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Chapitre XIV
Le mendiant

La pêche n'est un plaisir qu'à la condition d'être une passion ; cependant, comme tout ici-bas, elle a ses entraînements. Marius, si peu disposé qu'il fût à les éprouver, les avait subis.

Les poissons avaient livré aux deux hameçons qui garnissaient sa ligne des assauts si multipliés, que, tout entier à l'occupation de les décrocher, de les hâler et de remettre à l'eau les trente ou quarante brasses de cordelette qui forment ce que l'on appelle une palangrotte, il n'avait point songé à Madeleine avec autant de persistance qu'il s'était mentalement promis de le faire.

Mais, pendant le trajet des îles de Riou à Montredon, ce fut tout autre chose, et cela par bien des raisons différentes.

L'âme du jeune homme éprouvait un remords véritable en reconnaissant que son amour, si violent qu'il l'eût cru, s'était laissé primer par une futile distraction ; il comparait les grossières jouissances auxquelles il avait cédé aux joies ineffables que lui eussent procurées quelques secondes d'entretien avec Madeleine, au bonheur de l'entrevoir furtivement derrière ses jalousies, et il rougissait, et il était sur le point de succomber à la tentation de jeter à la mer lignes et poissons, les complices ou les provocateurs de sa faute.

Il ressentait, en outre, une appréhension qui se traduisait par une angoisse douloureuse.

Lorsque Mlle Riouffe, dans les solitudes du promontoire, lui eut avoué qu'elle l'aimait, les deux jeunes gens immédiatement, et comme conséquence de leur inclination mutuelle, avaient, en rentrant à Montredon, échafaudé leurs projets d'avenir. L'affection que Madeleine portait à son ami était si pure, que, ces promesses étant établies, elle trouva tout naturel de permettre à Marius de franchir le mur qui séparait les deux jardins pour venir auprès d'elle. Le dimanche précédent, à l'heure où tout dormait dans le cabanon de M. Coumbes, le fils de Millette s'était introduit chez la voisine, et il avait passé de bien doux instants à ses pieds, lui répétant ces charmants serments d'amour, aussi délicieux à prononcer qu'à entendre. Pendant toute la semaine, il avait vécu sur l'espérance que le dimanche qui allait venir ressemblerait au dimanche précédent, et, comme, le matin, la brusque irruption de M. Coumbes dans le jardin l'avait empêché d'avertir Madeleine de son absence, il tremblait qu'elle n'attribuât cette absence à une indifférence si éloignée des sentiments qu'il ressentait pour elle ; il redoutait de voir s'évanouir les beaux rêves qu'il avait, pendant huit jours, si tendrement caressés.

Le soleil baissait à l'horizon : déjà il teignait de pourpre et d'or les cimes de Pomègue et les blanches murailles du château d'If ; la journée touchait à sa fin, et, subissant les impressions que nous venons de décrire, le jeune homme se courbait sur les avirons pour faire franchir à la lourde barque la distance qui la séparait encore du logis.

M. Coumbes considérait d'un œil narquois les efforts de son filleul, et, sous le spécieux prétexte que la saveur de la bouillabaisse croît en raison directe de la fraîcheur du poisson, il l'exhortait à les redoubler ; ce qui ne l'empêcha pas, lorsqu'ils eurent pris terre et quand Marius déjà s'élançait pour regagner le cabanon, de le retenir afin de compléter, par la pratique, la théorie d'un art que, depuis le matin, il ne cessait de lui exposer, afin de lui démontrer que ce n'était rien de savoir prendre du poisson, si à ce premier talent on ne joignait celui de soigner les outils qui servent à l'attraper.

Force fut donc au pauvre garçon d'aider l'ex-portefaix à tirer la barque sur la grève assez loin pour qu'elle fût à l'abri d'un coup de mer, de la vider, de la nettoyer, puis enfin de l'assujettir par des amarres multipliées ; et encore M. Coumbes prit-il à tâche d'apporter dans ces détails préservateurs et conservateurs une lenteur solennelle qui doublait l'impatience qu'éprouvait son filleul.

Enfin, lorsque le bonhomme eut chargé l'apprenti pêcheur des divers paniers qui contenaient les ustensiles et le poisson, lorsque à ce fardeau déjà raisonnable il eut ajouté les avirons, les crocs, le grappin et le gouvernail du bateau, il lui permit de s'acheminer vers le cabanon.

Le premier soin de Marius, en y arrivant, fut de monter à sa chambre afin de jeter un coup d'œil dans la propriété de sa bien-aimée.

– Hélas ! en vain il la fouilla du regard dans toute son étendue, en vain il scruta les massifs, qui, par cet heureux privilège du climat, conservaient, malgré la saison, leur mystérieuse épaisseur ; celle qu'il cherchait ne lisait pas à l'abri de leur dôme de verdure, elle ne suivait pas les étroites allées que tant de fois il l'avait vue parcourir lorsqu'elle se promenait rêveuse et qu'il était si loin de soupçonner qu'il pût être pour quelque chose dans ses rêveries ; le jardin était désert ; le fusain, les lauriers du bosquet où tant de doux propos s'étaient échangés, avaient pris, il le lui sembla, des attitudes mornes et désolées ; il n'était pas jusqu'au chalet lui-même, avec ses volets rigoureusement fermés, qui ne lui parût avoir acquis depuis la veille une physionomie funèbre.

Le cœur de Marius se serra ; il vit ses pressentiments justifiés. C'était là l'image de la désolation dont le cœur de celle qu'il aimait était le théâtre, et cette désolation, c'était cette maudite absence qui l'avait causée. Il appela de tous ses désirs les ombres bienveillantes qui, en masquant son escalade, lui permettraient d'aller se justifier auprès de Madeleine ; les heures qui devaient s'écouler jusqu'au moment où elles envelopperaient les deux cabanons lui semblèrent devoir être d'une longueur désespérante.

M. Coumbes, en revanche, fut gai ; il assaisonna le dîner de mille plaisanteries qui faisaient ouvrir de grands yeux à Millette ; aux sourcils froncés de son filleul, à la persistance de son mutisme, au désespoir peint sur sa physionomie, le maître du cabanon avait jugé qu'il était suffisamment monté pour ne pas manquer de rendre sa visite au jardin de M. Riouffe ; il se frottait joyeusement les mains en songeant au coup de théâtre qu'il avait si habilement ménagé, à l'humiliation que les révélations qui en seraient la conséquence feraient subir à son ennemi M. Jean, à la bonne leçon que recevrait, par suite, la présomption de Marius.

Pour laisser le champ libre à ce dernier, à l'issue du repas, M. Coumbes annonça que, la soirée étant belle, il en profiterait pour reprendre la mer et placer des filets sur la côte.

Le jeune homme tremblait que son parrain n'eût l'idée de l'associer pour la seconde fois à ses projets ; mais M. Coumbes, paraissant pris d'une superbe tendresse pour Millette, annonça à celle-ci qu'il n'aurait pas la cruauté de la priver de nouveau de la compagnie de son cher enfant.

Aussitôt qu'il se fut éloigné, Marius remonta à son observatoire ; ses investigations n'eurent pas plus de succès que les premières ; cependant il reconnut que, depuis sa précédente visite, les fenêtres du rez-de-chaussée du chalet avaient été ouvertes ; il en conclut que Madeleine, indignée de sa froideur, ou malade peut-être, se tenait renfermée dans ses appartements ; ces deux suppositions confirmaient sa résolution d'aller la trouver, dût-il, pour arriver jusqu'à elle, pénétrer dans la maison, et cela aussitôt que la nuit serait venue. En attendant, il revint auprès de sa mère, qui se promenait dans le jardin.

Nous avons dit précédemment quelles étaient les préoccupations de Millette ; elles redoublaient à mesure que l'on approchait du moment fatal ; vingt fois elle avait été tentée de raconter à son fils la triste histoire de sa vie, toujours le courage lui avait manqué au moment de parler. Si bien qu'au fond, Marius continuait de se croire le fils de M. Coumbes.

L'occasion de délivrer son âme de l'anxiété qui l'oppressait depuis plusieurs mois, se présentait trop favorablement pour que Millette ne songeât pas une fois de plus à faire à son fils cette douloureuse confidence.

Elle suivait ce que M. Coumbes appelait pompeusement l'avenue et ce qui n'était en réalité, qu'une médiocre allée traversant le clos dans toute sa longueur et aboutissant à la rue ; elle scrutait sa conscience, elle cherchait ce qui pouvait servir d'excuse à une faute dont, à présent, elle appréciait les funestes conséquences ; elle se demandait ce qu'elle pourrait répondre à son fils si celui-ci lui reprochait de n'avoir pas su conserver son honneur, le seul bien qu'il eût à attendre d'elle.

à l'extrémité de l'avenue, puisqu'il faut l'appeler par son nom, M. Coumbes avait planté quelques douzaines de pins qui, malgré l'acharnement qu'ils mettaient à vivre, n'étaient jamais parvenus à élever ce qu'il faut bien aussi désigner par le mot de cimes, à la hauteur du mur qui les entourait. Il va sans dire que le propriétaire du cabanon nommait sa pinède ce fagot d'arbustes tordus et rabougris, ni plus ni moins que si elle eût eu cent arpents.

L'ex-portefaix n'avait pu posséder un semblant d'ombrage sans penser à en tirer tout le parti possible. Il avait donc établi un banc dans cette pinède et la tâche n'était pas facile, les pins les plus élevés représentant exactement un parapluie dont le manche aurait été fiché en terre. Cependant, en courbant raisonnablement sa tête, en recroquevillant ses jambes, on pouvait s'asseoir sur le banc de M. Coumbes. La position n'était pas des plus commodes ; mais, comme, en somme, à l'exception des alentours du figuier que M. Coumbes se réservait, c'était là le seul endroit où l'on connût un semblant d'ombre ; comme, de ce banc placé à deux pas de la grille, on voyait les rares passants qui traversaient la route, Millette, que son maître n'avait point gâtée sur le chapitre des distractions, avait pris l'habitude de venir chaque jour y raccommoder le linge du ménage.

Millette venait de s'asseoir toute pensive à sa place favorite lorsque Marius la rejoignit ; en le voyant venir, elle sentit ses angoisses redoubler ; deux larmes perlèrent à ses cils, puis descendirent lentement le long de ses joues, que la douleur rendait plus pâles : elle prit les mains de son fils ; suffoquée par l'émotion, elle ne put parler, mais elle lui fit signe de se placer auprès d'elle.

Sous l'impression de tristesse qui dominait le jeune homme, l'affliction de sa mère lui fut plus sensible encore qu'elle ne l'eût été dans des circonstances ordinaires ; il la supplia de lui confier le secret de ses peines.

Pour toute réponse, Millette se jeta au cou de son fils et l'embrassa avec une énergie tout à la fois désespérée et suppliante.

Marius redoubla ses instances.

– Qu'avez-vous, mère ? disait-il. Mon cœur se fend en vous voyant ainsi. Mon Dieu, parlez ! qu'avez-vous ? Si j'ai mérité quelque reproche, pourquoi craignez-vous de me l'adresser ? Vous m'avez appris à être soumis envers ceux que l'on aime, et douter que je vous aime, c'est m'affliger plus que ne m'affligeraient vos justes remontrances. Quelqu'un vous a-t-il offensée, mère ? Oh ! nommez celui-là et vous me trouverez prêt à vous défendre, à le punir, comme je l'ai été lorsqu'il s'agissait de mon... de notre bienfaiteur. Voyons, mère, ne pleurez pas comme vous le faites ; vos sanglots m'arrachent l'âme ! j'aimerais mieux voir couler mon sang goutte à goutte que ces larmes qui sortent de vos yeux ! Vous n'aimez donc plus votre enfant, que vous ne le jugez pas digne de votre confiance ? Est-ce que l'on peut cacher quelque chose à ceux que l'on aime ? Est-ce que, joie ou peine, on ne doit pas tout partager avec eux ? Tenez, mère, moi aussi, j'ai mon secret, et vous ne sauriez croire combien il me pèse parce que je ne puis le partager avec vous. Mais il arrivera ce qui pourra, je vais vous le dire, vous le confier, pour vous donner l'exemple, pour que vous ne craigniez plus de compter sur la discrétion ou sur la tendresse de votre fils.

Millette écoutait ce dernier sans l'entendre ; l'expression de son amour filial arrivait à ses oreilles comme une musique harmonieuse qui lui causait de douces sensations ; mais le désordre de ses idées était si grand, qu'elle ne cherchait pas le sens de ses paroles.

– Mon enfant ! mon cher enfant ! s'écria-t-elle, jure-moi que, quoi qu'il arrive, tu ne maudiras pas ta mère ; jure-moi que, si tu la juges, si tu la condamnes, ton amour la défendra ; jure-moi qu'il me restera ton amour, qui est mon seul bien à moi ; je ne l'ai jamais senti comme aujourd'hui qu'il est menacé. Je voudrais être morte ! mon Dieu ! je voudrais être morte ! Mourir, qu'est-ce que cela ! mais perdre l'affection de celui que vos entrailles ont porté, qui s'est nourri de votre chair, abreuvé de votre sang, ce n'est pas possible ! Non, Dieu ne saurait le permettre !... Calme-toi, Marius, je vais parler, continua la malheureuse femme, haletante et à demi-morte ; je parlerai ; puisqu'il est impossible que tu cesses de m'aimer, je parlerai !

– Oh ! faites, dites, mère ! répondit le jeune homme, aussi pâle, aussi égaré que l'était sa mère. Qu'est-il arrivé, grand Dieu ! que vous puissiez supposer que je cesse de vous vénérer comme la plus respectable des femmes, de vous chérir comme la plus tendre des mères ? Vous me faites frémir à mon tour ; hâtez-vous de me tirer de ces angoisses. De quelque faute que vous soyez coupable, n'êtes-vous pas ma mère, et une mère n'est-elle pas, pour son fils, infaillible comme Dieu l'est pour les hommes ? Mais non, vous qui m'avez enseigné les lois de la probité, vous qui m'avez appris à respecter l'honneur, vous êtes incapable d'avoir manqué à l'un ou à l'autre. La délicatesse de votre conscience vous égare : parlez donc, que je vous console ; parlez, que je vous rassure ; parlez, parlez, mère, je vous en conjure !

Millette avait trop présumé de ses forces ; les sanglots étouffaient sa voix ; elle ne put que se jeter aux genoux de son fils : le mot de pardon fut le seul qu'elle put articuler.

En voyant sa mère à ses pieds, Marius se redressa brusquement ; il la prit dans ses bras pour la relever.

Il tournait le dos à la porte du jardin, à laquelle Millette faisait face.

Tout à coup, les yeux de celle-ci s'ouvrirent démesurément et restèrent fixes et hagards, tournés du côté de la rue ; elle étendit le bras comme pour chasser une épouvantable vision, et, en même temps, elle poussa un cri terrible.

Marius, épouvanté, se retourna, et, en se retournant, ses vêtements frôlèrent les vêtements d'un homme qui, ayant doucement ouvert la grille, avait passé la moitié de son corps dans l'entrebâillement.

Dans cet homme, il reconnut le mendiant que Madeleine et lui avaient préservé d'une mort certaine sur les collines ; il tenait son chapeau à la main ; sa figure avait l'expression d'humilité grimaçante de sa profession, et il murmurait une formule banale de mendicité.

Marius crut que la brusquerie avec laquelle il avait montré son horrible figure avait seule effrayé sa mère.

– Allez-vous-en ! lui dit-il brusquement.

Mais, à son tour, le mendiant l'avait reconnu ; la première preuve que lui avait donnée le jeune homme de sa charité semblait lui avoir rendu non seulement confiance en sa charité à venir, mais encore une superbe dose d'aplomb pour la solliciter. Il remit son chapeau sur sa tête, et sa figure, qu'il essayait de rendre béate, se nuança d'un léger vernis d'insolence.

– Eh ! tron de l'air ! s'écria-t-il, deux vieilles connaissances ne se quittent pas de la sorte !

– Ah ! mon Dieu, mon Dieu, vous êtes sans pitié dans votre justice, disait Millette en se tordant les bras de désespoir.

– Partiras-tu d'ici, misérable ? hurla Marius en secouant violemment le mendiant, qu'il avait saisi par le collet de sa blouse.

– Prenez donc garde ! Je n'ai pas, comme vous, des vêtements de rechange. Si je tiens à ne pas m'en aller, c'est que je n'aime pas qu'on se fiche de moi ; voilà tout.

– Que voulez-vous ? Voyons ! reprit Marius, qui espérait de la sorte être plus promptement débarrassé de l'importune présence du mendiant. De quoi vous plaignez-vous ?

– Je me plains de ce que la belle demoiselle avec laquelle vous preniez le frais, il y a une quinzaine, du côté de la pointe, elle s'est moquée de moi comme un gabier d'un soldat de terre ; je me suis présenté à sa demeure, ainsi qu'elle m'avait ordonné de le faire, et, lorsque j'ouvre la porte de son bureau, – un riche bureau, ma foi, et qui me prouve que vous n'avez pas tort de chérir la promenade avec sa propriétaire, – je trouve des commis qui me chassent comme un gueux qui aurait des vrilles et des pinces dans les yeux ! Ce n'est pas comme ça qu'on se comporte !

– Tenez, dit Marius en prenant dans sa poche une pièce de monnaie. Et, maintenant, retirez-vous.

– Les paroles de la demoiselle, elles étaient plus grosses de moitié que votre médaille, répondit le mendiant en tournant et retournant dédaigneusement cette aumône entre ses doigts.

– Misérable ! fit Marius en levant le poing.

– Eh ! qu'avez-vous, puisque je vous dis merci tout de même, repartit le mendiant avec son effronterie habituelle. Vous êtes plus aimable quand vous faites l'amour avec la jeune que lorsque vous vous disputez avec une vieille ; c'est tout simple. Ne croyez pas que je vous en veuille, et la preuve, c'est que, si, comme je le pense, pour épouser la petite, vous êtes forcé de donner son sac à l'ancienne, comme vous commenciez à le faire quand je suis arrivé, je m'offre à achever le compliment si cela vous ennuie par trop fort.

– Et, moi, je vais châtier ton insolence ! dit Marius en se précipitant sur le mendiant.

Au bruit de la lutte, Millette, qui jusqu'alors était restée comme inanimée, accroupie sur la terre, cachant son visage entre ses mains, ne révélant son existence que par le bruit de ses pleurs et les tressaillements nerveux qui agitaient ses membres, Millette sortit de l'anéantissement dans lequel elle était plongée.

– Marius ! Marius ! s'écria-t-elle, au nom de Dieu, ne porte pas la main sur cet homme. Mon fils, je t'en prie, je t'en conjure, je te l'ordonne ! Cet homme, Marius, cet homme est sacré pour toi.

Cette dernière phrase ne s'échappa qu'inarticulée de la gorge de la pauvre femme ; en l'achevant, ses forces l'abandonnèrent, ses bras suppliants, qu'elle tendait vers son enfant, retombèrent le long de ses flancs ; un nuage passa sur ses yeux ; elle perdit connaissance, se renversa en arrière et tomba sur le sable.

Les champions n'avaient pu l'entendre ; dès les premiers moments, le jeune homme, plus vigoureux que son adversaire, avait poussé celui-ci hors de l'enceinte. Ils étaient tombés tous deux dans la poussière de la route.

Lorsque Marius put se débarrasser des bras du mendiant, qui essayait de le faire rouler sous lui, il rentra dans le jardin et aperçut sa mère évanouie.

Il la prit entre ses bras et l'emporta dans le cabanon.

Mais il avait négligé de fermer la porte, et il n'eut pas plus tôt tourné le dos, que le mendiant l'ouvrit sans bruit et se glissa dans la pinède, dont le feuillage, grâce à l'obscurité qui commençait à envelopper la terre, pouvait lui former un abri suffisant et l'empêcher d'être aperçu soit du chalet de Madeleine, soit du cabanon de M. Coumbes.

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