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Chapitre LIV
Les amants

Les pâmoisons de joie ne sont ni bien longues ni bien dangereuses. On en a vu de mortelles, mais l'exemple est excessivement rare.
Diane ne tarda donc point à ouvrir les yeux et se trouva dans les bras de Bussy ; car Bussy n'avait pas voulu céder à madame de Saint-Luc le privilège de recueillir le premier regard de Diane.
- Oh ! murmura-t-elle en se réveillant, oh ! c'est affreux, comte, de nous surprendre ainsi.
Bussy attendait d'autres paroles.
Eh, qui sait ? les hommes sont si exigeants ! qui sait, disons-nous, s'il n'attendait pas autre chose que des paroles, lui qui avait expérimenté plus d'une fois les retours à la vie après les pâmoisons et les évanouissements ?
Non seulement Diane en demeura là, mais encore elle s'arracha doucement des bras qui la tenaient captive et revint à son amie, qui, discrète d'abord, avait fait plusieurs pas sous les arbres ; puis, curieuse comme l'est toute femme de ce charmant spectacle d'une réconciliation entre gens qui s'aiment, était revenue tout doucement, non pas prendre sa part de la conversation, mais assez près des interlocuteurs pour n'en rien perdre.
- Eh bien ! demanda Bussy, est-ce donc ainsi que vous me recevez, madame ?
- Non, dit Diane ; car, en vérité, monsieur de Bussy, c'est tendre c'est affectueux ce que vous venez de faire là... Mais...
- Oh ! de grâce ; pas de mais..., soupira Bussy en reprenant sa place aux genoux de Diane.
- Non, non, pas ainsi, pas à genoux, monsieur de Bussy.
- Oh ! laissez-moi un instant vous prier comme je le fais, dit le comte en joignant les mains ; j'ai si longtemps envié cette place.
- Oui ; mais, pour la venir prendre, vous avez passé par-dessus le mur. Non seulement ce n'est pas convenable à un seigneur de votre rang, mais c'est bien imprudent pour quelqu'un qui aurait soin de mon honneur.
- Comment cela ?
- Si l'on vous avait vu, par hasard !
- Qui donc m'aurait vu ?
- Mais nos chasseurs, qui, il y a un quart d'heure à peine, passaient dans le fourré, derrière le mur.
- Oh ! tranquillisez-vous, madame, je me cache avec trop de soin pour être vu.
- Caché ! oh ! vraiment, dit Jeanne, c'est du suprême romanesque ; racontez-nous cela, monsieur de Bussy.
D'abord, si je ne vous ai pas rejointe en route, ce n'est pas ma faute ; j'ai pris un chemin et vous l'autre. Vous êtes venue par Rambouillet ; moi, par Chartres. Puis, écoutez, et jugez si votre pauvre Bussy est amoureux ; je n'ai point osé vous rejoindre, et je ne doutais pas cependant que je ne le pusse. Je sentais bien que Jarnac n'était point amoureux, et que le digne animal ne s'exalterait que médiocrement à revenir à Méridor ; votre père aussi n'avait aucun motif de se hâter, puisqu'il vous avait près de lui. Mais ce n'était pas en présence de votre père, ce n'était pas dans la compagnie de vos gens que je voulais vous revoir ; car j'ai plus souci que vous ne le croyez de vous compromettre ; j'ai fait le chemin étape par étape, en mangeant le manche de ma houssine ; le manche de ma houssine fut ma plus habituelle nourriture pendant ces jours.
Pauvre garçon ! dit Jeanne ; aussi, vois comme il est maigri.
- Vous arrivâtes enfin, continua Bussy ; j'avais pris logement au faubourg de la ville ; je vous vis passer, caché derrière une jalousie.
- Oh ! mon Dieu, demanda Diane, êtes-vous donc à Angers sous votre nom ?
- Pour qui me prenez-vous ? dit en souriant de Bussy. Non pas, je suis un marchand qui voyage ; voyez mon costume couleur cannelle ; il ne me trahit pas trop, c'est une couleur qui se porte beaucoup parmi les drapiers et les orfèvres et puis encore j'ai un certain air inquiet et affairé qui ne messied pas à un botaniste qui cherche des simples. Bref, on ne m'a pas encore remarqué.
- Bussy, le beau Bussy, deux jours de suite dans une ville de province sans avoir encore été remarqué ? on ne croira jamais cela à la cour.
- Continuez, comte, dit Diane en rougissant. Comment venez-vous de la ville par ici, par exemple ?
- J'ai deux chevaux d'une race choisie ; je monte l'un d'eux, je sors au pas de la ville, m'arrêtant à regarder les écriteaux et les enseignes, mais quand une fois je suis loin des regards, mon cheval prend un galop qui lui permet de franchir en vingt minutes les trois lieues et demie qu'il y a d'ici à la ville. Une fois dans le bois de Méridor je m'oriente et je trouve le mur du parc ; mais il est long, fort long, le parc est grand. Hier, j'ai exploré ce mur pendant plus de quatre heures, grimpant çà et là, espérant vous apercevoir toujours. Enfin, je désespérais presque, quand je vous ai aperçue le soir, au moment où vous rentriez à la maison ; les deux grands chiens du baron sautaient après vous, et madame de Saint-Luc leur tenait en l'air un perdreau qu'ils essayaient d'atteindre ; puis vous disparûtes.
« Je sautai là ; j'accourus ici, où vous étiez tout à l'heure ; je vis l'herbe et la mousse assidûment foulées. j'en conclus que vous pourriez bien avoir adopté cet endroit qui est charmant pendant le soleil ; pour me reconnaître alors, j'ai fait des brisées comme à la chasse ; et tout en soupirant, ce qui me fait un mal affreux...
- Par défaut d'habitude, interrompit Jeanne en souriant.
- Je ne dis pas non, madame. En soupirant donc, ce qui me fait un mal affreux, je le répète, j'ai repris la route de la ville ; j'étais bien fatigué ; j'avais en outre déchiré mon pourpoint cannelle en montant aux arbres, et cependant, malgré les accrocs de mon pourpoint, malgré l'oppression de ma poitrine, j'avais la joie au coeur : je vous avais vue.
- Il me semble que voilà un admirable récit, dit Jeanne, et que vous avez surmonté là de terribles obstacles, c'est beau et c'est héroïque ; mais moi, qui crains de monter aux arbres, j'aurais à votre place conservé mon pourpoint et surtout ménagé mes belles mains blanches. Voyez dans quel affreux état sont les vôtres, tout égratignées par les ronces.
- Oui. Mais je n'aurais pas vu celle que je venais voir.
- Au contraire ; j'aurais vu, et beaucoup mieux que vous ne l'aviez fait, Diane de Méridor, et même madame de Saint-Luc.
- Qu'eussiez-vous donc fait ? demanda Bussy avec empressement.
- Je fusse venu droit au pont du château de Méridor, et j'y fusse entré. M. le baron me serrait dans ses bras, madame de Monsoreau me plaçait près d'elle à table, M. de Saint-Luc me comblait de caresses, madame de Saint- Luc faisait avec moi des anagrammes. C'était la chose du monde la plus simple : il est vrai que la chose du monde la plus simple est celle dont les amoureux ne s'avisent jamais.
Bussy secoua la tête avec un sourire et un regard à l'adresse de Diane.
- Oh ! non ! dit-il, non. Ce que vous eussiez fait là, c'était bon pour tout le monde, non pour moi.
Diane rougit comme un enfant, et le même sourire et le même regard se reflétèrent dans ses yeux et sur ses lèvres.
- Allons ! dit Jeanne, voilà, à ce qu'il paraît que je ne comprends plus rien aux belles manières !
- Non ! dit Bussy en secouant la tête. Non ! je ne pouvais aller au château ! Madame est mariée, M. le baron doit au mari de sa fille, quel qu'il soit une surveillance sévère.
- Bien, dit Jeanne, voilà une leçon de civilité que je reçois ; merci, monsieur de Bussy, car je mérite de la recevoir, cela m'apprendra à me mêler aux propos des fous.
- Des fous ! répéta Diane.
- Des fous ou des amoureux, répondit madame de Saint-Luc, et en conséquence...
Elle embrassa Diane au front, fit une révérence à Bussy et s'enfuit.
Diane la voulut retenir d'une main, mais Bussy saisit l'autre, et il fallut bien que Diane, si bien retenue par son amant, se décidât à lâcher son amie.
Bussy et Diane restèrent donc seuls.
Diane regarda madame de Saint-Luc qui s'éloignait en cueillant des fleurs, puis elle s'assit en rougissant.
Bussy se coucha à ses pieds.
- N'est-ce pas, dit-il, que j'ai bien fait, madame, que vous m'approuvez ?
- Je ne vais pas feindre, répondit Diane, et d'ailleurs, vous savez le fond de ma pensée ; oui, je vous approuve, mais ici s'arrêtera mon indulgence ; en vous désirant, en vous appelant comme je faisais tout à l'heure, j'étais insensée, j'étais coupable.
- Mon Dieu ! que dites-vous donc là, Diane ?
- Hélas ! comte, je dis la vérité ! J'ai le droit de rendre malheureux M. de Monsoreau qui m'a poussée à cette extrémité, mais je n'ai ce droit qu'en m'abstenant de rendre un autre heureux. Je puis lui refuser ma présence, mon sourire, mon amour ; mais si je donnais ces faveurs à un autre, je volerais celui-là qui, malgré moi, est mon maître.
Bussy écouta patiemment toute cette morale, fort adoucie, il est vrai, par la grâce et la mansuétude de Diane.
- A mon tour de parler, n'est-ce pas ? dit-il.
- Parlez, répondit Diane.
- Avec franchise ?
- Parlez !
- Eh bien ! de tout ce que vous venez de dire madame, vous n'avez pas trouvé un mot au fond de votre coeur.
- Comment ?
- Ecoutez-moi sans impatience, madame, vous voyez que je vous ai écoutée patiemment, vous m'avez accablé de sophismes.
Diane fit un mouvement.
- Les lieux communs de morale, continua Bussy, ne sont que cela quand ils manquent d'application. En échange de ces sophismes, moi madame, je vais vous rendre des vérités. Un homme est votre maître, dites-vous, mais avez-vous choisi cet homme ? Non, une fatalité vous l'a imposé, et vous l'avez subie. Maintenant, avez-vous dessein de souffrir toute votre vie des suites d'une contrainte si odieuse ? Alors c'est à moi de vous en délivrer.
Diane ouvrit la bouche pour parler, Bussy l'arrêta d'un signe.
- Oh ! je sais ce que vous m'allez répondre, dit le jeune homme. Vous me répondrez que si je provoque M. de Monsoreau et si je le tue vous ne me reverrez jamais... Soit, je mourrai de douleur de ne pas vous revoir, mais vous vivrez libre, mais vous vivrez heureuse, mais vous pourrez rendre heureux un galant homme, qui, dans sa joie, bénira quelquefois mon nom et dira : « Merci ! Bussy, merci ! de nous avoir délivrés de cet affreux Monsoreau » ; et vous-même, Diane, vous qui n'oseriez me remercier vivant, vous me remercierez mort.
La jeune femme saisit la main du comte et la serra tendrement.
- Vous n'avez pas encore imploré, Bussy, dit-elle, et voilà que vous menacez déjà.
- Vous menacer ? oh ! Dieu m'entend, et Il sait quelle est mon intention ; je vous aime si ardemment, Diane, que je n'agirai point comme ferait un autre homme. Je sais que vous m'aimez. Mon Dieu ! n'allez pas vous en défendre, vous rentreriez dans la classe de ces esprits vulgaires dont les paroles démentent les actions. Je le sais, car vous l'avez avoué. Puis, un amour comme le mien voyez-vous, rayonne comme le soleil et vivifie tous les coeurs qu'il touche ; ainsi, je ne vous supplierai pas, je ne me consumerai pas en désespoir. Non, je me mettrai à vos genoux que je baise, et je vous dirai la main droite sur mon coeur, sur ce coeur qui n'a jamais menti ni par intérêt, ni par crainte, je vous dirai : « Diane, je vous aime, et ce sera pour toute ma vie ! Diane, je vous jure à la face du ciel que je mourrai pour vous, que je mourrai en vous adorant. » Si vous me dites encore : « Partez, ne volez pas le bonheur d'un autre », je me relèverai sans soupir, sans un signe, de cette place où je suis si heureux, cependant, et je vous saluerai profondément en me disant : « Cette femme ne m'aime pas ; cette femme ne m'aimera jamais. » Alors je partirai et vous ne me reverrez plus jamais. Mais comme mon dévouement pour vous est encore plus grand que mon amour, comme mon désir de vous voir heureuse survivra à la certitude que je ne puis pas être heureux moi-même, comme je n'aurai pas volé le bonheur d'un autre, j'aurai le droit de lui voler sa vie en y sacrifiant la mienne : voilà ce que je ferai, madame, et cela de peur que vous ne soyez esclave éternellement, et que ce ne vous soit un prétexte à rendre malheureux les braves gens qui vous aiment.
Bussy s'était ému en prononçant ces paroles. Diane lut dans son regard si brillant et si loyal toute la vigueur de sa résolution : elle comprit que ce qu'il disait, il allait le faire ; que ses paroles se traduiraient indubitablement en action, et comme la neige d'avril fond aux rayons du soleil, sa rigueur se fondit à la flamme de ce regard.
- Eh bien ! dit-elle, merci de cette violence que vous me faites, ami. C'est encore une délicatesse de votre part, de m'ôter ainsi jusqu'au remords de vous avoir cédé. Maintenant, m'aimerez-vous jusqu'à la mort, comme vous le dites ? maintenant, ne serai-je pas le jeu de votre fantaisie et ne me laisserez-vous pas un jour l'odieux regret de ne pas avoir écouté l'amour de M. de Monsoreau ? Mais non, je n'ai pas de conditions à vous faire ; je suis vaincue, je suis livrée, je suis à vous, Bussy, d'amour du moins. Restez donc, ami, et maintenant que ma vie est la vôtre, veillez sur nous.
En disant ces mots, Diane posa une de ses mains si blanches et si effilées sur l'épaule de Bussy, et lui tendit l'autre, qu'il tint amoureusement collée à ses lèvres : Diane frissonna sous ce baiser.
On entendit alors les pas légers de Jeanne, accompagnés d'une petite toux indicatrice.
Elle rapportait une gerbe de fleurs nouvelles et le premier papillon qui se fût encore hasardé peut-être hors de sa coque de soie ; c'était une atalante aux ailes rouges et noires.
Instinctivement les mains entrelacées se désunirent.
Jeanne remarqua ce mouvement.
- Pardon, mes bons amis, de vous déranger, dit-elle, mais il nous faut rentrer sous peine que l'on vienne nous chercher ici. Monsieur le comte, regagnez, s'il vous plaît, votre excellent cheval qui fait quatre lieues en une demi-heure, et laissez-nous faire le plus lentement possible, car je présume que nous aurons fort à causer, les quinze cents pas qui nous séparent de la maison. Dame ! voici ce que vous perdez à votre entêtement, monsieur de Bussy : le dîner du château, qui est excellent surtout pour un homme qui vient de monter à cheval et de grimper par-dessus les murailles, et cent bonnes plaisanteries que nous eussions faites, sans compter certains coups d'oeil échangés qui chatouillent mortellement le coeur. Allons, Diane, rentrons.
Et Jeanne prit le bras de son amie et fit un léger effort pour l'entraîner avec elle.
Bussy regarda les deux amies avec un sourire. Diane encore à demi retournée de son côté, lui tendit la main.
Il se rapprocha d'elles.
- Eh bien ! demanda-t-il, c'est tout ce que vous me dites ?
- A demain, répliqua Diane, n'est-ce pas convenu ?
- A demain seulement ?
- A demain et à toujours !
Bussy ne put retenir un petit cri de joie ; il inclina ses lèvres sur la main de Diane ; puis, jetant un dernier adieu aux deux femmes, il s'éloigna ou plutôt s'enfuit.
Il sentait qu'il lui fallait un effort de volonté pour consentir à se séparer de celle à laquelle il avait si longtemps désespéré d'être réuni.
Diane le suivit du regard jusqu'au fond du taillis, et retenant son amie par le bras, écouta jusqu'au son le plus lointain de ses pas dans les broussailles.
- Ah ! maintenant, dit Jeanne, lorsque Bussy fut disparu tout à fait, veux-tu causer un peu avec moi, Diane ?
- Oh ! oui, dit la jeune femme, tressaillant comme si la voix de son amie la tirait d'un rêve. Je t'écoute.
- Eh bien ! vois-tu, demain j'irai à la chasse avec Saint-Luc et ton père.
- Comment ! tu me laisseras seule au château ?
- Ecoute, chère amie, dit Jeanne ; moi aussi, j'ai mes principes de morale, et il y a certaines choses que je ne puis consentir à faire.
- Oh ! Jeanne, s'écria madame de Monsoreau en pâlissant, peux-tu bien me dire de ces duretés-là, à moi, à ton amie ?
- Il n'y a pas d'amie qui tienne, continua madame de Saint-Luc avec la même tranquillité ; je ne puis continuer ainsi.
- Je croyais que tu m'aimais, Jeanne, et voilà que tu me perces le coeur, dit la jeune femme avec des larmes dans les yeux ; tu ne veux pas continuer, dis-tu, eh ! quoi donc ne veux-tu pas continuer ?
- Continuer, murmura Jeanne à l'oreille de son amie, continuer de vous empêcher, pauvres amants que vous êtes, de vous aimer tout à votre aise.
Diane saisit dans ses bras la rieuse jeune femme et couvrit de baisers son visage épanoui.
Comme elle la tenait embrassée, les trompes de la chasse firent entendre leurs bruyantes fanfares.
- Allons, on nous appelle, dit Jeanne ; le pauvre Saint-Luc s'impatiente. Ne sois donc pas plus dure envers lui que je ne veux l'être envers l'amoureux en pourpoint cannelle.

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