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Chapitre LX
L'élixir de vie

Balsamo, demeuré seul, vint écouter à la porte de Lorenza.
Elle dormait d'un sommeil égal et doux.
Il entr'ouvrit alors un guichet, fixé en dehors, et la contempla quelque temps dans une douce et tendre rêverie. Puis, repoussant le guichet et traversant la chambre que nous avons décrite et qui séparait l'appartement de Lorenza du cabinet de physique, il s'empressa d'aller éteindre ses fourneaux, en ouvrant un immense conduit qui dégagea toute la chaleur par la cheminée, et donna passage à l'eau d'un réservoir placé sur la terrasse.
Puis, serrant précieusement dans un portefeuille de maroquin noir le reçu du cardinal :
- La parole des Rohan est bonne, murmura-t-il mais pour moi seulement, et là-bas il est bon que l'on sache à quoi j'emploie l'or des frères.
Ces paroles s'éteignaient sur ses lèvres, quand trois coups secs, frappés au plafond, lui firent lever la tête.
- Oh ! oh ! dit-il, voici Althotas qui m'appelle.
Puis, comme il donnait de l'air au laboratoire, rangeait toute chose avec méthode, replaçait la plaque sur les briques, les coups redoublèrent.
- Ah ! il s'impatiente ; c'est bon signe.
Balsamo prit une longue tringle de fer, et frappa à son tour ; puis il alla détacher de la muraille un anneau de fer, et, au moyen d'un ressort qui se détendit, une trappe se détacha du plafond et s'abaissa jusqu'au sol du laboratoire. Balsamo se plaça au centre de la machine, qui, au moyen d'un autre ressort, remonta doucement, enlevant son fardeau avec la même facilité que les gloires de l'opéra enlèvent les dieux et les déesses, et l'élève se trouva chez le maître.
Cette nouvelle habitation du vieux savant pouvait avoir de huit à neuf pieds de hauteur sur seize de diamètre ; elle était éclairée par le haut à la manière des puits et hermétiquement fermée sur les quatre façades.
Cette chambre était, comme on le voit, un palais relativement à son habitation dans la voiture.
Le vieillard était assis dans son fauteuil roulant, au centre d'une table de marbre taillée en fer à cheval, et encombrée de tout un monde, ou plutôt de tout un chaos de plantes, de fioles, d'outils, de livres, d'appareils et de papiers chargés de caractères cabalistiques.
Il était si préoccupé, qu'il ne se dérangea point quand Balsamo apparut.
La lumière d'une lampe astrale, attachée au point culminant du vitrage, tombait sur son crâne nu et luisant.
Il ressassait entre ses doigts une bouteille de verre blanc dont il interrogeait la transparence, à peu près comme une ménagère qui fait son marché elle même mire à la lumière les oeufs qu'elle achète.
Balsamo le regarda d'abord en silence ; puis, au bout d'un instant :
- Eh bien ! dit-il, il y a donc du nouveau ?
- Oui, oui. Arrive, Acharat ! tu me vois enchanté, ravi ; j'ai trouvé, j'ai trouvé...
- Quoi ?
- Ce que je cherchais, pardieu !
- L'or ?
- Ah bien, oui, l'or ! allons donc !
- Le diamant ?
- Bon ! le voilà qui extravague. L'or, le diamant, belles trouvailles, ma foi, et il y aurait de quoi se réjouir, sur mon âme, si j'avais trouvé cela !
- Alors, demanda Balsamo, ce que vous avez trouvé, c'est donc votre élixir ?
- Oui, mon ami, c'est mon élixir ; c'est-à-dire la vie, que dis-je la vie ! l'éternité de la vie.
- Oh ! oh ! fit Balsamo attristé, car il regardait cette recherche comme une oeuvre folle, c'est encore de ce rêve que vous vous occupez ?
Mais Althotas, sans écouter, mirait amoureusement sa fiole.
- Enfin, dit-il, la comparaison est trouvée : élixir d'Aristée, vingt grammes ; baume de mercure, quinze grammes ; précipité d'or, quinze grammes ; essence de cèdre du Liban, vingt-cinq grammes.
- Mais il me semble, qu'à l'élixir d'Aristée près, c'est votre dernière combinaison, maître ?
- Oui, mais il y manquait l'ingrédient principal, celui qui relie tous les autres, celui sans lequel les autres ne sont rien.
- Et vous l'avez trouvé, celui-là ?
- Je l'ai trouvé.
- Vous pouvez vous le procurer ?
- Pardieu !
- Quel est-il ?
- Il faut ajouter aux matières déjà combinées dans cette fiole les trois dernières gouttes du sang artériel d'un enfant.
- Eh bien ! mais cet enfant, dit Balsamo épouvanté, où l'aurez-vous ?
- Tu me le procureras.
- Moi ?
- Oui, toi.
- Vous êtes fou, maître.
- Eh bien ! quoi ? demanda l'impassible vieillard en promenant avec délice sa langue sur l'extérieur du flacon où, par le bouchon mal clos, suintait une goutte d'eau ; eh bien ! quoi ?...
- Et vous voulez avoir un enfant pour prendre les trois dernières gouttes de son sang artériel ?
- Oui.
- Mais il faut tuer l'enfant pour cela ?
- Sans doute, il faut le tuer ; plus il sera beau, mieux cela vaudra.
- Impossible, dit Balsamo en haussant les épaules, on ne prend pas ici les enfants pour les tuer.
- Bah ! s'écria le vieillard avec une atroce naïveté, qu'est-ce donc qu'on en fait ?
- On les élève, pardieu !
- Ah çà ! le monde est donc changé ? Il y a trois ans, on venait nous en offrir tant que nous en voulions, des enfants, pour quatre charges de poudre ou une demi-bouteille d'eau-de-vie.
- Etait-ce au Congo, maître ?
- Eh bien ! oui, c'était au Congo. Il m'est égal que l'enfant soit noir, à moi. Ceux qu'on nous offrait, je me le rappelle, étaient très gentils, très frisés, très folâtres.
- A merveille ! dit Balsamo ; mais malheureusement, cher maître, nous ne sommes pas au Congo.
- Ah ! nous ne sommes pas au Congo ? dit Althotas. Eh bien ! où sommes nous donc ?
- A Paris.
- A Paris. Eh bien ! en nous embarquant à Marseille, nous pouvons y être en six semaines, au Congo.
- Oui, cela se pourrait, sans doute ; mais il faut que je reste en France.
- Il faut que tu restes en France ; et pourquoi cela ?
- Parce que j'y ai affaire.
- Tu as affaire en France ?
- Oui, et sérieusement.
Le vieillard partit d'un long et lugubre éclat de rire.
- Affaire, dit-il, affaire en France. Ah ! oui, c'est vrai, j'avais oublié, moi ; tu as des clubs à organiser.
- Oui, maître.
- Des conspirations à ourdir.
- Oui, maître.
- Tes affaires, enfin, comme tu appelles cela.
Et le vieillard se reprit à rire de son air faux et moqueur.
Balsamo garda le silence, tout en amassant des forces contre l'orage qui se préparait et qu'il sentait venir.
- Et où en sont les affaires ? Voyons ! dit le vieillard en se retournant péniblement sur son fauteuil et en attachant ses grands yeux gris sur son élève.
Balsamo sentit pénétrer en lui ce regard comme un rayon lumineux.
- Où j'en suis ? demanda-t-il.
- Oui.
- J'ai lancé la première pierre, l'eau est troublée.
- Et quel limon as-tu remué ? Parle, voyons.
- Le bon, le limon philosophique.
- Ah ! oui, tu vas mettre en jeu tes utopies, tes rêves creux, tes brouillards : des drôles qui discutent sur l'existence ou la non-existence de Dieu au lieu d'essayer comme moi de se faire dieux eux-mêmes. Et quels sont ces fameux philosophes auxquels tu t'es relié ? Voyons.
- J'ai déjà le plus grand poète et le plus grand athée de l'époque ; un de ces jours, il doit rentrer en France, d'où il est à peu près exilé, pour se faire recevoir maçon, à la loge que j'organise rue du Pot-de-Fer, dans l'ancienne maison des jésuites.
- Et tu l'appelles ?
- Voltaire.
- Je ne le connais pas ; après, qui as-tu encore ?
- On doit m'aboucher prochainement avec le plus grand remueur d'idées du siècle, avec un homme qui a fait le Contrat social.
- Et tu l'appelles ?
- Rousseau.
- Je ne le connais pas.
- Je le crois bien, vous ne connaissez, vous qu'Alphonse X, Raymond Lufle, Pierre de Tolède, et le grand Albert.
- C'est que ce sont les seuls hommes qui aient réellement vécu, puisque ce sont les seuls qui ont agité, toute leur vie, cette grande question d'être ou de ne pas être.
- Il y a deux façons de vivre, maître.
- Je n'en connais qu'une, moi : c'est d'exister. mais revenons à ces deux philosophes. Tu les appelles, dis-tu ?
- Voltaire, Rousseau.
- Bon ! je me rappellerai ces noms-là. Et tu prétends, grâce à ces deux hommes... ?
- M'emparer du présent et saper l'avenir.
- Oh ! oh ! ils sont donc bien bêtes, dans ce pays-ci, qu'ils se laissent mener avec des idées ?
- Au contraire, c'est parce qu'ils ont trop d'esprit que les idées ont plus d'influence sur eux que les faits. Et puis j'ai un auxiliaire plus puissant que tous les philosophes de la terre.
- Lequel ?
- L'ennui... Il y a quelque seize cents ans que la monarchie dure en France, et les Français sont las de la monarchie.
- De sorte qu'ils vont renverser la monarchie ?
- Oui.
- Tu crois cela ?
- Sans doute.
- Et tu pousses, tu pousses ?
- De toutes mes forces.
- Imbécile !
- Comment ?
- Que t'en reviendra-t-il, à toi, du renversement de cette monarchie ?
- A moi, rien ; mais à tous, le bonheur.
- Voyons, aujourd'hui, je suis content, et je veux bien perdre mon temps à te suivre. Explique-moi d'abord comment tu arriveras au bonheur, et ensuite ce que c'est que le bonheur ?
- Comment j'arriverai ?
- Oui, au bonheur de tous ou au renversement de la monarchie, ce qui est pour toi l'équivalent du bonheur général. J'écoute.
- Eh bien ! un ministère existe en ce moment, qui est le dernier rempart qui défende la monarchie ; c'est un ministère intelligent, industrieux et brave qui pourrait soutenir vingt ans encore, peut-être, cette monarchie usée et chancelante ; ils m'aideront à le renverser.
- Qui cela ? Tes philosophes ?
- Non pas : les philosophes le soutiennent, au contraire.
- Comment ! tes philosophes soutiennent un ministère qui soutient la monarchie, eux qui sont les ennemis de la monarchie ? Oh ! les grands imbéciles que les philosophes !
- C'est que le ministre est un philosophe lui-même.
- Ah ! je comprends, et qu'ils gouvernent dans la personne de ce ministre. Je me trompe alors, ce ne sont pas des imbéciles, ce sont des égoïstes.
- Je ne veux pas discuter sur ce qu'ils sont, dit Balsamo, que l'impatience commençait à gagner, je n'en sais rien ; mais ce que je sais, c'est que, ce ministère renversé, tous crieront haro sur le ministère suivant.
Ce ministère aura contre lui d'abord les philosophes, puis le parlement ; les philosophes crieront, le parlement criera, le ministère persécutera les philosophes et cassera le parlement. Alors, dans l'intelligence et dans la matière s'organisera une ligue sourde, une opposition entêtée, tenace, incessante, qui attaquera tout, à toute heure creusera, minera, ébranlera. A la place des parlements, on nommera des juges ; ces juges, nommés par la royauté, feront tout pour la royauté. On les accusera, et à raison, de vénalité, de concussion, d'injustice. Le peuple se soulèvera, et enfin la royauté aura contre elle la philosophie qui est l'intelligence, les parlements qui sont la bourgeoisie, et le peuple qui est le peuple, c'est-à-dire ce levier que cherchait Archimède et avec lequel on soulève le monde.
- Eh bien ! quand tu auras soulevé le monde, il faudra bien que tu le laisses retomber.
- Oui, mais, en retombant, la royauté se brisera.
- Et, quand elle sera brisée, voyons, je veux bien suivre tes images fausses, parler ta langue emphatique, quand elle sera brisée, la royauté vermoulue, que sortira-t-il de ses ruines ?
- La liberté.
- Ah ! les Français seront donc libres ?
- Cela ne peut manquer d'arriver un jour.
- Libres, tous ?
- Tous.
- Il y aura alors en France trente millions d'hommes libres ?
- Oui.
- Et parmi ces trente millions d'hommes libres, tu crois qu'il ne se rencontrera pas un homme un peu mieux fourni de cervelle que les autres, lequel confisquera un beau matin la liberté de ses vingt-neuf millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf concitoyens, pour avoir un peu plus de liberté à lui seul ? Te rappelles-tu ce chien que nous avions à Médine, et qui mangeait à lui seul la part de tous les autres ?
- Oui. mais, un beau jour, les autres se sont unis contre lui et l'ont étranglé.
- Parce que c'étaient des chiens ; des hommes n'eussent rien dit.
- Vous mettez donc l'intelligence de l'homme au-dessous de celle du chien, maître ?
- Dame ! les exemples sont là.
- Et quels exemples ?
- Il me semble qu'il y a eu chez les anciens un certain César Auguste, et chez les modernes un certain olivier Cromwell, qui mordirent ardemment le gâteau romain et le gâteau anglais, sans que ceux auxquels ils l'arrachaient aient dit ou fait grand-chose contre eux.
- Eh bien ! en supposant que cet homme surgisse, cet homme sera mortel, cet homme mourra, et avant de mourir, il aura fait du bien à ceux mêmes qu'il aura opprimés, car il aura changé la nature de l'aristocratie ; obligé de s'appuyer sur quelque chose, il aura choisi la chose la plus forte c'est-à-dire le peuple. A l'égalité qui abaisse, il aura substitué l'égalité qui élève. L'égalité n'a point de barrière fixe, c'est un niveau qui subit la hauteur de celui qui la fait. Or, en élevant le peuple, il aura consacré un principe inconnu jusqu'à lui. La Révolution aura fait les Français libres. le protectorat d'un autre César Auguste ou d'un autre olivier Cromwell les aura faits égaux.
Althotas fit un brusque mouvement sur son fauteuil.
- Oh ! que cet homme est stupide ! s'écria-t-il. Occupez donc vingt ans de votre vie à élever un enfant, à essayer de lui apprendre ce que vous savez, pour que cet enfant, à trente ans, vienne vous dire : « Les hommes seront égaux !... »
- Sans doute, les hommes seront égaux, égaux devant la loi.
- Et devant la mort, imbécile, devant la mort, cette loi des lois, seront-ils égaux, quand l'un mourra à trois jours et quand l'autre mourra à cent ans ? Egaux, les hommes égaux, tant que les hommes n'auront pas vaincu la mort ! oh ! la brute, la double brute !
Et Althotas se renversa pour rire plus librement, tandis que Balsamo, sérieux et sombre, s'asseyait la tête basse.
Althotas le regarda en pitié.
- Je suis donc l'égal, dit-il, du manoeuvre qui mord dans son pain grossier du bambin qui lette sa nourrice, du vieillard hébété qui boit son petit-lait et pleure ses yeux éteints ?... Oh ! malheureux sophiste que tu es, réfléchis donc à une chose, c'est que les hommes ne seront égaux que lorsqu'ils seront immortels ; car, lorsqu'ils seront immortels, ils seront dieux, et il n'y a que les dieux qui soient égaux.
- Immortels ! murmura Balsamo ; immortels ! chimère.
- Chimère ! s'écria Althotas. chimère ! oui, chimère comme la vapeur, chimère comme le fluide, chimère comme tout ce qu'on cherche, qu'on n'a pas découvert et qu'on découvrira. Mais remue donc avec moi la poussière des mondes, mets à nu les unes après les autres ces couches superposées qui chacune représentent une civilisation ; et dans ces couches humaines, dans ce détritus de royaumes, dans ces filons de siècles, que coupe comme des tranches le fer de l'investigation moderne, que lis-tu ? C'est qu'en tout temps les hommes ont cherché ce que je cherche sous les différents titres du mieux, du bien, de la perfection. Et quand cherchaient-ils cela ? Au temps d'Homère, où les hommes vivaient deux cents ans, au temps des patriarches, quand ils vivaient huit siècles. Ils ne l'ont pas trouvé, ce mieux, ce bien, cette perfection : car, s'ils l'eussent trouvé, ce monde décrépit, ce monde serait frais, vierge et rose comme l'aube matinale. Au lieu de cela, la souffrance, le cadavre, le fumier. Est-ce doux, la souffrance ? est-ce beau, le cadavre ? est-ce désirable, le fumier ?
- Eh bien ! dit Balsamo répondant au vieillard, qu'une petite toux sèche venait d'interrompre ; eh bien ! vous dites que personne n'a trouvé encore cet élixir de vie. Je vous dis, moi, que personne ne le trouvera. Confessez Dieu.
- Niais ! personne n'a trouvé tel secret ; donc, personne ne le trouvera. A ce compte, il n'y aurait jamais eu de découvertes. Or, crois-tu que les découvertes soient des choses nouvelles qu'on invente ? Non, ce sont des choses oubliées qu'on retrouve. Et pourquoi les choses une fois trouvées s'oublient-elles ? Parce que la vie est trop courte pour que l'inventeur puisse tirer de son invention toutes les déductions qu'elle enferme. Vingt fois, cet élixir de vie, on a failli le trouver. Crois-tu que le Styx soit une imagination d'Homère ? Crois-tu que cet Achille presque immortel, puisqu'il n'est vulnérable qu'au talon, soit une fable ? Non. Achille était l'élève de Chiron comme tu es le mien. Chiron veut dire supérieur ou pire. Chiron était un savant qu'on représente sous la forme d'un centaure, parce que sa science avait doué l'homme de la force et de la légèreté du cheval. Eh bien ! il avait à peu près trouvé l'élixir d'immortalité, lui aussi. Il lui manquait peut-être à lui aussi, comme à moi, que ces trois gouttes de sang que tu me refuses. Ces trois gouttes de sang absentes ont rendu Achille vulnérable au talon ; la mort a trouvé un passage, elle est entrée. Oui, je le répète, Chiron l'homme universel, l'homme supérieur, l'homme pire, n'est qu'un autre Althotas empêché par un autre Acharat de compléter l'oeuvre qui eût sauvé l'humanité tout entière, en l'arrachant à l'effet de la malédiction divine. Eh bien ! qu'as-tu à dire à cela ?
- Je dis, répondit Balsamo, visiblement ébranlé, je dis que j'ai mon oeuvre et que vous avez la vôtre. Accomplissons-la, chacun de notre côté, et à nos risques et périls. Je ne vous seconderai pas par un crime.
- Par un crime ?
- Oui, et quel crime encore ! un de ceux qui lancent après vous toute une population aboyante ; un crime qui vous fait accrocher à ces potences infâmes dont votre science n'a pas encore plus garanti les hommes supérieurs que les hommes pires.
Althotas frappa de ses deux mains sèches sur la table de marbre.
- Voyons, voyons, dit-il, ne sois pas un idiot humanitaire, la pire race d'idiots qui existe au monde. Voyons, viens, et causons un peu de la loi, de ta brutale et absurde loi écrite par des animaux de ton espèce, que révolte une goutte de sang versée intelligemment, mais qu'affriandent des torrents de liqueur vitale répandus sur les places publiques, au pied des remparts des villes, dans ces plaines qu'on appelle des champs de bataille ; de ta loi toujours inepte et égoïste qui sacrifie l'homme de l'avenir à l'homme présent, et qui a pris pour devise : « Vive aujourd'hui, meure demain ! » Causons de cette loi, veux-tu ?
- Dites ce que vous avez à dire, je vous écoute, répondit Balsamo de plus en plus sombre.
- As-tu un crayon, une plume ? Nous allons faire un petit calcul.
- Je calcule sans plume et sans crayon. Dites ce que vous avez à dire, dites.
- Voyons ton projet. Oh ! je me le rappelle... tu renverses un ministère, tu casses les parlements, tu établis des juges iniques, tu amènes une banqueroute, tu fomentes des révoltes, tu allumes une révolution, tu renverses une monarchie, tu laisses s'élever un protectorat, et tu précipites le protecteur. La Révolution t'aura donné la liberté ; le protectorat, l'égalité. Or, les Français étant libres et égaux, ton oeuvre est accomplie. N'est-ce pas cela ?
- Oui ; regardez-vous la chose comme impossible ?
- Je ne crois pas à l'impossibilité. Tu vois que je te fais beau jeu, moi !
- Eh bien ?
- Attends ; d'abord, la France n'est pas comme l'Angleterre, où l'on fit tout ce que tu veux faire, plagiaire que tu es ; la France n'est pas une terre isolée où l'on puisse renverser les ministères, casser les parlements, établir des juges iniques, amener une banqueroute, fomenter des révoltes, allumer des révolutions, renverser des monarchies, élever des protectorats et culbuter les protecteurs, sans que les autres nations se mêlent un peu de ces mouvements. La France est soudée à l'Europe, comme le foie aux entrailles de l'homme ; elle a des racines chez toutes les nations, des fibres chez tous les peuples ; essaye d'arracher le foie à cette grande machine qu'on appelle le continent européen, et pendant vingt ans, trente ans, quarante ans peut- être, tout le corps frémira ; mais je cote au plus bas, et je prends vingt ans ; est-ce trop ? réponds, sage philosophe.
- Non, ce n'est pas trop, dit Balsamo, ce n'est pas même assez.
- Eh bien ! moi, je m'en contente. Vingt ans de guerre, de lutte acharnée, mortelle, incessante ; voyons, je mets cela à deux cent mille morts par année ce n'est pas trop quand on se bat à la fois en Allemagne, en Italie, en Espagne, que sais-je, moi ! Deux cent mille hommes par année, pendant vingt ans, cela fait quatre millions d'hommes. en accordant à chaque homme dix-sept livres de sang, c'est à peu près le compte de la nature, cela fait, multipliez... 17 par 4, voyons... cela fait soixante-huit millions de livres de sang versé pour arriver à ton but. Moi, je t'en demandais trois gouttes. Dis maintenant quel est le fou, le sauvage, le cannibale de nous deux ?... Eh bien ! tu ne réponds pas ?
- Si fait, maître, je vous réponds que ce ne serait rien, trois gouttes de sang, si vous étiez sûr de réussir.
- Et toi, toi qui en répands soixante-huit millions de livres, es-tu sûr ? Dis ! Alors lève-toi, et, la main sur ton coeur, réponds : « Maître, moyennant ces quatre millions de cadavres, je garantis le bonheur de l'humanité. »
- Maître, dit Balsamo en éludant la réponse, maître, au nom du ciel, cherchez autre chose.
- Ah ! tu ne réponds pas, tu ne réponds pas ? s'écria Althotas triomphant.
- Vous vous abusez, maître, sur l'efficacité du moyen : il est impossible.
- Je crois que tu me conseilles, je crois que tu me nies, je crois que tu me démens, dit Althotas roulant avec une froide colère ses yeux gris sous ses sourcils blancs.
- Non, maître, mais je réfléchis, moi qui vis chacun de mes jours en contact avec les choses de ce monde, en contradiction avec les hommes, en lutte avec les princes, et non pas, comme vous, séquestré dans un coin, indifférent à tout ce qui se passe, à tout ce qui se défend, ou à tout ce qui s'autorise, pure abstraction du savant et du citateur ; moi, enfin, qui sais les difficultés, je les signale, voilà tout.
- Ces difficultés, tu les vaincrais bien vite si tu voulais.
- Dites si je croyais.
- Tu ne crois donc pas ?
- Non, dit Balsamo.
- Tu me tentes, tu me tentes, s'écria Althotas.
- Non, je doute.
- Eh bien ! voyons ; crois-tu a la mort ?
- Je crois à ce qui est. Or, la mort est.
Althotas haussa les épaules.
- Donc, la mort est, dit-il ; c'est un point que tu ne contestes pas ?
- C'est une chose incontestable.
- C'est une chose infinie, invincible, n'est-ce pas ? ajouta le vieux savant avec un sourire qui fit frissonner son adepte.
- Oh ! oui, maître, invincible, infinie surtout.
- Et quand tu vois un cadavre, la sueur te monte au front, le regret te vient au coeur ?
- La sueur ne me monte pas au front, parce que je suis familiarisé avec toutes les misères humaines ; le regret ne me vient pas au coeur, parce que j'estime la vie peu de chose ; mais je me dis en présence du cadavre : « Mort ! mort ! tu es puissante comme Dieu ! tu règnes souverainement, ô mort ! et nul ne prévaut contre toi ! »
Althotas écouta Balsamo en silence et sans donner d'autre signe d'impatience que de tourmenter un scalpel entre ses doigts ; et, lorsque son élève eut achevé la phrase douloureuse et solennelle, le vieillard jeta en souriant un regard autour de lui, et ses yeux, si ardents, qu'il semblait que pour eux la nature ne dût point avoir de secrets, ses yeux s'arrêtèrent sur un coin de la salle où, couché sur quelques brins de paille, tremblait un pauvre chien noir, le seul qui restât de trois animaux de même espèce qu'Althotas avait demandé pour ses expériences, et que Balsamo lui avait fait apporter.
- Prends ce chien, dit Althotas à Balsamo, et apporte-le sur cette table.
Balsamo obéit ; il alla prendre le chien noir et l'apporta sur le marbre.
L'animal, qui semblait pressentir sa destinée, et qui déjà sans doute s'était rencontré sous la main de l'expérimentateur, se mit à frissonner, à se débattre et à hurler lorsqu'il sentit le contact du marbre.
- Eh ! eh ! dit Althotas, tu crois à la vie, n'est-ce pas, puisque tu crois à la mort ?
- Sans doute.
- Voilà un chien qui me paraît très vivant, qu'en dis-tu ?
- Assurément, puisqu'il crie, puisqu'il se débat, puisqu'il a peur.
- Que c'est laid, les chiens noirs ! Tâche, la première fois, de m'en procurer de blancs.
- J'y tâcherai.
- Ah ! nous disons donc que celui-ci est vivant ! Aboie, petit, ajouta le vieillard avec son rire lugubre, aboie, pour convaincre le seigneur Acharat que tu es vivant.
Et il toucha le chien du doigt sur un certain muscle, et le chien aboya, ou plutôt gémit aussitôt.
- Bon ! avance la cloche ; c'est cela : introduis le chien dessous... Là !... A propos, j'oubliais de te demander à quelle mort tu crois le mieux.
- Je ne sais ce que vous voulez dire, maître ; la mort est la mort.
- C'est juste, très juste, ce que tu viens de me dire là, et c'est mon avis, à moi aussi. Eh bien ! puisque la mort est la mort, fais le vide, Acharat.
Balsamo tourna une roue qui dégagea par un tuyau l'air enfermé sous la cloche avec le chien, et peu à peu l'air s'enfuit avec un sifflement aigu. Le petit chien s'inquiéta d'abord, puis il chercha fouilla, leva la tête, respira bruyamment et précipitamment, et enfin il tomba suffoqué, gonflé, inanimé.
- Voilà le chien mort d'apoplexie, n'est-ce pas ? dit Althotas. Une belle mort qui ne fait pas souffrir longtemps !
- Oui.
- Il est bien mort ?
- Sans doute.
- Tu ne me parais pas bien convaincu, Acharat ?
- Si fait, au contraire.
- Oh ! c'est que tu connais mes ressources, n'est-ce pas ? Tu supposes que j'ai trouvé l'insufflation, hein ? cet autre problème qui consiste à faire circuler la vie avec l'air dans un corps intact, comme on le peut faire dans une outre qui n'est pas percée ?
- Non, je ne suppose rien ; je crois que le chien est mort, voilà tout.
- N'importe, pour plus grande sécurité, nous allons le tuer deux fois. Lève la cloche, Acharat.
Acharat enleva l'appareil de cristal, le chien ne bougea point ; ses paupières étaient closes, son coeur ne battait plus.
- Prends ce scalpel, et, tout en laissant le larynx intact, tranche-lui la colonne vertébrale.
- C'est uniquement pour vous obéir.
- Et aussi pour achever le pauvre animal, au cas où il ne serait pas tout à fait mort, répondit Althotas avec ce sourire d'opiniâtreté particulier aux vieillards.
Balsamo donna un seul coup de la lame tranchante. L'incision sépara la colonne vertébrale à deux pouces du cervelet à peu près, et ouvrit une large plaie sanglante.
L'animal ou plutôt le cadavre de l'animal demeura immobile.
- Oui, ma foi, il était bien mort, dit Althotas ; pas une fibre ne tressaille, pas un muscle ne frémit, pas un atome de chair ne s'insurge contre ce nouvel attentat. N'est-ce pas, il est mort, et bien mort ?
- Je le reconnais autant de fois que vous désirerez que je le reconnaisse, dit Balsamo impatient.
- Et voilà un animal inerte, glacé, à jamais immobile. Rien ne prévaut contre la mort, as-tu dit ? Nul n'a la puissance de rendre la vie ni même l'apparence de la vie à la pauvre bête ?
- Nul, si ce n'est Dieu !
- Oui, mais Dieu ne sera pas assez inconséquent pour le faire. Quand Dieu tue, comme il est la suprême sagesse, c'est qu'il a une raison ou un bénéfice à tuer. Un assassin, je ne sais plus comment on l'appelle, un assassin disait cela, et c'était fort bien dit. La nature a un intérêt dans la mort.
- Ainsi voilà un chien aussi mort que possible, et la nature a pris son intérêt sur lui.
Althotas attacha son oeil perçant sur Balsamo. Celui-ci, fatigué d'avoir soutenu si longtemps le radotage du vieillard, inclina la tête pour toute réponse.
- Eh bien ! que dirais-tu, continua Althotas, si ce chien ouvrait l'oeil et te regardait ?
- Cela m'étonnerait beaucoup, maître, répondit Balsamo en souriant.
- Cela t'étonnerait ? Ah ! c'est bien heureux !
En achevant ces paroles avec son rire faux et lugubre, le vieillard attira près du chien un appareil composé de pièces de métal séparées par des tampons de drap. Le drap de cet appareil trempait dans un mélange d'eau acidulée ; les deux extrémités ou les deux pôles, comme on les appelle, sortaient du baquet.
- Quel oeil veux-tu qu'il ouvre, Acharat ? demanda le vieillard.
- Le droit.
Les deux extrémités rapprochées, mais séparées l'une de l'autre par un morceau de soie, s'arrêtèrent sur un muscle du cou.
Aussitôt l'oeil droit du chien s'ouvrit, et regarda fixement Balsamo, qui recula effrayé.
- Maintenant passons à la gueule, veux-tu ?
Balsamo ne répondit rien, il était sous l'empire d'un profond étonnement.
Althotas toucha un autre muscle, et à la place de l'oeil, qui s'était refermé, ce fut la gueule qui s'ouvrit, laissant voir les dents blanches et aigus, à la racine desquelles la gencive rouge frémissait comme dans la vie.
Balsamo eut peur et ne put cacher son émotion.
- Oh ! voilà qui est étrange ! dit-il.
- Vois comme la mort est peu de chose, dit Althotas triomphant de la stupéfaction de son élève, puisqu'un pauvre vieillard comme moi, qui va lui appartenir bientôt, la fait dévier de son inexorable chemin.
Et tout à coup, avec un rire strident et nerveux :
- Prends garde, Acharat, dit-il, voilà un chien mort qui tout à l'heure voulait te mordre, et qui maintenant va courir après toi ; prends garde !
Et en effet, le chien, avec son cou tranché, sa gueule béante et son oeil tressaillant, se leva soudain sur ses quatre pattes, et, la tête hideusement pendante, vacilla sur ses jambes.
Balsamo sentit ses cheveux se hérisser ; la sueur lui tomba du front, et il alla à reculons se coller contre la porte d'entrée, incertain s'il devait fuir ou demeurer.
- Allons, allons, je ne veux pas te faire mourir de peur en essayant de t'instruire, dit Althotas repoussant le cadavre et la machine, assez d'expériences comme cela.
Aussitôt le cadavre, cessant d'être en rapport avec la pile, retomba morne et immobile comme auparavant.
- Aurais-tu cru cela de la mort, Acharat ? et la croyais-tu d'aussi bonne composition ? Dis.
- Etrange, en effet, étrange ! dit Balsamo en se rapprochant.
- Tu vois qu'on peut arriver à ce que je disais, mon enfant, et que le premier pas est fait. Qu'est-ce que prolonger la vie, quand on est déjà parvenu à annuler la mort ?
- Mais on ne le sait pas encore, objecta Balsamo, car cette vie que vous lui avez rendue est une vie factice.
- Ayons du temps et nous retrouverons la vie réelle. N'as-tu pas lu dans les poètes romains que Cassidée rendait la vie aux cadavres ?
- Dans les poètes, oui.
- Les Romains appelaient les poètes vates, mon ami, n'oublie pas cela.
- Voyons, dites-moi cependant...
- Une objection encore ?
- Oui. Si votre élixir de vie était composé et que vous en fissiez prendre à ce chien, il vivrait donc éternellement ?
- Sans doute.
- Et s'il tombait dans les mains d'un expérimentateur comme vous qui l'égorgeât ?
- Bon, bon ! s'écria le vieillard avec joie et en frappant ses deux mains l'une contre l'autre, voilà où je t'attendais.
- Alors, si vous m'attendiez là, répondez-moi.
- Je ne demande pas mieux.
- L'élixir empêchera-t-il une cheminée de tomber sur une tête, une balle de percer un homme d'outre en outre, un cheval d'ouvrir d'un coup de pied le ventre de son cavalier ?
Althotas regardait Balsamo du même oeil qu'un spadassin doit regarder son adversaire dans un coup qui va lui permettre de le toucher.
- Non, non, non, dit-il, et tu es vraiment logicien, mon cher Acharat. Non, la cheminée, non, la balle, non, le coup de pied de cheval, ne pourront pas être évités tant qu'il y aura des maisons, des fusils et des chevaux.
- Il est vrai que vous ressusciterez les morts.
- Momentanément, oui ; indéfiniment, non. Il faudrait d'abord pour cela que je trouvasse l'endroit du corps où l'âme est logée, et cela pourrait être un peu long ; mais j'empêcherai cette âme de sortir du corps par la blessure qui aura été faite.
- Comment cela ?
- En la refermant.
- Même si cette blessure tranche une artère ?
- Sans doute.
- Ah ! je voudrais voir cela.
- Eh bien ! regarde, dit le vieillard.
Et, avant que Balsamo eût pu l'arrêter, il se piqua la veine du bras gauche avec une lancette.
Il restait si peu de sang dans le corps du vieillard, et ce sang roulait si lentement, qu'il fut quelque temps à venir aux lèvres de la plaie ; mais enfin il y vint, et, ce passage ouvert, il sortit bientôt abondamment.
- Grand Dieu ! s'écria Balsamo.
- Eh bien ! quoi ? dit Althotas.
- Vous êtes blessé, et grièvement.
- Puisque tu es comme saint Thomas, et que tu ne crois qu'en voyant et qu'en touchant, il faut bien te faire voir, il faut bien te faire toucher.
Il prit alors une petite fiole qu'il avait placée à la portée de sa main, et, en versant quelques gouttes sur la plaie :
- Regarde, dit-il.
Alors, devant cette eau presque magique, le sang s'écarta, la chair se resserra, fermant la veine, et la blessure devint une piqûre trop étroite pour que cette chair coulante qu'on appelle le sang pût s'en échapper.
Cette fois, Balsamo regardait le vieillard avec stupéfaction.
- Voilà encore ce que j'ai trouvé ; qu'en dis-tu, Acharat ?
- Oh ! je dis, maître, que vous êtes le plus savant des hommes.
- Et que, si je n'ai pas vaincu tout à fait la mort, n'est-ce pas ? je lui ai du moins porté un coup dont il lui sera difficile de se relever. Vois-tu, mon fils, le corps humain a des os fragiles et qui peuvent se briser : je rendrai ces os aussi durs que l'acier ; le corps humain a du sang qui, lorsqu'il s'échappe, emmène avec lui la vie : j'empêcherai que le sang ne sorte du corps ; la chair est molle et facile à entamer, je la rendrai invulnérable comme celle des paladins du moyen âge, sur laquelle s'émoussait le fil des épées et le tranchant des haches. il ne faut pour cela qu'un Althotas qui vive trois cents ans. Eh bien ! donne-moi ce que je te demande, et j'en vivrai mille. Oh ! mon cher Acharat, cela dépend de toi. Rends-moi ma jeunesse, rends-moi la vigueur de mon corps, rends-moi la fraîcheur de mes idées, et tu verras si je crains l'épée, la balle, le mur qui croule, ou la bête brute qui mord ou qui rue. A ma quatrième jeunesse, Acharat, c'est-à-dire avant que j'aie vécu l'âge de quatre hommes, j'aurai renouvelé la face de la terre, et, je te le dis, j'aurai fait pour moi et pour l'humanité régénérée un monde à mon usage, un monde sans cheminées, sans épées, sans balles de mousquet, sans chevaux qui ruent ; car alors, les hommes comprendront qu'il vaut mieux vivre, s'entraider, s'aimer, que de se déchirer et de se détruire.
- C'est vrai, ou du moins c'est possible, maître.
- Eh bien ! apporte-moi l'enfant, alors.
- Laissez-moi réfléchir encore, et réfléchissez vous-même.
Althotas lança à son adepte un regard de souverain mépris.
- Va ! dit-il, va, je te convaincrai plus tard. et d'ailleurs, le sang de l'homme n'est pas un ingrédient Si précieux qu'il ne puisse se remplacer peut-être par une autre matière. Va ! je chercherai, je trouverai. Je n'ai pas besoin de toi, va !
Balsamo frappa du pied la trappe, et descendit dans l'appartement inférieur, muet, immobile, et tout courbé sous le génie de cet homme, qui forçait de croire aux choses impossibles, en faisant lui-même des choses impossibles.

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