Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre LXXX
Une dernière accusation

Au moment où le roi avait quitté la chambre de la reine, celle-ci courut au boudoir où monsieur de Charny avait pu tout entendre.

Elle en ouvrit la porte, et revint fermer elle-même celle de son appartement ; puis, tombant sur un fauteuil, comme si elle eût été trop faible pour résister à de pareils chocs, elle attendit silencieusement ce que déciderait d'elle monsieur de Charny, son juge le plus redoutable.

Mais elle n'attendit pas longtemps ; le comte sortit du boudoir plus triste et plus pâle qu'il n'avait jamais été.

– Eh bien ? dit-elle.

– Madame, répliqua-t-il, vous voyez que tout s'oppose à ce que nous soyons amis. Si ce n'est pas ma conviction qui vous blesse, ce sera le bruit public désormais ; avec le scandale qui est fait aujourd'hui, plus de repos pour moi, plus de trêve pour vous. Les ennemis, plus acharnés après cette première blessure qui vous est faite, viendront fondre sur vous pour boire le sang comme font les mouches sur la gazelle blessée...

– Vous cherchez bien longtemps, dit la reine avec mélancolie, une parole naturelle, et vous n'en trouvez pas.

– Je crois n'avoir jamais donné lieu à Votre Majesté de suspecter ma franchise, répliqua Charny ; si parfois elle a éclaté, c'est avec trop de dureté ; je vous en demande pardon.

– Alors, dit la reine fort émue, ce que je viens de faire, ce bruit, cette agression périlleuse contre un des plus grands seigneurs de ce royaume, mon hostilité déclarée avec l'église, ma renommée exposée aux passions des parlements, tout cela ne vous suffit pas. Je ne parle point de la confiance à jamais ébranlée chez le roi ; vous ne devez pas vous en préoccuper, n'est-ce pas ?... Le roi ! qu'est-ce cela... un époux !

Et elle sourit avec une amertume si douloureuse, que les larmes jaillirent de ses yeux.

– Oh ! s'écria Charny, vous êtes la plus noble, la plus généreuse des femmes. Si je ne vous réponds pas sur-le-champ, comme mon cœur m'y contraint, c'est que je me sens inférieur à tout, et que je n'ose profaner ce cœur sublime en y demandant une place.

– Monsieur de Charny, vous me croyez coupable.

– Madame !...

– Monsieur de Charny, vous avez ajouté foi aux paroles du cardinal.

– Madame !...

– Monsieur de Charny, je vous somme de me dire quelle impression a faite sur vous l'attitude de monsieur de Rohan.

– Je dois le dire, madame, monsieur de Rohan n'a été ni un insensé, comme vous le lui avez reproché, ni un homme faible, comme on pourrait le croire ; c'est un homme convaincu, c'est un homme qui vous aimait, qui vous aime, et qui en ce moment est la victime d'une erreur qui le conduira, lui, à la ruine, vous...

– Moi ?

– Vous, madame, à un déshonneur inévitable.

– Mon Dieu !

– Devant moi se lève un spectre menaçant, cette femme odieuse, madame de La Motte, disparue quand son témoignage peut tout nous rendre, repos, honneur, sécurité, pour l'avenir. Cette femme est le mauvais génie de votre personne, elle est le fléau de la royauté ; cette femme que vous avez imprudemment admise à partager vos secrets, et peut-être, hélas ! votre intimité...

– Mes secrets, mon intimité, ah ! monsieur, je vous en prie, s'écria la reine.

– Madame, le cardinal vous a dit assez clairement et a assez clairement prouvé, que vous aviez avec lui concerté l'achat du collier.

– Ah !... vous revenez sur cela, monsieur de Charny, dit la reine en rougissant.

– Pardon, pardon, vous voyez bien que je suis un cœur moins généreux que vous, vous voyez bien que je suis indigne, moi, d'être appelé à connaître vos pensées. Je cherche à adoucir, j'irrite.

– Tenez, monsieur, fit la reine revenue à une fierté mêlée de colère, ce que le roi croit, tout le monde peut le croire ; je ne serai pas plus facile à mes amis qu'à mon époux. Il me paraît qu'un homme ne peut aimer à voir une femme quand il n'a pas d'estime pour cette femme. Je ne parle pas de vous, monsieur, interrompit-elle vivement ; je ne suis pas une femme, moi ! je suis une reine ; vous n'êtes pas un homme, mais un juge pour moi.

Charny s'inclina si bas, que la reine dut trouver suffisante la réparation et l'humilité de ce sujet fidèle.

– Je vous avais conseillé, dit-elle tout à coup, de demeurer en vos terres ; c'était un sage dessein. Loin de la cour à laquelle répugnent vos habitudes, votre droiture, votre inexpérience, permettez-moi de le dire ; loin, dis-je, de la cour, vous eussiez mieux apprécié les personnages qui jouent leur rôle sur ce théâtre. Il faut ménager l'illusion de l'optique, monsieur de Charny, il faut garder son rouge et ses hauts talons devant la foule. Reine trop prompte à la condescendance, j'ai négligé d'entretenir, chez ceux qui m'aimaient, le prestige éblouissant de la royauté. Ah ! monsieur de Charny, l'auréole que dessine une couronne au front des reines les dispense de chasteté, de douceur, d'esprit, et les dispense surtout de cœur. On est reine, monsieur, on domine ; à quoi sert de se faire aimer ?

– Je ne saurais vous dire, madame, répondit Charny fort ému, combien la sévérité de Sa Majesté me fait mal. J'ai pu oublier que vous étiez ma reine ; mais, rendez-moi cette justice, je n'ai jamais oublié que vous fussiez la première des femmes dignes de mon respect et de...

– N'achevez pas, je ne mendie point. Oui, je l'ai dit, une absence vous est nécessaire. Quelque chose me dit que votre nom finira par être prononcé dans tout ceci.

– Madame, impossible !

– Vous dites, impossible ! Eh ! réfléchissez donc au pouvoir de ceux qui depuis six mois jouent avec ma réputation, avec ma vie ; ne disiez-vous pas que monsieur le cardinal est convaincu qu'il agit en vue d'une erreur dans laquelle on le plonge ! Ceux qui opèrent des convictions pareilles, monsieur le comte, ceux qui causent des erreurs semblables, sont de force à vous prouver que vous êtes un déloyal sujet pour le roi, et pour moi un ami honteux. Ceux-là qui inventent si heureusement le faux découvrent bien facilement le vrai ! Ne perdez pas de temps, le péril est grave ; retirez-vous dans vos terres, fuyez le scandale qui va résulter du procès qu'on me fera : je ne veux pas que ma destinée vous entraîne, je ne veux pas que votre carrière se perde. Moi qui, Dieu merci ! ai l'innocence et la force ; mais qui n'ai pas une tache sur ma vie ; moi qui suis résolue à ouvrir, s'il le faut, ma poitrine pour montrer à mes ennemis la pureté de mon cœur ; moi je résisterai. Pour vous il y aurait la ruine, la diffamation, la prison peut-être ; remportez cet argent si noblement offert, remportez l'assurance que pas un des mouvements généreux de votre âme ne m'a échappé ; que pas un de vos doutes ne m'a blessée ; que pas une de vos souffrances ne m'a laissée froide ; partez, vous dis-je, et cherchez ailleurs ce que la reine de France ne peut plus vous donner : la foi, l'espérance, le bonheur. D'ici à ce que Paris sache l'arrestation du cardinal, à ce que le parlement soit convoqué, à ce que les témoignages se produisent, je compte une quinzaine de jours. Partez ! votre oncle a deux vaisseaux prêts à Cherbourg et à Nantes, choisissez ; mais éloignez-vous de moi. Je porte malheur ; éloignez-vous de moi. Je ne tenais qu'à une chose en ce monde, et comme elle me manque, je me sens perdue.

En disant ces mots, la reine se leva brusquement et sembla donner à Charny le congé qui termine les audiences.

Il s'approcha d'elle aussi respectueusement, mais plus vite.

– Votre Majesté, dit-il, d'une voix altérée, vient de me dicter mon devoir. Ce n'est pas dans mes terres, ce n'est pas hors de la France qu'est le danger, c'est à Versailles, où l'on vous soupçonne, c'est à Paris où l'on va vous juger. Il importe, madame, que tout soupçon s'efface, que tout arrêt soit une justification, et, comme vous ne sauriez avoir un témoin plus loyal, un soutien plus résolu, je reste. Ceux qui savent tant de choses, madame, les diront. Mais au moins aurons-nous eu le bonheur inestimable pour les gens de cœur de voir nos ennemis face à face. Qu'ils tremblent ceux-là devant la majesté d'une reine innocente, et devant le courage d'un homme meilleur qu'eux. Oui, je reste, madame, et croyez-le bien, Votre Majesté n'a pas besoin de me cacher plus longtemps sa pensée ; ce que l'on sait bien, c'est que je ne fuis pas ; ce qu'elle sait bien, c'est que je ne crains rien ; ce qu'elle sait aussi, c'est que pour ne me plus voir jamais, il n'est pas besoin de m'envoyer en exil. Oh ! madame ! de loin, les cœurs s'entendent, de loin les aspirations sont plus ardentes que de près. Vous voulez que je parte, pour vous et non pour moi ; ne craignez rien ; à portée de vous secourir, de vous défendre, je ne serai plus à portée de vous offenser ou de vous nuire ; vous ne m'avez pas vu, n'est-ce pas, lorsque durant huit jours j'ai habité à cent toises de vous, épiant chacun de vos gestes, comptant vos pas, vivant de votre vie ?... Eh bien ! il en sera de même cette fois, car je ne puis exécuter votre volonté, je ne puis partir ! D'ailleurs, que vous importe !... Est-ce que vous songerez à moi ?

Elle fit un mouvement qui l'éloigna du jeune homme.

– Comme il vous plaira, dit-elle, mais... vous m'avez compris, il ne faut pas que vous vous trompiez jamais à mes paroles ; je ne suis pas une coquette, monsieur de Charny ; dire ce qu'elle pense, penser ce qu'elle dit, voilà le privilège d'une véritable reine : je suis ainsi. Un jour, monsieur, je vous ai choisi parmi tous. Je ne sais quoi entraînait mon cœur de votre côté. J'avais soif d'une amitié forte et pure ; je vous l'ai bien laissé voir, n'est-ce pas ? Ce n'est plus de même aujourd'hui, je ne pense plus ce que je pensais. Votre âme n'est plus sœur de la mienne. Je vous le dis aussi franchement : épargnons-nous l'un l'autre.

– C'est bien, madame, interrompit Charny, je n'ai jamais cru que vous m'eussiez choisi, je n'ai jamais cru... Ah ! madame, je ne résiste pas à l'idée de vous perdre. Madame, je suis ivre de jalousie et de terreur. Madame, je ne souffrirai pas que vous m'ôtiez votre cœur ; il est à moi, vous me l'avez donné, nul ne me le prendra qu'avec ma vie. Soyez femme, soyez bonne, n'abusez pas de ma faiblesse, car vous m'avez reproché mes doutes tout à l'heure, et vous m'écrasez des vôtres en ce moment.

– Cœur d'enfant, cœur de femme, dit-elle... Vous voulez que je compte sur vous !... Les beaux défenseurs que nous sommes l'un pour l'autre ! Faible ! oh ! oui, vous l'êtes, et moi, hélas ! je ne suis pas plus forte que vous !

– Je ne vous aimerais pas, murmurait-il, si vous étiez autre que vous n'êtes.

– Quoi, dit-elle avec un accent vif et passionné, cette reine maudite, cette reine perdue, cette femme qu'un parlement va juger, que l'opinion va condamner, qu'un mari, son roi, va chasser peut-être, cette femme trouve un cœur qui l'aime !

– Un serviteur qui la vénère et qui lui offre tout le sang de son cœur en échange d'une larme qu'elle versait tout à l'heure.

– Cette femme, s'écria la reine, est bénie, elle est fière, elle est la première des femmes, la plus heureuse de toutes. Cette femme est trop heureuse, monsieur de Charny ; je ne sais pas comment cette femme a pu se plaindre, pardonnez-lui !

Charny tomba aux pieds de Marie-Antoinette et les baisa, dans un transport d'amour religieux.

En ce moment, la porte du corridor secret s'ouvrit, et le roi s'arrêta, tremblant et comme foudroyé sur le seuil.

Il venait de surprendre l'homme qu'accusait monsieur de Provence aux pieds de Marie-Antoinette.

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