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Chapitre XXIX
A l'ambassade

En rentrant à l'hôtel de l'ambassade, ces messieurs trouvèrent Ducorneau qui dînait tranquillement dans son bureau.

Beausire le pria de monter chez l'ambassadeur, et lui tint ce langage :

– Vous comprenez, cher chancelier, qu'un homme tel que M. de Souza n'est pas un ambassadeur ordinaire.

– Je m'en suis aperçu, dit le chancelier.

– Son Excellence, poursuivit Beausire, veut occuper une place distinguée à Paris, parmi les riches et les gens de goût, c'est vous dire que le séjour de ce vilain hôtel, rue de la Jussienne, n'est pas supportable pour lui ; en conséquence, il s'agirait de trouver une autre résidence particulière pour M. de Souza.

– Cela compliquera les relations diplomatiques, dit le chancelier ; nous aurons à courir beaucoup pour les signatures.

– Eh ! Son Excellence vous donnera un carrosse, cher monsieur Ducorneau, répondit Beausire.

Ducorneau faillit s'évanouir de joie.

– Un carrosse à moi ! s'écria-t-il.

– Il est fâcheux que vous n'en ayez pas l'habitude, continua Beausire ; un chancelier d'ambassade un peu digne doit avoir son carrosse ; mais nous parlerons de ce détail en temps et lieu. Pour le moment, rendons compte à M. l'ambassadeur de l'état des affaires étrangères. La caisse, où est-elle ?

– Là-haut, monsieur, dans l'appartement même de M. l'ambassadeur.

– Si loin de vous ?

– Mesure de sûreté, monsieur ; les voleurs ont plus de mal à pénétrer au premier qu'au rez-de-chaussée.

– Des voleurs, fit dédaigneusement Beausire, pour une si petite somme.

– Cent mille livres ! fit Ducorneau. Peste ! on voit bien que M. de Souza est riche. Il n'y a pas cent mille livres dans toutes les caisses d'ambassade.

– Voulez-vous que nous vérifiions ? dit Beausire ; j'ai hâte de me rendre à mes affaires.

– à l'instant, monsieur, à l'instant, dit Ducorneau en quittant le rez-de-chaussée.

Vérification faite, les cent mille livres apparurent en belles espèces, moitié or et moitié argent.

Ducorneau offrit sa clef, que Beausire regarda quelque temps, pour en admirer les ingénieuses guillochures et les trèfles compliqués.

Il en avait habilement pris l'empreinte avec de la cire.

Puis il la rendit au chancelier en lui disant :

– Monsieur Ducorneau, elle est mieux dans vos mains que dans les miennes ; passons chez M. l'ambassadeur.

On trouva don Manoël en tête à tête avec le chocolat national. Il semblait fort occupé d'un papier couvert de chiffres. à la vue de son chancelier :

– Connaissez-vous le chiffre de l'ancienne correspondance ? demanda-t-il.

– Non, Votre Excellence.

– Eh bien ! je veux que désormais vous soyez initié, monsieur, vous me débarrasserez, de cette façon, d'une foule de détails ennuyeux. à propos, la caisse ? demanda-t-il à Beausire.

– En parfait état, comme tout ce qui est du ressort de M. Ducorneau, répliqua Beausire.

– Les cent mille livres ?

– Liquides, monsieur.

– Bien ; asseyez-vous, monsieur Ducorneau, vous allez me donner un renseignement.

– Aux ordres de Votre Excellence, dit le chancelier radieux.

– Voilà le fait : affaire d'état, monsieur Ducorneau.

– Oh ! j'écoute, monseigneur.

Et le digne chancelier approcha son siège.

– Affaire grave, dans laquelle j'ai besoin de vos lumières. Connaissez-vous des joailliers un peu honnêtes, à Paris ?

– Il y a MM. Bœhmer et Bossange, joailliers de la couronne, dit le chancelier.

– Précisément, ce sont eux que je ne veux point employer, dit don Manoël ; je les quitte pour ne jamais les revoir.

– Ils ont eu le malheur de mécontenter Votre Excellence ?

– Gravement, monsieur Corno, gravement.

– Oh ! si je pouvais être un peu moins réservé, si j'osais...

– Osez.

– Je demanderais en quoi ces gens, qui ont de la réputation dans leur métier...

– Ce sont de véritables juifs, monsieur Corno, et leurs mauvais procédés leur font perdre comme un million ou deux.

– Oh ! s'écria Ducorneau avidement.

– J'étais envoyé par Sa Majesté Très Fidèle pour négocier l'achat d'un collier de diamants.

– Oui, oui, le fameux collier, qui avait été commandé par le feu roi pour Mme Du Barry ; je sais, je sais.

– Vous êtes un homme précieux ; vous savez tout. Eh bien ! j'allais acheter ce collier ; mais, puisque les choses vont ainsi, je ne l'achèterai pas.

– Faut-il que je fasse une démarche ?

– Monsieur Corno !

– Diplomatique, monseigneur, très diplomatique.

– Ce serait bon si vous connaissiez ces gens là.

– Bossange est mon petit-cousin à la mode de Bretagne.

Don Manoël et Beausire se regardèrent.

Il se fit un silence. Les deux Portugais aiguisaient leurs réflexions.

Tout à coup un des valets ouvrit la porte et annonça :

– MM. Bœhmer et Bossange !

Don Manoël se leva soudain et, d'une voix irritée :

– Renvoyez ces gens-là ! s'écria-t-il.

Le valet fit un pas pour obéir.

– Non, chassez-les vous-même, monsieur le secrétaire, reprit l'ambassadeur.

– Au nom du Ciel ! fit Ducorneau suppliant, laissez-moi exécuter l'ordre de monseigneur ; je l'adoucirai, puisque je ne puis l'éluder.

– Faites, si vous voulez, dit négligemment don Manoël.

Beausire se rapprocha de lui au moment où Ducorneau sortait avec précipitation.

– Ah çà ! mais cette affaire est destinée à manquer ? dit don Manoël.

– Non pas, Ducorneau va la raccommoder.

– Il l'embrouillera, malheureux ! Nous avons parlé portugais seulement chez les joailliers ; vous avez dit que je n'entendais pas un mot de français. Ducorneau va tout gâter.

– J'y cours.

– Vous montrer, c'est peut-être dangereux, Beausire.

– Vous allez voir que non ; laissez-moi plein pouvoir.

– Pardieu !

Beausire partit.

Ducorneau avait trouvé en bas Bœhmer et Bossange, dont la contenance, depuis leur entrée à l'ambassade, était toute modifiée dans le sens de la politesse, sinon dans celui de la confiance.

Ils comptaient peu sur la vue d'un visage de connaissance, et se faufilaient avec raideur dans les premiers cabinets.

En apercevant Ducorneau, Bossange poussa un cri de joyeuse surprise.

– Vous ici ! dit-il.

Et il s'approcha pour l'embrasser.

– Ah ! ah ! vous êtes bien aimable, dit Ducorneau, vous me reconnaissez ici, mon cousin le richard. Est-ce parce que je suis à une ambassade ?

– Ma foi ! oui, dit Bossange, si nous avons été séparés un peu, pardonnez-le-moi, et rendez-moi un service.

– Je venais pour cela.

– Oh ! merci. Vous êtes donc attaché à l'ambassade ?

– Mais oui.

– Un renseignement.

– Lequel, et sur quoi ?

– Sur l'ambassade même.

– J'en suis le chancelier.

– Oh ! à merveille. Nous voulons parler à l'ambassadeur.

– Je viens de sa part.

– De sa part ! pour nous dire ?...

– Qu'il vous prie de sortir bien vite de son hôtel, et bien vite, messieurs.

Les deux joailliers se regardèrent penauds.

– Parce que, dit Ducorneau avec importance, vous avez été maladroits et malhonnêtes, à ce qu'il paraît.

– écoutez-nous donc.

– C'est inutile, dit tout à coup la voix de Beausire, qui apparut fier et froid au seuil de la chambre. Monsieur Ducorneau, Son Excellence vous a dit de congédier ces messieurs. Congédiez-les.

– Monsieur le secrétaire...

– Obéissez, dit Beausire avec dédain. Faites !

Et il passa.

Le chancelier prit son parent par l'épaule droite, l'associé du parent par l'épaule gauche, et les poussa doucement dehors.

– Voilà, dit-il, c'est une affaire manquée.

– Que ces étrangers sont donc susceptibles, mon Dieu ! murmura Bœhmer, qui était un Allemand.

– Quand on s'appelle Souza et qu'on a neuf cent mille livres de revenu, mon cher cousin, dit le chancelier, on a le droit d'être ce qu'on veut.

– Ah ! soupira Bossange, je vous ai bien dit, Bœhmer, que vous êtes trop raide en affaires.

– Eh ! répliqua l'entêté Allemand, si nous n'avons pas son argent, il n'aura pas notre collier.

On approchait de la porte de la rue.

Ducorneau se mit à rire.

– Savez-vous bien ce que c'est qu'un Portugais ? dit-il dédaigneusement ; savez-vous ce que c'est qu'un ambassadeur, bourgeois que vous êtes ? Non. Eh bien ! je vais vous le dire. Un ambassadeur favori d'une reine, M. Potemkine, achetait tous les ans, au 1er janvier, pour la reine, un panier de cerises qui coûtait cent mille écus, mille livres la cerise ; c'est joli, n'est-ce pas ? Eh bien ! M. de Souza achètera les mines du Brésil pour trouver dans les filons un diamant gros comme tous les vôtres. Cela lui coûtera vingt années de son revenu, vingt millions ; mais que lui importe, il n'a pas d'enfants. Voilà.

Et il leur fermait la porte, quand Bossange, se ravisant :

– Raccommodez cela, dit-il, et vous aurez...

– Ici, l'on est incorruptible, répliqua Ducorneau.

Et il ferma la porte.

Le soir même, l'ambassadeur reçut la lettre suivante :

« Monseigneur,

« Un homme qui attend vos ordres et désire vous présenter les respectueuses excuses de vos humbles serviteurs est à la porte de votre hôtel ; sur un signe de Votre Excellence, il déposera dans les mains d'un de vos gens le collier qui avait eu le bonheur d'attirer votre attention.

« Daignez recevoir, monseigneur, l'assurance du profond respect, etc., etc.

« Bœhmer et Bossange. »

– Eh bien ! mais, dit don Manoël en lisant cette épître, le collier est à nous.

– Non pas, non pas, dit Beausire ; il ne sera à nous que quand nous l'aurons acheté ; achetons-le !

– Comment ?

– Votre Excellence ne sait pas le français, c'est convenu ; et, tout d'abord, débarrassons-nous de M. le chancelier.

– Comment ?

– De la façon la plus simple : il s'agit de lui donner une mission diplomatique importante ; je m'en charge.

– Vous avez tort, dit Manoël, il sera ici notre caution.

– Il dira que vous parlez français comme M. Bossange et moi.

– Il ne le dira pas ; je l'en prierai.

– Soit, qu'il reste. Faites entrer l'homme aux diamants.

L'homme fut introduit ; c'était Bœhmer en personne, Bœhmer, qui fit les plus profondes gentillesses et les excuses les plus soumises.

Après quoi il offrit ses diamants, et fit mine de les laisser pour être examinés.

Don Manoël le retint.

– Assez d'épreuves comme cela, dit Beausire ; vous êtes un marchand défiant ; vous devez être honnête. Asseyons-nous ici et causons, puisque M. l'ambassadeur vous pardonne.

– Ouf ! que l'on a du mal à vendre ! soupira Bœhmer.

« Que de mal on se donne pour voler ! » pensa Beausire.

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