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Chapitre XLIII
Etymologie de la rue de la Jussienne

Remy prit son malade par-dessous le bras, tourna à gauche, prit la rue Coquillière et la suivit jusqu'au rempart.
- C'est étrange, dit Bussy, tu me conduis du côté des marais de la Grange Batelière, et tu prétends que ce quartier est sain ?
- Oh ! monsieur, dit Remy, un peu de patience, nous allons tourner autour de la rue Pagevin, nous allons laisser à droite la rue Breneuse, et nous allons rentrer dans la rue Montmartre ; vous verrez, la belle rue que la rue Montmartre !
- Crois-tu que je ne la connais pas ?
- Eh bien ! alors, si vous la connaissez, tant mieux ! je n'aurai pas besoin de perdre du temps à vous en faire voir les beautés, et je vous conduirai tout de suite dans une jolie petite rue. Venez toujours, je ne vous dis que cela.
Et, en effet, après avoir laissé la porte Montmartre à gauche et avoir fait deux cents pas à peu près dans la rue, Remy tourna à droite.
- Ah çà, mais tu le fais exprès, s'écria Bussy ; nous retournons d'où nous venons.
- Ceci, dit Remy, est la rue de la Gypecienne, ou de l'Egyptienne, comme vous voudrez, rue que le peuple commence déjà à nommer rue de la Gyssienne, et qu'il finira par appeler avant peu la rue de la Jussienne, parce que c'est plus doux, et que le génie des langues tend toujours, à mesure qu'on s'avance vers le Midi, à multiplier les voyelles. Vous devez savoir cela, vous, Monseigneur, qui avez été en Pologne ; les coquins n'en sont-ils pas encore à leurs quatre consonnes de suite, ce qui fait qu'ils ont l'air, en parlant, de broyer de petits cailloux et de jurer en les broyant ?
- C'est très juste, dit Bussy ; mais comme je ne crois pas que nous soyons venus ici pour faire un cours de philologie, voyons, dis-moi : où allons nous ?
- Voyez-vous cette petite église ? dit Remy sans répondre autrement à ce que lui disait Bussy. Hein ! Monseigneur ! comme elle est fièrement campée, avec sa façade sur la rue et son abside sur le jardin de la communauté ! Je parie que vous ne l'avez, jusqu'à ce jour, jamais remarquée !
- En effet, dit Bussy, je ne la connaissais pas.
Et Bussy n'était pas le seul seigneur qui ne fût jamais entré dans cette église de Sainte-Marie-l'Egyptienne, église toute populaire, et qui était connue aussi des fidèles qui la fréquentaient sous le nom de chapelle Quoqhéron.
- Eh bien ! dit Remy, maintenant que vous savez comment s'appelle cette église, Monseigneur, et que vous en avez suffisamment examiné l'extérieur, entrons-y, et vous verrez de la nef : ils sont curieux.
Bussy regarda le Haudouin, et il vit sur le visage du jeune homme un si doux sourire qu'il comprit que le jeune docteur avait, en le faisant entrer dans l'église, un autre but que celui de lui faire voir des vitraux qu'on ne pouvait voir, attendu qu'il faisait nuit.
Mais il y avait encore autre chose que l'on pouvait voir, car l'intérieur de l'église était éclairé pour l'office du salut : c'étaient ces naïves peintures du XVIe siècle, comme l'Italie, grâce à son beau climat, en garde encore beaucoup, tandis que, chez nous, l'humidité d'un côté et le vandalisme de l'autre, ont effacé à qui mieux mieux sur nos murailles ces traditions d'un âge écoulé, et ces preuves d'une foi qui n'est plus. En effet, le peintre avait peint à fresque pour François Ier et par les ordres de ce roi, la vie de sainte Marie l'Egyptienne : or, au nombre des sujets les plus intéressants de cette vie, l'artiste imagier, naïf et grand ami de la vérité, sinon anatomique, du moins historique, avait, dans l'endroit le plus apparent de la chapelle, placé ce moment difficile où sainte Marie n'ayant point d'argent pour payer le batelier, s'offre elle-même comme salaire de son passage.
Maintenant il est juste de dire que, malgré la vénération des fidèles pour Marie l'Egyptienne convertie, beaucoup d'honnêtes femmes du quartier trouvaient que le peintre aurait pu mettre ailleurs ce sujet, ou tout au moins le traiter d'une façon moins naïve ; et la raison qu'elles donnaient, ou plutôt qu'elles ne donnaient point, était que certains détails de la fresque détournaient trop souvent la vue des jeunes courtauds de boutique que les drapiers leurs patrons amenaient à l'église les dimanches et fêtes.
Bussy regarda le Haudouin, qui, devenu courtaud pour un instant, donnait une grande attention à cette peinture.
- As-tu la prétention, lui dit-il, de faire naître en moi des idées anacréontiques avec ta chapelle de Sainte-Marie-l'Egyptienne ? S'il en est ainsi, tu t'es trompé d'espèce. Il faut amener ici des moines et des écoliers.
- Dieu m'en garde, dit le Haudouin : Omnis cogitatio libidinosa cerebrum inficit.
- Eh bien ! alors ?
- Dame ! écoutez donc, on ne peut cependant pas se crever les yeux quand on entre ici.
- Voyons, tu avais un autre but en m'amenant ici, n'est-ce pas, que de me faire voir les genoux de sainte Marie l'Egyptienne !
- Ma foi, non, dit Remy.
- Alors j'ai vu, partons.
- Patience ! voici que l'office s'achève. En sortant maintenant, nous dérangerions les fidèles.
Et le Haudouin retint doucement Bussy par le bras.
- Ah ! voilà que chacun se retire, dit Remy. Faisons comme les autres, s'il vous plaît ?
Bussy se dirigea vers la porte avec une indifférence et une distraction visibles.
- Eh bien ! dit le Haudouin, voilà que vous allez sortir sans prendre de l'eau bénite. Où diable avez-vous donc la tête ?
Bussy, obéissant comme un enfant, s'achemina vers la colonne dans laquelle était incrusté le bénitier.
Le Haudouin profita de ce mouvement pour faire un signe d'intelligence à une femme qui, sur le geste du jeune docteur, s'achemina de son côté vers la même colonne où tendait Bussy.
Aussi, au moment où le comte portait la main vers le bénitier, en forme de coquille, que soutenaient deux Egyptiens en marbre noir, une main un peu grosse et un peu rouge, qui cependant était une main de femme, s'allongea vers la sienne et humecta ses doigts de l'eau lustrale.
Bussy ne put s'empêcher de porter ses yeux de la main grosse et rouge au visage de la femme ; mais à l'instant même il recula d'un pas et pâlit subitement, car il venait de reconnaître, dans la propriétaire de cette main, Gertrude, à moitié cachée sous un voile de laine noire.
Il resta le bras étendu sans songer à faire le signe de la croix, tandis que Gertrude passait en le saluant et profilait sa haute taille sous le porche de la petite église.
A deux pas derrière Gertrude, dont les coudes robustes faisaient faire place, venait une femme soigneusement enveloppée dans un mantelet de soie, une femme dont les formes élégantes et jeunes, dont le pied charmant, dont la taille délicate, firent songer à Bussy qu'il n'y avait au monde qu'une taille, qu'un pied, qu'une forme semblables.
Remy n'eut rien à lui dire, il le regarda seulement ; Bussy comprenait maintenant pourquoi le jeune homme l'avait amené rue Sainte-Marie l'Egyptienne, et l'avait fait entrer dans l'église.
Bussy suivit cette femme, le Haudouin suivit Bussy.
C'eût été une chose amusante que cette procession de quatre figures se suivant d'un pas égal, si la tristesse et la pâleur de deux d'entre elles n'eussent décelé de cruelles souffrances.
Gertrude, toujours marchant la première, tourna l'angle de la rue Montmartre, fit quelques pas en suivant cette rue, puis tout à coup se jeta à droite dans une impasse sur laquelle s'ouvrait une porte.
Bussy hésita.
- Eh bien ! monsieur le comte, demanda Remy, vous voulez donc que je vous marche sur les talons ?
Bussy continua sa route.
Gertrude, qui marchait toujours la première, tira une clef de sa poche et fit entrer sa maîtresse, qui passa devant elle sans retourner la tête.
Le Haudouin dit deux mots à la camériste, s'effaça et laissa passer Bussy ; puis Gertrude et lui entrèrent de front, refermèrent la porte et l'impasse se retrouva déserte.
Il était sept heures et demie du soir, on allait atteindre les premiers jours de mai ; à l'air tiède qui indiquait les premières haleines du printemps, les feuilles commençaient à se développer au sein de leurs enveloppes crevassées.
Bussy regarda autour de lui : il se trouvait dans un petit jardin de cinquante pieds carrés, entouré de murs très hauts, sur le sommet desquels la vigne vierge et le lierre, élançant leurs pousses nouvelles, faisaient ébouler de temps à autre quelques petites parcelles de plâtre, et jetaient à la brise ce parfum âcre et vigoureux que le frais du soir arrache à leurs feuilles.
De longues ravenelles, joyeusement élancées hors des crevasses du vieux mur de l'église, épanouissaient leurs boutons rouges comme un cuivre sans alliage.
Enfin les premiers lilas, éclos au soleil de la matinée, venaient de leurs suaves émanations ébranler le cerveau encore vacillant du jeune homme, qui se demandait si tant de parfums, de chaleur et de vie ne lui venaient pas à lui, si seul, si faible, si abandonné il y avait une heure à peine, ne lui venaient pas uniquement de la présence d'une femme si tendrement aimée.
Sous un berceau de jasmin et de clématites, sur un petit banc de bois adossé au mur de l'église, Diane s'était assise, le front penché, les mains inertes et tombant à ses côtés, et l'on voyait s'effeuiller, froissée entre ses doigts, une giroflée qu'elle brisait sans s'en douter et dont elle éparpillait les fleurs sur le sable.
A ce moment un rossignol, caché dans un marronnier voisin, commença sa longue et mélancolique chanson, brodée de temps en temps de notes éclatantes comme des fusées.
Bussy était seul dans ce jardin avec madame de Monsoreau, car Remy et Gertrude se tenaient à distance : il s'approcha d'elle ; Diane leva la tête.
- Monsieur le comte, dit-elle d'une voix timide, tout détour serait indigne de nous : si vous m'avez trouvée tout à l'heure à l'église Sainte-Marie l'Egyptienne, ce n'est point le hasard qui vous y a conduit.
- Non, madame, dit Bussy, c'est le Haudouin qui m'a fait sortir sans me dire dans quel but, et je vous jure que j'ignorais...
- Vous vous trompez au sens de mes paroles, monsieur, dit tristement Diane. Oui, je sais bien que c'est M. Remy qui vous a conduit à l'église, et de force peut-être ?
- Madame, dit Bussy, ce n'est point de force... Je ne savais pas qui j'y devais voir.
- Voilà une dure parole, monsieur le comte, murmura Diane en secouant la tête et en levant sur Bussy un regard humide. Avez-vous l'intention de me faire comprendre que si vous eussiez connu le secret de Remy, vous ne l'eussiez point accompagné ?
- Oh ! madame.
- C'est naturel, c'est juste ; monsieur, vous m'avez rendu un service signalé, et je ne vous ai point encore remercié de votre courtoisie. Pardonnez-moi et agréez toutes mes actions de grâces.
- Madame...
Bussy s'arrêta ; il était tellement étourdi qu'il n'avait à son service ni paroles ni idées.
- Mais j'ai voulu vous prouver, moi, continua Diane en s'animant, que je ne suis pas une femme ingrate ni un coeur sans mémoire. C'est moi qui ai prié M. Remy de me procurer l'honneur de votre entretien ; c'est moi qui ai indiqué ce rendez-vous ; pardonnez-moi si je vous ai déplu.
Bussy appuya une main sur son coeur.
- Oh ! madame ! dit-il, vous ne le pensez pas.
Les idées commençaient à revenir à ce pauvre coeur brisé, et il lui semblait que cette douce brise du soir qui lui apportait de si doux parfums et de si tendres paroles lui enlevait en même temps un nuage de dessus les yeux.
- Je sais, continua Diane, qui était la plus forte, parce que depuis longtemps elle était préparée à cette entrevue, je sais combien vous avez eu de mal à faire ma commission. Je connais toute votre délicatesse. Je vous connais et vous apprécie, croyez-le bien. Jugez donc ce que j'ai dû souffrir à l'idée que vous méconnaîtriez les sentiments de mon coeur.
- Madame, dit Bussy, depuis trois jours je suis malade.
- Oui, je le sais, répondit Diane avec une rougeur qui trahissait tout l'intérêt qu'elle prenait à cette maladie, et je souffrais plus que vous, car M. Remy, il me trompait sans doute, M. Remy me laissait croire...
- Que votre oubli causait ma souffrance. Oh ! c'est vrai.
- Donc, j'ai dû faire ce que je fais, comte, reprit madame de Monsoreau. Je vous vois, je vous remercie de vos soins obligeants et vous en jure une reconnaissance éternelle... maintenant croyez que je parle du fond du coeur.
Bussy secoua tristement la tête et ne répondit pas.
- Doutez-vous de mes paroles ? reprit Diane.
- Madame, répondit Bussy, les gens qui ont de l'amitié pour quelqu'un témoignent cette amitié comme ils peuvent : vous me saviez au palais le soir de votre présentation à la cour ; vous me saviez devant vous, vous deviez sentir mon regard peser sur toute votre personne, et vous n'avez pas seulement levé les yeux sur moi ; vous ne m'avez pas fait comprendre, par un mot, par un geste, par un signe que vous saviez que j'étais là ; après cela, j'ai tort, madame ; peut-être ne m'avez-vous pas reconnu ; vous ne m'aviez vu que deux fois.
Diane répondit par un regard de si triste reproche que Bussy en fut remué jusqu'au fond des entrailles.
- Pardon, madame, pardon, dit-il ; vous n'êtes point une femme comme toutes les autres, et cependant vous agissez comme les femmes vulgaires ; ce mariage ?
- Ne savez-vous pas comment j'ai été forcée à le conclure ?
- Oui, mais il était facile à rompre.
- Impossible, au contraire.
- Mais rien ne vous avertissait donc que près de vous veillait un homme dévoué ?
Diane baissa les yeux.
- C'était cela surtout qui me faisait peur, dit-elle.
- Et voilà à quelles considérations vous m'avez sacrifié. Oh ! songez à ce que m'est la vie depuis que vous appartenez à un autre.
- Monsieur, dit la comtesse avec dignité, une femme ne change point de nom sans qu'il n'en résulte un grand dommage pour son honneur, lorsque deux hommes vivent qui portent, l'un le nom qu'elle a quitté, l'autre le nom qu'elle a pris.
- Toujours est-il que vous avez gardé le nom de Monsoreau par préférence.
- Le croyez-vous ! balbutia Diane. Tant mieux !
Et ses yeux se remplirent de larmes.
Bussy, qui lui vit laisser retomber sa tête sur sa poitrine, marcha avec agitation devant elle.
- Enfin, dit Bussy, me voilà redevenu ce que j'étais, madame, c'est-à-dire un étranger pour vous.
- Hélas ! fit Diane.
- Votre silence le dit assez.
- Je ne puis parler que par mon silence.
- Votre silence, madame, est la suite de votre accueil du Louvre. Au Louvre, vous ne me voyiez pas ; ici vous ne me parlez pas.
- Au Louvre, j'étais en présence de M. de Monsoreau, M. de Monsoreau me regardait, et il est jaloux.
- Jaloux ! Eh ! que lui faut-il donc, mon Dieu ! quel bonheur peut-il envier, quand tout le monde envie son bonheur ?
- Je vous dis qu'il est jaloux, monsieur ; depuis quelques jours il a vu rôder quelqu'un autour de notre nouvelle demeure.
- Vous avez donc quitté la petite maison de la rue Saint-Antoine ?
- Comment ! s'écria Diane emportée par un mouvement irréfléchi, cet homme, ce n'était donc pas vous ?
- Madame, depuis que votre mariage a été annoncé publiquement, depuis que vous avez été présentée, depuis cette soirée du Louvre, enfin, où vous n'avez pas daigné me regarder, je suis couché, la fièvre me dévore, je me meurs ; vous voyez que votre mari ne saurait être jaloux de moi, du moins, puisque ce n'est pas moi qu'il a pu voir autour de votre maison.
- Eh bien ! monsieur le comte, s'il est vrai, comme vous me l'avez dit, que vous eussiez quelque désir de me revoir, remerciez cet homme inconnu, car, connaissant M. de Monsoreau comme je le connais, cet homme m'a fait trembler pour vous, et j'ai voulu vous voir pour vous dire : Ne vous exposez pas ainsi, monsieur le comte, ne me rendez pas plus malheureuse que je ne le suis.
- Rassurez-vous, madame ; je vous le répète, ce n'était pas moi.
- Maintenant, laissez-moi achever tout ce que j'avais à vous dire. Dans la crainte de cet homme que nous ne connaissons pas, mais que M. de Monsoreau connaît peut-être, dans la crainte de cet homme, il exige que je quitte Paris ; de sorte que, ajouta Diane en tendant la main à Bussy, de sorte que, monsieur le comte, vous pouvez regarder cet entretien comme le dernier... Demain je pars pour Méridor.
- Vous partez, madame ? s'écria Bussy.
- Il n'est que ce moyen de rassurer M. de Monsoreau, dit Diane ; il n'est que ce moyen de retrouver ma tranquillité. D'ailleurs, de mon côté, je déteste Paris, je déteste le monde, la cour, le Louvre. Je suis heureuse de m'isoler avec mes souvenirs de jeune fille ; il me semble qu'en repassant par le sentier de mes jeunes années, un peu de mon bonheur d'autrefois retombera sur ma tête comme une douce rosée. Mon père m'accompagne. Je vais retrouver là-bas M. et madame de Saint-Luc, qui regrettent de ne pas m'avoir près d'eux. Adieu, monsieur de Bussy.
Bussy cacha son visage entre ses deux mains.
- Allons, murmura-t-il, tout est fini pour moi.
- Que dites-vous là ? s'écria Diane en se levant.
- Je dis, madame, que cet homme qui vous exile, que cet homme qui m'enlève le seul espoir qui me restait, c'est-à-dire celui de respirer le même air que vous, de vous entrevoir derrière une jalousie, de toucher votre robe en passant, d'adorer enfin un être vivant et non pas une ombre, je dis, je dis que cet homme est mon ennemi mortel, et que, dussé-je y périr, je détruirai cet homme de mes mains.
- Oh ! monsieur le comte !
- Le misérable ! s'écria Bussy. Comment ! ce n'est point assez pour lui de vous avoir pour femme, vous, la plus belle et la plus chaste des créatures, il est encore jaloux ! Jaloux ! monstre ridicule et dévorant, il absorberait le monde.
- Oh ! calmez-vous, comte, calmez-vous, mon Dieu !... il est excusable peut-être.
- Il est excusable ! c'est vous qui le défendez, madame.
- Oh ! si vous saviez ! dit Diane en couvrant son visage de ses deux mains, comme si elle eut craint que, malgré l'obscurité, Bussy n'en distinguât la rougeur.
- Si je savais ? répéta Bussy. Eh ! madame, je sais une chose, c'est qu'on a tort de penser au reste du monde quand on est votre mari.
- Mais, dit Diane d'une voix entrecoupée, sourde, ardente ; mais si vous vous trompiez, monsieur le comte, s'il ne l'était pas !
Et la jeune femme, à ces paroles, effleurant de sa main froide les mains brûlantes de Bussy, se leva et s'enfuit, légère comme une ombre, dans les détours sombres du petit jardin, saisit le bras de Gertrude et disparut en l'entraînant avant que Bussy, ivre, insensé, radieux, eût seulement essayé d'étendre les bras pour la retenir.
Il poussa un cri et se leva chancelant.
Remy arriva juste pour le retenir dans ses bras et le faire asseoir sur le banc que Diane venait de quitter.

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