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Chapitre XIX
Amour idée

Le lendemain, au jour naissant, Ascanio, déterminé à remettre entre les mains du maître sa destinée, se dirigea vers la fonderie, où Cellini travaillait tous les matins. Mais au moment où il allait frapper à la porte de la chambre que Benvenuto appelait sa cellule, il entendit la voix de Scozzone. Il pensa que sans doute elle posait, et se retira discrètement pour revenir un peu après. En attendant, il se mit à se promener dans le jardin du Grand-Nesle, et à réfléchir à ce qu'il dirait à Cellini, à ce que probablement Cellini lui dirait.
Cependant Scozzone ne posait pas le moins du monde. Elle n'avait même jamais mis le pied dans la cellule, où personne, au grand désespoir de sa curiosité, n'avait encore pénétré, et où Benvenuto ne souffrait pas qu'on le dérangeât. Aussi, la colère du maître fut terrible, lorsqu'en se retournant, il vit derrière lui Catherine, ouvrant plus grands que jamais ses grands yeux éveillés. Le désir de voir de l'indiscrète trouvait d'ailleurs peu à se satisfaire. Quelques dessins sur les murs, un rideau vert devant la fenêtre, une statue d'Hébé commencée, et une collection d'outils de sculpteur, formaient tout l'ameublement de la chambre.
- Qu'est-ce que tu veux, petit serpent ? qu'est-ce que tu viens faire ici ? Pour Dieu ? tu me poursuivras donc jusqu'en enfer ! s'était écrié Benvenuto à la vue de Catherine.
- Hélas ! maître, dit Scozzone en faisant sa plus douce voix, je vous assure que je ne suis pas un serpent. J'avoue que pour ne pas vous quitter, je vous suivrais volontiers, s'il le fallait, jusqu'en enfer, et je viens ici parce que c'est le seul endroit où l'on puisse vous parler en secret.
- Eh bien ! dépêche ! qu'as-tu à me dire ?
- Oh ! mon Dieu ! Benvenuto, dit Scozzone apercevant la statue ébauchée, quelle admirable figure ! C'est votre Hébé. Je ne la croyais pas aussi avancée ; qu'elle est belle !
- N'est-ce pas ? fit Benvenuto.
- Oh ! oui, bien belle, et je conçois que vous n'ayez pas voulu me faire poser pour cette nature-là. Mais qui donc vous a servi de modèle ? continua Scozzone inquiète. Je n'ai vu entrer ni sortir aucune femme.
- Tais-toi. Voyons, chère petite, ce n'est pas assurément pour parler sculpture que tu es venue.
- Non, maître, c'est à propos de notre Pagolo. Eh bien ! je vous ai obéi, Benvenuto. Il a profité de votre absence, hier au soir, pour m'entretenir de son éternel amour, et selon vos ordres, je l'ai écouté jusqu'au bout.
- Ah ! oui-da ! le traître ! Et qu'est-ce qu'il te disait ?
- Ah ! il est à mourir de rire, et je voudrais pour je ne sais quoi que vous eussiez été là. Notez que pour ne laisser prise à aucun soupçon, il achevait, tout en me parlant, l'hypocrite, le fermoir d'or que vous lui avez donné à faire, et la lime qu'il tenait à la main n'ajoutait pas peu au pathétique de ses discours. « Chère Catherine, disait-il, je meurs d'amour pour vous ; quand donc aurez-vous pitié de mon martyre ! Un mot, je ne vous demande qu'un mot. Voyez enfin à quoi je m'expose pour vous : si je n'avais pas fini ce fermoir, le maître se douterait de quelque chose, et s'il se doutait de quelque chose, il me tuerait sans miséricorde ; mais je brave tout pour vos beaux yeux. Jésus ! ce maudit ouvrage n'avance pas. Enfin, Catherine, à quoi cela vous sert-il d'aimer Benvenuto ? il ne vous en sait pas plus de gré, il est toujours indifférent pour vous. Et moi je vous aimerais d'un amour si ardent et si prudent à la fois ! Personne ne s'en apercevrait, vous ne seriez jamais compromise, allez ! et vous pourriez compter sur ma discrétion à toute épreuve. Tenez, ajouta-t-il enhardi par mon silence, j'ai déjà trouvé un asile sûr et caché profondément où je pourrais vous entretenir sans crainte. » – Ah ! ah ! vous ne devineriez jamais, Benvenuto, la cachette que le sournois avait choisie. Je vous le donne en cent, en mille ; il n'y a que ces fronts baissés et ces yeux en dessous pour découvrir de pareils coins : il voulait loger nos amours, savez-vous où ? dans la tête de votre grande statue de Mars. On y peut monter, dit-il, avec une échelle. Il assure qu'il y a là une fort jolie chambre où l'on n'est aperçu de personne, tout en ayant sur la campagne une vue magnifique.
- L'idée est triomphante, en effet, dit Benvenuto en riant ; et qu'as-tu répondu à cela, Scozzone ?
- J'ai répondu par un grand éclat de rire que je n'ai jamais pu retenir, et qui a fort désappointé mons Pagolo. Il est parti de là pour être très touchant, pour me reprocher de n'avoir pas de coeur et de vouloir sa mort, etc., etc. Tout en s'escrimant du marteau et de la lime, il m'en a dit comme ça pendant une demi-heure, car il est joliment bavard quand il s'y met.
- Et finalement que lui as-tu répondu, Scozzone ?
- Ce que je lui ai répondu ? Au moment où vous frappiez à la porte, et où il posait sur la table son fermoir, enfin terminé, je lui ai pris gravement la main et je lui ai dit : « Pagolo, vous avez parlé comme un bijou ! » C'est ce qui fait qu'en rentrant vous lui avez trouvé l'air si bête.
- Eh bien ! tu as eu tort, Scozzone : il ne fallait pas le décourager ainsi.
- Vous m'avez dit de l'écouter, je l'ai écouté. Si vous croyez que ce soit déjà si facile que d'écouter les beaux garçons ! Et s'il arrive un beau jour quelque malheur ?
- Tu ne dois pas seulement l'entendre, mon enfant, il faut que tu lui répondes, c'est indispensable à mon plan. Parle-lui d'abord sans colère, puis avec indulgence, et puis avec complaisance. Quand tu en seras là, je te dirai ce qu'il faudra faire.
- Mais cela peut mener loin, savez-vous ? Vous devriez être là, du moins.
- Sois tranquille, Scozzone, je paraîtrai au moment nécessaire. Tu n'as qu'à te reposer sur moi et suivre exactement mes instructions. Va maintenant, chère petite, et laisse-moi travailler.
Catherine sortit en sautant et en riant d'avance du bon tour que Cellini allait jouer à Pagolo, et dont elle ne pouvait néanmoins deviner le premier mot.
Cependant Benvenuto, quand elle fut partie, ne s'était pas remis à travailler comme il lui avait dit : il avait couru précipitamment à la fenêtre qui donnait obliquement sur le jardin du Petit-Nesle, et était resté là comme en contemplation. Un coup frappé à la porte l'arracha brusquement à sa rêverie.
- Grêle et tempête ! s'écria-t-il furieux, qui est là encore ? et ne peut-on me laisser en paix, mille démons !
- Pardon, mon maître, dit la voix d'Ascanio ; mais si je vous dérange, je vais me retirer.
- Quoi ! c'est toi, mon enfant ? Non, non, certes, tu ne me déranges jamais. Qu'y a-t-il donc et que me veux-tu ?
Benvenuto s'empressa d'aller ouvrir lui-même à son élève chéri.
- Je trouble votre solitude et votre travail, dit Ascanio.
- Non, Ascanio : tu es toujours le bienvenu, toi.
- Maître, c'est que j'ai un secret à vous confier, un service à vous demander.
- Parle. Veux-tu ma bourse ? veux-tu mon bras ? veux-tu ma pensée ?
- J'aurai peut-être besoin de tout cela, cher maître.
- Tant mieux ! Je suis à toi corps et âme, Ascanio. Moi aussi, d'ailleurs, j'ai une confession à te faire, oui, une confession, car sans être, je crois, coupable, j'aurai des remords jusqu'à ce que tu m'aies absous. Mais parle le premier.
- Eh bien ! maître... Mais, grand Dieu ! qu'est-ce donc que cette ébauche ! s'écria Ascanio en s'interrompant.
Il venait d'apercevoir la statue commencée d'Hébé, et dans la statue commencée, il venait de reconnaître Colombe.
- C'est Hébé, reprit Benvenuto, dont les yeux brillèrent, c'est la déesse de la jeunesse. La trouves-tu belle, Ascanio ?
- Oh ! miraculeuse ! Mais ces traits, enfin, je les connais, ce n'est pas une illusion !
- Indiscret ! Puisque tu lèves à demi le voile, il faut donc que je l'arrache tout à fait, et il parait que ta confidence ne viendra décidément qu'après la mienne. Eh bien ! assieds-toi là, Ascanio, tu vas lire à livre ouvert dans mon coeur. Tu as besoin de moi, dis-tu ; j'ai aussi besoin que tu m'entendes. Il suffira que tu saches tout pour que je sois soulagé d'un grand poids.
Ascanio s'assit, plus pâle que le condamné à qui on va lire son arrêt de mort.
- Tu es Florentin, Ascanio, et je n'ai pas besoin de te demander si tu sais l'histoire de Dante Alighieri. Un jour il vit passer dans la rue une enfant appelée Béatrix, et il l'aima. Cette enfant mourut et il l'aima toujours, car c'est son âme qu'il aimait, et les âmes ne meurent pas ; seulement, il lui ceignit la tête d'une couronne d'étoiles, et il la plaça dans le paradis. Cela fait, il se mit à approfondir les passions, à sonder toute poésie et toute philosophie, et quand, purifié par la souffrance et la pensée, il arriva aux portes du ciel, où Virgile, c'est-à-dire la sagesse, devait le quitter, il ne s'arrêta pas faute de guide, car il retrouva là sur le seuil Béatrix, c'est-à-dire l'amour, qui l'attendait.
Ascanio, j'ai eu aussi ma Béatrix, morte comme l'autre, comme l'autre adorée. Ca été jusqu'ici un secret entre Dieu, elle et moi. Je suis faible aux tentations ; mais dans toutes les passions impures que j'ai traversées, mon adoration est restée intacte. J'avais placé ma lumière trop haut pour que la boue pût l'atteindre. L'homme se jetait insoucieusement à travers les plaisirs, l'artiste restait fidèle à ses mystérieuses fiançailles, et si j'ai fait quelque chose de bien, Ascanio, si l'inerte matière, argent ou argile, sait prendre sous mes doigts forme et vie, si j'ai parfois réussi à mettre de la beauté dans le marbre et de la vie dans le bronze, c'est que ma rayonnante vision m'a toujours depuis vingt ans conseillé, soutenu, éclairé.
Mais je ne sais, Ascanio, il y a peut-être des différences entre le poète et l'orfèvre, entre le ciseleur des idées et le ciseleur de l'or. Dante rêve ; j'ai besoin de voir. Le nom de Marie lui suffit ; il me faut à moi le visage de la madone. On devine ses créations ; on touche les miennes. Voilà peut-être pourquoi ma Béatrix n'était pas assez ou plutôt était trop pour moi, sculpteur. L'esprit me remplissait, mais j'étais forcé de trouver la forme. La femme angélique qui brillait sur ma vie avait été belle sans doute, belle surtout par le coeur, mais elle ne réalisait pas ce type de la beauté éternelle que je me figurais. Je me voyais contraint de chercher ailleurs, d'inventer.
Maintenant, dis-moi, Ascanio, crois-tu que si cet idéal de sculpteur s'était présenté à moi vivant, sur la terre, et si je lui avais donné place dans mes adorations, j'eusse été ingrat et infidèle à mon idéal de poète ? crois-tu qu'alors mon apparition céleste ne me visiterait plus, et que l'ange serait jaloux de la femme ? Le crois-tu ? C'est à toi que je le demande, Ascanio, et tu sauras un jour pourquoi je t'adresse cette question plutôt qu'à tout autre, pourquoi je tremble en attendant ta réponse, comme si c'était ma Béatrix qui me répondît.
- Maître, dit gravement et tristement Ascanio, je suis bien jeune pour avoir un avis sur ces hautes idées ; pourtant je pense au fond du coeur que vous êtes un de ces hommes choisis que Dieu mène, et que ce que vous trouvez sur votre chemin, ce n'est pas le hasard, c'est Dieu qui l'y a mis.
- C'est là la croyance, n'est-ce pas vrai, Ascanio ? Tu es d'avis que l'ange terrestre, mon beau souhait réalisé, serait envoyé par le Seigneur, et que l'autre ange divin n'aurait pas à se courroucer de mon abandon. Eh bien ! je puis te dire alors que j'ai trouvé mon rêve, qu'il vit, que je le vois, que je le touche presque. Ascanio, le modèle de toute beauté, de toute pureté, ce type de la perfection infinie à laquelle nous autres artistes nous aspirons, il est près de moi, il respire, je puis chaque jour l'admirer. Ah ! tout ce que j'ai fait jusqu'ici ne sera rien auprès de ce que je ferai. Cette Hébé que tu trouves belle et qui est, de vrai, mon chef-d'oeuvre, ne me satisfait pas encore ; mon songe animé est debout à côté de son image, et me semble cent fois plus magnifique ; mais je l'atteindrai ! je l'atteindrai ! Ascanio, mille blanches statues, qui toutes lui ressemblent, se dressent et marchent déjà dans ma pensée. Je les vois, je les pressens, et elles écloront quelque jour.
A présent, Ascanio, veux-tu que je te fasse voir mon beau génie inspirateur ? il doit être encore là près de nous. Chaque matin, à l'heure où le soleil se lève là-haut, il me luit en bas. Regarde. Benvenuto écarta le rideau de la fenêtre et désigna du doigt à l'apprenti le jardin du Petit-Nesle.
Dans sa verte allée, Colombe, la tête inclinée sur sa main étendue, marchait à pas lents.
- Qu'elle est belle, n'est-ce pas ? dit Benvenuto en extase ; Phidias et le vieux Michel-Ange n'ont rien créé de plus pur, et les antiques égalent tout au plus cette jeune et gracieuse tête ? Qu'elle est belle !
- Oh ! oui, bien belle ! murmura Ascanio, qui était retombé assis sans force et sans pensée.
Il y eut une minute de silence pendant laquelle Benvenuto contemplait sa joie, et pendant laquelle Ascanio mesurait sa douleur.
- Mais enfin, maître, hasarda avec effroi l'apprenti, où vous mènera cette passion d'artiste ? Que prétendez-vous faire ?
- Ascanio, reprit Cellini, celle qui est morte n'a pas été et ne pouvait être à moi. Dieu me l'a montrée seulement, et ne m'a pas mis au coeur d'amour humain pour elle. Chose étrange ! il ne m'a même fait sentir ce qu'elle était pour moi que lorsqu'il l'a eu retirée de ce monde. Elle n'est dans ma vie qu'un ressouvenir, une vague image entrevue. Mais si tu m'as bien compris, Colombe tient de plus près à mon existence, à mon coeur ; j'ose l'aimer, elle ; j'ose me dire : elle sera à moi !
- Elle est la fille du prévôt de Paris, dit Ascanio tremblant.
- Et quand elle serait la fille d'un roi, Ascanio, tu sais ce que peut ma volonté. J'ai atteint à tout ce que j'ai voulu, et je n'ai jamais rien voulu plus ardemment. J'ignore comment je parviendrai à mon but, mais il faut qu'elle soit ma femme, vois-tu !
- Votre femme ! Colombe, votre femme !
- Je m'adresserai à mon grand souverain, continua Benvenuto ; je lui peuplerai, s'il veut, le Louvre et Chambord de statues. Je couvrirai ses tables d'aiguières et de candélabres, et quand pour tout prix je lui demanderai Colombe, il ne serait pas François Ier s'il me refusait. Oh ! j'espère, Ascanio, j'espère ! J'irai le trouver au milieu de toute sa cour réunie. Tiens, dans trois jours, quand il partira pour Saint-Germain, tu viendras avec moi. Nous lui porterons la salière en argent qui est achevée, et les dessins pour une porte de Fontainebleau. Tous admireront, car c'est beau, et il admirera, il s'étonnera plus que les autres. Eh bien ! ces surprises, je les lui renouvellerai toutes les semaines. Je n'ai jamais senti en moi une force plus féconde et plus créatrice. Jour et nuit mon cerveau bout ; cet amour, Ascanio, m'a multiplié à la fois et rajeuni. Quand François Ier verra ses souhaits réalisés aussitôt que conçus, ah ! je ne demanderai plus, j'exigerai ; il me fera grand et je me ferai riche, et le prévôt de Paris, tout prévôt qu'il est, sera honoré de mon alliance. Eh ! mais, vraiment je deviens fou, Ascanio ! A ces idées je ne suis plus maître de moi. Elle à moi ! Rêves du ciel ! Comprends-tu, Ascanio ! Elle à moi ! Embrasse-moi, mon enfant, car depuis que je t'ai tout avoué, j'ose écouter mes espérances. Je me sens maintenant le coeur plus tranquille ; tu as comme légitimé ma joie. Ce que je te dis là, tu le comprendras un jour. En attendant, il me semble que je t'aime plus depuis que tu as reçu ma confidence ; tu es bon de m'avoir entendu. Embrasse-moi, cher Ascanio !
- Mais vous ne pensez pas, maître, qu'elle ne vous aime peut-être pas, elle.
- Oh ! tais-toi, Ascanio ! j'y ai pensé, et je me suis pris à envier ta beauté et ta jeunesse. Mais ce que tu disais des desseins prévoyants de Dieu me rassure. Elle m'attend. Qui aimerait-elle ? quelque fat de la cour, indigne d'elle ! D'ailleurs, quel que soit celui qu'on lui destine, je suis aussi bon gentilhomme que lui, et j'ai le génie de plus.
- Le comte d'Orbec, dit-on, est son fiancé.
- Le comte d'Orbec ? Tant mieux ! je le connais. Il est trésorier du roi, et c'est chez lui que je vais prendre soit l'or et l'argent nécessaires à mes travaux, soit les sommes que la bonté de Sa Majesté m'assigne. Le comte d'Orbec, un vieux ladre, rechigné et usé, cela ne compte pas, et il n'y aura pas de gloire à supplanter un animal pareil. Va, c'est moi qu'elle aime, Ascanio, non à cause de moi, mais à cause d'elle-même, parce que je serai comme la preuve de sa beauté, parce qu'elle se verra comprise, adorée, immortalisée. D'ailleurs, j'ai dit : Je le veux ! et chaque fois que j'ai dit ce mot, je te le répète, j'ai réussi. Il n'est pas de puissance humaine qui tienne contre l'énergie de ma passion. J'irai, comme toujours, droit à mon but avec l'inflexibilité du destin. Elle sera à moi, te dis-je, dussé-je bouleverser le royaume, et si par hasard quelque rival me voulait barrer le chemin, demonio ! tu me connais, Ascanio, gare à lui ! je le tuerais de cette main qui serre la tienne. Mais, mon Dieu ! Ascanio, pardonne-moi. Egoïste que je suis, j'oublie que toi aussi tu as un secret à me confier, un service à réclamer de moi. Je ne m'acquitterai jamais envers toi, cher enfant, mais parle enfin, parle. Pour toi aussi, ce que je veux je le puis.
- Vous vous trompez, maître, il est des choses qui ne sont au pouvoir que de Dieu, et je sais maintenant que je ne dois plus compter que sur lui. Je laisserai donc mon secret entre ma faiblesse et sa puissance. – Ascanio sortit.
Quant à Cellini, à peine Ascanio eut-il refermé la porte, qu'il tira le rideau vert, et approchant son chevalet de la fenêtre, il se remit à modeler son Hébé, le coeur rempli de joie présente et de sécurité à venir.

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1998-2010
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