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Chapitre XXVIII
L'anniversaire d'Hérode et de Mariamne.

La coiffeuse tint parole à l'abbé d'Hoirac.
Tout le monde avait trop d'intérêt à ce que les rendez-vous recommençassent pour que la rigueur de la fausse Olympe fût de longue durée.
Le lendemain au soir, un commissionnaire vint apporter à l'abbé, en son logis, un message auquel il ne se pouvait méprendre : c'était la clef de la maison mystérieuse que, d'après les conclusions du traité, il laissait à la porte après chaque entrevue, pour qu'on eût le plaisir de la lui renvoyer.
L'abbé ayant fait ses préparatifs, le coeur gonflé de joie, arriva dans les ténèbres dix minutes avant l'heure indiquée.
On le fit attendre sans mot dire, et, à l'heure sonnante, le froissement d'une robe de soie sur les parquets lui indiqua l'arrivée de celle qu'il attendait si impatiemment.
S'élancer, saisir une main fraîche et potelée, y passer la bague achetée la veille chez le juif, y coller ses lèvres, demander pardon, tel fut le préambule de l'abbé.
La conversation tomba sur l'aventure de la veille ; il va sans dire que la Catalane avait été mise au courant de tout ce qui s'était passé, par la coiffeuse. Aussi la fausse Olympe, presque aussi bien renseignée que si elle eût été la vraie, expliqua-t-elle très naturellement à l'abbé qu'il s'était conduit d'une manière indigne, et que là-bas, c'est-à-dire chez monsieur Bannière certains discours étaient prohibés qui se trouvaient légitimes ici, c'est-à-dire chez monsieur d'Hoirac.
Il est des explications qui sont toujours comprises, moins par le fond souvent que par les détails. A force de détails, l'abbé comprit sa faute, l'avoua, en demanda de nouveau pardon et l'obtint.
Il avait d'ailleurs de bonnes raisons à donner.
- Il fallait quelque adoucissement, disait-il, aux douleurs de l'absence. Ne parler à Olympe qu'à la dérobée, au milieu des ténèbres, dans une maison secrète, était-ce là un bonheur complet ?
On lui objecta que ténèbres ou clartés n'avaient aucune valeur devant sa myopie.
Il répondit qu'en effet il passait condamnation sur le chapitre ténèbres ; mais que le chapitre absence avait une bien autre signification.
La fausse Olympe se récria sur le mot absence.
Mais l'abbé d'Hoirac était un esprit subtil ; il répondit qu'il y avait absence physique et absence morale, et que l'absence morale était la plus douloureuse de toutes.
Un petit rire lui répondit.
- Ai-je dit vrai ? fit l'abbé.
- Eh ! nullement.
- Quoi ! ce monsieur Bannière, ce maître absolu, ce maître indigne...
- Ne parlons pas plus, je vous prie, de monsieur Bannière chez monsieur d'Hoirac, que je n'entends parler de monsieur d'Hoirac chez monsieur Bannière.
- Mais je me révolte a la fin ! s'écria l'abbé. On aime donc là-bas ce monsieur Bannière ? En vérité, on me forcera à m'en débarrasser !
- On ne l'aime pas, vous le savez bien, fut-il répondu doucement.
- Alors, reprit l'abbé, pourquoi ne pas rompre tout à fait ?
- Eh la ! la ! nous y viendrons !
- Oui, et je meurs en attendant.
- Voyez un peu l'impatient !
- C'est si naturel !
- Non pas, car si l'on vous écoutait, il faudrait chasser ce pauvre garçon !
- Qu'importe ! si vous ne l'aimez plus ?
- Bouche close !
- Je suis jaloux.
- En ce moment, ingrat ?
- En ce moment, je ne dis pas. Mais je le serai tantôt, je le serai demain, je le serai dès que je ne vous aurai plus auprès de moi.
- Que faire, alors ?
- Eh bien ! promettez-moi que vous traiterez si dédaigneusement ce Bannière, qu'il sentira que vous ne l'aimez pas.
- Quant à cela, c'est facile. Eh bien ! cela vous suffit-il ? Etes-vous plus calme ?
- Oui, mais plus tard je serai moins tolérant.
- Oh ! oh !
- Parce que j'aimerai plus encore.
- A la bonne heure !
Mais cette promesse ne fut pas plutôt faite par la fausse Olympe, que la vraie s'empressa d'y manquer, comme nous allons voir.
Tandis que le ménage de l'abbé et de la Catalane vivait ainsi sur des entretiens clandestins, le ménage d'Olympe et de Bannière se comportait à sa façon, c'est-à-dire d'une façon irrégulière. Olympe avait renoncé à catéchiser Bannière, mais celui-ci n'avait point renoncé à aimer Olympe, non plus qu'à se faire aimer d'elle, de sorte que, par moments, après l'avoir poussée au désespoir, il la ramenait, si obstinée qu'elle fût, à un accès d'amour ou d'indulgence.
C'est qu'Olympe n'était obstinée qu'à la surface ; au fond elle était bonne.
La bonté, c'est la force de l'homme et la faiblesse de la femme.
Ainsi donc, après que la Catalane se fut engagée vis-à-vis de l'abbé à ce qu'Olympe ne montrât jamais assez d'amour à Bannière pour rendre jaloux l'autre soupirant, Olympe et Bannière, qu'on n'avait pu faire entrer dans le secret, passaient un nouveau bail d'amour à propos de l'anniversaire de la première représentation du Roi Hérode. Le malheureux abbé tomba chez les deux amants, au dessert du festin qu'ils venaient de donner à leur amour.
Le festin avait duré assez tard, parce qu'Olympe ne jouait pas ce soir-là. La Catalane créait un rôle nouveau.
De sorte que, comme si toutes choses eussent été arrangées à l'avance pour amener une catastrophe, la coiffeuse était au théâtre pour le besoin de son office.
D'Hoirac entra donc chez Olympe au moment où, d'après ce qui s'était passé la surveille, il y était le moins attendu.
Il faut dire que de son côté il ne s'attendait pas à ce qu'il allait y trouver.
A pareille heure, monsieur Bannière était presque toujours au jeu. L'abbé savait bien que tout événement a son anniversaire ; mais il ne connaissait pas l'anniversaire de l'événement d'Olympe et de Bannière.
En entrant chez Olympe avec son étourderie ordinaire les amants, assez étourdis de leur côté, avaient laissé la clef à leur porte, l'abbé alla donner dans une glace de l'antichambre, qu'il prit pour une porte, et qui reflétait Olympe et Bannière un verre de champagne à la main.
L'abbé demeura comme hébété le nez sur ce tableau.
Un seul valet, qu'on avait congédié sans doute, becquetait les reliefs dans la cuisine.
L'abbé, furieux de ce qu'il voyait dans la glace, et prenant ce tableau pour une trahison, se retourna pivotant sur lui-même, et pénétra dans la salle à manger, non pas comme un curieux mais comme un jaloux, non pas comme un visiteur mais comme un maître.
Il fit bruit avec sa voix et bruit avec les portes, et apparut aux deux amants pareil à Calchas, pâle et les cheveux hérissés.
A cette vue, Olympe et Bannière, que l'anniversaire, les biscuits et le champagne avaient mis en verve de gaîté, poussèrent sur deux tons différents un cri de surprise folle et des éclats de rire immodérés qui mirent au comble la colère et la confusion de l'abbé. Jamais, on en conviendra, mystification n'avait été si cruelle pour un homme amoureux comme l'était l'abbé, et si bien rassuré par l'entretien de la veille.
Aussi l'abbé gagnait-il la porte les dents serrées, et roulant dans sa tête toutes sortes de projets de vengeance, encore insensés dans le chaos de la rage, mais qui pouvaient prendre une forme au moule de la réflexion.
Mais au moment où il étendait la main pour toucher le bouton, Bannière le prévint de vitesse, et, lui prenant la main :
- Cà, dit-il à l'abbé, êtes-vous assez peu mondain pour vous scandaliser de voir un amant heureux près de sa maîtresse ?
D'Hoirac frissonna de la tête aux pieds : il attendait un mot d'Olympe.
- Oh ! dit-elle à son tour, monsieur l'abbé ne peut avoir si grand-peur d'un bonheur qu'il connaît, je crois, par expérience.
- Allons, ma chère, reprit Bannière chargez-vous de faire notre paix avec monsieur d'Hoirac.
Et après avoir échangé avec Olympe un coup d'oeil d'intelligence, il partit laissant Olympe seule avec l'abbé au désespoir.
Son premier mot fut une imprécation.
- Oh ! que les femmes sont scélérates ! s'écria-t-il en frappant sur la table.
Olympe se dressa comme si elle eût été frappée elle-même.
- Que dites-vous donc là, monsieur ? s'écria-t-elle offensée ; est-ce pour moi que vous parlez ainsi ?
- Et pour qui donc parlerais-je ainsi, répondit brutalement l'abbé, si ce n'était pour vous ?
- Vous vous méprenez alors, je pense.
- Je ne me méprends pas ; je suis furieux !
- Bon ! fit dédaigneusement Olympe, c'est votre accès de folie qui vous reprend, à ce qu'il parait ?
- Folie tant qu'il vous plaira ! Oui, folie ! mais folie furieuse, prenez garde !
Et il frappa une seconde fois sur la table.
- Ah çà ! mais, l'abbé, dit Olympe, vous allez briser la table et les porcelaines, il me semble.
- Bon ! belles bagatelles ! on rachète des tables et des cristaux avec de l'or, mais rien ne rachète l'amour bafoué et les illusions perdues d'un honnête homme.
- Savez-vous, dit Olympe fronçant le sourcil à son tour, que je ne comprends pas un seul mot à ce que vous dites, monsieur ?
- Oh ! assez de dignité comme cela, madame, ou plutôt assez de comédie, surtout de celle qui consiste à me mettre un bâillon quand je veux me plaindre !
- Vous plaindre ! vous plaindre de quoi, je vous prie ?
- Que m'ayez-vous promis, voyons ?
- Moi ?
- Oui ; avais-je droit de compter sur vous ?
- Moi, je vous ai promis quelque chose ?
- Je sais bien ce que vous allez répondre ; je sais bien qu'ici je ne suis pas chez moi, mais chez monsieur Bannière.
- Sans doute.
- Mais, vous en conviendrez, la patience a un terme, et ma colère...
- Votre colère ! monsieur, reprit Olympe, votre colère va finir par exciter la mienne, et une fois nos deux colères en présence, je vous avertis d'une chose, c'est que la mienne priera la vôtre de sortir.
- Madame, dit l'abbé en haussant la voix, vous manquez à vos engagements ; souffrez que je vous les rappelle.
- Oh ! c'est cela, monsieur, rappelez-les-moi, et vous me ferez plaisir.
- Vous me le permettez enfin !
- Je vous en prie.
- Eh bien ! n'était-il pas convenu que vous ne me donneriez jamais l'occasion d'être jaloux ?
- Jaloux ! vous ! et de qui ?
- Quoi ! s'écria l'abbé baissant la tête et étendant les deux bras, je vous trouve ici en tête à tête avec monsieur Bannière !
- Eh ! mais, s'écria Olympe se parlant à elle-même, ma parole d'honneur ! il est fou.
- Oh ! si vous oubliez si vite, dit l'abbé, passant de la colère à la mélancolie, oh ! je prévois bien des malheurs.
Olympe haussa les épaules ; il était évident que la mélancolie de l'abbé était folle comme sa colère.
- Enfin, dit-elle, l'autre jour c'était le marasquin ; mais aujourd'hui, en vérité, il n'y a pas d'excuse.
L'abbé se tourna vers elle, et joignant les mains :
- Sérieusement, voyons, Olympe !
- Olympe ! s'écria la jeune femme en bondissant ; vous m'appelez Olympe ? vous !
- Ah ! par exemple, c'est trop fort ! dit l'abbé, pâle de s'être contenu ou plutôt dévoré si longtemps. Vous ménagez vos ressources, vos contrats, vos cas de conscience. Je jette tout au vent, puisque vous êtes si prompte à oublier votre parole. Oui, je suis ici chez monsieur Bannière, c'est vrai ; mais, puisque vous m'y forcez, je parlerai ici comme je parle là-bas.
- Là-bas ! et qu'appelez-vous là-bas ?
- Oh ! faites l'innocente, madame ; mais, cette fois, je ne vous quitterai pas sans vous avoir dit toutes vos vérités.
- Quel là-bas, monsieur ? répéta Olympe.
- Ce là-bas où monsieur d'Hoirac est chez lui, madame ; ce là-bas où, tout au contraire de Pénélope, vous raccommodez le soir ce que vous défaites le jour ici ; ce là-bas où j'ai la faiblesse d'aimer ce qui me trompe ailleurs.
Olympe poussa un cri précurseur d'une violente colère, un cri comme en doivent pousser les lionnes blessées.
Ce cri avertit l'abbé que peut-être il avait été trop loin. Passant donc de la menace à l'accommodement :
- Voyons, dit-il, voyons ; le moment est venu de nous parler avec franchise. Adoptons un parti qui nous sorte de cette position équivoque, jouons cartes sur table ; plus d'ambiguïté.
- Oui, c'est cela, cartes sur table, dit Olympe écoutant de toutes ses forces pour voir où aboutirait l'accès de cette manie.
- Eh bien ! je me suis conduit en avare, n'est-ce pas ?
- Vous, et à quelle occasion ?
- Vous n'êtes point satisfaite de ce que je vous ai donné ?
- Hein, fit-elle, qu'est-ce cela ? il me semble que nous passons de l'insolent à l'immonde.
- Permettez, dit l'abbé ; voyons, chère Olympe, parlons une fois affaire, une fois pour n'y plus revenir, et notre amour s'en trouvera bien.
Et, sans s'inquiéter du regard effaré d'Olympe, que, d'ailleurs, grâce à ses mauvais yeux, il ne voyait peut-être pas, il continua :
- Je dis donc que vous vous êtes aperçue que vous n'avez point assez de ce que la coiffeuse m'a demandé en votre nom.
- En mon nom, la coiffeuse !
Et Olympe à son tour prit sa tête entre ses deux mains, comme si c'eût été elle qui devint folle.
- Oh ! ne m'interrompez pas, de grâce ! s'écria l'abbé ; je sais tout ce que vous m'allez dire ; mais à moi, comme à vous, c'est une certitude qu'il faut. Bâtissons cette certitude d'un commun accord, à forces égales. Voici les articles que je vous proposerai...
Olympe avait pris la résolution d'écouter jusqu'au bout ; elle voulait en finir une bonne fois avec cette étrange aliénation mentale ; qui se posait devant elle comme une conviction réelle.
- Allons, dit-elle en retombant sur sa chaise, voyons les articles.
- Article premier : Vous quitterez le théâtre.
- Moi, je quitterai le théâtre ?
- Attendez donc.
- Oh ! j'attends, vous le voyez. Seulement, pressez-vous, car peut-être n'aurais-je pas la patience d'attendre longtemps.
- Vous quitterez le théâtre, parce que votre existence appartenant au public n'appartient point à votre amant.
Olympe se croisa les bras pour enfermer sa colère dans sa poitrine.
- Maintenant, continua l'abbé, une fois que vous ne serez plus au théâtre, rien de plus facile que de quitter l'autre.
- L'autre ! demanda Olympe passant à une nouvelle surprise. Qui, l'autre ?
- Eh ! ne le nommons pas, ma chère. N'est-il pas au fond de toutes nos pensés, le malheureux !
- L’autre ? l'autre, qui est au fond de toutes nos pensées ?... Tenez, décidément, mon cher abbé, vous finirez par me faire peur. Est-ce donc une plaisanterie qui vous soit familière de jouer ainsi la folie ? Moi, je vous en avertis, j'ai horriblement peur des fous. Si donc vous avez le choix, choisissez-en une autre, et ne plaisantez plus ainsi.
- Mais je ne plaisante pas ; je vous... je ne... Passons donc à l'article second.
- Passons.
- Article second : L'autre sera congédié ; on lui fera une pension.
Olympe fit un mouvement.
- Avec une cédule rédigée par un notaire en ces termes à peu près : « Monsieur Bannière recevra annuellement... »
Olympe frappa ses deux mains l'une contre l'autre.
- Ah ! fit-elle en éclatant de rire, ah ! c'est charmant ! Alors, l'autre, c'est Bannière ?
- C'est toi qui l'as nommé ! répondit l'abbé.
- Monsieur, je n'aime pas qu'on me tutoie, même avec les vers de monsieur Racine, dit-elle en gonflant ses narines de tout son orgueil, et surtout de toute la colère qu'elle couvait, depuis le commencement de l'entretien, dans son coeur dédaigneux et irrité.
- Article trois, poursuivit l'abbé : Vous recevrez vous-même deux mille louis comptant pour rompre avec les créances arriérées, avec les petits engagements ou dédits ; plus un contrat de rente de six mille livres payable sur la terre d'Hoirac, qui m'a été substituée par feu mon père.
Olympe marcha droit à l'abbé.
- N'est pas si fou, dit-elle, qui parle ainsi argent. Le marché dont vous m'étalez le chiffre, qui en est l'objet ? moi, n'est-ce pas ?
- Mais oui.
- C'est moi que vous voulez acheter, alors ?
- Payer ; c'est-à-dire si l'on pouvait jamais payer un inestimable trésor.
- Et vous payeriez ainsi d'avance ? dit-elle ironiquement ; vous ne craindriez pas d'être volé ?
- Oh ! avec les promesses que vous m'avez faites, dit l'abbé, il me semble que je n'ai rien à craindre.
A peine ces mots étaient-ils prononcés, que deux portes s'ouvraient à la fois :
Une dans un cabinet en face de l'abbé.
Bannière en sortit livide et les lèvres tremblantes.
L'autre dans l'antichambre.
La coiffeuse s'y montra toute bouleversée, car deux mots lui avaient suffi pour comprendre la situation.

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1998-2010
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