Robin Hood le proscrit Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre XI


Le baron Fitz Alwine regardait Robin Hood comme le cauchemar de son existence et l'insatiable désir qu'il avait de se venger largement de toutes les humiliations que le jeune homme lui avait fait subir ne perdait point de sa ténacité. Sans cesse battu par son ennemi, le baron revenait à la charge, se jurant, aussi bien avant l'attaque qu'après la défaite, d'exterminer toute la bande des outlaws.

Lorsque le baron se vit contraint de reconnaître qu'il lui serait éternellement impossible de vaincre Robin par la force, il résolut d'avoir recours à la ruse. Ce nouveau plan de conduite longuement médité, il espéra avoir découvert un moyen pacifique d'attirer Robin dans ses filets. Sans perdre une minute, le baron envoya chercher un riche marchand de la ville de Nottingham et lui confia ses projets en lui recommandant de garder sur eux le plus profond silence.

Cet homme, qui était d'un caractère faible et irrésolu, fut facilement amené à partager la haine que le baron paraissait ressentir contre celui qu'il nommait un détrousseur de grand chemin.

Dès le lendemain de son entrevue avec lord Fitz Alwine, le marchand, fidèle à la promesse qu'il avait faite à l'irascible vieillard, réunit dans sa maison les principaux citoyens de la ville et leur proposa de venir avec lui demander au shérif la faveur d'établir un tir public où viendraient lutter d'adresse les hommes du Nottinghamshire et ceux du Yorkshire.

– Ces deux comtés se jalousent quelque peu, ajouta le marchand, et, pour l'honneur de la ville, je serais heureux d'offrir à nos voisins un moyen de prouver leur habileté d'archer, ou, pour mieux dire une occasion de faire ressortir l'incontestable supériorité de nos adroits tireurs ; et, afin d'égaliser la partie entre les camps rivaux, nous établirons le tir aux limites des deux pays, la récompense du vainqueur serait une flèche au dard en argent et aux plumes en or.

Les citoyens convoqués par l'allié du baron accueillirent la proposition qui leur était faite avec un généreux empressement et, accompagnés du marchand, ils allèrent demander à lord Fitz Alwine la permission d'annoncer un concours au jeu de l'arc entre les deux pays rivaux.

Le vieillard, enchanté de la prompte réussite de la première partie de son projet, dissimula son intime satisfaction et, d'un air de profonde indifférence, donna le consentement demandé, ajoutant même que si sa présence pouvait être de quelque charme ou de quelque utilité à l'éclat de la fête, il se ferait à la fois un plaisir et un devoir de présider les jeux.

Les citoyens s'écrièrent d'une voix unanime que la présence de leur seigneur lige serait une bénédiction du ciel et ils parurent aussi heureux de recevoir la promesse de la venue du baron que si celui-ci leur eût été attaché par les liens les plus tendres. Ils sortirent du château le cœur en joie et firent part à leurs concitoyens de la complaisance du baron avec des gestes d'enthousiasme, des yeux béants de surprise et une bouche plus grande encore que ne l'était leur étonnement. Ils étaient si peu habitués, les bonnes gens, à rencontrer un semblant de politesse dans les procédés du seigneur normand.

Une proclamation savamment rédigée annonça qu'une joute allait être ouverte aux habitants des comtés de Nottingham et de York. Le jour était fixé, le lieu choisi entre la forêt de Bernsdale et le village de Mansfeld. Comme on avait pris soin que la nouvelle de cette joute publique fût répandue dans tous les coins des pays pour lesquels elle était préparée, elle arriva aux oreilles de Robin Hood. Aussitôt le jeune homme résolut de se mettre sur les rangs et de soutenir l'honneur de la ville de Nottingham. De nouvelles informations apprirent également à Robin que le baron Fitz Alwine devait présider les jeux. Cette condescendance, si peu en harmonie avec le caractère morose du vieillard, fit comprendre à Robin le but secret vers lequel tendaient les désirs du noble lord.

– Eh bien ! se dit notre ami, tentons l'aventure avec toutes les précautions nécessaires à une vaillante défense.

La veille du jour où la lutte d'adresse devait avoir lieu, Robin réunit ses hommes et leur annonça que son intention était d'aller gagner le prix de l'arc en l'honneur de la ville de Nottingham.

– Mes garçons, ajouta Robin, écoutez bien ceci : le baron Fitz Alwine assiste à la fête et bien certainement il a une cause toute particulière pour se montrer si désireux de plaire aux yeomen. Cette cause, je crois la connaître ; c'est une tentative d'arrestation contre moi. Je vais donc amener au tir cent quarante compagnons ; j'en prendrai six pour concurrents au prix de l'arc, les autres se disperseront dans la foule de manière à se réunir au premier appel en cas de trahison.

Tenez vos armes prêtes et disposez-vous à soutenir un combat à outrance.

Les ordres de Robin Hood furent ponctuellement exécutés, et à l'heure du départ, les hommes prirent par petits groupes le chemin de Mansfeld, et arrivèrent sans encombre sur la place, où une nombreuse foule était déjà rassemblée.

Robin Hood, Petit-Jean, Will écarlate, Much et cinq autres joyeux hommes devaient prendre part à la lutte ; ils étaient tous différemment vêtus et se parlaient à peine, afin d'éviter tout danger d'être reconnus.

L'endroit choisi pour le jeu de l'arc était une vaste clairière située sur les bords de la forêt de Barnsdale et peu éloignée de la grand route. Une foule immense, venue des pays circonvoisins, se pressait tumultueusement dans l'enceinte au centre de laquelle étaient placées les targes. Une estrade avait été élevée en face du tir ; elle attendait le baron, à qui était dévolu l'honneur de juger les coups et de donner le prix.

Bientôt le shérif parut, accompagné d'une escorte de soldats. Une cinquantaine d'hommes d'armes appartenant au baron s'étaient glissés, vêtus du costume yeoman, au milieu de la foule, avec ordre d'arrêter les gens qui leur paraîtraient suspects et de les conduire devant le shérif.

Ces précautions prises, lors Fitz Alwine avait lieu d'espérer que Robin Hood, dont le caractère aventureux se jouait du danger, viendrait à la fête sans escorte, et qu'il aurait enfin la satisfaction de prendre une revanche qui s'était fait attendre au-delà du terme de la patience humaine.

Le tir s'ouvrit : trois hommes de Nottingham rasèrent les targes, chacun d'eux toucha la marque sans atteindre le centre. à leur suite vinrent trois yeomen du Yorkshire ; ils obtinrent un succès identique à celui de leurs adversaires. Will écarlate se présenta à son tour, et il transperça le centre du point avec la plus grande facilité.

Un hourra de triomphe proclama l'adresse de Will, que Petit-Jean venait de remplacer. Le jeune homme envoya sa flèche dans le trou qu'avait fait celle de William ; puis, avant même que le garde-targe eût eu le temps de retirer la flèche, Robin Hood la brisa en morceaux et prit sa place.

La foule enthousiasmée s'agita tumultueusement, et les hommes de Nottingham engagèrent des paris considérables.

Les trois meilleurs tireurs du Yorkshire s'avancèrent, et d'une main ferme, ils frappèrent le milieu de l'œil de bœuf.

Ce fut alors au tour des hommes du Nord à crier victoire et à accepter les paris des citoyens de Nottingham.

Pendant ce temps-là, le baron, fort peu intéressé au succès de l'un ou de l'autre pays, surveillait attentivement les archers. Robin Hood avait attiré son attention ; mais comme sa vue s'était depuis longtemps affaiblie, il lui était impossible, à une pareille distance, de reconnaître les traits de son ennemi.

Much et les joyeux hommes désignés par Robin pour tirer à la cible touchèrent la marque sans effort ; quatre yeomen leur succédèrent et firent la même chose.

La plupart des archers avaient une telle habitude du tir à la cible que la victoire pouvait, en se morcelant ainsi, devenir nulle ou générale ; on décida donc qu'il fallait élever des baguettes et choisir sept hommes parmi les vainqueurs des deux camps rivaux.

Les citoyens de Nottingham désignèrent pour soutenir l'honneur de leur pays Robin Hood et ses hommes, et les habitants du Yorkshire prirent pour leurs champions les yeomen qui s'étaient montrés les meilleurs archers.

Les yeomen commencèrent : le premier fendit la baguette, le second l'effleura, la flèche du troisième la rasa de si près qu'il paraissait impossible que leurs adversaires en arrivassent à surpasser leur adresse.

Will écarlate s'avança, et prenant nonchalamment son arc, il tira sous main et fendit en deux morceaux la baguette de saule.

– Hourra pour Nottinghamshire ! crièrent les citoyens de Nottingham en jetant leurs bonnets en l'air, sans songer le moins du monde qu'il leur serait impossible de les retrouver.

On prépara de nouvelles baguettes ; les hommes de Robin, depuis Petit-Jean jusqu'au dernier des archers, les fendirent aisément. Le tour de Robin arriva ; il envoya trois flèches aux baguettes, et cela avec une telle rapidité que, si l'on n'avait pas vu que les baguettes étaient brisées, il eût été impossible de croire à une pareille adresse.

Plusieurs épreuves furent encore tentées, Robin triompha de tous ses adversaires, quoiqu'ils fussent d'habiles tireurs.

Quelques personnes se mirent à dire que le célèbre Robin Hood lui-même ne pourrait lutter avec le yeoman à la jaquette rouge : c'est ainsi que, dans la foule, on désignait Robin.

Cette réflexion si dangereuse pour l'incognito du jeune homme se transforma promptement en affirmation, et le bruit circula que le vainqueur au jeu de l'arc n'était autre chose que Robin Hood lui-même.

Les hommes du Yorkshire, fort humiliés de leur défaite, s'empressèrent aussitôt de crier que la partie n'était pas égale entre eux et un homme de la force de Robin Hood. Ils se plaignirent de l'atteinte portée à leur honneur d'archers, de la perte de leur argent (ce qui était pour eux la plus puissante considération), et ils essayèrent, dans l'espoir sans doute d'éluder leurs paris, de changer la discussion en querelle.

Dès que les joyeux hommes s'aperçurent du mauvais vouloir de leurs adversaires, ils se réunirent en corps, et formèrent, sans intention apparente, un groupe composé de quatre-vingt-six hommes.

Tandis que la discorde jetait ses brandons dans la foule des parieurs, Robin Hood était conduit vers le shérif, au milieu des joyeuses acclamations des citoyens de Nottingham.

– Place au vainqueur ! hourra pour l'habile archer ! criaient deux cents voix ; voilà celui qui a gagné le prix ! Robin Hood, le front modestement baissé, se tenait devant lord Fitz Alwine dans une attitude des plus respectueuses.

Le baron ouvrit démesurément les yeux pour chercher à découvrir les traits du jeune homme. Une certaine ressemblance de taille, peut-être même de costume, portait le baron à croire qu'il avait devant les yeux l'insaisissable outlaw ; mais, pris entre deux sentiments opposés, le doute et une faible certitude, il ne pouvait, sans compromettre la réussite de son plan, montrer une trop grande précipitation. Il tendit la flèche à Robin, espérant reconnaître le jeune homme au son de sa voix ; mais Robin trompa l'espoir du baron : il prit la flèche, s'inclina poliment, et la passa à sa ceinture.

Une seconde s'écoula ; Robin fit une fausse sortie, puis, au moment où le baron désespéré allait tenter un coup décisif en le voyant s'éloigner, il leva la tête, regarda fixement le baron, et lui dit en riant :

– De vaines paroles seraient impuissantes à vous exprimer tout le prix que j'attache au don que vous venez de me faire, mon excellent ami. Je vais regagner, le cœur plein de reconnaissance, les grands arbres verts de ma solitaire demeure, et j'y garderai avec soin le précieux témoignage de vos bontés. Je vous souhaite affectueusement le bonjour, noble seigneur de Nottingham.

– Arrêtez ! arrêtez ! rugit le baron ; soldats, faites votre devoir ! cet homme est Robin Hood ; emparez-vous de lui !

– Misérable lâche ! repartit Robin, vous avez proclamé que ce jeu était public, ouvert à tous, destiné au plaisir de tout le monde, sans danger et sans exception !

– Un proscrit n'a aucun droit, dit le baron ; tu n'étais pas compris dans l'appel qu'on a fait aux bons citoyens. Allons, soldats, saisissez ce brigand !

– Je tue le premier qui avance ! cria Robin d'une voix de stentor, en dirigeant son arc vers un gaillard qui marchait vers lui ; mais, à la vue de cette menaçante attitude, l'homme recula et disparut dans la foule.

Robin sonna du cor, et ses joyeux hommes, déjà préparés à soutenir une lutte sanglante, s'avancèrent vivement pour le protéger. Robin se replia au centre de sa troupe, lui ordonna de tendre les arcs et de se retirer lentement ; car le nombre des soldats du baron était trop considérable pour qu'il fût possible d'engager la bataille sans redouter une dangereuse effusion de sang.

Le baron se précipita à la tête de ses hommes, et d'une voix furieuse, leur intima l'ordre d'arrêter les outlaws ; les soldats obéirent, et les citoyens du Yorkshire, irrités de leur défaite, exaspérés par la perte des paris qu'ils avaient engagés, se joignirent aux hommes du baron et s'élancèrent avec eux à la poursuite des forestiers. Mais les citoyens de Nottingham devaient à Robin Hood trop d'amitié et de reconnaissance pour les laisser sans secours à la merci des soldats de leur seigneur. Ils ouvrirent un large passage aux joyeux hommes, et tout en les saluant de leurs acclamations affectueuses, ils refermèrent derrière eux le chemin qu'ils avaient ouvert.

Malheureusement, les protecteurs de Robin Hood n'étaient ni assez nombreux ni assez forts pour protéger longtemps sa prudente fuite ; ils furent obligés de rompre leurs rangs, et les hommes d'armes gagnèrent la route dans laquelle les forestiers s'étaient engagés au pas de course.

Alors commença une poursuite acharnée ; de temps en temps les forestiers faisaient volte-face et envoyaient une volée de flèches aux soldats ; ceux-ci ripostaient tant bien que mal, et malgré les ravages opérés dans leurs rangs, ils continuaient avec courage à poursuivre les fuyards.

Depuis une heure déjà les deux troupes échangeaient des flèches, lorsque Petit-Jean, qui marchait avec Robin à la tête des forestiers, s'arrêta brusquement et dit au jeune chef :

– Mon cher ami, mon heure est venue ; je suis gravement blessé et les forces me manquent, je ne puis plus marcher.

– Comment ! s'écria Robin, tu es blessé ?

– Oui, répondit Jean ; j'ai le genou atteint, et je perds depuis une demi-heure une si grande quantité de sang que mes membres sont épuisés. Il m'est impossible de me tenir plus longtemps debout.

En achevant ces mots, Jean tomba à la renverse.

– ô mon Dieu ! s'écria Robin qui s'agenouilla auprès de son brave ami ; Jean, mon brave Jean, reprends courage, essaie de te soulever, de t'appuyer sur moi ; je ne suis pas fatigué, je dirigerai ta marche ; encore quelques minutes, et nous serons hors d'atteinte. Laisse-moi envelopper ta blessure, tu en ressentiras un grand soulagement.

– Non, Robin, c'est inutile, répondit Jean d'une voix faible ; ma jambe est comme paralysée, il me serait impossible de faire un mouvement ; ne t'arrête pas, abandonne un malheureux qui ne demande qu'à mourir.

– T'abandonner, moi ! s'écria Robin ; tu sais bien que je suis incapable de commettre cette mauvaise action.

– Ce ne sera point une mauvaise action, Rob, mais un devoir. Tu réponds devant Dieu de l'existence des braves gens qui se sont donnés à toi corps et âme. Laisse-moi donc ici ; mais, si tu m'aimes, si tu m'as jamais aimé, ne permets pas à cet infâme shérif de me trouver vivant : enfonce-moi dans le cœur ton couteau de chasse, afin que je puisse mourir comme un honnête et brave Saxon. écoute ma prière, Robin, tue-moi, tu m'épargneras de cruelles souffrances et la douleur de revoir nos ennemis ; ils sont si lâches, ces misérables Normands, qu'ils prendraient plaisir à insulter ma dernière heure.

– Voyons, Jean, répondit Robin en essuyant une larme, ne me demande pas une chose impossible ; tu sais bien que je ne te laisserai pas mourir sans secours et loin de moi, tu sais bien que je sacrifierais ma vie et celle de mes hommes à la conservation de ton existence. Tu sais bien encore que, loin de t'abandonner, je verserais pour te défendre la dernière goutte de mon sang. Quand je tomberai, Jean, ce sera à tes côtés, je l'espère, et alors nous partirons pour l'autre monde les mains et le cœur unis comme ils l'ont été ici-bas.

– Nous nous battrons et nous mourrons à tes côtés, si le ciel nous retire son appui, dit Will en embrassant son cousin, et tu vas voir qu'il y a encore de braves garçons sur la terre. Mes enfants, dit Will en se tournant vers les forestiers qui avaient fait halte, voici votre ami, votre compagnon, votre chef, qui est mortellement blessé ; pensez-vous qu'il faille l'abandonner à la vengeance des coquins qui nous poursuivent ?

– Non ! non ! cent fois non ! répondirent les joyeux hommes d'une seule voix. Rangeons-nous autour de lui, et mourons pour le défendre.

– Permettez, dit le vigoureux Much en s'avançant, il me semble qu'il est inutile au besoin de la cause de risquer notre peau. Jean n'est blessé qu'au genou, il peut donc, sans que nous ayons à craindre un épanchement du sang, supporter un transport. Je vais le prendre sur mes épaules, et je le porterai tant que mes jambes me porteront moi-même.

– Si tu tombes, Much, dit Will, je te remplacerai, et après moi un autre, n'est-ce pas, mes garçons ?

– Oui, oui, répondirent bravement les forestiers. En dépit de la résistance que Jean tenta d'opposer, Much l'enleva d'une main ferme, et aidé de Robin, il plaça le blessé sur ses épaules. Ce soin pris, les fugitifs continuèrent rapidement leur route. La halte forcée faite par la petite troupe avait donné aux soldats le loisir de gagner du terrain, et ils commençaient à apparaître. Les joyeux hommes envoyèrent une volée de flèches, et redoublèrent de vitesse dans l'espoir d'atteindre leur demeure, bien persuadés que les soldats n'auraient ni la force ni le courage de les suivre jusque-là. à un embranchement de la grande route qui allait se perdre dans les terres, les forestiers découvrirent au milieu du feuillage des arbres, les tourelles d'un château.

– à qui peut appartenir ce domaine ? demanda Robin ; quelqu'un de vous en connaît-il le propriétaire ?

– Moi, capitaine, dit un homme nouvellement enrôlé dans la bande.

– Bien. Sais-tu si nous serions convenablement accueillis par ce seigneur ? Car nous sommes perdus si les portes de sa maison nous restent fermées.

– Je réponds de la bienveillance de sir Richard de la Plaine, répondit le forestier ; c'est un brave Saxon.

– Sir Richard de la Plaine ! s'écria Robin ; alors nous sommes sauvés. En avant, mes garçons, en avant ! Que la sainte Vierge soit bénie ! continua Robin en se signant avec reconnaissance ; elle n'abandonne jamais les malheureux à l'heure du danger. Will écarlate, prends les devants, et dis au gardien du pont-levis que Robin Hood et une partie de ses hommes, poursuivis par des Normands, demandent à sir Richard la permission d'entrer dans son château.

William descendit avec la rapidité d'une flèche l'espace qui le séparait du domaine de sir Richard. Pendant que le jeune homme remplissait son message, Robin et ses compagnons se dirigeaient vers le château. Bientôt un drapeau blanc fut hissé sur le mur d'enceinte ; un cavalier sortit du château, et suivi de Will, s'élança à toute bride à la rencontre de Robin Hood. Arrivé en face du jeune chef, il sauta à terre et lui tendit les deux mains.

– Messire, dit le jeune homme en serrant avec une visible émotion les mains de Robin Hood, je suis Herbert Gower, le fils de sir Richard. Mon père me charge de vous dire que vous êtes le bienvenu dans notre maison, et qu'il se trouvera le plus heureux des hommes si vous lui donnez l'occasion de se libérer un peu des grandes obligations que nous avons contractées envers vous. Je vous appartiens corps et âme, sir Robin, ajouta le jeune homme avec un élan de profonde gratitude, disposez de moi à votre bon plaisir.

– Je vous remercie de grand cœur, mon jeune ami, répondit Robin en embrassant Herbert ; votre offre est tentante, car je serai fier de pouvoir mettre au rang de mes lieutenants un aussi aimable cavalier. Mais pour le moment il nous faut penser au danger qui menace ma troupe. Elle est épuisée de fatigue, le plus cher de mes compagnons a été atteint à la jambe par la flèche d'un Normand, et depuis près de deux heures, nous sommes poursuivis par les soldats du baron Fitz Alwine. Tenez, mon enfant, continua Robin en montrant au jeune homme une bande de soldats qui commençait à envahir la route ; ils vont nous atteindre si nous ne nous hâtons pas de chercher un abri derrière les murs du château.

– Le pont-levis est déjà baissé, dit Herbert ; dépêchons-nous ; et dans dix minutes, vous n'aurez plus rien à craindre de vos ennemis.

Le shérif et ses hommes arrivèrent assez promptement pour assister au défilé de la petite troupe sur le pont-levis du château. Exaspéré par cette nouvelle défaite, le baron prit aussitôt l'audacieuse résolution de demander au nom du roi à sir Richard de lui livrer les hommes qui, en abusant sans doute de sa crédulité, étaient parvenus à se placer sous sa protection. Alors, à la demande de lord Fitz Alwine, le chevalier parut sur les remparts.

– Sir Richard de la Plaine, dit le baron, à qui ses gens avaient appris le nom du propriétaire du château, connaissez-vous les hommes qui viennent de pénétrer dans votre maison ?

– Je les connais, milord, répondit froidement le chevalier.

– Eh, quoi ! vous savez que le misérable qui commande cette troupe de bandits est un outlaw, un ennemi du roi, et vous lui donnez asile ? Savez-vous que vous encourez la peine des traîtres ?

– Je sais que ce château et les terres qui l'environnent sont ma propriété ; je sais que je suis le maître d'agir ici à ma guise et d'y recevoir qui bon me semble. Voilà ma réponse, monsieur ; veuillez donc vous éloigner sur-le-champ si vous désirez éviter un combat dans lequel vous n'auriez pas l'avantage ; car j'ai à ma disposition une centaine d'hommes de guerre et les flèches les mieux appointées de tout le pays. Bonjour, monsieur.

En achevant cette ironique réponse, le chevalier quitta les remparts.

Le baron, qui se sentait trop mal appuyé par ses soldats pour tenter une attaque contre le château, se décida à la retraite, et ce fut, comme on doit bien le penser, la rage dans le cœur qu'il reprit, avec ses hommes, le chemin de Nottingham.

– Sois mille fois le bienvenu dans la maison que je dois à ta bonté, mon cher Robin Hood ! dit le chevalier en embrassant son hôte ; sois mille fois le bienvenu !

– Merci, chevalier, dit Robin ; mais, de grâce, ne me parle plus du faible service que j'ai eu la satisfaction de te rendre. Ton amitié l'a déjà payé au centuple et tu me sauves aujourd'hui d'un véritable danger. Dis-moi, je t'amène un blessé, et je désire que tu le traites avec affection.

– Il sera considéré comme toi-même, mon cher Robin.

– Ce digne garçon ne t'est pas inconnu, chevalier, reprit Robin : c'est Petit-Jean, mon premier lieutenant, le plus cher et le plus fidèle de mes compagnons.

– Ma femme et Lilas vont s'occuper de lui, répondit sir Richard, et elles le soigneront bien, tu peux être tranquille à cet égard-là.

– Si vous voulez parler de Petit-Jean, ou, pour mieux dire, du plus grand Jean qui ait jamais manié un bâton, dit Herbert, il est déjà entre les mains d'un habile médecin de York qui est ici depuis hier au soir ; il a déjà pansé la blessure et promis au malade une prompte guérison.

– Dieu soit loué ! dit Robin Hood ; mon cher Jean est hors de danger. Maintenant, chevalier, ajouta-t-il, je suis tout à vous et à votre chère famille.

– Ma femme et Lilas désirent impatiemment ta visite, mon cher Robin, dit le chevalier, et elles t'attendent dans la chambre voisine.

– Mon cher père, dit Herbert en riant, je viens d'apprendre à mon ami et en parlant ainsi, le jeune homme désignait Will écarlate, que j'étais l'heureux époux de la plus belle femme du monde ; et savez-vous ce qu'il m'a répondu ? – Sir Richard et Robin Hood échangèrent un sourire. – Il m'a affirmé, continua Herbert, qu'il possédait une femme dont l'admirable beauté n'avait pas de rivale. Mais il va voir Lilas, et alors...

– Ah ! si vous aviez vu Maude, vous ne parleriez pas ainsi, jeune homme ; n'est-il pas vrai, Robin ?

– Bien certainement Herbert trouverait Maude fort jolie, répondit Robin d'un ton conciliant.

– Sans doute, sans doute, dit Herbert, mais Lilas est belle à miracle, et à mes yeux, il n'existe pas une femme qui puisse lui être comparée.

Will écarlate écoutait Herbert en fronçant le sourcil. Le pauvre garçon se sentait quelque peu blessé dans son amour-propre de mari.

Mais il faut rendre à Will cette justice que, aussitôt que ses regards purent contempler la femme d'Herbert, il jeta un cri d'admiration.

Lilas avait tenu toutes les promesses de son jeune âge ; la jolie enfant que nous avons vue au couvent de Sainte-Marie était devenue une ravissante femme. Grande, svelte et gracieuse comme l'est un jeune faon, Lilas s'avança le front baissé et un divin sourire épanoui sur ses lèvres roses au-devant des visiteurs. Elle leva sur Robin Hood deux grands yeux bleus timides, et lui tendit la main.

– Notre sauveur n'est pas un étranger pour moi, dit-elle d'une voix suave. Robin, muet d'admiration, porta à ses lèvres la blanche main de Lilas.

Herbert, qui s'était glissé auprès de Robin, dit alors à Will avec un sourire d'orgueilleuse tendresse :

– Ami William, je vous présente ma femme...

– Elle est bien belle, dit tout bas Will écarlate ; mais Maude... ajouta-t-il plus bas encore.

Il n'en dit pas davantage, Robin Hood lui avait intimé d'un regard l'ordre de ne rien voir au-delà de la charmante femme d'Herbert.

Après un mutuel échange d'affectueux compliments entre la femme de sir Richard et ses hôtes, le chevalier laissa Will et son fils causer avec les dames, et entraînant Robin Hood à l'écart, il lui dit :

– Mon cher Robin, je désire te donner la preuve qu'il n'existe pas dans le monde un homme que j'aime autant que toi, et je te renouvelle l'affirmation de mon amitié afin de te mettre en demeure d'agir à ta guise et suivant tes projets. Tu seras en sûreté ici tant que cette maison pourra te protéger, tant qu'il restera un homme debout sur ses remparts, et je défierai les armes à la main tous les shérifs du royaume. J'ai donné l'ordre de fermer les portes et de ne permettre à personne l'entrée du château sans ma permission. Mes gens sont sous les armes et prêts à opposer à toute attaque la plus vigoureuse résistance. Tes hommes se reposent ; laisse-les jouir en paix d'une semaine de bonheur, et ce laps de temps écoulé, nous aviserons au parti que tu dois prendre.

– Je consens volontiers à rester ici pendant quelques jours, répondit Robin, mais à une condition.

– Laquelle ?

– Mes joyeux hommes regagneront demain la forêt de Barnsdale ; Will écarlate les accompagnera, et il reviendra ici avec sa chère Maude, Marianne et la femme du pauvre Jean.

Sir Richard acquiesça de grand cœur au désir de Robin, et tout fut arrangé à la mutuelle satisfaction des deux amis.

Quinze jours s'écoulèrent fort joyeusement au château de la Plaine, et à la fin de ces quinze jours, Robin, Petit-Jean entièrement remis de sa blessure, Will écarlate, et l'incomparable Maude, Marianne et Winifred se retrouvèrent une fois encore sous les grands arbres verts de la forêt de Barnsdale.

Dès le lendemain de son retour à Nottingham le baron Fitz Alwine se rendit à Londres, obtint une audience du roi, et lui raconta sa pitoyable aventure.

– Votre majesté, dit le baron, trouvera sans doute bien étrange qu'un chevalier à qui Robin Hood avait demandé asile ait refusé de me livrer ce grand coupable lorsque je lui en intimai l'ordre au nom du roi.

– Comment, un chevalier a manqué à ce point au respect dû à son souverain ! s'écria Henri d'une voix irritée.

– Oui, sire, le chevalier Richard Gower de la Plaine a repoussé ma juste demande ; il m'a répondu qu'il était le roi de ses domaines, et qu'il se souciait fort peu de la puissance de Votre Majesté.

Comme on le voit, le digne baron mentait effrontément pour le bien de sa cause.

– Eh bien ! répondit le roi, nous allons juger par nous-mêmes de l'impudence de ce coquin. Nous serons à Nottingham dans quinze jours. Emmenez avec vous autant d'hommes que vous jugerez nécessaire pour livrer bataille, et si un hasard malencontreux ne nous permettait pas de vous rejoindre, agissez le mieux que vous le pourrez ; emparez-vous de cet indomptable Robin Hood, du chevalier Richard, emprisonnez-les dans le plus sombre de vos cachots, et lorsque vous les tiendrez sous les verrous, avertissez notre justice. Nous réfléchirons alors à ce qu'il nous restera à faire.

Le baron Fitz Alwine obéit à la lettre aux ordres du roi. Il rassembla une nombreuse troupe d'hommes et marcha à leur tête contre le château de sir Richard. Mais le pauvre baron jouait de malheur, car il y arriva le lendemain du départ de Robin Hood.

L'idée de poursuivre Robin Hood jusque dans sa retraite ne vint pas un instant à l'esprit du vieux seigneur. Certain souvenir et certaine douleur qui lui rendaient encore pénibles les promenades à cheval, mettaient de ce côté-là des bornes à son ardeur. Il résolut, ne pouvant mieux faire, de prendre sir Richard, et comme un assaut de la place était chose difficile à tenter et dangereuse à mettre en exécution, il prit le parti de demander à la ruse un succès plus certain.

Le baron dispersa ses hommes, garda auprès de lui une vingtaine de vigoureux gaillards, et se plaça en embuscade à une petite distance du château.

L'attente fut de courte durée : le lendemain matin, sir Richard, son fils et quelques serviteurs tombèrent dans l'invisible piège qui leur était tendu, et, malgré la vaillante défense qu'ils opposèrent, ils furent vaincus, bâillonnés, attachés sur des chevaux et emportés à Nottingham.

Un serviteur de sir Richard parvint à s'échapper et alla, tout meurtri des coups qu'il avait reçus, annoncer à sa maîtresse la triste nouvelle.

Lady Gower, éperdue de douleur, voulait aller rejoindre son mari ; mais Lilas fit comprendre à la malheureuse femme que cette démarche n'amènerait aucun résultat favorable à la situation des deux hommes ; elle conseilla à sa mère de s'adresser à Robin Hood ; lui seul était capable de juger sainement la position de sir Richard et d'opérer sa délivrance.

Lady Gower se rendit à la prière de la jeune femme et, sans perdre un instant, elle fit choix de deux serviteurs fidèles, monta à cheval et se rendit en tout hâte à la forêt de Barnsdale.

Un forestier qui était resté malade au château se trouva assez fort pour lui servir de guide jusqu'à l'arbre du Rendez-Vous.

Par un hasard providentiel, Robin Hood était à son poste.

– Que Dieu bénisse, Robin ! s'écria lady Gower en se jetant avec une vivacité fébrile à bas de son cheval, je viens vers vous en suppliante, je viens vous demander, au nom de la sainte Vierge, une nouvelle faveur.

– Vous m'effrayez, lady ; de grâce, qu'avez-vous ? s'écria Robin au comble de l'étonnement. Dites-moi ce que vous désirez, je suis prêt à vous obéir.

– Ah ! Robin, sanglota la pauvre femme, mon mari, mon fils ont été enlevés par votre ennemi, le shérif de Nottingham. Ah ! Robin, sauvez mon enfant, faites arrêter les misérables qui les emmènent ; ils sont peu nombreux et viennent à l'instant de partir du château.

– Rassurez-vous, madame, dit Robin Hood, votre mari vous sera bientôt rendu. Songez donc que sir Richard est chevalier et qu'à ce titre il relève de la justice du royaume. Quelle que soit la puissance du baron Fitz Alwine, elle ne lui permet pas cependant de frapper de mort un noble Saxon. Il faut faire le procès de sir Richard, si la faute qu'on lui reproche offre matière à un procès. Rassurez-vous, séchez vos larmes, votre mari et votre fils seront bientôt dans vos bras.

– Que le ciel vous entende ! s'écria lady Gower en joignant les mains.

– Maintenant, madame, veuillez me permettre de vous donner un conseil : rentrez au château, tenez-en toutes les portes fermées et ne laissez pénétrer jusqu'à vous aucun étranger. De mon côté, je vais réunir mes hommes et courir à leur tête à la poursuite du baron de Nottingham.

Lady Gower, à demi rassurée par les consolantes paroles du jeune homme, se sépara de lui le cœur plus tranquille.

Robin Hood annonça à ses hommes la capture de sir Richard et son désir d'arrêter la marche du shérif. Les forestier jetèrent un cri, moitié d'indignation contre la traîtrise du baron, moitié de joie d'avoir une nouvelle occasion de jouer de l'arc et ils firent joyeusement leurs préparatifs de départ.

Robin se mit en tête de sa vaillante troupe et, accompagné de Petit-Jean, de Will écarlate et de Much, il s'élança à la poursuite du shérif.

Après une longue et fatigante marche, la troupe atteignit la ville de Mansfeld et là, Robin apprit d'un aubergiste que, après s'être reposés, les soldats du baron avaient continué leur route vers Nottingham. Robin Hood fit rafraîchir ses hommes, laissa Much et Petit-Jean avec eux et, accompagné de Will, il gagna au triple galop d'un bon cheval l'arbre du Rendez-Vous de la forêt de Sherwood. Arrivé aux abords de la demeure souterraine, Robin fit retentir les joyeuses fanfares de son cor de chasse et, à cet appel bien connu, une centaine de forestiers accoururent.

Robin emmena avec lui cette nouvelle troupe et la dirigea de manière à placer entre deux troupes l'escorte du baron ; car les hommes laissés à Barnsdale devaient, après une heure de repos, prendre le chemin qui conduisait à Nottingham.

Les joyeux hommes atteignirent bientôt un endroit peu éloigné de la ville et, à leur grande satisfaction, ils apprirent que la troupe du shérif n'était pas encore passée. Robin choisit une position avantageuse, fit disparaître une partie de ses hommes et plaça l'autre sur le revers du chemin.

L'apparition d'une demi-douzaine de soldats annonça bientôt l'approche du shérif et de sa cavalcade. Les forestiers se préparèrent alors en silence à leur faire une chaleureuse réception. Les batteurs d'estrade franchirent sans obstacle les limites de l'embuscade et lorsqu'ils furent assez éloignés pour que la troupe qu'ils précédaient crût n'avoir rien à craindre, le son d'un cor traversa l'air et une volée de flèches salua le rang pressé des premiers soldats.

Le shérif ordonna une halte et envoya une trentaine d'hommes battre les halliers. C'était les envoyer à leur perte.

Divisés en deux groupes, les soldats furent attaqués de deux côtés à la fois et contraints par la force de déposer leurs armes et de se rendre à merci.

Cet exploit terminé, les joyeux hommes s'élancèrent sur l'escorte du baron, qui, bien montée et habile au maniement des armes, se défendit avec vigueur.

Robin et ses hommes combattirent en vue de délivrer sir Richard et son fils. De leur côté, les cavaliers venus de Londres cherchaient à gagner la récompense promise par le roi à celui qui s'emparerait de Robin Hood.

La lutte était donc furieuse et acharnée des deux parts, la victoire incertaine, quand tout à coup les cris d'une seconde troupe de forestiers annoncèrent que la situation allait changer de face. C'était Petit-Jean et sa bande qui, venant de Barnsdale, se jetaient dans la mêlée avec une violence irrésistible.

Une dizaine d'archers entouraient déjà sir Richard et son fils, détachaient leurs liens, leur donnaient des armes et, sans effroi du danger auquel ils s'exposaient, se battaient corps à corps avec des hommes bardés de fer et revêtus de cottes de maille.

Avec l'étourderie et l'impétuosité de la jeunesse, Herbert s'était élancé, suivi de quelques joyeux hommes, au centre même de l'escorte du baron. Pendant près d'un quart d'heure le courageux enfant tint tête aux cavaliers ; mais, vaincu par le nombre, il allait expier sa téméraire imprudence, lorsqu'un archer, soit pour secourir le jeune homme, soit pour hâter l'issue de la bataille, visa rapidement le baron et lui transperça le cou d'une flèche, le précipita à bas de son cheval et lui trancha la tête ; puis, l'élevant en l'air sur la pointe de son épée, il cria d'une voix de stentor :

– Chiens normands, regardez votre chef, contemplez une dernière fois la laide figure de votre orgueilleux shérif et mettez bas les armes, ou préparez-vous à subir le même s... !

Le forestier n'acheva pas : un Normand lui fendit le crâne et l'envoya rouler dans la poussière. La mort de lord Fitz Alwine obligea les Normands à déposer leurs armes et à demander quartier. Sur un ordre de Robin, une partie des joyeux hommes conduisit les vaincus jusqu'à Nottingham, tandis que, à la tête de la troupe qui lui restait, le jeune homme faisait relever les morts, secourir les blessés et disparaître les traces du combat.

– Adieu pour toujours, homme de fer et de sang ! dit Robin en jetant un regard de dégoût sur le cadavre du baron. Tu as enfin rencontré la mort et tu vas recevoir la récompense de tes mauvaises actions. Ton cœur a été avide et impitoyable, ta main s'est étendue comme un fléau sur les malheureux Saxons ; tu as martyrisé tes vassaux, trahi ton roi, abandonné ta fille ; tu mérites toutes les tortures de l'enfer. Cependant, je prie le Dieu des miséricordes infinies d'avoir pitié de ton âme et de t'accorder le pardon de tes fautes. Sir Richard, dit Robin lorsque le corps du vieux seigneur eut été enlevé par les soldats et emporté dans la direction de Nottingham, voilà une triste journée. Nous t'avons arraché à la mort, mais non à la ruine, car tes biens vont être confisqués. Je voudrais, mon bon Richard, ne t'avoir jamais connu.

– Pourquoi donc ? demanda le chevalier avec une vive surprise.

– Parce que sans mon aide tu aurais réussi bien certainement à payer ta dette à l'abbé de Sainte-Marie et que la reconnaissance ne t'eût pas mis dans l'obligation de me rendre service. Je suis l'involontaire cause de tout ton malheur : tu sera banni, proscrit du royaume, ta maison deviendra la propriété d'un Normand, ta chère famille souffrira et cela par ma faute... Tu le vois, Richard, mon amitié est dangereuse.

– Mon cher Robin, dit le chevalier avec une expression d'ineffable tendresse, ma femme et mes enfants existent, tu es mon ami, que puis-je avoir à regretter ? Si le roi me condamne, je sortirai du château de mes pères dénué de tout, mais encore heureux et bénissant l'heure qui m'a conduit auprès du noble Robin Hood !

Le jeune homme secoua doucement la tête.

– Parlons sérieusement de ta situation, mon cher Richard, reprit-il ; la nouvelle des événements qui viennent de se passer sera envoyée à Londres et le roi sera impitoyable. Nous nous sommes attaqués à ses propres soldats et il te fera payer leur défaite, non seulement par le bannissement, mais par une mort ignominieuse. Quitte ta demeure, viens avec moi, je te donne ma parole d'honnête homme que, tant qu'un souffle de vie sortira de mes lèvres, tu seras en sûreté sous la garde de mes joyeux hommes.

– J'accepte de grand cœur ton offre généreuse, Robin Hood, répondit sir Richard, je l'accepte avec joie et reconnaissance ; mais avant de m'établir dans la forêt, je vais essayer (l'avenir de mes enfants m'en fait un devoir) d'adoucir la colère du roi. L'offre d'une somme considérable le décidera peut-être à épargner la vie d'un noble chevalier.

Le soir même, sir Richard envoya un message à Londres pour demander à un membre puissant de sa famille de le protéger auprès du roi. Le courrier revint de Londres ventre à terre et il annonça à son maître que Henri II, fort irrité de la mort du baron Fitz Alwine, avait envoyé une compagnie entière de ses meilleurs soldats au château du chevalier, avec mission de le pendre ainsi que son fils au premier arbre du chemin. Le chef de cette troupe, qui était un Normand sans fortune, avait reçu de la main du roi le don du château de la Plaine, pour lui et ses descendants jusqu'à la dernière génération.

Le parent de sir Richard faisait encore savoir au condamné qu'on envoyait une proclamation dans les pays de Nottinghamshire, de Derbyshire et de Yorkshire, ayant pour but d'offrir une récompense extraordinaire à l'homme assez adroit pour parvenir à s'emparer de Robin Hood et le remettre, mort ou vivant, entre les mains du shérif de l'un ou de l'autre de ces trois pays.

Sir Richard fit aussitôt prévenir Robin Hood du danger qui menaçait sa vie et lui annonça son arrivée immédiate au milieu des siens.

Activement aidé par ses vassaux, le chevalier dépouilla le château de tout ce qu'il contenait et envoya ses meubles, ses armes et sa vaisselle au Rendez-Vous de Barnsdale.

Lorsque le dernier fourgon eut traversé le pont-levis, sir Richard, sa femme, Herbert et Lilas sortirent à cheval de leur chère demeure et gagnèrent sans encombre la verte forêt.

Quand la troupe envoyée par le roi arriva au château, les portes en étaient ouvertes et les chambres complètement vides.

Le nouveau propriétaire des domaines de sir Richard parut fort désappointé de trouver la place déserte ; mais comme il avait passé la meilleure partie de son existence à lutter contre les caprices de la fortune, il s'arrangea de manière à ne pas trop souffrir de la situation. En conséquence, il renvoya les soldats et au grand désespoir des vassaux, il s'établit en maître au château de la Plaine.

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