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Chapitre LXXIX
Les précautions de M. de Monsoreau

Saint-Luc avait raison, Jeanne avait raison ; au bout de huit jours, Bussy s'en était aperçu et leur rendait pleinement justice.
Etre un homme d'autrefois eût été grand et beau pour la postérité. mais c'était n'être plus qu'un vieil homme, et Bussy, oublieux de Plutarque qui avait cessé d'être son auteur favori depuis que l'amour l'avait corrompu ; Bussy, beau comme Alcibiade, ne se souciant plus que du présent, se montrait désormais peu friand d'un article d'histoire près de Scipion ou de Bayard en leur jour de continence.
Diane était plus simple, plus nature, comme on dit aujourd'hui. Elle se laissait aller aux deux instincts que le misanthrope Figaro reconnaît innés dans l'espèce, aimer et tromper. Elle n'avait jamais eu l'idée de pousser jusqu'à la spéculation philosophique ses opinions sur ce que Charron et Montaigne appellent l'honneste.
Aimer Bussy, c'était sa logique ; n'être qu'à Bussy, c'était sa morale ; frissonner de tout son corps au simple contact de sa main effleurée, c'était sa métaphysique.
M. de Monsoreau, il y avait déjà quinze jours que l'accident lui était arrivé, M. de Monsoreau disons-nous, se portait de mieux en mieux. Il avait évité la fièvre, grâce aux applications d'eau froide ce nouveau remède que le hasard ou plutôt la Providence avait découvert à Ambroise Paré quand il éprouva tout à coup une grande secousse ; il apprit que M. le duc d'Anjou venait d'arriver à Paris avec la reine mère et ses Angevins.
Le comte avait raison de s'inquiéter, car, le lendemain de son arrivée, le prince, sous prétexte de venir prendre de ses nouvelles, se présenta dans son hôtel de la rue des Petits-Pères : il n'y a pas moyen de fermer sa porte à une Altesse Royale qui vous donne une preuve d'un si tendre intérêt M. de Monsoreau reçut le prince, et le prince fut charmant pour le grand veneur et surtout pour sa femme.
Aussitôt le prince sorti, M. de Monsoreau Appela Diane, s'appuya sur son bras, et, malgré les cris de Remy, fit trois fois le tour de son fauteuil.
Après quoi il se rassit dans ce même fauteuil autour duquel il venait, comme nous l'avons dit de tracer une triple ligne de circonvallation ; il avait l'air très satisfait, et Diane devina à son sourire qu'il méditait quelque sournoiserie.
Mais ceci rentre dans l'histoire privée de la maison de Monsoreau.
Revenons donc à l'arrivée de M. le duc d'Anjou laquelle appartient à la partie épique de ce livre.
Ce ne fut pas, comme on le pense bien, un jour indifférent aux observateurs, que le jour où Monseigneur François de Valois fit sa rentrée au Louvre.
Voici ce qu'ils remarquèrent :
Beaucoup de morgue de la part du roi.
Une grande tiédeur de la part de la reine mère.
Et une humble insolence de la part de M. le duc d'Anjou, qui semblait dire :
- Pourquoi diable me rappelez-vous, si vous me faites, quand j'arrive, cette fâcheuse mine ?
Toute cette réception était assaisonnée des regards rutilants, flamboyants, dévorants de MM. de Livarot, de Ribeirac et d'Entragues, lesquels, prévenus par Bussy, étaient bien aises de faire comprendre à leurs futurs adversaires que, s'il y avait empêchement au combat, cet empêchement, pour sûr, ne viendrait pas de leur part.
Chicot, ce jour-là, fit plus d'allées et de venues que César la veille de la bataille de Pharsale.
Puis tout rentra dans le calme plat.
Le surlendemain de sa rentrée au Louvre, le duc d'Anjou vint faire une seconde visite au blessé.
Monsoreau, instruit des moindres particularités de l'entrevue du roi avec son frère, caressa du geste et de la voix M. le duc d'Anjou, pour l'entretenir dans les plus hostiles dispositions.
Puis, comme il allait de mieux en mieux, quand le duc fut parti il reprit le bras de sa femme, et, au lieu de faire trois fois le tour de son fauteuil, il fit une fois le tour de sa chambre.
Après quoi il se rassit d'un air plus satisfait encore que la première fois.
Le même soir, Diane prévint Bussy que M. de Monsoreau méditait bien certainement quelque chose.
Un instant après, Monsoreau et Bussy se trouvèrent seuls.
- Quand je pense, dit Monsoreau à Bussy, que ce ponce, qui me fait si bonne mine, est mon ennemi mortel, et que c'est lui qui m'a fait assassiner par M. de Saint-Luc.
- Oh ! assassiner ! dit Bussy, prenez garde, monsieur le comte, Saint-Luc est bon gentilhomme et vous avouez vous-même que vous l'aviez provoqué, que vous aviez tiré l'épée le premier, et que vous avez reçu le coup en combattant.
- D'accord, mais il n'en est pas moins vrai qu'il obéissait aux instigations du duc d'Anjou.
- Ecoutez, dit Bussy, je connais le duc, et surtout je connais M. de Saint- Luc ; je dois vous dire que M. de Saint-Luc est tout entier au roi et pas du tout au prince. Ah ! si votre coup d'épée vous venait d'Antraguet, de Livarot ou de Ribeirac, je ne dis pas... mais de Saint-Luc...
- Vous ne connaissez pas l'histoire de France comme je la connais, mon cher monsieur de Bussy, dit Monsoreau, obstiné dans son opinion.
Bussy eût pu lui répondre que s'il connaissait mal l'histoire de France, il connaissait en échange parfaitement celle de l'Anjou, et surtout de la partie de l'Anjou où était enclavé Méridor.
Enfin Monsoreau vint à se lever et à descendre dans le jardin.
- Cela me suffit, dit-il en remontant. Ce soir, nous déménagerons.
- Pourquoi cela ? dit Remy. Est-ce que vous n'êtes pas en bon air dans la rue des Petits-Pères, ou la distraction vous manque-t-elle ?
- Au contraire, dit Monsoreau, j'en ai trop de distractions. M. d'Anjou me fatigue avec ses visites ; il amène toujours avec lui une trentaine de gentilshommes, et le bruit de leurs éperons m'agace horriblement les nerfs.
- Mais où allez-vous ?
- J'ai ordonné qu'on mît en état ma petite maison des Tournelles.
Bussy et Diane, car Bussy était toujours là, échangèrent un regard amoureux de souvenir.
- Comment ! cette bicoque ? s'écria étourdiment Remy.
- Ah ! ah ! vous la connaissez, fit Monsoreau.
- Pardieu ! dit le jeune homme, qui ne connaît pas les habitations de M. le grand veneur de France, et surtout quand on a demeuré rue Beautreillis ?
Monsoreau, par habitude, roula quelque vague soupçon dans son esprit.
- Oui, oui, j'irai là, dit-il, et j'y serai bien. On n'y peut recevoir que quatre personnes au plus. C'est une forteresse, et par la fenêtre on voit à trois cents pas de distance ceux qui viennent vous faire visite.
- De sorte ? demanda Remy.
- De sorte qu'on peut les éviter quand on veut, dit Monsoreau, surtout lorsqu'on se porte bien.
Bussy se mordit les lèvres ; il craignait qu'il ne vînt un temps où Monsoreau l'éviterait à son tour.
Diane soupira.
Elle se souvenait avoir vu dans cette petite maison Bussy blessé, évanoui sur son lit.
Remy réfléchit ; aussi fut-il le premier des trois qui parla.
- Vous ne pouvez pas, dit-il.
- Et pourquoi cela, s'il vous plaît, monsieur le docteur ?
- Parce qu'un grand veneur de France a des réceptions à faire, des valets à entretenir, des équipages à soigner. Qu'il ait un palais pour ses chiens, cela se conçoit ; mais qu'il ait un chenil pour lui, c'est impossible.
- Hum ! fit Monsoreau d'un ton qui voulait dire : c'est vrai.
- Et puis, dit Remy, car je suis le médecin du coeur comme celui du corps, ce n'est pas votre séjour ici qui vous préoccupe.
- Qu'est-ce donc ?
- C'est celui de madame.
- Eh bien ?
- Eh bien ! faites déménager la comtesse.
- M'en séparer ! s'écria Monsoreau en fixant sur Diane un regard où il y avait, certes, plus de colère que d'amour.
- Alors, séparez-vous de votre charge, donnez votre démission de grand veneur ; je crois que ce serait sage ; car, vraiment, ou vous ferez, ou vous ne ferez pas votre service ; si vous ne le faites pas, vous mécontenterez le roi ; et si vous le faites...
- Je ferai ce qu'il faudra faire, dit Monsoreau les dents serrées, mais je ne quitterai pas la comtesse.
Le comte achevait ces mots lorsqu'on entendit dans la cour un grand bruit de chevaux et de voix.
Monsoreau frémit.
- Encore le duc ! murmura-t-il.
- Oui, justement, dit Remy en allant à la fenêtre.
Le jeune homme n'avait point achevé que, grâce au privilège qu'ont les princes d'entrer sans être annoncés, le duc entra dans la chambre.
Monsoreau était aux aguets ; il vit que le premier coup d'oeil de François avait été pour Diane.
Bientôt les galanteries intarissables du duc l'éclairèrent mieux encore ; il apportait à Diane un de ces rares bijoux comme en faisaient trois ou quatre en leur vie ces patients et généreux artistes qui illustrèrent un temps où, malgré cette lenteur à les produire, les chefs-d'oeuvre étaient plus fréquents qu'aujourd'hui.
C'était un charmant poignard au manche d'or ciselé ; ce manche était un flacon ; sur la lame courait toute une chasse burinée avec un merveilleux talent : chiens, chevaux, chasseurs, gibier, arbres et ciel s'y confondaient dans un pêle-mêle harmonieux qui forçait le regard à demeurer longtemps fixé sur cette lame d'azur et d'or.
- Voyons, dit Monsoreau, qui craignait qu'il n'y eût quelque billet caché dans le manche.
Le prince alla au-devant de cette crainte en le séparant en deux parties.
- A vous, qui êtes chasseur, la lame, dit-il ; à la comtesse, le manche. Bonjour, Bussy, vous voilà donc ami intime avec le comte, maintenant ?
Diane rougit.
Bussy, au contraire, demeura assez maître de lui-même.
- Monseigneur, dit-il, vous oubliez que Votre Altesse elle-même m'a chargé ce matin de venir savoir des nouvelles de M. de Monsoreau. J'ai obéi, comme toujours, aux ordres de Votre Altesse.
- C'est vrai, dit le duc.
Puis il alla s'asseoir près de Diane et lui parla bas.
Au bout d'un instant :
- Comte, dit-il, il fait horriblement chaud dans cette chambre de malade. Je vois que la comtesse étouffe, et je vais lui offrir le bras pour lui faire faire un tour de jardin.
Le mari et l'amant échangèrent un regard courroucé.
Diane, invitée à descendre, se leva et posa son bras sur celui du prince.
- Donnez-moi le bras, dit Monsoreau à Bussy.
Et Monsoreau descendit derrière sa femme.
- Ah ! ah ! dit le duc, il paraît que vous allez tout à fait bien ?
- Oui, Monseigneur, et j'espère être bientôt en état de pouvoir accompagner madame de Monsoreau partout où elle ira.
- Bon ! mais en attendant il ne faut pas vous fatiguer.
Monsoreau lui-même sentait combien était juste la recommandation du prince.
Il s'assit à un endroit d'où il ne pouvait le perdre de vue.
- Tenez, comte, dit-il à Bussy, si vous étiez bien aimable, vous escorteriez madame de Monsoreau jusqu'à mon petit hôtel de la Bastille ; je l'y aime mieux qu'ici, en vérité. Arrachée à Méridor aux griffes de ce vautour, je ne le laisserai pas la dévorer à Paris.
- Non pas, monsieur, dit Remy à son maître, non pas, vous ne pouvez pas accepter.
Et pourquoi cela ? dit Bussy.
- Parce que vous êtes à M. d'Anjou, et que M. d'Anjou ne vous pardonnerait jamais d'avoir aidé le comte à lui jouer un pareil tour.
- Que m'importe ! allait s'écrier l'impétueux jeune homme, lorsqu'un coup d'oeil de Remy lui indiqua qu'il devait se taire.
Monsoreau réfléchissait.
- Remy a raison, dit-il, ce n'est point de vous que je dois réclamer un pareil service ; j'irai moi-même la conduire, car, demain ou après-demain, je serai en mesure d'habiter cette maison.
- Folie, dit Bussy, vous perdrez votre charge.
- C'est possible, dit le comte, mais je garderai ma femme.
Et il accompagna ces paroles d'un froncement de sourcils qui fit soupirer Bussy.
En effet, le soir même, le comte conduisit sa femme à sa maison des Tournelles, bien connue de nos lecteurs.
Remy aida le convalescent à s'y installer.
Puis, comme c'était un homme d'un dévouement à toute épreuve, comme il comprit que, dans ce local resserré, Bussy aurait grand besoin de lui pour servir ses amours menacées, il se rapprocha de Gertrude, qui commença par le battre et finit par lui pardonner.
Diane reprit sa chambre située sur le devant, cette chambre au portail et au lit de damas blanc et or.
Un corridor seulement séparait cette chambre de celle du comte de Monsoreau.
Bussy s'arrachait des poignées de cheveux.
Saint-Luc prétendait que les échelles de corde arrivées à leur plus haute perfection, elles pouvaient à merveille remplacer les escaliers.
Monsoreau se frottait les mains et souriait en songeant au dépit de M. le duc d'Anjou.

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