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Chapitre LXXXV


Chronologie dramatique. – Mademoiselle George Weymer. – Mademoiselle Raucourt. – Legouvé et ses oeuvres – Marie-Joseph Chénier. – Lettre de lui aux sociétaires de la Comédie-Française. – Les petits garçons perfectionnés. – Ducis. – Son théâtre.

Au reste, la réaction royaliste, dont nous avons parlé avant de nous interrompre pour causer avec MM. les hauts fonctionnaires publics qui font au lecteur les honneurs du précédent chapitre, ne frappait pas seulement les hommes de lettres, mais elle s'abattait cruelle, acharnée mortelle, sur les hommes politiques.
Elle s'était ouverte sur l'expulsion de Manuel de la Chambre ; elle devait se fermer sur le supplice de Riégo.
Mais ce qui me préoccupait, à cette époque-là, je l'avoue, ce n'étaient ni les querelles de la Chambre, ni la guerre d'Espagne, ni la fête que madame du Cayla – qui plus tard devait être si gracieuse pour moi – donnait à Saint- Ouen en mémoire de la rentrée de Louis XVIII, ni la mort du pape Pie VII ; c'étaient deux événements qui, à mes yeux, avaient une bien autre importance : la première représentation de Pierre de Portugal, de Lucien Arnault, et celle de L'Ecole des vieillards, de Casimir Delavigne.
Quoique la statistique dramatique de l'année 1823 présente un total de deux cent neuf pièces nouvelles représentées, et de cent soixante et un auteurs joués, les grandes scènes avaient, pendant les neuf premiers mois de l'année, surtout, présenté un effectif assez pauvre, et qui était bien loin d'atteindre celui de l'année précédente.
En effet, le 26 avril 1822, l'Odéon avait représenté l'Attila de M. Hippolyte Bis.
Le 5 juin, le Théâtre-Français avait représenté le Régulus de Lucien Arnault.
Le 14 juin, l'Odéon avait représenté Les Macchabées de M. Guiraud ; Frédérick Lemaître, qui sortait du Cirque, jouait un des frères Macchabées.
Le 7 novembre, le Théâtre-Français avait représenté la Clytemnestre de M. Soumet, dans laquelle Talma jouait à la fois d'une façon si mélancolique et si fatale le rôle d'Oreste.
Le 9 novembre, l'Odéon avait représenté le SaŸl du même auteur, dans lequel Joanny commença de se faire une réputation.
Enfin, le 21 décembre, le Théâtre-Français avait représenté la Valérie de MM. Scribe et Mélesville.
Pour faire pendant à toutes ces nouveautés, l'année 1823 n'avait encore eu à nous offrir que la comédie de L'Education ou Les Deux Cousines, de M. Casimir Bonjour, et Le Comte Julien, de M. Guiraud.
L'Education ou les Deux Cousines est la meilleure comédie de M. Casimir Bonjour ; mais la meilleure comédie de M. Casimir Bonjour avait le droit d'être médiocre, et elle usa de la permission.
Quant au Comte Julien, c'était une pièce sage et honnête, comme l'ont toujours été les pièces de son auteur. Le principal mérite de l'ouvrage était d'être joué par mademoiselle George, qui faisait sa rentrée à Paris, après quatre ou cinq ans d'absence.
A cette époque, mademoiselle George était toujours fort belle, et avait encore tous ses diamants.
Ceux qui ont connu Harel et les affiches fantastiques inventées par lui savent le rôle qu'on joué les diamants de mademoiselle George dans les rôles que mademoiselle George a joués.
J'ai dit qu'au fur et à mesure que les noms célèbres s'inscriraient sous ma plume, j'éclairerais ces noms de toutes les lueurs répandues sur eux à l'époque où je me trouvai en contact avec ces noms, lueurs éphémères pour quelques-uns, éteintes aujourd'hui pour beaucoup, mais qui n'en présenteront que plus de curiosité, ayant été saisies au moment où elles entouraient l'artiste de tout leur éclat.
Nous l'avons dit, l'âge de toute actrice vivant encore est incertain ; mais, en se reportant à l'année où mademoiselle George a débuté, c'est-à-dire au 29 novembre 1802, mademoiselle George pouvait avoir trente-huit ans en 1823.
Un mot sur la façon dont mademoiselle George était entrée au théâtre, et dont elle s'y est maintenue. – Aimée de Bonaparte, et restée en faveur près de Napoléon, mademoiselle George, qui demanda la faveur d'accompagner Napoléon à Sainte-Hélène, est presque un personnage historique.
Vers la fin de 1800 et le commencement de 1801, mademoiselle Raucourt, qui jouait les premiers rôles de tragédie au Théâtre-Français, mademoiselle Raucourt donnait des représentations en province. C'était l'époque où le gouvernement, quoiqu'il eût beaucoup à faire, n'avait pas honte de s'occuper d'art, dans ses moments perdus. Mademoiselle Raucourt avait reçu, en conséquence, l'ordre du gouvernement, si elle rencontrait dans sa tournée quelque élève qu'elle ne jugeât point indigne de ses leçons, de la ramener avec elle à Paris. Cette élève serait considérée comme élève du gouvernement, et recevrait douze cents francs de pension.
Mademoiselle Raucourt s'arrêta à Amiens.
Là, elle trouva une belle jeune fille de quinze ans, qui en paraissait dix-huit ; on eût dit la Vénus de Milo descendue de sa base.
Mademoiselle Raucourt presque aussi grecque que la Lesbienne Sapho aimait fort les statues vivantes. En voyant marcher cette jeune fille, en voyant le pas de la déesse se révéler en elle, comme dit Virgile, l'actrice s'informa, et apprit qu'elle s'appelait George Weymer ; qu'elle était fille d'un musicien allemand, nommé George Weymer, directeur du théâtre, et de mademoiselle Verteuil, qui jouait les soubrettes.
La jeune fille était destinée à la tragédie.
Mademoiselle Raucourt lui fit jouer, avec elle, Elise, dans Didon, et Aricie, dans Phèdre. L'épreuve réussit, et, le soir même de la représentation de Phèdre, mademoiselle Raucourt demanda la jeune tragédienne à ses parents.
La perspective d'être élève du gouvernement, et surtout élève de mademoiselle Raucourt, avait à part quelques petits inconvénients dont, à la rigueur, la jeune fille pouvait se garantir, trop d'attraits aux yeux des parents pour qu'ils refusassent.
La demande fut accordée, et mademoiselle George partit, suivie de sa mère.
Les leçons durèrent dix-huit mois.
Pendant ces dix-huit mois, la jeune élève habita un pauvre hôtel de la rue Croix-des-Petits-Champs, que, par antiphrase probablement, on appelait l'hôtel du Pérou.
Quant à mademoiselle Raucourt, elle habitait, au bout de l'allée des Veuves, une magnifique maison qui avait appartenu à madame Tallien, et qui, sans doute aussi par antiphrase, s'appelait La Chaumière.
Nous avons dit « une magnifique maison », nous aurions dû dire « une petite maison », car c'était une véritable petite maison dans le style Louis XV, que cet hôtel de mademoiselle Raucourt.
Vers la fin du XVIIIe siècle, siècle étrange où l'on appelait tout haut les choses par leur nom, Sapho-Raucourt jouissait d'une réputation dont elle ne cherchait pas le moins du monde à atténuer l'originalité.
Le sentiment que mademoiselle Raucourt portait aux hommes était plus que de l'indifférence, c'était de la haine. Celui qui écrit ces lignes a sous les yeux un manifeste signé de l'illustre artiste, qui est un véritable cri de guerre poussé par mademoiselle Raucourt contre le sexe masculin, et dans lequel, nouvelle reine des Amazones, elle appelle toutes les belles guerrières enrôlées sous ses ordres à une rupture ouverte avec les hommes.
Rien n'est plus curieux pour la forme, et surtout pour le fond que ce manifeste.
Et cependant, chose singulière, malgré ce dédain pour nous, mademoiselle Raucourt, dans toutes les circonstances où le costume de son sexe ne lui était pas indispensable, avait adopté celui du nôtre.
Ainsi, bien souvent, le matin, mademoiselle Raucourt donnait ses leçons à sa belle élève avec son pantalon à pieds, et une robe de chambre – comme eût fait M. Molé ou M. Fleury –, ayant près d'elle une jolie femme qui l'appelait « mon ami », et un charmant enfant qui l'appelait « papa ».
Nous n'avons pas connu mademoiselle Raucourt, morte en 1814, et dont l'enterrement fit un prodigieux scandale ; mais nous avons connu la mère, qui est morte en 1832 ou 1833 ; mais nous connaissons encore l'enfant, qui est aujourd'hui un homme de cinquante-cinq ans.
Nous connaissons un autre artiste dont toute la carrière a été entravée par mademoiselle Raucourt, à propos d'une jalousie qu'il eut le malheur d'inspirer à la terrible Lesbienne. Mademoiselle Raucourt se présenta au comité du Théâtre-Français, exposa ses droits de possession et d'antériorité sur la personne que voulait lui enlever l'impudent comédien, et, l'antériorité et la possession étant reconnues, l'impudent comédien, qui vit encore, et qui est un des plus honnêtes coeurs de la terre, fut chassé du théâtre, les sociétaires craignant que, comme Achille, mademoiselle Raucourt, à cause de cette nouvelle Briséis, ne se retirât sous sa tente.
Revenons à la jeune fille, que sa mère ne quittait pas d'un seul instant dans les visites qu'elle rendait à son professeur, et qui, trois fois par semaine, faisait, pour prendre ses leçons, cette longue traite de la rue Croix-des Petits-Champs à l'allée des Veuves.
Les débuts furent fixés à la fin de novembre. Ils devaient avoir lieu dans Clytemnestre, dans Emilie, dans Aménaïde, dans Idamé, dans Didon et dans Sémiramis.
C'était une grande affaire, et pour l'artiste et pour le public, qu'un début au Théâtre-Français, en 1802 ; c'était une bien plus grande affaire encore d'être reçu sociétaire ; car, si l'on était reçu sociétaire – homme, on devenait le collègue de Monvel, de Saint-Prix, de Baptiste aîné, de Talma, de Lafond, de Saint-Phal, de Molé, de Fleury, d'Armand, de Michot, de Grandménil, de Dugazon, de Dazincourt, de Baptiste cadet, de La Rochelle – ; femme, on devenait la camarade de mademoiselle Raucourt, de mademoiselle Contat, de mademoiselle Devienne, de madame Talma, de mademoiselle Fleury, de mademoiselle Duchesnois, de mademoiselle Mézeray, de mademoiselle Mars.
Quant aux auteurs de l'époque, c'étaient : Legouvé, Lemercier, Arnault, Alexandre Duval, Picard, Chénier et Ducis.
De ces sept hommes, j'en ai connu quatre : Arnault, dont j'ai essayé de tracer le portrait ; Lemercier et Alexandre Duval, dont j'essayerai, le moment venu, de traduire les bilieuses ressemblances ; puis Picard, que l'on disait l'ami de la jeunesse, et qui exécrait les jeunes gens.
Legouvé, Chénier et Ducis étaient morts quand j'arrivai à Paris.
Legouvé avait une grande influence au Théâtre-Français. C'était lui qui, au moment où mademoiselle George s'apprêtait à y paraître, venait, avec une affection presque paternelle, d'y guider les débuts de mademoiselle Duchesnois ; il y avait donné, en 1793, La Mort d'Abel, tragédie patriarcale qui dut son succès, d'abord au talent de l'auteur, mais, ensuite et surtout, à son opposition avec les événements qui s'accomplissaient. Jouée entre l'échafaud de Louis XVI et celui de Marie-Antoinette, entre les massacres de septembre et le supplice des girondins, elle détourna un instant les esprits de la vue du sang qui ruisselait par les rues. Quand, toute la journée, on a vu pendre à des réverbères, et porter des têtes au bout des piques, on n'est pas fâché de passer la soirée avec des bergers et des bergères. Néron se couronnait de roses et chantait des vers sur le mode ionien, après avoir vu brûler Rome.
En 1794, Legouvé avait fait représenter Epicharis. Un très beau monologue qu'il n'aurait certes pas eu l'idée de concevoir, mais qu'il emprunta à une page de Mercier, lui fournit son dernier acte.
Ce dernier acte fit le succès de la pièce.
J'ai entendu dire ce monologue à Talma d'une façon magistrale.
Enfin, Legouvé avait, en 1799, fait représenter Etéocle. – Etéocle était tombé, ou à peu près ; ce que voyant, au lieu de donner au Théâtre-Français une nouvelle tragédie, Legouvé lui avait donné une nouvelle tragédienne.
Mademoiselle Duchesnois venait de débuter avec le plus grand succès lorsque mademoiselle George débuta à son tour.
Puisque j'ai dit que je reviendrais, en temps et lieu, à Lemercier, à Alexandre Duval et à Picard, je vais en finir tout de suite avec Chénier et Ducis, dont je n'aurai peut-être plus l'occasion de parler.
C'était un singulier orgueil que celui de Marie-Joseph Chénier ; j'ai sous les yeux une dizaine de lettres de lui, lettres écrites à propos de Charles IX ; j'en choisis une qui est un modèle de naïveté : elle montrera sous quel point de vue les hommes que certains critiques ont l'audace d'appeler des maîtres, et qui, en effet, peuvent être des maîtres pour eux, elle montrera, dis-je, sous quel point de vue ces hommes envisageaient la tragédie historique.
Cette lettre est adressée à MM. les comédiens français ; elle avait pour but de faire reprendre Charles IX, que ces messieurs ne voulaient absolument pas jouer.
Pourquoi MM. les comédiens français ne voulaient-ils pas jouer Charles IX, puisque Charles IX faisait de l'argent ?
Ah ! je vais vous le dire tout bas, ou plutôt tout haut : c'est parce que Talma y avait un énorme succès...
Voici la lettre :

« Pressé de tous côtés, messieurs, par les amis de la liberté, dont plusieurs sont au nombre des députés confédérés, de faire donner en ce moment quelques représentations de Charles IX, je viens vous inviter à annoncer sur votre affiche, pour un des jours de la semaine prochaine, la trente-quatrième représentation de cette tragédie, indépendamment d'un autre ouvrage que j'ai composé pour célébrer la fête de la Fédération. J'ai cru devoir ajouter, en outre, dans le rôle du chancelier de l'Hospital, quelques vers relatifs à cette auguste circonstance ; car je serai toujours empressé de payer mon tribut civique, et vous, messieurs, vous ne saurez mieux marquer, en cette occasion, votre patriotisme, qu'en donnant la seule tragédie vraiment nationale qui existe encore en France, tragédie dont le sujet est si philosophique, si digne de la scène, au jugement même de M. de Voltaire, qui s'y connaissait un peu, comme vous le savez.
Dans cette tragédie, j'ai fait, le premier de tous, retentir l'éloge du roi citoyen qui nous gouverne aujourd'hui.
Recevez, etc. »

Voyez-vous le chancelier de l'Hospital applaudissant à la fête de la Fédération, et Charles IX faisant l'éloge de Louis XVI ?
Enfin !...
Chénier avait débuté par Charles IX, dont il réclamait la reprise et dont la reprise fit conduire chez le commissaire de police Danton et Camille Desmoulins, accusés d'avoir fait cabale au parterre. Henri VIII avait suivi Charles IX, et avait réussi comme lui. Deux ans après Henri VIII, était venu Calas. Enfin, le 9 janvier 1793, au plus fort du procès de Louis XVI, et quelques jours avant la mort de ce pauvre roi, Chénier avait encore fait représenter Fénelon, tragédie à l'eau de rose, du genre de La Mort d'Abel, et qui eut un de ces honnêtes succès que les amis appellent un triomphe, et les ennemis une chute.
Chénier comptait se relever par Timoléon.
Mais Robespierre, qui avait entendu parler de l'ouvrage, le lut, et l'arrêta.
Entendez-vous, messieurs de la censure ? Robespierre marchait sur vos brisées ; il arrêtait Timoléon, comme, avant lui, messieurs vos confrères arrêtaient Tartuffe, qui a été joué ; Mahomet, qui a été joué ; Le Mariage de Figaro, qui a été joué, et comme vous-mêmes enfin, arrêtez Pinto, qui a été joué ; Marion Delorme, qui a été jouée, et Antony, qui a été joué.
Robespierre arrêta donc Timoléon, déclarant que, lui vivant, la pièce ne serait jamais jouée. Oui ; mais Robespierre oubliait l'âge que vivaient les hommes à l'époque où il parlait ; il comptait sans le 9 thermidor... Robespierre monta sur l'échafaud de Danton, et Timoléon fut joué.
Malheureusement, deux jours avant Robespierre, était tombé ce cygne au doux chant, qu'on appelait André Chénier, poète bien autrement poète que monsieur son frère, celui-là, quoiqu'il n'eût pas fait de tragédies.
Comment Marie-Joseph Chénier, qui avait à pleurer ce frère, eut-il le temps de soigner les répétitions de sa tragédie, aussitôt après thermidor ?
Ah ! c'est qu'André n'était que son frère, et que Timoléon était son enfant.
Mais la Némésis populaire était là, qui gardait au poète oublieux une vengeance terrible.
Timoléon fait tuer son frère, et Chénier était accusé de n'avoir pas sauvé le sien. On demanda l'auteur.
- C'est inutile, cria une voix du parterre, l'auteur se nomme Caïn !
A dater de ce jour, Chénier avait renoncé au théâtre, et cependant on parlait d'un Tibère et d'un Philippe II, qui devaient sortir, un jour, du portefeuille où ils étaient enfermés.
Après Chénier venait Ducis. Depuis la mort de Beaumarchais – qui avait fait deux si charmantes comédies d'intrigue et trois si mauvais drames – Ducis était le patriarche de la littérature.
Il y avait à Rome, sous tous les papes, jusqu'à Grégoire XVI, qui les a fait disparaître, des enseignes de chirurgiens sur lesquelles on lisait ces mots :
          Ici on « perfectionne » les petits garçons.
On savait ce que cela voulait dire : les parents qui désiraient des garçons sans barbe et avec une jolie voix conduisaient là leurs enfants, et, en un tour de main, ils étaient... perfectionnés.
Ducis fit à peu près, pour Sophocle et pour Shakespeare, ce que les chirurgiens de Rome faisaient pour les petits garçons.
Ceux qui aiment les mentons imberbes et les jolies voix peuvent préférer l'Oedipe roi, l'Oedipe à Colone, l'Hamlet, le Macbeth, le Roméo et Juliette et l'Othello, de Ducis aux Oedipe de Sophocle, et à l'Hamlet, au Macbeth, au Roméo et Juliette et à l'Othello de Shakespeare ; mais nous avouons que, nous qui aimons la nature dans toute sa virilité, qui trouvons que plus l'homme est fort, plus il est beau, nous préférons les drames étalons aux drames hongres, et, sous ce rapport, qu'il soit question de petits garçons ou de tragédies, nous tenons tout perfectionnement pour un sacrilège.
Cependant, rendons à Ducis la part de justice qui lui est due. Il a conduit à Sophocle par une route pauvre, à Shakespeare par un chemin étroit ; mais, au moins, a-t-il laissé sur la route ces poteaux indicateurs que Voltaire enlevait avec tant de soin. Quand, du mouchoir de Desdémone, Voltaire fait une voile pour ­aïre, il démarque avec grand soin le linge qu'il a pris.
Ce n'est plus une imitation, c'est un vol.
A cette époque, Ducis avait fait représenter, dans la période de 1769 à 1795, Hamlet, Oedipe chez Admète, Le Roi Lear, Macbeth, Othello et Abufar.
Voilà où en était le Théâtre-Français ; voilà où en était la littérature française, en l'an de grâce 1802, Napoléon Bonaparte étant Premier consul, et Cambacérès et Lebrun étant consuls adjoints.

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