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Chapitre LXXXVI
Après le dragon, la vipère

Il est temps pour nous de revenir à ces personnages de notre histoire que la nécessité et l'intrigue, aussi bien que la vérité historique, ont relégués au deuxième plan.

Oliva se préparait à fuir, pour le compte de Jeanne, quand Beausire, prévenu par un avis anonyme, Beausire, haletant après la reprise de Nicole, se trouva conduit jusque dans ses bras, et l'enleva de chez Cagliostro, tandis que monsieur Réteau de Villette attendait vainement au bout de la rue du Roi-Doré.

Pour trouver les heureux amants, que monsieur de Crosne avait tant d'intérêt à découvrir, madame de La Motte, qui se sentait dupée, mit en campagne tout ce qu'elle eut de gens affidés.

Elle aimait mieux, on le conçoit, veiller elle-même sur son secret, que d'en laisser le maniement à d'autres, et pour la bonne gestion de l'affaire qu'elle préparait, il était indispensable que Nicole fût introuvable.

Il est impossible de dépeindre les angoisses qu'elle eut à subir quand chacun de ses émissaires lui annonça, en revenant, que les recherches étaient inutiles.

En ce moment même, elle recevait, cachée, ordres sur ordres de paraître chez la reine, et de venir répondre de sa conduite au sujet du collier.

Nuitamment, voilée, elle partit pour Bar-sur-Aube, où elle avait un pied-à-terre, et y étant arrivée par des chemins de traverse sans avoir été reconnue, elle prit le temps d'envisager sa position sous son véritable jour.

Elle gagnait ainsi deux ou trois jours, face à face avec elle-même, et se donnait le temps, et avec le temps la force de soutenir, par une solide fortification intérieure, l'édifice de ses calomnies.

Deux jours de solitude pour cette âme profonde, c'était la lutte au bout de laquelle seraient domptés le corps et l'esprit, après laquelle la conscience obéissante ne se retournerait plus, instrument dangereux contre la coupable, après laquelle le sang aurait pris l'habitude de circuler autour du cœur sans monter au visage pour y révéler la honte ou la surprise.

La reine, le roi, qui la faisaient chercher, n'apprirent son installation à Bar-sur-Aube qu'au moment où elle était déjà préparée à faire la guerre. Ils envoyèrent un exprès pour l'amener. Ce fut alors qu'elle apprit l'arrestation du cardinal.

Toute autre qu'elle eût été terrassée par cette vigoureuse offensive, mais Jeanne n'avait plus rien à ménager. Qu'était une question de liberté dans la balance, auprès des questions de vie ou de mort qui s'y entassaient chaque jour ?

En apprenant la prison du cardinal et l'éclat qu'avait fait Marie-Antoinette :

« La reine a brûlé ses vaisseaux, calcula-t-elle froidement ; impossible à elle de revenir sur le passé. En refusant de transiger avec le cardinal et de payer les bijoutiers, elle joue quitte ou double. Cela prouve qu'elle compte sans moi, et qu'elle ne soupçonne pas les forces que j'ai à ma disposition. »

Voilà de quelles pièces était faite l'armure que portait Jeanne, lorsqu'un homme, moitié exempt, moitié messager, se présenta tout à coup devant elle, et lui annonça qu'il était chargé de la ramener à la cour.

Le messager chargé de l'amener à la cour voulait la conduire directement chez le roi ; mais Jeanne, avec cette habileté qu'on lui connaît :

– Monsieur, dit-elle, vous aimez la reine, n'est-ce pas ?

– En doutez-vous, madame la comtesse ? repartit le messager.

– Eh bien ! au nom de cet amour loyal et du respect que vous avez pour la reine, je vous adjure de me conduire chez la reine d'abord.

L'officier voulut faire des objections.

– Vous savez assurément de quoi il s'agit mieux que moi, repartit la comtesse. Voilà pourquoi vous comprendrez qu'un entretien secret de la reine avec moi est indispensable.

Le messager, tout pétri des idées calomnieuses qui empestaient l'air de Versailles depuis plusieurs mois, crut réellement rendre un service à la reine en menant madame de La Motte auprès d'elle avant de la montrer au roi.

Qu'on se figure la hauteur, l'orgueil, la conscience altière de la reine mise en présence de ce démon qu'elle ne connaissait pas encore, mais dont elle soupçonnait la perfide influence sur ses affaires.

Qu'on se représente Marie-Antoinette, veuve encore inconsolée de son amour qui avait succombé au scandale, Marie-Antoinette, écrasée par l'injure d'une accusation qu'elle ne pouvait réfuter, qu'on se la représente, après tant de souffrances, se disposant à mettre le pied sur la tête du serpent qui l'a mordue !

Le dédain suprême, la colère mal contenue, la haine de femme à femme, le sentiment d'une supériorité incomparable de position, voilà quelles étaient les armes des adversaires. La reine commença par faire entrer comme témoins deux de ses femmes, œil baissé, lèvres closes, révérence lente et solennelle ; un cœur plein de mystères, un esprit plein d'idées, le désespoir pour dernier moteur, voilà quel était le second champion. Madame de La Motte, dès qu'elle aperçut les deux femmes :

– Bon ! dit-elle, voilà deux témoins qu'on renverra tout à l'heure.

– Ah ! vous voilà enfin, madame ! s'écria la reine ; on vous trouve enfin !

Jeanne s'inclina une deuxième fois.

– Vous vous cachez donc ? dit la reine avec impatience.

– Me cacher ! non, madame, répliqua Jeanne d'une voix douce et à peine timbrée, comme si l'émotion produite par la majesté royale en altérait seule la sonorité ordinaire ; je ne me cachais pas ; si je me fusse cachée, on ne m'eût point trouvée.

– Vous vous êtes enfuie, cependant ? Appelons cela comme il vous plaira.

– C'est-à-dire que j'ai quitté Paris, oui, madame.

– Sans ma permission ?

– Je craignais que Sa Majesté ne m'accordât pas le petit congé dont j'avais besoin pour arranger mes affaires à Bar-sur-Aube, où j'étais depuis six jours, quand l'ordre de Sa Majesté m'y vint chercher. D'ailleurs, il faut le dire, je ne me croyais pas tellement nécessaire à Votre Majesté, que je fusse obligée de la prévenir pour faire une absence de huit jours.

– Eh ! vous avez raison, madame ; pourquoi avez-vous craint mon refus d'un congé ? Quel congé avez-vous à me demander ? Quel congé ai-je à vous accorder ? Est-ce que vous occupez une charge ici ?

Il y eut trop de mépris sur ces derniers mots. Jeanne, blessée, mais retenant son sang comme les chats-tigres piqués par la flèche :

– Madame, dit-elle humblement, je n'ai pas de charge à la cour, c'est vrai ; mais Votre Majesté m'honorait d'une confiance si précieuse que je me regardais comme engagée bien plus auprès d'elle par la reconnaissance que d'autres ne le sont par le devoir.

Jeanne avait cherché longtemps, elle avait trouvé le mot confiance et elle appuyait dessus.

– Cette confiance, répéta la reine, plus écrasante encore de mépris que dans sa première apostrophe, nous en allons régler le compte. Avez-vous vu le roi ?

– Non, madame.

– Vous le verrez.

Jeanne salua.

– Ce sera un grand honneur pour moi, dit-elle.

La reine chercha un peu de calme pour commencer ses questions avec avantage.

Jeanne profita de ce répit pour dire :

– Mais, mon Dieu ! madame, comme Votre Majesté se montre sévère à mon égard. Je suis toute tremblante.

– Vous n'êtes pas au bout, dit brusquement la reine ; savez-vous que monsieur de Rohan est à la Bastille ?

– On me l'a dit, madame.

– Vous devinez bien pourquoi ?

Jeanne regarda fixement la reine, et se tournant vers les femmes dont la présence semblait la gêner, répondit :

– Je ne le sais pas, madame.

– Vous savez, cependant, que vous m'avez parlé d'un collier, n'est-ce pas ?

– D'un collier de diamants ; oui, madame.

– Et que vous m'avez proposé, de la part du cardinal, un accommodement pour payer ce collier ?

– C'est vrai, madame.

– Ai-je accepté ou refusé cet accommodement ?

– Votre Majesté a refusé.

– Ah ! fit la reine avec une satisfaction mêlée de surprise.

– Sa Majesté a même donné un acompte de deux cent mille livres, ajouta Jeanne.

– Bien... et après ?

– Après, Sa Majesté ne pouvant payer, parce que monsieur de Calonne lui avait refusé de l'argent, a renvoyé l'écrin aux joailliers Bœhmer et Bossange.

– Par qui renvoyé ?

– Par moi.

– Et vous, qu'avez-vous fait ?

– Moi, dit lentement Jeanne, qui sentait tout le poids des paroles qu'elle allait prononcer ; moi, j'ai donné les diamants à monsieur le cardinal.

– à monsieur le cardinal ! s'écria la reine, et pourquoi s'il vous plaît, au lieu de les remettre aux joailliers ?

– Parce que, madame, monsieur de Rohan s'étant intéressé à cette affaire, qui plaisait à Votre Majesté, je l'eusse blessé en ne lui fournissant point l'occasion de la terminer lui-même.

– Mais comment se fait-il que vous ayez tiré un reçu des joailliers ?

– Parce que monsieur de Rohan m'a remis ce reçu.

– Mais cette lettre que vous avez, dit-on, remise aux joailliers comme venant de moi ?

– Monsieur de Rohan m'a priée de la remettre.

– C'est donc en tout et toujours monsieur de Rohan qui s'est mêlé de cela ! s'écria la reine.

– Je ne sais ce que Votre Majesté veut dire, répliqua Jeanne d'un air distrait, ni de quoi monsieur de Rohan s'est mêlé.

– Je dis que le reçu des joailliers, remis ou envoyé par moi à vous, est faux !

– Faux ! dit Jeanne avec candeur ; oh ! madame !

– Je dis que la prétendue lettre d'acceptation du collier, signée, dit-on, de moi, est fausse !

– Oh ! s'écria Jeanne plus étonnée en apparence encore que la première fois.

– Je dis enfin, poursuivit la reine, que vous avez besoin d'être confrontée avec monsieur de Rohan pour nous faire éclaircir cette affaire.

– Confrontée ! dit Jeanne. Mais, madame, quel besoin de me confronter avec monsieur le cardinal ?

– Lui-même le demandait.

– Lui ?

– Il vous cherchait partout.

– Mais, madame, c'est impossible.

– Il voulait vous prouver, disait-il, que vous l'aviez trompé.

– Oh ! pour cela, madame, je demande la confrontation.

– Elle aura lieu, madame, croyez-le bien. Ainsi, vous niez savoir où est le collier ?

– Comment le saurais-je ?

– Vous niez avoir aidé monsieur le cardinal dans certaines intrigues ?...

– Votre Majesté a tout droit de me disgracier ; mais de m'offenser, aucun. Je suis une Valois, madame.

– Monsieur le cardinal a soutenu devant le roi des calomnies qu'il espère faire reposer sur des bases sérieuses.

– Je ne comprends pas.

– Le cardinal a déclaré m'avoir écrit.

Jeanne regarda la reine en face et ne répliqua rien.

– M'entendez-vous ? dit la reine.

– J'entends, oui, Votre Majesté.

– Et que répondez-vous ?

– Je répondrai quand on m'aura confrontée avec monsieur le cardinal.

– Jusque-là, si vous savez la vérité, aidez-nous !

– La vérité, madame, c'est que Votre Majesté m'accable sans sujet et me maltraite sans raison.

– Ce n'est pas une réponse, cela.

– Je n'en ferai cependant pas d'autre ici, madame.

Et Jeanne regarda les deux femmes encore une fois.

La reine comprit, mais elle ne céda pas. La curiosité ne put l'emporter sur le respect humain. Dans les réticences de Jeanne, dans son attitude à la fois humble et insolente perçait l'assurance qui résulte d'un secret acquis. Ce secret, peut-être la reine l'eût-elle acheté par la douceur.

Elle repoussa ce moyen comme indigne d'elle.

– Monsieur de Rohan a été mis à la Bastille pour avoir trop voulu parler, dit Marie-Antoinette, prenez garde, madame, d'encourir le même sort pour avoir voulu vous taire.

Jeanne enfonça ses ongles dans ses mains, mais elle sourit.

– à une conscience pure, dit-elle, qu'importe la persécution ; la Bastille me convaincra-t-elle d'un crime que je n'ai pas commis ?

La reine regarda Jeanne avec un œil courroucé.

– Parlerez-vous ? dit-elle.

– Je n'ai rien à dire, madame, sinon à vous.

– à moi ? Eh bien ! est-ce que ce n'est pas à moi que vous parlez ?

– Pas à vous seule.

– Ah ! nous y voilà, s'écria la reine ; vous voulez le huis clos. Vous craignez le scandale de l'aveu public après m'avoir infligé le scandale du soupçon public.

Jeanne se redressa.

– N'en parlons plus, dit-elle ; ce que j'en faisais, c'était pour vous.

– Quelle insolence !

– Je subis respectueusement les injures de ma reine, dit Jeanne sans changer de couleur.

– Vous coucherez à la Bastille ce soir, madame de La Motte.

– Soit, madame. Mais avant de me coucher, selon mon habitude, je prierai Dieu pour qu'il conserve l'honneur et la joie à Votre Majesté, répliqua l'accusée.

La reine, se levant furieuse, passa dans la chambre voisine, en repoussant les portes avec violence.

– Après avoir vaincu le dragon, dit-elle, j'écraserai bien la vipère !

« Je sais son jeu par cœur, pensa Jeanne, je crois que j'ai gagné. »

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