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Chapitre XLIV
Comment d'Epernon eut son pourpoint déchiré, et comment Schomberg fut teint en bleu

Tandis que maître La Hurière entassait signatures sur signatures, tandis que Chicot consignait Gorenflot à la Corne-d'Abondance, tandis que Bussy revenait à la vie dans ce bienheureux petit jardin tout plein de parfums, de chants et d'amour, Henri, sombre de tout ce qu'il avait vu par la ville, irrité des prédications qu'il avait entendues dans les églises, furieux des saluts mystérieux recueillis par son frère d'Anjou, qu'il avait vu passer devant lui dans la rue Saint-Honoré, accompagné de M. de Guise et de M. de Mayenne, avec toute une suite de gentilshommes que semblait commander M. de Monsoreau, Henri, disons-nous, était rentré au Louvre en compagnie de Maugiron et de Quélus.
Le roi, selon son habitude, était sorti avec ses quatre amis ; mais, à quelques pas du Louvre, Schomberg et d'Epernon, ennuyés de voir Henri soucieux, et comptant qu'au milieu d'un pareil remue-ménage, il y avait des chances pour le plaisir et les aventures, Schomberg d'Epernon avaient profité de la première bousculade pour disparaître au coin de la rue de l'Astruce, et tandis que le roi et ses deux amis continuaient leur promenade par le quai, ils s'étaient laissés emporter par la rue d'Orléans.
Ils n'avaient pas fait cent pas que chacun avait déjà son affaire. D'Epernon avait passé sa sarbacane entre les jambes d'un bourgeois qui courait, et qui s'en était allé du coup rouler à dix pas, et Schomberg avait enlevé la coiffe d'une femme qu'il avait cru laide et vieille, et qui s'était trouvée par fortune jeune et jolie.
Mais tous deux avaient mal choisi leur jour pour s'attaquer à ces bons Parisiens, d'ordinaire si patients ; il courait par les rues cette fièvre de révolte qui bat quelquefois tout à coup des ailes dans les murs des capitales : le bourgeois culbuté s'était relevé et avait crié : « Au parpaillot ! » C'était un zélé, on le crut, et on s'élança vers d'Epernon ; la femme décoiffée avait crié : « Au mignon ! » ce qui était bien pis ; et son mari, qui était un teinturier, avait lâché sur Schomberg ses apprentis.
Schomberg était brave ; il s'arrêta, voulut parler haut et mit la main à son épée.
D'Epernon était prudent, il s'enfuit.
Henri ne s'était plus occupé de ses deux mignons, il les connaissait pour avoir l'habitude de se tirer d'affaire tous deux : l'un, grâce à ses jambes, l'autre, grâce à ses bras ; il avait donc fait sa tournée, comme nous avons vu, et, sa tournée faite, il était revenu au Louvre.
Il était rentré dans son cabinet d'Armes, et, assis sur son grand fauteuil, il tremblait d'impatience, cherchant un bon sujet de se mettre en colère.
Maugiron jouait avec Narcisse, le grand lévrier du roi.
Quélus, les poings appuyés contre ses joues, s'était accroupi sur un coussin et regardait Henri.
- Ils vont, ils vont, lui disait le roi. Leur complot marche ; tantôt tigres, tantôt serpents, quand ils ne bondissent pas, ils rampent.
- Eh ! Sire, dit Quélus, est-ce qu'il n'y a pas toujours des complots dans un royaume ? Que diable voudriez-vous que fissent les fils de rois, les frères de rois, les cousins de rois, s'ils ne complotaient pas ?
- Tenez, en vérité, Quélus, avec vos maximes absurdes et vos grosses joues boursouflées, vous me faites l'effet d'être, en politique, de la force du Gilles de la foire Saint-Laurent.
Quélus pivota sur son coussin et tourna irrévérencieusement le dos au roi.
- Voyons, Maugiron, reprit Henri, ai-je raison ou tort, mordieu ! et doit-on me bercer avec des fadaises et des lieux communs, comme si j'étais un roi vulgaire ou un marchand de laine qui craint de perdre son chat favori ?
- Eh ! Sire, dit Maugiron, qui était toujours et en tout point de l'avis de Quélus, si vous n'êtes pas un roi vulgaire, prouvez-le en faisant le grand roi. Que diable ! voilà Narcisse, c'est un bon chien, c'est une bonne bête ; mais quand on lui tire les oreilles, il grogne, et quand on lui marche sur les pattes, il mord.
- Bon ! dit Henri, voilà l'autre qui me compare à mon chien.
- Non pas, Sire, dit Maugiron ; vous voyez bien, au contraire, que je mets Narcisse fort au-dessus de vous, puisque Narcisse sait se défendre et que Votre Majesté ne le sait pas.
Et à son tour il tourna le dos à Henri.
- Allons, me voilà seul, dit le roi ; fort bien, continuez, mes bons amis, pour qui l'on me reproche de dilapider le royaume ; abandonnez-moi, insultez-moi, égorgez-moi tous ; je n'ai que des bourreaux autour de ma personne, parole d'honneur. Ah ! Chicot ! mon pauvre Chicot ! où es-tu ?
- Bon ! dit Quélus, il ne nous manquait plus que cela. Voilà qu'il appelle Chicot, à présent.
- C'est tout simple, répondit Maugiron.
Et l'insolent se mit à mâchonner entre ses dents certain proverbe latin qui se traduit en français par l'axiome : Dis-moi qui te hantes, je te dirai qui tu es.
Henri fronça le sourcil, un éclair de terrible courroux illumina ses grands yeux noirs, et pour cette fois, certes, c'était bien un regard de roi que le prince lança sur ses indiscrets amis.
Mais, sans doute épuisé par cette velléité de colère, Henri retomba sur sa chaise et frotta les oreilles d'un des petits chiens de sa corbeille.
En ce moment un pas rapide retentit dans les antichambres, et d'Epernon apparut sans toquet, sans manteau, et son pourpoint tout déchiré.
Quélus et Maugiron se retournèrent, et Narcisse s'élança vers le nouveau venu en jappant, comme si des courtisans du roi il ne reconnaissait que les habits.
- Jésus-Dieu ! s'écria Henri, que t'est-il donc arrivé ?
- Sire, dit d'Epernon, regardez-moi ; voici de quelle façon l'on traite les amis de Votre Majesté.
- Et qui t'a traité ainsi ? demanda le roi.
- Mordieu ! votre peuple, ou plutôt celui de M. le duc d'Anjou, qui criait : « Vive la Ligue ! vive la messe ! vive Guise ! vive François ! », vive tout le monde enfin, excepté vive le roi.
- Et que lui as-tu donc fait, à ce peuple, pour qu'il te traite ainsi ?
- Moi ? rien. Que voulez-vous qu'un homme fasse à un peuple ? Il m'a reconnu pour ami de Votre Majesté, et cela lui a suffi.
- Mais Schomberg ?
- Quoi, Schomberg ?
- Schomberg n'est pas venu à ton secours ? Schomberg ne t'a pas défendu ?
- Corboeuf ! Schomberg avait assez à faire pour son propre compte.
- Comment cela ?
- Oui, je l'ai laissé aux mains d'un teinturier dont il avait décoiffé la femme, et qui, avec ses cinq ou six garçons, était en train de lui faire passer un mauvais quart d'heure.
- Par la mordieu ! s'écria le roi, et où l'as-tu laissé, mon pauvre Schomberg ? dit Henri en se levant, j'irai moi-même à son aide. Peut-être pourra-t-on dire, ajouta Henri en regardant Maugiron et Quélus, que mes amis m'ont abandonné, mais on ne dira pas au moins que j'ai abandonné mes amis.
- Merci, Sire, dit une voix derrière Henri merci, me voilà, Gott verdamme mich, je m'en suis tiré tout seul, mais ce n'est pas sans peine.
- Oh ! Schomberg ! c'est la voix de Schomberg crièrent les trois mignons. Mais où diable es-tu ?
- Pardieu, où je suis, vous me voyez bien s'écria la même voix.
Et en effet, des profondeurs obscures du cabinet, on vit s'avancer, non pas un homme, mais une ombre.
- Schomberg ! s'écria le roi, d'où viens-tu, d'où sors-tu, et pourquoi es-tu de cette couleur ?
En effet Schomberg, des pieds à la tête, sans exception d'aucune partie de ses vêtements ou de sa personne, Schomberg était du plus beau bleu de roi qu'il fût possible de voir.
- Der Teufel ! s'écria-t-il ; les misérables ! Je ne m'étonne plus si tout ce peuple courait après moi.
- Mais qu'y a-t-il donc ? demanda Henri. Si tu étais jaune, cela s'expliquerait par la peur ; mais bleu !
- Il y a, qu'ils m'ont trempé dans une cuve, les coquins, j'ai cru qu'ils me trempaient tout bonnement dans une cuve d'eau, et c'était dans une cuve d'indigo.
- Oh ! mordieu ! dit Quélus en éclatant de rire, ils sont punis par où ils ont péché. C'est très cher, l'indigo, et tu leur emportes au moins pour vingt écus de teinture.
- Je te conseille de plaisanter, toi ; j'aurais voulu te voir à ma place.
- Et tu n'en as pas étripé quelqu'un ? demanda Maugiron.
- J'ai laissé mon poignard quelque part, voilà tout ce que je sais, enfoncé jusqu'à la garde dans un fourreau de chair ; mais, en une seconde, tout a été dit : j'ai été pris, soulevé, emporté, trempé dans la cuve et presque noyé.
- Et comment t'es-tu tiré de leurs mains ?
- J'ai eu le courage de commettre une lâcheté, Sire.
- Et qu'as-tu fait ?
- J'ai crié : « Vive la Ligue ! »
- C'est comme moi, dit d'Epernon ; seulement on m'a forcé d'ajouter : « Vive le duc d'Anjou ! »,
- Et moi aussi, dit Schomberg en mordant ses mains de rage ; moi aussi je l'ai crié. Mais ce n'est pas tout.
- Comment ! dit le roi, ils t'ont encore fait crier autre chose, mon pauvre Schomberg ?
- Non, ils ne m'ont pas fait crier autre chose, et c'est bien assez comme cela, Dieu merci ! mais au moment où je criais : « Vive le duc d'Anjou !... »
- Eh bien ?
- Devinez qui passait ?
- Comment veux-tu que je devine ?
- Bussy, son damné Bussy, lequel m'a entendu crier vive son maître.
- Le fait est qu'il n'a rien du y comprendre, dit Quélus.
- Parbleu ! comme il était difficile de voir ce qui se passait ! j'avais le poignard sur la gorge et j'étais dans une cuve.
- Comment, dit Maugiron, il ne t'a pas porté secours ? cela se devait cependant de gentilhomme à gentilhomme.
- Lui, il paraît qu'il avait à songer à bien autre chose ; il ne lui manquait que des ailes pour s'envoler ; à peine touchait-il encore la terre.
- Et puis, dit Maugiron, il ne t'aura peut-être pas reconnu ?
- La belle raison !
- Etais-tu déjà passé au bleu ?
- Ah ! c'est juste, dit Schomberg.
- Dans ce cas il serait excusable, reprit Henri, car, en vérité, mon pauvre Schomberg, je ne te reconnais pas moi-même.
- N'importe, répliqua le jeune homme qui n'était pas pour rien d'origine allemande, nous nous retrouverons autre part qu'au coin de la rue Coquillière, et un jour que je ne serai pas dans une cuve.
- Oh ! moi, dit d'Epernon, ce n'est pas au valet que j'en veux, c'est au maître ; ce n'est pas à Bussy que je voudrais avoir affaire, c'est à Monseigneur le duc d'Anjou.
- Oui, oui, s'écria Schomberg, Monseigneur le duc d'Anjou qui veut nous tuer par le ridicule en attendant qu'il nous tue par le poignard.
- Au duc d'Anjou, dont on chantait les louanges par les rues. Vous les avez entendues, Sire, dirent ensemble Quélus et Maugiron.
- Le fait est que c'est lui qui est duc et maître dans Paris à cette heure, et non plus le roi ; essayez un peu de sortir, lui dit d'Epernon, et vous verrez si l'on vous respectera plus que nous.
- Ah ! mon frère ! mon frère ! murmura Henri d'un ton menaçant.
- Ah ! oui, Sire, vous direz encore bien des fois, comme vous venez de le dire : « Ah ! mon frère ! mon frère ! » sans prendre aucun parti contre ce frère, dit Schomberg, et cependant, je vous le déclare, et c'est clair pour moi, ce frère est à la tête de quelque complot.
- Eh ! mordieu ! s'écria Henri, c'est ce que je disais à ces messieurs, quand tu es entré tout à l'heure, d'Epernon ; mais ils m'ont répondu en haussant les épaules et en me tournant le dos.
- Sire, dit Maugiron, nous avons haussé les épaules et tourné le dos point parce que vous disiez qu'il y avait un complot, mais parce que nous ne vous voyions pas en humeur de le comprimer.
- Et maintenant, continua Quélus, nous nous retournons vers vous pour vous redire : Sauvez-nous, Sire, ou plutôt sauvez-vous, car, nous tombés, vous êtes mort ; demain M. de Guise vient au Louvre, demain il demandera que vous nommiez un chef à la Ligue ; demain vous nommerez le duc d'Anjou comme vous avez promis de le faire, et alors, une fois le duc d'Anjou chef de la Ligue, c'est-à-dire à la tête de cent mille Parisiens échauffés par les orgies de cette nuit, le duc d'Anjou fera de vous ce qu'il voudra.
- Ah ! ah ! dit Henri, et en cas de résolution extrême, vous seriez donc disposés à me seconder ?
- Oui, Sire, répondirent les jeunes gens d'une seule voix.
- Pourvu cependant, Sire, dit d'Epernon, que Votre Majesté me donne le temps de mettre un autre toquet, un autre manteau et un autre pourpoint.
- Passe dans ma garde-robe, d'Epernon, et mon valet de chambre te donnera tout cela ; nous sommes de même taille.
- Et pourvu que vous me donniez le temps, à moi, de prendre un bain.
- Passe dans mon étuve, Schomberg, et mon baigneur aura soin de toi.
- Sire, dit Schomberg, nous pouvons donc espérer que l'insulte ne restera pas sans vengeance ?
Henri étendit la main en signe de silence, et, baissant la tête sur sa poitrine, parut réfléchir profondément.
Puis, au bout d'un instant :
- Quélus, dit-il, informez-vous si M. d'Anjou est rentré au Louvre.
Quélus sortit. D'Epernon et Schomberg attendaient avec les autres la réponse de Quélus, tant leur zèle s'était ranimé par l'imminence du danger ; ce n'est point pendant la tempête, c'est pendant le calme qu'on voit les matelots récalcitrants.
- Sire, demanda Maugiron, Votre Majesté prend donc le parti... ?
- Vous allez voir, répliqua le roi.
Quélus revint.
- M. le duc n'est pas encore rentré, dit-il.
- C'est bien, répondit le roi. D'Epernon, allez changer d'habit ; Schomberg, allez changer de couleur ; et vous, Quélus, et vous, Maugiron, descendez dans le préau et faites-moi bonne garde jusqu'à ce que mon frère rentre.
- Et quand il rentrera ? demanda Quélus.
- Quand il rentrera, vous ferez fermer toutes les portes ; allez.
- Bravo, Sire ! dit Quélus.
- Sire, dit d'Epernon, dans dix minutes je suis ici.
- Moi, Sire, je ne puis dire quand j'y serai ce sera selon la qualité de la teinture.
- Venez le plus tôt possible, répondit le roi voilà tout ce que j'ai à vous dire.
- Mais Votre Majesté va donc rester seule ? demanda Maugiron.
- Non, Maugiron, je reste avec Dieu, à qui je vais demander sa protection pour notre entreprise.
- Priez-le bien, Sire, dit Quélus, car je commence à croire qu'il s'entend avec le diable pour nous damner tous ensemble dans ce monde et dans l'autre.
- Amen ! dit Maugiron.
Les deux jeunes gens qui devaient faire la garde sortirent par une porte. Les deux qui devaient changer de costume sortirent par l'autre.
Le roi, resté seul, alla s'agenouiller à son prie-Dieu.

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