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Chapitre CLVII
Le médecin

M. Valot entra.
La mise en scène était la même : le roi assis, de Saint-Aignan toujours accoudé à son fauteuil, d’Artagnan toujours adossé à la muraille, Manicamp toujours debout.
- Eh bien ! monsieur Valot, fit le roi, m’avez-vous obéi ?
- Avec empressement, Sire.
- Vous vous êtes rendu chez votre confrère de Fontainebleau ?
- Oui, Sire.
- Et vous y avez trouvé M. de Guiche ?
- J’y ai trouvé M. de Guiche.
- En quel état ? Dites franchement.
- En très piteux état, Sire.
- Cependant, voyons, le sanglier ne l’a pas dévoré ?
- Dévoré qui ?
- Guiche.
- Quel sanglier ?
- Le sanglier qui l’a blessé.
- M. de Guiche a été blessé par un sanglier ?
- On le dit, du moins.
- Quelque braconnier plutôt...
- Comment, quelque braconnier ?...
- Quelque mari jaloux, quelque amant maltraité, lequel, pour se venger, aura tiré sur lui.
- Mais que dites-vous donc là, monsieur Valot ? Les blessures de M. de Guiche ne sont-elles pas produites par la défense d’un sanglier ?
- Les blessures de M. de Guiche sont produites par une balle de pistolet qui lui a écrasé l’annulaire et le petit doigt de la main droite, après quoi, elle a été se loger dans les muscles intercostaux de la poitrine.
- Une balle ! Vous êtes sûr que M. de Guiche a été blessé par une balle ?... s’écria le roi jouant l’homme surpris.
- Ma foi, dit Valot, si sûr que la voilà, Sire.
Et il présenta au roi une balle à moitié aplatie.
Le roi la regarda sans y toucher.
- Il avait cela dans la poitrine, le pauvre garçon ? demanda-t-il.
- Pas précisément. La balle n’avait pas pénétré, elle s’était aplatie, comme vous voyez, ou sous la sous-garde du pistolet ou sur le côté droit du sternum.
- Bon Dieu ! fit le roi sérieusement, vous ne me disiez rien de tout cela, monsieur de Manicamp ?
- Sire...
- Qu’est-ce donc, voyons, que cette invention de sanglier, d’affût, de chasse de nuit ? Voyons, parlez.
- Ah ! Sire...
- Il me paraît que vous avez raison, dit le roi en se tournant vers son capitaine des mousquetaires, et qu’il y a eu combat.
Le roi avait, plus que tout autre, cette faculté donnée aux grands de compromettre et de diviser les inférieurs.
Manicamp lança au mousquetaire un regard plein de reproches.
D’Artagnan comprit ce regard, et ne voulut pas rester sous le poids de l’accusation.
Il fit un pas.
- Sire, dit-il, Votre Majesté m’a commandé d’aller explorer le carrefour du bois Rochin, et de lui dire, d’après mon estime, ce qui s’y était passé. Je lui ai fait part de mes observations, mais sans dénoncer personne. C’est Sa Majesté elle-même qui, la première, a nommé M. le comte de Guiche.
- Bien ! bien ! monsieur, dit le roi avec hauteur ; vous avez fait votre devoir, et je suis content de vous, cela doit vous suffire. Mais vous, monsieur de Manicamp, vous n’avez pas fait le vôtre, car vous m’avez menti.
- Menti, Sire ! Le mot est dur.
- Trouvez-en un autre.
- Sire, je n’en chercherai pas. J’ai déjà eu le malheur de déplaire à Sa Majesté, et, ce que je trouve de mieux c’est d’accepter humblement les reproches qu’elle jugera à propos de m’adresser.
- Vous avez raison, monsieur, on me déplaît toujours en me cachant la vérité.
- Quelquefois, Sire, on ignore.
- Ne mentez plus, ou je double la peine.
Manicamp s’inclina en pâlissant.
D’Artagnan fit encore un pas en avant, décidé à intervenir, si la colère toujours grandissante du roi atteignait certaines limites.
- Monsieur, continua le roi, vous voyez qu’il est inutile de nier la chose plus longtemps. M. de Guiche s’est battu.
- Je ne dis pas non, Sire, et Votre Majesté eût été généreuse en ne forçant pas un gentilhomme au mensonge.
- Forcé ! Qui vous forçait ?
- Sire, M. de Guiche est mon ami. Votre Majesté a défendu les duels sous peine de mort. Un mensonge sauve mon ami. Je mens.
- Bien, murmura d’Artagnan, voilà un joli garçon, mordioux !
- Monsieur, reprit le roi, au lieu de mentir, il fallait l’empêcher de se battre.
- Oh ! Sire, Votre Majesté, qui est le gentilhomme le plus accompli de France, sait bien que, nous autres, gens d’épée, nous n’avons jamais regardé M. de Boutteville comme déshonoré pour être mort en Grève. Ce qui déshonore, c’est d’éviter son ennemi, et non de rencontrer le bourreau.
- Eh bien ! soit, dit Louis XIV, je veux bien vous ouvrir un moyen de tout réparer.
- S’il est de ceux qui conviennent à un gentilhomme, je le saisirai avec empressement, Sire.
- Le nom de l’adversaire de M. de Guiche ?
- Oh ! oh ! murmura d’Artagnan, est-ce que nous allons continuer Louis XIII ?...
- Sire !... fit Manicamp avec un accent de reproche.
- Vous ne voulez pas le nommer, à ce qu’il paraît ? dit le roi.
- Sire, je ne le connais pas.
- Bravo ! dit d’Artagnan.
- Monsieur de Manicamp, remettez votre épée au capitaine.
Manicamp s’inclina gracieusement, détacha son épée en souriant et la tendit au mousquetaire.
Mais de Saint-Aignan s’avança vivement entre d’Artagnan et lui.
- Sire, dit-il, avec la permission de Votre Majesté.
- Faites, dit le roi, enchanté peut-être au fond du coeur que quelqu’un se plaçât entre lui et la colère à laquelle il s’était laissé emporter.
- Manicamp, vous êtes un brave, et le roi appréciera votre conduite ; mais vouloir trop bien servir ses amis, c’est leur nuire. Manicamp, vous savez le nom que Sa Majesté vous demande ?
- C’est vrai, je le sais.
- Alors, vous le direz.
- Si j’eusse dû le dire, ce serait déjà fait.
- Alors, je le dirai, moi, qui ne suis pas, comme vous, intéressé à cette prud’homie.
- Vous, vous êtes libre ; mais il me semble cependant...
- Oh ! trêve de magnanimité ; je ne vous laisserai point aller à la Bastille comme cela. Parlez, ou je parle.
Manicamp était homme d’esprit, et comprit qu’il avait fait assez pour donner de lui une parfaite opinion ; maintenant, il ne s’agissait plus que d’y persévérer en reconquérant les bonnes grâces du roi.
- Parlez, monsieur, dit-il à de Saint-Aignan. J’ai fait pour mon compte tout ce que ma conscience me disait de faire, et il fallait que ma conscience ordonnât bien haut, ajouta-t-il en se retournant vers le roi, puisqu’elle l’a emporté sur les commandements de Sa Majesté ; mais Sa Majesté me pardonnera, je l’espère, quand elle saura que j’avais à garder l’honneur d’une dame.
- D’une dame ? demanda le roi inquiet.
- Oui, Sire.
- Une dame fut la cause de ce combat ?
Manicamp s’inclina.
Le roi se leva et s’approcha de Manicamp.
- Si la personne est considérable, dit-il, je ne me plaindrai pas que vous ayez pris des ménagements, au contraire.
- Sire, tout ce qui touche à la maison du roi, ou à la maison de son frère, est considérable à mes yeux.
- A la maison de mon frère ? répéta Louis XIV avec une sorte d’hésitation... La cause de ce combat est une dame de la maison de mon frère ?
- Ou de Madame.
- Ah ! de Madame ?
- Oui, Sire.
- Ainsi, cette dame ?...
- Est une des filles d’honneur de la maison de Son Altesse Royale Mme la duchesse d’Orléans.
- Pour qui M. de Guiche s’est battu, dites-vous ?
- Oui, et, cette fois, je ne mens plus.
Louis fit un mouvement plein de trouble.
- Messieurs, dit-il en se retournant vers les spectateurs de cette scène, veuillez vous éloigner un instant, j’ai besoin de demeurer seul avec M. de Manicamp. Je sais qu’il a des choses précieuses à me dire pour sa justification, et qu’il n’ose le faire devant témoins... Remettez votre épée, monsieur de Manicamp.
Manicamp remit son épée au ceinturon.
- Le drôle est, décidément, plein de présence d’esprit, murmura le mousquetaire en prenant le bras de Saint-Aignan et en se retirant avec lui.
- Il s’en tirera, fit ce dernier à l’oreille de d’Artagnan.
- Et avec honneur, comte.
Manicamp adressa à de Saint-Aignan et au capitaine un regard de remerciement qui passa inaperçu du roi.
- Allons, allons, dit d’Artagnan en franchissant le seuil de la porte, j’avais mauvaise opinion de la génération nouvelle. Eh bien ! je me trompais, et ces petits jeunes gens ont du bon.
Valot précédait le favori et le capitaine.
Le roi et Manicamp restèrent seuls dans le cabinet.

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