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Epilogue Chapitre IV
Ce que Pitou fait des louis trouvés dans le fauteuil de tante Angélique

On n'a pas oublié que c'était le lendemain qu'avait lieu à la criée la vente de la ferme de Billot et du château du comte de Charny.
On se souvient encore que la ferme était mise à prix à la somme de quatre cent mille francs, et le château à celle de six cent mille francs, en assignats.
Le lendemain venu, M. de Longpré acheta, pour un acquéreur inconnu, les deux lots moyennant la somme de treize cent cinquante louis d'or, c'est-à dire d'un million deux cent quarante-deux mille francs en assignats.
Il paya comptant.
Cela se passait le dimanche, veille du jour où devait avoir lieu le mariage de Catherine et de Pitou.
Ce dimanche-là, Catherine, de grand matin, était partie pour Haramont, soit qu'elle eût quelques dispositions de coquetterie à faire, comme en ont les femmes les plus simples la veille d'un mariage, soit qu'elle ne voulût pas demeurer à la ville pendant qu'on y vendait à la criée cette belle ferme où s'était écoulée sa jeunesse, où elle avait été si heureuse, où elle avait tant souffert !
Ce qui faisait que, le lendemain, à onze heures, toute cette foule rassemblée devant la porte de la mairie, plaignait et louait si fort Pitou d'avoir épousé une fille si complètement ruinée – laquelle, par-dessus le marché, avait un enfant qui, devant être un jour plus riche qu'elle, était encore plus ruiné qu'elle !
Pendant ce temps, M. de Longpré demandait, selon l'usage, à Pitou :
- Citoyen Pierre-Ange Pitou, prenez-vous pour votre femme la citoyenne Anne-Catherine Billot ?
Et à Catherine Billot :
- Citoyenne Anne-Catherine Billot, prenez-vous pour votre époux le citoyen Pierre-Ange Pitou ?
Et tous deux répondirent : « Oui. »
Alors, quand tous deux eurent répondu : « Oui », Pitou d'une voix pleine d'émotion, Catherine d'une voix pleine de sérénité ; quand M. de Longpré eut proclamé, au nom de la loi, que les deux jeunes gens étaient unis en mariage, il fit signe au petit Isidore de venir lui parler.
Le petit Isidore, posé sur le bureau du maire, alla droit à lui.
- Mon enfant, lui dit M. de Longpré, voici des papiers que vous remettrez à votre maman Catherine, lorsque votre papa Pitou l'aura reconduite chez elle.
- Oui, monsieur, dit l'enfant.
Et il prit les deux papiers dans sa petite main.
Tout était fini ; seulement, au grand étonnement des assistants, Pitou tira de sa poche cinq louis d'or, et, les remettant au maire :
- Pour les pauvres, monsieur le maire, dit-il.
Catherine sourit.
- Nous sommes donc riches ? demanda-t-elle.
- On est riche quand on est heureux, Catherine, répondit Pitou ; et vous venez de faire de moi l'homme le plus riche de la terre.
Et il lui offrit son bras, sur lequel s'appuya tendrement la jeune femme.
En sortant, on trouva toute cette foule que nous avons dit à la porte de la mairie.
Elle salua les deux époux par d'unanimes acclamations.
Pitou remercia ses amis, et donna force poignées de main ; Catherine salua ses amies, et distribua force signes de tête.
Pendant ce temps, Pitou tournait à droite.
- Où allez-vous donc, mon ami ? demanda Catherine.
En effet, si Pitou retournait à Haramont, il devait prendre à gauche par le parc.
S'il rentrait dans la maison de tante Angélique, il devait suivre tout droit, par la place du Château.
Où allait-il donc en descendant vers la place de la Fontaine ?
C'est ce que lui demandait Catherine.
- Venez, ma bien-aimée Catherine, dit Pitou ; je vous mène visiter un endroit que vous serez bien aise de revoir.
Catherine se laissa conduire.
- Où vont-ils donc ? demandaient ceux qui les regardaient aller.
Pitou traversa la place de la Fontaine sans s'y arrêter, prit la rue de l'Ormet, et, arrivé à l'extrémité, tourna par cette petite ruelle où, six ans auparavant, il avait rencontré Catherine sur son âne, le jour que, chassé par sa tante Angélique, il ne savait à qui demander l'hospitalité.
- Nous n'allons pas à Pisseleu, j'espère ? demanda Catherine en arrêtant son mari.
- Venez toujours, Catherine, dit Pitou.
Catherine poussa un soupir, suivit la petite ruelle, et déboucha dans la plaine.
Au bout de dix minutes de marche, elle était arrivée sur le petit pont où Pitou l'avait trouvée évanouie le soir du départ d'Isidore pour Paris.
Là, elle s'arrêta.
- Pitou, dit-elle, je n'irai pas plus loin.
- Oh ! mademoiselle Catherine, dit Pitou, jusqu'au saule creux seulement !
C'était le saule où Pitou venait chercher les lettres d'Isidore.
Catherine poussa un soupir, et continua son chemin.
Arrivée au saule :
- Retournons, dit-elle, je vous en supplie !
Mais Pitou, en posant la main sur le bras de la jeune fille :
- Encore vingt pas, mademoiselle Catherine, dit-il ; je ne vous demande que cela.
- Ah ! Pitou ! murmura Catherine, d'un ton de reproche si douloureux, que Pitou s'arrêta à son tour.
- Oh ! mademoiselle, dit-il, et moi qui croyais vous rendre si heureuse !
- Vous croyiez me rendre heureuse, Pitou, en me faisant revoir une ferme où j'ai été élevée, qui a appartenu à mes parents, qui devait m'appartenir, et qui, vendue hier, appartient maintenant à un étranger dont je ne sais pas même le nnom.
- Mademoiselle Catherine, encore vingt pas ; je ne vous demande que cela !
En effet, ces vingt pas, en tournant l'angle d'un mur, démasquaient la grande porte de la ferme.
Sur la grande porte de la ferme étaient groupés tous les anciens journaliers, garçons de charrue, garçons d'écurie, filles de ferme, le père Clouïs en tête.
Chacun tenait un bouquet à la main.
- Ah ! je comprends, dit Catherine, avant que le nouveau propriétaire soit arrivé, vous avez voulu m'amener une dernière fois ici, pour que tous ces anciens serviteurs me fassent leurs adieux. Merci, Pitou !
Et, en quittant le bras de son mari et la main du petit Isidore, elle alla au- devant de ces braves gens, qui l'entourèrent et l'entraînèrent dans la grande salle de la ferme.
Pitou prit le petit Isidore entre ses bras – l'enfant tenait toujours les deux papiers dans sa main – et suivit Catherine.
La jeune femme était assise au milieu de la grande salle, se frottant la tête avec les mains, comme lorsqu'on veut s'éveiller d'un songe.
- Au nom de Dieu, Pitou, fit-elle, les yeux égarés et la voix fiévreuse, que me disent-ils donc ?... Mon ami, je ne comprends rien à ce qu'ils me disent !
- Peut-être les papiers que notre enfant va vous remettre vous en apprendront-ils davantage, chère Catherine, dit Pitou.
Et il poussa Isidore du côté de sa mère.
Catherine prit les deux papiers des petites mains de l'enfant.
- Lisez, Catherine, dit Pitou.
Catherine ouvrit un des deux papiers au hasard, et lut :

« Je reconnais que le château de Boursonne et les terres en dépendant ont été achetés et payés par moi, hier, pour le compte de Jacques-Philippe-Isidore, fils mineur de Mlle Catherine Billot, et que c'est, par conséquent, à cet enfant que ledit château de Boursonne, et lesdites terres en dépendant appartiennent en toute propriété.
                    « Signé : de Longpré,
                    « maire de Villers-Cotterêts. »

- Que veut dire cela, Pitou ? demanda Catherine. Vous devinez bien que je ne comprends pas un mot de tout cela, n'est-ce pas ?
- Lisez l'autre papier, dit Pitou.
Et Catherine, dépliant l'autre papier, lut ce qui suit :

« Je reconnais que la ferme de Pisseleu et ses dépendances ont été achetées et payées par moi, hier, pour le compte de la citoyenne Anne-Catherine Billot, et que c'est, par conséquent, à elle que la ferme de Pisseleu et ses dépendances appartiennent en toute propriété.
                    « Signé : de Longpré,
                    « maire de Villers-Cotterêts. »

- Au nom du ciel ! s'écria Catherine, dites-moi ce que cela signifie, ou je vais devenir folle !
- Cela signifie, dit Pitou, que, grâce aux quinze cent cinquante louis d'or trouvés avant-hier dans le vieux fauteuil de ma tante Angélique, fauteuil que j'ai brisé pour vous chauffer, à votre retour de l'enterrement, la terre et le château de Boursonne ne sortiront pas de la famille de Charny, et la ferme et les terres de Pisseleu, de la famille Billot.
Et, alors, Pitou raconta à Catherine ce que nous avons déjà raconté au lecteur.
- Oh ! dit Catherine, et vous avez eu le courage de brûler ce vieux fauteuil, cher Pitou, quand vous aviez quinze cent cinquante louis pour acheter du bois !
- Catherine, dit Pitou, vous alliez rentrer ; vous eussiez été obligée d'attendre, pour vous chauffer, que le bois eût été acheté et apporté, et vous eussiez eu froid en attendant.
Catherine ouvrit ses deux bras : Pitou y poussa le petit Isidore.
- Oh ! toi aussi, toi aussi, cher Pitou ! dit Catherine.
Et, d'une seule et même étreinte, Catherine pressa sur son coeur son enfant et son mari.
- Oh ! mon Dieu ! murmura Pitou étouffant de joie, et en même temps donnant une dernière larme à la vieille fille ; quand on pense qu'elle est morte de faim et de froid ! Pauvre tante Angélique !
- Ma foi, dit un bon gros charretier à une fraîche et jolie fille de ferme, en lui montrant Pitou et Catherine, ma foi, en voilà deux qui ne me paraissent pas destinés à mourir de cette mort-là !

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