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Chapitre XXVI
Amour et myopie.

Une fois le complot arrêté entre les deux démons femelles, il ne s'agissait plus que de le mettre à exécution.
C'était chose facile.
L'abbé, sur la promesse de la coiffeuse, avait commandé à celle-ci, qu'il avait fait à la fois son factotum et son plénipotentiaire, de louer et de meubler un appartement pour y recevoir Olympe, le jour où Olympe, assiégée comme Danae par une pluie d'or, capitulerait.
La coiffeuse était à la fois trop adroite pour parler à l'abbé ou de l'échec complet qu'elle avait éprouvé, ou d'une espérance trop soudaine. Elle se représenta à son mandant comme ayant été repoussée, c'est vrai, mais comme ayant dans la retraite étudié certaine position qu'elle pouvait peut- être reconquérir peu à peu, et qui, une fois reconquise, lui rendrait indubitablement cette victoire échappée une première fois mais non perdue pour toujours.
D'ailleurs, l'abbé, qui avait eu affaire à cette vertu d'Olympe si douce quand on n'y portait point atteinte, mais si facile à se hérisser dès qu'on mettait la main dessus l'abbé pouvait avoir des doutes ; ces doutes, il fallait qu'ils disparussent peu à peu sous l'irritation du désir. La coiffeuse était pareille au pécheur exercé qui ne veut tirer sa ligne que lorsque le poisson a bien mordu.
Il se fit donc peu à peu d'une manière fictive autour d'Olympe un travail semblable à celui qui se fait autour d'une ville assiégée. Comme à Louis XIV devant Nimègue, on rendait compte à l'abbé, qui, comme Louis XIV, ne voyait pas grand-chose par lui-même des progrès que faisait le siège. Aujourd'hui on avait tracé la ligne d'enceinte, demain commence la tranchée, après-demain on pratiquera la sape, le jour suivant on ferait jouer la mine. Et l'abbé écoutait tout cela comme un général vaniteux, ou comme un amant aveugle, ce qui se ressemble beaucoup.
Un mois se passa en travaux de siège. Le général devenait de plus en plus impatient, l'amant de plus en plus amoureux.
Enfin, un beau matin, la coiffeuse entra toute radieuse chez l'abbé. La vertu d'Olympe commençait à battre la chamade et parlait de se rendre ; seulement, elle désirait se rendre avec tous les honneurs de la guerre.
Pourvu qu'Olympe se rendît, peu importait à l'abbé de quelle manière. Il ne fut donc pas difficile sur les conditions.
Encore la veille il avait dit et la coiffeuse avait relevé ces paroles comme la base de la capitulation qu'elle allait proposer :
- Si je puis être écouté d'elle, si je puis lui plaire, ne fût-ce qu'un moment, je serai l'homme le plus heureux de la terre.
- L'homme le plus heureux de la terre, avait répété la coiffeuse, si vous pouvez lui plaire, ne fût-ce qu'un moment !
- Eh oui ! avait repris l'abbé avec impatience. Parbleu ! je sais bien qu'au fond elle aime ce drôle de Bannière.
- Hélas ! c'est son vice, avait soupiré la coiffeuse.
- Mais, avait continué l'abbé, je ne lui demande qu'un caprice, la monnaie d'une infidélité. Le caprice me suffira : je n'ai pas d'ambition en amour.
C'était bien là un véritable prospectus d'amant, et, comme on sait, on s'abonne encore aujourd'hui sur les prospectus.
- Olympe, disait donc la coiffeuse, avait admis le prospectus de l'abbé. Restait à dicter les conditions de l'abonnement.
Elles furent discutées pendant trois jours.
Le troisième jour, le parlementaire femelle apporta l'ultimatum de l'actrice.
C'était elle qui fixerait les jours de rendez-vous ?
- Accordé.
- Ces jours seraient des nuits, attendu que c'était principalement pendant la nuit que jouait Bannière, et qu'Olympe ne pouvait être libre que lorsque Bannière jouait.
- Accordé.
- Ces entrevues auraient toujours lieu dans les ténèbres les plus absolues.
L'abbé se révolta.
La coiffeuse appela a son aide la fable de Psyché et l'Amour. Seulement les rôles étaient intervertis ; c'était l'abbé qui jouait le rôle de Psyché, c'était Olympe qui jouait celui de l'Amour.
Si l'abbé employait la moindre lampe, la moindre lanterne sourde, la moindre allumette, Psyché s'envolait, et, comme le fils de Vénus, pour toujours.
Cette condition fut discutée pendant trente-six heures, mais la coiffeuse tint bon au nom d'Olympe. Enfin, l'abbé céda, mais il céda en disant que sa qualité de myope seule lui faisait admettre cette humiliante condition, moins désastreuse pour lui qu'elle ne le serait pour tout autre.
L'article 3 fut donc accordé comme les autres.
Olympe seule avait la clef de la chambre. Jamais elle n'écrirait pour fixer les rendez-vous, les lettres étant un moyen inventé par le diable lui-même, qui ne veut rien perdre, au profit des maris trompés et des tuteurs jaloux ; les jours, ou plutôt les nuits, où Olympe consentirait à recevoir l'abbé, elle enverrait la clef à monsieur d'Hoirac, et monsieur d'Hoirac saurait ce que cela voulait dire.
Cet article passa comme les autres, mais à une condition, c'est que la clef serait envoyée le lendemain ou le surlendemain au plus tard.
A cette prétention il fut fièrement répondu, attendu que l'on se rendait de bonne volonté, par sympathie pour le vainqueur et non point par force.
L'abbé d'Hoirac soupira ; mais comme c'était une vérité, il fut forcé de le reconnaître sinon de le glorifier.
Trois jours après, l'abbé, haletant à chaque coup de sonnette, reçut la clef de la main de la coiffeuse, avec cette seule indication :

« Ce soir, à onze heures. »

L'abbé bondit de joie, prit la clef, la baisa, et se mit à danser autour de la chambre en chantant un air d'opéra comique.
La nuit venue, l'heure prête a sonner, le triomphateur tout pimpant, tout parfumé, tout ivre de bonheur, se glissa, le coeur bondissant, dans une petite allée de maison mystérieuse, monta un étage, trouva dans l'antichambre la bienveillante coiffeuse, laquelle le guida aussi sûrement que le fil conducteur d'Ariane jusqu'au coeur du labyrinthe, dont l'abbé ne sortit que le lendemain au crépuscule, encore plus heureux au départ qu'il n'avait été à l'arrivée.
Si on lui eût proposé de renoncer aux nuits promises par cette nuit pour une crosse d'archevêque ou pour un chapeau de cardinal, il eût certes refusé.
D'ailleurs, nous le savons, ce n'était pas du côté de l'Eglise qu'étaient tournées les ambitions de l'abbé.
Il va sans dire que monsieur d'Hoirac, le plus myope des hommes, avait vaincu, sans flambeaux, sans lumière et sans bruit, la Catalane, parfumée de verveine, qui était l'odeur favorite d'Olympe.
Selon les conditions, et fidèle au traité, l'abbé avait laissé la clef à la porte.
Seulement, l'amour de l'abbé était devenu si passionné, que dès le lendemain il persécutait la coiffeuse pour que cette clef qu'il avait laissée à la porte selon les conventions, lui fût renvoyée. Il s'appuyait surtout sur ce qu'il avait hâte de donner à sa chère maîtresse quelques marques de l'estime qu'il faisait d'elle.
Il avait honte surtout de l'état de gêne où il la voyait par la faute de ce misérable Bannière.
A la suite de quoi il s'étendit longuement sur l'usage qu'il comptait faire de ses richesses, et le sort prospère qu'il destinait à Olympe, sort auquel, bien entendu, devait participer sa confidente.
Il n'en fallait pas tant pour décider la coiffeuse. La Catalane aimait également l'argent et la vengeance. On convint de régulariser ces rendez- vous, et de les multiplier selon la générosité de l'abbé d'Hoirac, et de se régler pour toutes ces petites intrigues sur la somme de tranquillité que les imprudences qu'il ne manquerait pas de commettre laisseraient aux deux faussaires.
Le second rendez-vous fut donc accordé à un intervalle raisonnable du premier.
Il eut pour résultat de changer la passion de d'Hoirac en délire, et de faire passer dans les mains de la Catalane ce millier de pistoles, et dans celles de la coiffeuse ces deux cents louis promis et si impatiemment attendus.
Mais, comme on le comprend bien, ces rendez-vous nocturnes eurent beau se multiplier, ils ne laissèrent qu'un bonheur vague et incomplet au fond du coeur de l'abbé. C'était presque le bonheur d'un voleur ; à coup sûr, ce n'était pas celui d'un amant : aussi la journée se passait-elle à la recherche de cette Olympe qu'il possédait si imparfaitement, puisqu'il ne la possédait que la nuit.
Et encore sans la voir, une nuit sur cinq ou six.
L'amour se distingue en ceci des simples désirs qu'il se développe par la présence assidue de l'objet aimé. Ce fut donc après trois semaines ou un mois de rendez-vous, de la part de l'abbé un amour auquel toute la vie d'Olympe n'eût pas pu suffire.
Quant à Bannière, il vivait heureux et satisfait. Un jour qu'il n'avait plus rien à vendre ou à engager chez Jacob, il s'était hasardé à lui demander de l'argent sur son simple billet, et celui-ci s'était décidé à lui en prêter à dix du cent, ce qui était pour rien eu égard au degré de solvabilité de Bannière.
Cette ouverture inattendue de crédit venait, comme on le devine, de cette source d'or qu'on appelait l'abbé d'Hoirac. Olympe lui avait dit qu'elle était libre quand Bannière jouait, et l'abbé, pour voir Olympe, facilitait à Bannière le chemin du tripot.
Il n'y avait que la pauvre Olympe qui ne se ressentait en rien de tout cela, sinon par la solitude plus grande où elle était tombée ; l'abbé d'Hoirac ne venait plus chez elle, et Bannière ne sortait plus de l'académie.
Au reste, chaque nouvelle entrevue, en redoublant l'amour de d'Hoirac pour Olympe, mettait un nouveau frein à cet amour, car, à chaque entrevue, la fausse Olympe revenait sur cette condition sine qua non de ne plus la voir que dans la maison secrète.
D'Hoirac, comme nous l'avons vu, avait promis d'abord ; il désirait trop pour ne pas promettre tout ce qu'on lui demandait, et comme il renouvelait cette promesse chaque fois qu'il en était sommé, comme il la tenait même, il assurait, jusqu'à nouvel ordre, la réussite des projets des deux complices.
Il lui avait même été enjoint de garder vis-à-vis d'Olympe, lorsque par hasard il la rencontrerait, l'attitude d'un homme chassé, expulsé, vaincu. On lui avait fait jurer qu'il saluerait à peine à la promenade, qu'il n'aborderait jamais sans y être invité, qu'il ne se présenterait jamais à Olympe, soit personnellement, soit sous les espèces d'une entremetteuse, que jamais surtout il n'écrirait.
Nous avons dit plus haut la théorie de la coiffeuse et de la Catalane à l'endroit des lettres.
D'Hoirac avait continué à promettre et commencé à tenir, il n'avait plus regardé Olympe.
Il l'avait saluée fort légèrement quand il l'avait rencontrée.
Il l'avait hantée souvent, mais il ne l'avait jamais visitée soit dans sa maison, soit dans sa loge, soit dans sa chaise.
Il n'avait jamais plus envoyé chez elle ni fleurs, ni lettres, ni messagers.
Le tout marchait au gré de la Catalane et de son premier ministre, la coiffeuse.
Mais un événement, simple comme tous ceux qui bouleversent les projets, les fortunes et les empires, vint presque donner tort aux savantes combinaisons de ces deux honnêtes dames.

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