Le Collier de la Reine Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
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Chapitre LXXIX
Les procès-verbaux

à peine le roi était-il rentré heureux dans son appartement, signait-il l'ordre de conduire monsieur de Rohan à la Bastille, que parut monsieur le comte de Provence, lequel entra dans le cabinet en faisant à monsieur de Breteuil des signes que celui-ci, malgré tout son respect et sa bonne volonté, ne put comprendre.

Mais ce n'était pas au garde des Sceaux que s'adressaient ces signes, le prince les multipliait ainsi à dessein d'attirer l'attention du roi qui regardait dans une glace tout en rédigeant son ordre.

Cette affectation ne manqua pas son but : le roi aperçut ces signes, et après avoir congédié monsieur de Breteuil :

– Pourquoi faisiez-vous signe à Breteuil ? dit-il à son frère.

– Oh ! sire...

– Cette vivacité de gestes, cet air préoccupé signifient quelque chose ?

– Sans doute, mais...

– Libre à vous de ne pas parler, mon frère, dit le roi d'un air piqué.

– Sire, c'est que je viens d'apprendre l'arrestation de monsieur le cardinal de Rohan.

– Eh bien ! en quoi cette nouvelle, mon frère, peut-elle causer chez vous cette agitation ? Est-ce que monsieur de Rohan ne vous paraît pas coupable ? Est-ce que j'ai tort de frapper même le puissant ?

– Tort ? non pas, mon frère. Vous n'avez pas tort. Ce n'est pas cela que je veux dire.

– Il m'eût fort surpris, monsieur le comte de Provence, que vous donnassiez gain de cause, contre la reine, à l'homme qui cherche à la déshonorer. Je viens de voir la reine, mon frère, un mot d'elle a suffi...

– Oh ! sire, à Dieu ne plaise que j'accuse la reine ! vous le savez bien. Sa Majesté... ma sœur, n'a pas d'ami plus dévoué que moi. Combien de fois ne m'est-il pas arrivé de la défendre, au contraire, et ceci soit dit sans reproche, même contre vous ?

– En vérité, mon frère, on l'accuse donc bien souvent ?

– J'ai du malheur, sire ; vous m'attaquez sur chacune de mes paroles... Je voulais dire que la reine ne me croirait pas elle-même si je paraissais douter de son innocence.

– Alors, vous vous applaudissez avec moi de l'humiliation que je fais subir au cardinal, du procès qui va en résulter, du scandale qui va mettre un terme à toutes les calomnies qu'on n'oserait se permettre contre une simple femme de la cour, et dont chacun ose se faire l'écho, parce que la reine, dit-on, est au-dessus de ces misères ?

– Oui, sire, j'approuve complètement la conduite de Votre Majesté, et je dis que tout est pour le mieux, quant à l'affaire du collier.

– Pardieu ! mon frère, dit-il, rien de plus clair. Ne voit-on pas d'ici monsieur de Rohan se faisant gloire de la familière amitié de la reine, concluant, en son nom, un marché pour des diamants qu'elle a refusés, et laissant dire que ces diamants ont été pris par la reine ou chez la reine, c'est monstrueux, et, comme elle le disait : Que croirait-on, si j'avais eu monsieur de Rohan pour compère dans ce trafic mystérieux ?

– Sire...

– Et puis, vous ignorez, mon frère, que jamais une calomnie ne s'arrête à moitié chemin, que la légèreté de monsieur de Rohan compromet la reine, mais que le récit de ces légèretés la déshonore.

– Oh ! oui, mon frère, oui, je le répète, vous avez eu bien raison quant à ce qui concerne l'affaire du collier.

– Eh bien ! mais, dit le roi surpris, est-ce qu'il y a encore une autre affaire ?

– Mais, sire... la reine a dû vous dire...

– Me dire... quoi donc ?

– Sire, vous voulez m'embarrasser. Il est impossible que la reine ne vous ait pas dit...

– Quoi donc, monsieur ? quoi donc ?

– Sire...

– Ah ! les fanfaronnades de monsieur de Rohan, ses réticences, ses prétendues correspondances ?

– Non, sire, non.

– Quoi donc, alors ? les entretiens que la reine aurait accordés à monsieur de Rohan pour l'affaire du collier en question...

– Non, sire, ce n'est pas cela.

– Tout ce que je sais, reprit le roi, c'est que j'ai en la reine une confiance absolue, qu'elle mérite par la noblesse de son caractère. Il était facile à Sa Majesté de ne rien dire de tout ce qui se passe. Il était facile à elle de payer ou de laisser payer à d'autres, de payer ou de laisser dire ; la reine, en arrêtant court ces mystères qui devenaient des scandales, m'a prouvé qu'elle en appelait à moi avant d'en appeler à tout le public. C'est moi que la reine a fait appeler, c'est à moi qu'elle a voulu confier le soin de venger son honneur. Elle m'a pris pour confesseur, pour juge, la reine m'a donc tout dit.

– Eh bien ! répliqua le comte de Provence, moins embarrassé qu'il n'eût dû l'être, parce qu'il sentait la conviction du roi moins solide qu'on ne voulait le lui faire voir, voilà que vous faites encore le procès à mon amitié, à mon respect pour la reine, ma sœur. Si vous procédez contre moi avec cette susceptibilité, je ne vous dirai rien, craignant toujours, moi qui défends, de passer pour un ennemi ou un accusateur. Et, cependant, voyez combien, en ceci, vous manquez de logique. Les aveux de la reine vous ont déjà conduit à trouver une vérité qui justifie ma sœur. Pourquoi ne voudriez-vous pas qu'on fît luire à vos yeux d'autres clartés, plus propres encore à révéler toute l'innocence de notre reine ?

– C'est que... dit le roi gêné, vous commencez toujours, mon frère, par des circuits dans lesquels je me perds.

– Précautions oratoires, sire, défaut de chaleur. Hélas ! j'en demande pardon à Sa Majesté ; c'est mon vice d'éducation. Cicéron m'a gâté.

– Mon frère, Cicéron n'est jamais louche que quand il défend une mauvaise cause ; vous en tenez une bonne, soyez clair, pour l'amour de Dieu !

– Me critiquer dans ma façon de parler, c'est me réduire au silence.

– Allons, voilà l'irritabile genus rhetorum qui prend la mouche, s'écria le roi dupe de cette rouerie du comte de Provence. Au fait, avocat, au fait : que savez-vous de plus que ce que m'a dit la reine ?

– Mon Dieu ! sire, rien et tout. Précisons d'abord ce que vous a dit la reine.

– La reine m'a dit qu'elle n'avait pas le collier.

– Bon.

– Elle m'a dit qu'elle n'avait pas signé le reçu des joailliers.

– Bien !

– Elle m'a dit que tout ce qui avait rapport à un arrangement avec monsieur de Rohan était une fausseté inventée par ses ennemis.

– Très bien, sire !

– Elle a dit enfin que jamais elle n'avait donné à monsieur de Rohan le droit de croire qu'il fût plus qu'un de ses sujets, plus qu'un indifférent, plus qu'un inconnu.

– Ah !... elle a dit cela...

– Et d'un ton qui n'admettait pas de réplique, car le cardinal n'a pas répliqué.

– Alors, sire, puisque le cardinal n'a rien répliqué, c'est qu'il s'avoue menteur, et il donne par ce désaveu raison aux autres bruits qui courent sur certaines préférences accordées par la reine à certaines personnes.

– Eh ! mon Dieu ! quoi encore ? dit le roi avec découragement.

– Rien que de très absurde, comme vous l'allez voir. Du moment où il a été constant que monsieur de Rohan ne s'était pas promené avec la reine...

– Comment ! s'écria le roi, monsieur de Rohan, disait-on, s'était promené avec la reine ?

– Ce qui est bien démenti par la reine elle-même, sire, et par le désaveu de monsieur de Rohan ; mais enfin, du moment où cela est constaté, vous comprenez qu'on a dû chercher – la malignité ne s'en est pas abstenue – comment il se faisait que la reine se promenât la nuit dans le parc de Versailles.

– La nuit, dans le parc de Versailles ! La reine !...

– Et avec qui elle se promenait, continua froidement le comte de Provence.

– Avec qui ?... murmura le roi.

– Sans doute !... Est-ce que tous les yeux ne s'attachent pas à ce que fait une reine ? Est-ce que ces yeux, que jamais n'éblouit l'éclat du jour ou l'éclat de la majesté, ne sont pas plus clairvoyants encore quand il s'agit de voir la nuit ?

– Mais, mon frère, vous dites là des choses infâmes, prenez-y garde.

– Sire, je répète, et je répète avec une telle indignation que je pousserai Votre Majesté, j'en suis sûr, à découvrir la vérité.

– Comment, monsieur ! on dit que la reine s'est promenée la nuit, en compagnie... dans le parc de Versailles !

– Pas en compagnie, sire, en tête à tête... Oh ! si l'on ne disait que compagnie, la chose ne vaudrait pas la peine que nous y prissions garde.

Le roi, éclatant tout à coup :

– Vous m'allez prouver que vous répétez, dit-il, et, pour cela, prouvez qu'on a dit.

– Oh ! facilement, trop facilement, répondit monsieur de Provence. Il y a quatre témoignages : le premier est celui de mon capitaine des chasses, qui a vu la reine deux jours de suite, ou plutôt deux nuits de suite, sortir du parc de Versailles par la porte de la louveterie. Voici le titre : il est revêtu de sa signature. Lisez.

Le roi prit en tremblant le papier, le lut et le rendit à son frère.

– Vous en verrez, sire, un plus curieux ; il est du garde de nuit qui veille à Trianon. Il déclare que la nuit a été bonne, qu'un coup de feu a été tiré, par des braconniers sans doute, dans le bois de Satory ; que, quant aux parcs, ils ont été calmes, excepté le jour où Sa Majesté la reine y a fait une promenade avec un gentilhomme à qui elle donnait le bras. Voyez, le procès-verbal est explicite.

Le roi lut encore, frissonna et laissa tomber ses bras à son côté.

– Le troisième, continua imperturbablement monsieur le comte de Provence, est du suisse de la porte de l'Est. Cet homme a vu et reconnu la reine au moment où elle sortait par la porte de la louveterie. Il dit comment la reine était vêtue ; voyez, sire ; il dit aussi que de loin il n'a pu reconnaître le gentilhomme que Sa Majesté quittait, c'est écrit ; mais qu'à sa tournure il l'a pris pour un officier. Ce procès-verbal est signé. Il ajoute une chose curieuse, à savoir, que la présence de la reine ne peut être révoquée en doute, parce que Sa Majesté était accompagnée de madame de La Motte, amie de la reine.

– Amie de la reine ! s'écria le roi furieux. Oui, il y a cela : amie de la reine !

– Ne veuillez pas de mal à cet honnête serviteur, sire ; il ne peut être coupable que d'un excès de zèle. Il est chargé de garder, il garde ; de veiller, il veille.

– Le dernier, continua le comte de Provence, me paraît le plus clair de tous. Il est du maître serrurier chargé de vérifier si toutes les portes sont fermées après la retraite battue. Cet homme, Votre Majesté le connaît, il certifie avoir vu entrer la reine avec un gentilhomme dans les bains d'Apollon.

Le roi, pâle et étouffant son ressentiment, arracha le papier des mains du comte et le lut.

Monsieur de Provence continua néanmoins pendant cette lecture :

– Il est vrai que madame de La Motte était dehors, à une vingtaine de pas, et que la reine ne demeura qu'une heure environ dans cette salle.

– Mais le nom du gentilhomme ? s'écria le roi.

– Sire, ce n'est pas dans le rapport qu'on le nomme, il faut pour cela que Sa Majesté prenne la peine de parcourir un dernier certificat que voici. Il est d'un garde forestier qui se tenait à l'affût derrière le mur d'enceinte, près des bains d'Apollon.

– Daté du lendemain, fit le roi.

– Oui, sire, et qui a vu la reine sortir du parc par la petite porte, et regarder au-dehors : elle tenait le bras de monsieur de Charny !

– Monsieur de Charny !... s'écria le roi à demi fou de colère et de honte ; bien... bien... Attendez-moi ici, comte, nous allons enfin savoir la vérité.

Et le roi s'élança hors de son cabinet.

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