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Chapitre XCVIII
Conclusion

Le roi, pâle d'inquiétude et frémissant au moindre bruit, arpentait la salle d'armes, conjecturant, avec l'expérience d'un homme exercé, tout le temps que ses amis avaient dû employer à joindre et à combattre leurs adversaires, ainsi que toutes les chances bonnes ou mauvaises que leur donnaient leur caractère, leur force et leur adresse.
- A cette heure, avait-il dit d'abord, ils traversent la rue Saint-Antoine. Ils entrent dans le champ clos, maintenant. On dégaine. A cette heure, ils en sont aux mains.
Et, à ces mots, le pauvre roi, tout frissonnant, s'était mis en prières.
Mais le fond du coeur absorbait d'autres sentiments, et cette dévotion des lèvres ne faisait que glisser à la surface.
Au bout de quelques secondes, le roi se releva.
- Pourvu que Quélus, dit-il, se souvienne de ce coup de riposte que je lui ai montré, en parant avec l'épée et en frappant avec la dague.
Quant à Schomberg, l'homme de sang-froid, il doit tuer ce Ribeirac. Maugiron, s'il n'a pas mauvaise chance, se débarrassera vite de Livarot. Mais d'Epernon ! oh ! celui-là est mort. Heureusement que c'est celui des quatre que j'aime le moins. Mais, malheureusement, ce n'est pas le tout qu'il soit mort, c'est que, lui mort, Bussy, le terrible Bussy, ne tombe sur les autres en se multipliant. Ah ! mon pauvre Quélus ! mon pauvre Schomberg ! mon pauvre Maugiron !
- Sire ! dit à la porte la voix de Crillon.
- Quoi ! déjà ! s'écria le roi.
- Non, Sire, je n'apporte aucune nouvelle, si ce n'est que le duc d'Anjou demande à parler à Votre Majesté.
- Et pourquoi faire ? demanda le roi, dialoguant toujours à travers la porte.
- Il dit que le moment est venu pour lui d'apprendre à Votre Majesté quel genre de service il lui a rendu, et que ce qu'il a à dire au roi calmera une partie des craintes qui l'agitent en ce moment.
- Eh bien ! allez donc, dit le roi.
En ce moment, et comme Crillon se retournait pour obéir, un pas rapide retentit par les montées, et l'on entendit une voix qui disait à Crillon :
- Je veux parler au roi à l'instant même.
Le roi reconnut la voix et ouvrit lui-même.
- Viens, Saint-Luc, viens, dit-il. Qu'y a-t-il encore ? Mais qu'as-tu, mon Dieu ! et qu'est-il arrivé ? Sont-ils morts ?
En effet, Saint-Luc, pâle, sans chapeau sans épée, tout marbré de taches de sang, se précipitait dans la chambre du roi.
- Sire ! s'écria Saint-Luc en se jetant aux genoux du roi, vengeance ! je viens vous demander vengeance.
- Mon pauvre Saint-Luc, dit le roi, qu'y a-t-il donc ? parle, et qui peut te causer un pareil désespoir ?
- Sire, un de vos sujets, le plus noble, un de vos soldats, le plus brave...
La parole lui manqua.
- Hein ! fit en avançant Crillon qui croyait avoir des droits, à ce dernier titre surtout.
- A été égorgé cette nuit, traîtreusement égorgé, assassiné, acheva Saint Luc.
Le roi, préoccupé d'une seule idée, se rassura ; ce n'était aucun de ses quatre amis, puisqu'il les avait vus le matin.
- Egorgé, assassiné cette nuit, dit le roi ; de qui parles-tu donc, Saint-Luc ?
- Sire, vous ne l'aimez pas, je le sais bien, continua Saint-Luc ; mais il était fidèle, et, dans l'occasion, je vous le jure, il eût donné tout son sang pour Votre Majesté ; sans quoi il n'eût pas été mon ami.
- Ah ! fit le roi qui commençait à comprendre.
Et quelque chose comme un éclair, sinon de joie, du moins d'espérance, illumina son visage.
- Vengeance, Sire, pour M. de Bussy, cria Saint-Luc ; vengeance !
- Pour M. de Bussy ? répéta le roi, en appuyant sur chaque mot.
- Oui, pour M. de Bussy, que vingt assassins ont poignardé cette nuit. Et bien leur en a pris d'être vingt, car il en a tué quatorze.
- M. de Bussy mort...
- Oui, Sire.
- Alors, il ne se bat pas ce matin ? dit tout à coup le roi, emporté par un mouvement irrésistible.
Saint-Luc lança au roi un regard qu'il ne put soutenir ; en se détournant il vit Crillon qui toujours debout près de la porte, attendait de nouveaux ordres.
Il lui fit signe d'amener le duc d'Anjou.
- Non, Sire, ajouta Saint-Luc d'une voix sévère ; M. de Bussy ne s'est point battu en effet et voilà pourquoi je viens vous demander, non pas vengeance, comme j'ai eu tort de dire à Votre Majesté, mais justice ; car j'aime mon roi, et surtout l'honneur de mon roi par-dessus toute chose, et je trouve qu'en poignardant M. de Bussy, on a rendu un déplorable service à Votre Majesté.
Le duc d'Anjou venait d'arriver à la porte ; il s'y tenait debout et immobile comme une statue de bronze.
Les paroles de Saint-Luc avaient éclairé le roi ; elles lui rappelaient le service que son frère prétendait lui avoir rendu.
Son regard se croisa avec celui du duc, et il n'eut plus de doute, car, en même temps qu'il lui répondait oui du regard, le duc avait fait de haut en bas un signe imperceptible de tête.
- Savez-vous ce que l'on va dire maintenant ? s'écria Saint-Luc. On va dire, si vos amis sont vainqueurs, qu'ils ne le sont que parce que vous avez fait égorger Bussy.
- Et qui dit cela, monsieur ? demanda le roi.
- Pardieu ! tout le monde, dit Crillon, se mêlant sans façon et comme d'habitude à la conversation.
- Non, monsieur, dit le roi, inquiet et subjugué par cette opinion de celui qui était le plus brave de son royaume, depuis que Bussy était mort ; non, monsieur, on ne le dira pas, car vous me nommerez l'assassin.
Saint-Luc vit une ombre se projeter.
C'était le duc d'Anjou qui venait de faire deux pas dans la chambre. Il se retourna et le reconnut.
- Oui, Sire, je le nommerai ! dit-il en se relevant, car je veux à tout prix disculper Votre Majesté d'une si abominable action.
- Eh bien ! dites.
Le duc s'arrêta et attendit tranquillement.
Crillon se tenait derrière lui, le regardant de travers et secouant la tête.
- Sire, reprit Saint-Luc, cette nuit on a fait tomber Bussy dans un piège : tandis qu'il rendait visite à une femme dont il était aimé, le mari, prévenu par un traître, est rentré chez lui avec des assassins ; il y en avait partout : dans la rue, dans la cour et jusque dans le jardin.
Si tout n'eût pas été fermé, comme nous l'avons dit, dans la chambre du roi, on eût pu voir, malgré sa puissance sur lui-même, pâlir le prince à ces dernières paroles.
- Bussy s'est défendu comme un lion, Sire, mais le nombre l'a emporté, et...
- Et il est mort, interrompit le roi, et mort justement, car je ne vengerai certes pas un adultère.
- Sire, je n'ai pas fini mon récit, reprit Saint-Luc. Le malheureux, après s'être défendu près d'une demi-heure dans la chambre, après avoir triomphé de ses ennemis, le malheureux se sauvait blessé, sanglant, mutilé ; il ne s'agissait plus que de lui tendre une main secourable, que je lui eusse tendue, moi, si je n'eusse été arrêté, avec la femme qu'il m'avait confiée, par ses assassins ; si je n'eusse été garrotté, bâillonné. Malheureusement on avait oublié de m'ôter la vue comme on m'avait ôté la parole, et j'ai vu, Sire, j'ai vu deux hommes s'approcher du malheureux Bussy, suspendu par la cuisse aux lances d'une grille de fer ; j'ai entendu le blessé leur demander secours, car, dans ces deux hommes il avait le droit de voir deux amis. Eh bien ! l'un, Sire, c'est horrible à raconter ! mais, croyez-le, c'était encore bien plus horrible à voir et à entendre, l'un a ordonné de faire feu, et l'autre à obéi.
Crillon serra les poings et fronça le sourcil.
- Et vous connaissez l'assassin ? demanda le roi ému malgré lui.
- Oui, dit Saint-Luc.
Et se retournant vers le prince en chargeant sa parole et son geste de toute sa haine si longtemps contenue :
- C'est Monseigneur, dit-il ; l'assassin, c'est le prince ! l'assassin, c'est l'ami !
Le roi s'attendait à ce coup, le duc le supporta sans sourciller.
- Oui, dit-il tranquillement, oui, monsieur de Saint-Luc a bien vu et bien entendu ; c'est moi qui ai fait tuer M. de Bussy, et Votre Majesté appréciera cette action, car M. de Bussy était mon serviteur, c'est vrai ; mais ce matin, quelque chose que j'aie pu lui dire, M. de Bussy devait porter les armes contre Votre Majesté.
- Tu mens ! assassin ! tu mens ! s'écria Saint-Luc ; Bussy percé de coups, Bussy la main hachée de coups d'épée, l'épaule brisée d'une balle, Bussy pendant accroché par la cuisse au treillis de fer, Bussy n'était plus bon qu'à inspirer de la pitié à ses plus cruels ennemis, et ses plus cruels ennemis l'eussent secouru. Mais toi, toi l'assassin de La Mole et de Coconnas, tu as tué Bussy, comme les uns après les autres, tous tes amis ; tu as tué Bussy, non parce qu'il était l'ennemi de ton frère, mais parce qu'il était le confident de tes secrets. Ah ! Monsoreau savait bien, lui, pourquoi tu faisais ce crime.
- Cordieu ! murmura Crillon, que ne suis-je roi !
- On m'insulte chez vous, mon frère, dit le duc, blême de terreur, car entre la main convulsive de Crillon et le regard sanglant de Saint-Luc il ne se sentait pas en sûreté.
- Sortez ! Crillon, dit le roi.
Crillon sortit.
- Justice ! Sire, justice ! continua de crier Saint-Luc.
- Sire, dit le duc, punissez-moi d'avoir sauvé ce matin les amis de Votre Majesté, et d'avoir donné une éclatante justice à votre cause qui est la mienne.
- Et moi, reprit Saint-Luc ne se possédant plus, je te dis que la cause dont tu es est une cause maudite, et qu'où tu passes doit s'abattre sur tes pas la colère de Dieu ! Sire, Sire ! votre frère a protégé nos amis, malheur à eux !!
Le roi sentit passer en lui comme un frisson de terreur.
En ce moment même on entendit au dehors une vague rumeur, puis des pas précipités, puis des interrogatoires empressés.
Il se fit un grand, un profond silence.
Au milieu de ce silence, et comme si une voix du ciel venait donner raison à Saint-Luc, trois coups frappés avec lenteur et solennité ébranlèrent la porte sous le poing vigoureux de Crillon.
Une sueur froide inonda les tempes de Henri et bouleversa les traits de son visage.
- Vaincus ! s'écria-t-il, mes pauvres amis vaincus !
- Que vous disais-je, Sire ? s'écria Saint-Luc.
Le duc joignit les mains avec terreur.
- Vois-tu, lâche ! s'écria le jeune homme avec un superbe effort, voilà comme les assassins sauvent l'honneur des princes ! Viens donc m'égorger aussi, je n'ai pas d'épée.
Et il lança son gant de soie au visage du duc.
François poussa un cri de rage et devint livide.
Mais le roi ne vit rien, n'entendit rien ; il avait laissé tomber son front entre ses mains.
- Oh ! murmura-t-il, mes pauvres amis ils sont vaincus, blessés ? oh ! qui me donnera d’eux des nouvelles certaines ?
- Moi, Sire, dit Chicot.
Le roi reconnut cette voix amie, et tendit ses bras en avant.
- Eh bien ? dit-il.
- Deux sont déjà morts, et le troisième va rendre le dernier soupir.
- Quel est ce troisième qui n'est pas encore mort ?
- Quélus, Sire !
- Et où est-il ?
- A l'hôtel de Boissy, où je l'ai fait transporter.
Le roi n'en écouta point davantage, et s'élança hors de l'appartement en poussant des cris lamentables.
Saint-Luc avait conduit Diane chez son amie, Jeanne de Brissac ; de là son retard à se présenter au Louvre.
Jeanne passa trois jours et trois nuits à veiller la malheureuse femme en proie au plus atroce délire.
Le quatrième jour, Jeanne, brisée de fatigue, alla prendre un peu de repos ; mais lorsqu'elle rentra, deux heures après, dans la chambre de son amie, elle ne la trouva plus.
On sait que Quélus, le seul des trois combattants défenseurs de la cause du roi qui ait survécu à dix-neuf blessures, mourut dans ce même hôtel de Boissy où Chicot l'avait fait transporter, après une agonie de trente jours, et entre les bras du roi.
Henri fut inconsolable.
Il fit faire à ses trois amis de magnifiques tombeaux où ils étaient taillés en marbre et dans leur grandeur naturelle.
Il fonda des messes à leur intention, les recommanda aux prières des prêtres et ajouta à ses oraisons habituelles ce distique qu'il répéta toute sa vie après ses prières du matin et du soir.
Que Dieu reçoive en son giron Quélus, Schomberg et Maugiron.
Pendant près de trois mois, Crillon garda à vue le duc d'Anjou que le roi avait pris dans une haine profonde et auquel il ne pardonna jamais.
On atteignit ainsi le mois de septembre, époque à laquelle Chicot, qui ne quittait pas son maître, et qui eût consolé Henri si Henri eût pu être consolé, reçut la lettre suivante, datée du prieuré de Baume.
Elle était écrite de la main d'un clerc.

« Cher seigneur Chicot,

L'air est doux dans notre pays, et les vendanges promettent d'être belles en Bourgogne, cette année. On dit que le roi, notre Sire, à qui j'ai sauvé la vie, à ce qu'il paraît, a toujours beaucoup de chagrin ; amenez-le au prieuré, cher monsieur Chicot, nous lui ferons boire d'un vin de 1550 que j'ai découvert dans mon cellier, et qui est capable de faire oublier les plus grandes douleurs ; cela le réjouira, je n'en doute point, car j'ai trouvé dans les livres saints cette phrase admirable : « Le bon vin réjouit le coeur de l'homme ! » C'est très beau en latin, je vous le ferai lire. Venez donc, cher monsieur Chicot, venez avec le roi, venez avec M. d'Epernon venez avec M. de Saint Luc ; et vous verrez que nous engraisserons tous.

          « Le révérend prieur Dom Gorenflot,
          qui se dit votre humble serviteur et ami.

« P.S. – Vous direz au roi que je n'ai pas encore eu le temps de prier pour l'âme de ses amis, comme il me l'avait recommandé, à cause des embarras que m'a donnés mon installation ; mais, aussitôt les vendanges faites, je m'occuperai certainement d'eux. »

- Amen, dit Chicot ; voilà de pauvres diables bien recommandés à Dieu !

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© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
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