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Chapitre XXVIII


Amaury à Antoinette.

« La nuit d'avant celle-ci c'était à M. d'Avrigny à veiller ; mais, quoique dans ma chambre, quoique couché, je n'ai pas fermé l'oeil plus que lui.
« Depuis cinq semaines, je n'ai pas, je crois, dormi en tout quarante-huit heures. Avant peu, par bonheur, je me reposerai longuement.
« Ah ! celui qui m'a vu, il y a deux mois, ardent, gai, plein de vie et d'espoir, ne reconnaîtrait plus aujourd'hui mon visage pâle et mon front ridé ; moi même je me sens brisé, vieilli : en quarante jours j'ai vécu quarante années.
« Aussi, ce matin, ne pouvant me contraindre au sommeil, je suis descendu vers sept heures : j'ai trouvé M. d'Avrigny qui sortait de la chambre de sa fille. Il m'a vu à peine. Il semble maintenant ne plus avoir qu'une idée. Depuis six semaines, il n'a pas écrit un mot sur le journal où il consignait autrefois les événements de ses journées.
« C'est que ces journées sont à la fois trop vides d'événements et trop pleines de douleur. Le lendemain de la rechute, il écrivit :
« Elle est retombée malade ! »
« Voilà tout.
« Hélas ! je sais d'avance les premières paroles qu'il écrira à la suite de celles-ci.
« Je l'arrêtai et lui demandai des nouvelles.
« - Elle ne va pas bien, mais elle dort, m'a-t-il dit d'un air distrait et sans me regarder ; mistress Brown est près d'elle... moi je vais préparer moi même une potion. »
« Depuis la soirée du bal, M. d'Avrigny a transformé en pharmacie une des chambres de son hôtel, et tout ce que Madeleine prend est préparé de sa propre main.
« Je fis un pas vers la porte de la malade. Il m'arrêta, toujours sans me regarder.
« N'entrez pas, dit-il, vous la réveilleriez !
« Puis il continua son chemin sans plus faire attention à moi, le regard fixe, la tête inclinée, le doigt sur la bouche, poursuivant sa seule, son unique, son éternelle pensée.
« Alors, ne sachant que faire, ignorant que devenir jusqu'au moment de son réveil, j'ai été moi-même à l'écurie, j'ai sellé Sturm, je me suis élancé sur son dos et l'ai lancé à fond de train. Depuis plus d'un mois je n'ai pas mis le pied hors de l'hôtel, et j'avais besoin de respirer le grand air.
« Arrivé au bois et en traversant l'allée de Madrid, je me suis rappelé une promenade que j'avais faite il y a trois mois, mais dans des conditions bien différentes. Ce jour-là, j'étais sur le seuil du bonheur ; aujourd'hui, je suis sur le seuil du désespoir.
« Septembre commence à peine, et déjà les feuilles tombent. Nous avons eu un été ardent, sans brises tièdes et sans douces pluies, et l'automne, cette année, viendra de bonne heure tuer les fleurs de Madeleine.
« Bien qu'il fût dix heures du matin à peine, que le ciel fût gris et le temps froid, il y avait encore trop de promeneurs au bois ; j'ai laissé mon cheval m'emporter jusqu'à Marly, sautant barrières et fossés, et je ne suis rentré à l'hôtel qu'à onze heures, brisé de fatigue, épuisé de douleur ; mais, je le sentais, l'accablement du corps faisait du bien à la souffrance de l'âme.
« Madeleine venait de se réveiller.
« Chère enfant ! elle ne souffre pas, elle, elle meurt tout doucement, sans s'apercevoir qu'elle meurt !
« Elle m'a grondé de ma longue absence ; elle était inquiète de moi. Il n'y a que de vous, Antoinette, dont elle ne parle jamais. Comprenez-vous ce silence ?
« Je m'approchai de son lit et m'excusai sur ce que je croyais qu'elle dormait encore.
« Mais, sans me laisser achever, elle me donna à baiser, en signe de pardon, sa petite main brûlante ; puis elle me pria de lui lire quelques pages de Paul et Virginie.
« Je tombai sur les adieux des deux pauvres enfants.
« Oh ! comme parfois j'eus peine à retenir mes sanglots !
« De temps en temps M. d'Avrigny entrait dans la chambre, mais c'était pour en sortir aussitôt tout préoccupé.
« Madeleine lui a fait de doux reproches sur cette préoccupation. Il l'écoutait à peine et ne lui répondait presque pas.
« En vérité, à force d'étudier la maladie, il semble ne plus voir sa fille.
« Il est revenu vers six heures du soir avec une potion calmante qu'il lui a fait prendre, et a recommandé, dès lors, le plus absolu repos. »

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