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Chapitre LXVII


Le moment de la délivrance arriva. La couche fut horrible, la malheureuse femme souffrit trois jours et trois nuits des douleurs inouïes ; le roi ne la quitta pour ainsi dire pas, et madame de Mailly, établie à côté d'elle, ne permit à personne de lui rendre les offices de son amitié. Les autres soeurs parurent à peine.
Elle fut enfin délivrée, et mit au monde un garçon qui fut nommé le comte de Luc. Sa ressemblance avec le roi était frappante : elle n'a été qu'en augmentant, et, parvenu à l'âge d'homme, on lui donna le surnom de Demi- Louis. Je crois qu'il vit encore. Louis XV l'a toujours aimé, de préférence même à ses enfants légitimes. Il n'a reconnu aucun de ses bâtards, l'exemple de son aïeul l'avait instruit, mais celui-là fut traité d'une façon spéciale. Mesdames ont eu pour lui mille bontés ; elles ont constamment veillé à sa fortune, à laquelle, du reste, son auguste père avait largement pourvu.
Le lendemain de la couche, madame de Vintimille se trouva mieux ; on la crut sauvée : elle tenait doublement à la vie et voulait oublier ses pressentiments. Elle me fit écrire par une de ses femmes et me pria de la venir voir un instant pour admirer comment elle se portait à merveille et comment ses prévisions en avaient menti. Je vins en effet.
Sa lettre était datée de la veille, je l'avais reçue le matin seulement, et je fis diligence. J'allais alors assez souvent à Versailles et je m'y étais procuré un pied-à-terre.
En entrant dans l'antichambre de la marquise, je trouvai plusieurs laquais silencieux et à mine assez allongée. Je demandai de ses nouvelles. On me répondit qu'elle était fort mal et que je ne pourrais probablement pas la voir.
- Comment ! m'écriai-je, elle m'a fait écrire hier ; elle allait à merveille !
- Oui, madame ; mais, cette nuit, il y a eu une crise terrible ; il a fallu chercher tous les médecins : ils ont déclaré qu'elle ne passerait pas la journée, à moins d'un miracle.
Cette nouvelle me frappa comme un coup de foudre. Cette pauvre femme, si jeune, si pleine d'intelligence, si aimée et si puissante ! Je me rappelai ses pressentiments et j'en demeurai frappée. Pourtant je ne voulus pas renoncer au bonheur de la voir encore, et j'insistai.
On me dit que, si le roi était près d'elle il ne serait pas possible de me recevoir, mais que peut-être, à cette heure, il était rentré chez lui et qu'alors on m'introduirait.
Le laquais alla s'informer et revint. Madame de Mailly me priait d'entrer un instant : elle était seule près de la malade. Elle savait son amitié pour moi, celle que je lui portais, et croyait remplir sa volonté en ne me refusant pas, puisqu'elle m'avait appelée.
Quel spectacle offrait cette chambre ! Cette idole de la fortune tombée au milieu du luxe, entourée de tout ce qui pouvait rendre sa vie agréable et heureuse. Cette mort, plus puissante que la science, plus puissante que le plus puissant roi de la terre, lui enlevait sa bien-aimée, alors qu'il aurait sacrifié ses trésors pour la conserver ! Cet enfant royal né au milieu des douleurs, pleurant dans son berceau doré, comme le pauvre sur la paille humide ! Les idées philosophiques m'arrivèrent à l'imagination ; je restais muette devant ce tableau et je ne trouvais pas une parole, par la multitude de mes pensées.
Madame de Mailly s'avança au-devant de moi sans dire un mot ; elle me montra sa soeur par un geste d'une éloquence de coeur admirable. La marquise était étendue inanimée, mourante, sans connaissance ; son âme était-elle encore là ? Je ne sais. Son visage me parut d'une singulière couleur, elle ressemblait à un marbre jaune et vert. Je fis un mouvement de surprise et de chagrin ; il n'échappa pas à la comtesse.
- Oui, me dit-elle à voix basse, ils l'ont tuée ; vous le croyez, n'est-ce pas ?
- Si cela est, madame, il faut en tirer une éclatante vengeance.
- La venger ! Et sur qui ? où trouver les coupables ? Non, madame, il ne faut pas la venger ; il faut prier Dieu de nous pardonner à tous, pécheurs, et de nous rendre sa grâce. Ma pauvre soeur n'a pu recevoir aucun sacrement.
Cet accès de dévotion ne m'étonna pas chez madame de Mailly : les âmes tendres ont toujours un coin dans le coeur pour le bon Dieu. Il les attend lorsque les hommes les abandonnent, et il est rare qu'elles manquent à ce rendez-vous. Madame de Mailly n'y manqua pas.
Je regardai longtemps ce visage si plein de vie et d'animation autrefois, et maintenant devenu une matière inerte. Je fus plutôt frappée qu'émue. Mon esprit et mes pensées étaient en jeu plus que mes sentiments. Je demeurai quelques minutes, et je me retirai. Madame de Mailly fut fort honnête, autant que son affliction le lui permit. Je suis sûre qu'il ne lui vint pas une idée personnelle. La mort de sa soeur allait lui rendre le roi ; elle n'y songea même pas.
Je la quittai et je retournai à Paris. Dans la journée, madame de Vintimille était morte.
Le soupçon d'empoisonnement se répandit partout ; quant à moi, j'en suis convaincue, je dois le dire. Elle et madame de Châteauroux ont payé de leur vie ce dangereux bonheur d'être aimées d'un roi et de vouloir le mener à la postérité sur les ailes de la gloire, selon le style des poètes. Les dernières maîtresses de Louis XV ont fait ce qu'elles ont voulu en France, parce qu'elles n'avaient pas de rivaux. Madame de Pompadour surtout, car, pour la pauvre du Barry, elle ne demandait pas mieux que de ne pas se mêler des affaires de l'Etat. Je l'ai rencontrée une fois, chez le duc d'Aiguillon, depuis la mort de Louis XV ; elle nous a fait une confession bien drôle et bien amusante.
- Mon Dieu ! madame, dit-elle, demandez au cher duc s'il ne fallait pas me pousser pour que je m'occupasse des ministres et des parlements. Je ne songeais qu'à m'amuser, à avoir de belles robes, des joyaux et des plumes. Ce n'était pas mon métier, la politique, et ma plus grande joie était lorsque le roi fermait la porte et défendait qu'on nous ennuyât.
- Est-il vrai, madame, que vous l'appeliez la France ?
- A vous, madame, qui êtes une femme d'esprit, je puis tout avouer, vous le comprendrez. Oui, cela est vrai, et cela l'amusait beaucoup... Quand je jurais, il était ravi ; il me répétait toute la journée que les grandes dames et les révérences l'ennuyaient, et qu'il mourrait de chagrin s'il ne m'avait pas. Il avait aussi bien de l'esprit, Louis XV, allez !
J'ai souvent regretté, et lui aussi, que les gens d'esprit de son royaume ne pussent pas l'entendre et le connaître, tout eût marché différemment.
Elle avait peut-être raison !

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