La Dame de Monsoreau Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre LXVII
Où l'on voit la reine mère entrer peu triomphalement dans la bonne ville d'Angers

A l'heure même où M. de Monsoreau tombait sous l'épée de Saint-Luc, une grande fanfare de quatre trompettes retentissait aux portes d'Angers, fermées, comme on sait, avec le plus grand soin.
Les gardes, prévenus, levèrent un étendard et répondirent par des symphonies semblables.
C'était Catherine de Médicis qui venait faire son entrée à Angers avec une suite assez imposante.
On prévint aussitôt Bussy, qui se leva de son lit, et Bussy alla trouver le prince qui se mit dans le sien.
Certes, les airs joués par les trompettes angevines étaient de fort beaux airs, mais ils n'avaient pas la vertu de ceux qui firent tomber les murs de Jéricho ; les portes d'Angers ne s'ouvrirent pas.
Catherine se pencha hors de sa litière, pour se montrer aux gardes avancés, espérant que la majesté d'un visage royal ferait plus d'effet que le son des trompettes.
Les miliciens d'Angers virent la reine, la saluèrent même avec courtoisie, mais les portes demeurèrent fermées.
Catherine envoya un gentilhomme aux barrières. On fit force politesses à ce gentilhomme.
Mais comme il demandait l'entrée pour la reine mère en insistant pour que Sa Majesté fût reçue avec honneur, on lui répondit qu'Angers, étant place de guerre, ne s'ouvrait pas sans quelques formalités indispensables.
Le gentilhomme revint très mortifié vers sa maîtresse, et Catherine laissa échapper alors dans toute l'amertume de sa réalité, dans toute la plénitude de son acception, ce mot que Louis XIV modifia plus tard selon les proportions qu'avait prises l'autorité royale.
- J'attends ! murmura-t-elle.
Et ses gentilshommes frémissaient à ses côtés.
Enfin Bussy, qui avait employé près d'une demi-heure à sermonner le duc et à lui forger cent raisons d'Etat, toutes plus péremptoires les unes que les autres, Bussy se décida.
Il fit seller son cheval avec force caparaçons, choisit cinq gentilshommes des plus désagréables à la reine mère, et, se plaçant à leur tête, alla d'un pas de recteur au-devant de Sa Majesté.
Catherine commençait à se fatiguer, non pas d'attendre, mais de méditer des vengeances contre ceux qui lui jouaient ce tour.
Elle se rappelait le conte arabe dans lequel il est dit qu'un génie rebelle, prisonnier dans un vase de cuivre, promet d'enrichir quiconque le délivrerait dans les dix premiers siècles de sa captivité ; puis, furieux d'attendre, jure la mort de l'imprudent qui briserait le couvercle du vase.
Catherine en était là. Elle s'était promis d'abord de gracieuser les gentilshommes qui s'empresseraient de venir à sa rencontre.
Ensuite elle fit voeu d'accabler de sa colère celui qui se présenterait le premier.
Bussy parut tout empanaché à la barrière, et regarda vaguement comme un factionnaire nocturne qui écoute plutôt qu'il ne voit.
- Qui vive ? cria-t-il.
Catherine s'attendait au moins à des génuflexions ; son gentilhomme la regarda pour connaître ses volontés.
- Allez, dit-elle, allez encore à la barrière ; on crie : « Qui vive ? » Répondez, monsieur, c'est une formalité...
Le gentilhomme vint aux pointes de la herse.
- C'est madame la reine mère, dit-il, qui vient visiter la bonne ville d'Angers.
- Fort bien, monsieur, répliqua Bussy ; veuillez tourner à gauche, à quatre vingts pas d'ici environ, vous allez rencontrer la poterne.
- La poterne ! s'écria le gentilhomme, la poterne ! Une porte basse pour Sa Majesté !
Bussy n'était plus là pour entendre.
Avec ses amis qui riaient sous cape, il s'était dirigé vers l'endroit où, d'après ses instructions, devait descendre Sa Majesté la reine mère.
- Votre Majesté a-t-elle entendu ?... demanda le gentilhomme. La poterne !
- Eh ! oui, monsieur, j'ai entendu ; entrons par là, puisque c'est par là qu'on entre.
Et l'éclair de son regard fit pâlir le maladroit qui venait de s'appesantir ainsi sur l'humiliation imposée à sa souveraine.
Le cortège tourna vers la gauche, et la poterne s'ouvrit.
Bussy, à pied, l'épée nue à la main, s'avança au dehors de la petite porte, et s'inclina respectueusement devant Catherine ; autour de lui les plumes des chapeaux balayaient la terre.
- Soit, Votre Majesté, la bienvenue dans Angers, dit-il.
Il avait à ses côtés des tambours qui ne battirent pas, et des hallebardiers qui ne quittèrent pas le port d'armes.
La reine descendit de litière, et s'appuyant sur le bras d'un gentilhomme de sa suite, marcha vers la petite porte, après avoir répondu ce seul mot :
- Merci, monsieur de Bussy.
C'était toute la conclusion des méditations qu'on lui avait laissé le temps de faire.
Elle avançait la tête haute.
Bussy la prévint tout à coup et l'arrêta même par le bras.
- Ah ! prenez garde, madame, la porte est bien basse ; Votre Majesté se heurterait.
- Il faut donc se baisser ? dit la reine, comment faire ? C'est la première fois que j'entre ainsi dans une ville.
Ces paroles, prononcées avec un naturel parfait, avaient pour les courtisans habiles un sens, une profondeur et une portée qui firent réfléchir plus d'un assistant, et Bussy lui-même se tordit la moustache en regardant de côté.
- Tu as été trop loin, lui dit Livarot à l'oreille.
- Bah ! laisse donc, répliqua Bussy, il faut qu'elle en voie bien d'autres.
On hissa la litière de Sa Majesté par-dessus le mur avec un palan, et elle put s'y installer de nouveau pour aller au palais. Bussy et ses amis remontèrent à cheval escortant des deux côtés la litière.
- Mon fils ? dit tout à coup Catherine ; je ne vois pas mon fils d'Anjou !
Ces mots qu'elle voulait retenir lui étaient arrachés par une irrésistible colère. L'absence de François en un pareil moment était le comble de l'insulte.
- Monseigneur est malade, au lit, madame ; sans quoi Votre Majesté ne peut douter que Son Altesse ne se fût empressée de faire elle-même les honneurs de sa ville.
Ici Catherine fut sublime d'hypocrisie.
- Malade ! mon pauvre enfant, malade ! s'écria-t-elle. Ah ! messieurs, hâtons-nous... est-il bien soigné, au moins ?
- Nous faisons de notre mieux, dit Bussy, en la regardant avec surprise comme pour savoir si réellement dans cette femme il y avait une mère.
- Sait-il que je suis ici ? reprit Catherine après une pause qu'elle employa utilement à passer la revue de tous les gentilshommes.
- Oui, certes, madame, oui.
Les lèvres de Catherine se pincèrent.
- Il doit bien souffrir alors, ajouta-t-elle, du ton de la compassion.
- Horriblement, dit Bussy. Son Altesse est sujette à ces indispositions subites.
- C'est une indisposition subite, monsieur de Bussy ?
- Mon Dieu, oui, madame.
On arriva ainsi au palais. Une grande foule faisait la haie sur le passage de la litière.
Bussy courut devant par les montées, et entrant tout essoufflé chez le duc :
- La voici, dit-il. Gare !
- Est-elle furieuse ?
- Exaspérée.
- Elle se plaint ?
- Oh ! non ; c'est bien pis, elle sourit.
- Qu'a dit le peuple ?
- Le peuple n'a pas sourcillé ; il regarde cette femme avec une muette frayeur : s'il ne la connaît pas, il la devine.
- Et elle ?
- Elle envoie des baisers, et se mord le bout des doigts.
- Diable !
- C'est ce que j'ai pensé, oui, Monseigneur. Diable, jouez serré !
- Nous nous maintenons à la guerre, n'est-ce : pas ?
- Pardieu ! demandez cent pour avoir dix, et avec elle vous n'aurez encore que cinq.
- Bah ! tu me crois donc bien faible ?... Etes-vous tous là ? Pourquoi Monsoreau n'est-il pas revenu ? fit le duc.
- Je le crois à Méridor... Oh ! nous nous passerons bien de lui.
- Sa Majesté la reine mère ! cria l'huissier au seuil de la chambre.
Et aussitôt Catherine parut blême et vêtue de noir selon sa coutume.
Le duc d'Anjou fit un mouvement pour se lever.
Mais Catherine, avec une agilité qu'on n'aurait pas soupçonnée en ce corps usé par l'âge, Catherine se jeta dans les bras de son fils et le couvrit de baisers.
- Elle va l'étouffer, pensa Bussy, ce sont de vrais baisers, mordieu !
Elle fit plus, elle pleura.
- Méfions-nous, dit Antraguet à Ribeirac, chaque larme sera payée un muid de sang.
Catherine ayant fini ses accolades, s'assit au chevet du duc ; Bussy fit un signe, et les assistants s'éloignèrent. Lui, comme s'il était chez lui, s'adossa aux pilastres du lit et attendit tranquillement.
- Est-ce que vous ne voudriez pas prendre soin de mes pauvres gens, mon cher monsieur de Bussy ? dit tout à coup Catherine. Après mon fils, c'est vous qui êtes notre ami le plus cher et maître du logis, n'est-ce pas ? je vous demande cette grâce.
Il n'y avait pas à hésiter.
« Je suis pris », pensa Bussy.
- Madame, dit-il, trop heureux de pouvoir plaire à Votre Majesté, j'y vais.
« Attends, murmura-t-il. Tu ne connais pas les portes ici comme au Louvre, je vais revenir. »
Et il sortit, sans avoir pu adresser même un signe au duc. Catherine s'en défiait, elle ne le perdit pas de vue une seconde.
Catherine chercha tout d'abord à savoir si son fils était malade ou feignait seulement la maladie.
Ce devait être toute la base de ses opérations diplomatiques.
Mais François, en digne fils d'une pareille mère, joua miraculeusement son rôle.
Elle avait pleuré, il eut la fièvre.
Catherine, abusée, le crut malade ; elle espéra donc avoir plus d'influence sur un esprit affaibli par les souffrances du corps.
Elle combla le duc de tendresse, l'embrassa de nouveau, pleura encore, et à tel point qu'il s'en étonna et en demanda la raison.
- Vous avez couru un si grand danger, répliqua-t-elle, mon enfant !
- En me sauvant du Louvre, ma mère ?
- Oh ! non pas, après vous être sauvé.
- Comment cela ?
- Ceux qui vous aidaient dans cette malheureuse évasion...
- Eh bien ?
- Etaient vos plus cruels ennemis...
- Elle ne sait rien, pensa-t-il, mais elle voudrait savoir.
- Le roi de Navarre ! dit-elle tout brutalement, l'éternel fléau de notre race... Je le reconnais bien.
- Ah ! ah ! s'écria François, elle le sait.
- Croiriez-vous qu'il s'en vante, dit-elle, et qu'il pense avoir tout gagné ?
- C'est impossible, répliqua-t-il, on vous trompe, ma mère.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il n'est pour rien dans mon évasion, et qu'y fût-il pour quelque chose, je suis sauf comme vous voyez... Il y a deux ans que je n'ai vu le roi de Navarre.
- Ce n'est pas de ce danger seulement que je vous parle, mon fils, dit Catherine, sentant que le coup n'avait pas porté.
- Quoi encore ma mère ? répliqua-t-il en regardent souvent dans son alcôve la tapisserie qui s'agitait derrière la reine.
Catherine s'approcha de François, et d'une voix qu'elle s'efforçait de rendre épouvantée :
- La colère du roi ! fit-elle, cette furieuse colère qui vous menace.
- Il en est de ce danger comme de l'autre, madame ; le roi mon frère est dans une furieuse colère, je le crois ; mais je suis sauf.
- Vous croyez ? fit-elle avec un accent capable d'intimider les plus audacieux.
La tapisserie trembla.
- J'en suis sûr, répondit le duc ; et c'est tellement vrai, ma bonne mère, que vous êtes venue vous-même me l'annoncer.
- Comment cela ? dit Catherine inquiète de ce calme.
- Parce que, continua-t-il après un nouveau regard à la cloison, si vous n'aviez été chargée que de m'apporter ces menaces, vous ne fussiez pas venue, et qu'en pareil cas, le roi aurait hésité à me fournir un otage tel que Votre Majesté.
Catherine effrayée leva la tête.
- Un otage ! moi ! dit-elle.
- Le plus saint et le plus vénérable de tous, répliqua-t-il en souriant et en baisant la main de Catherine, non sans un autre coup d'oeil triomphant adressé à la boiserie.
Catherine laissa tomber ses bras, comme écrasée ; elle ne pouvait deviner que Bussy par une porte secrète surveillait son maître et le tenait en échec sous son regard, depuis le commencement de l'entretien, lui envoyant du courage et de l'esprit à chaque hésitation.
- Mon fils, dit-elle enfin, ce sont toutes paroles de paix que je vous apporte, vous avez parfaitement raison.
- J'écoute, ma mère, dit François, vous savez avec quel respect ; je crois que nous commençons à nous entendre.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente