, effrayé, prit le bras de son cousin en l'appelant d'une voix tremblante ; mais le vieillard ne répondit point, il était mort.

Ce coup inattendu fut une bien grande douleur pour le bon William ; il emporta Petit-Jean dans sa maison et le lendemain toute la famille Gamwell conduisit ce second frère bien-aimé au cimetière d'Hathersage, situé à six milles de Castleton, dans le Derbyshire.

Le tombeau qui recouvre les restes du brave Petit-Jean existe encore et il se fait remarquer par l'extraordinaire longueur de la pierre qui le recouvre. Cette pierre présente aux regards investigateurs des curieux deux initiales, J. N., très artistement creusées dans le cœur du granit.

Une légende rapporte qu'un certain antiquaire, grand amateur du merveilleux, fit ouvrir la gigantesque tombe, enleva les ossements qu'elle recouvrait et les emporta comme une chose digne de prendre rang dans son cabinet de curiosités anatomiques. Par malheur pour le digne savant, dès que ces débris humains furent dans sa maison, il ne connut plus de repos ; la ruine, la maladie et la mort se firent les hôtes de la demeure et le fossoyeur qui avait pris part à la profanation du tombeau, fut également frappé dans ses affections les plus chères. Les deux hommes comprirent alors qu'ils avaient offensé le ciel en violant le secret d'une tombe et ils replacèrent pieusement en terre sainte les restes du vieux forestier.

Depuis cette époque, l'antiquaire et le fossoyeur vivent heureux et tranquilles ; Dieu, qui fait au repentir la remise de toute faute, avait accordé son pardon aux deux sacrilèges.

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