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Chapitre LVI


Retour à 1814. – Marmont, duc de Raguse. – M. Dudon. – Maubreuil et Roux-Laborie chez M. de Talleyrand. – Le Journal des Débats et le Journal de Paris. – Lyrisme bonapartiste et enthousiasme bourbonien. – Complot contre la vie de l'empereur. – Vol de l'argent et des diamants de la reine de Westphalie.

Remuons encore un peu le fumier de 1814. – Dieu, en prédisant la perte de Jérusalem, disait à Ezéchiel : « Je te ferai manger ton pain cuit sous de la fiente de boeuf. » Mon Dieu ! Seigneur ! vous avez été plus sévère pour nous que pour le prophète, et vous nous avez fait manger parfois bien pis que cela !
Napoléon était à Fontainebleau ; l'impératrice, à Blois ; un gouvernement provisoire, occulte et inconnu, fonctionnait dans l'entresol de l'hôtel de la rue Saint-Florentin.
Est-il utile de dire que l'hôtel de la rue Saint-Florentin appartenait à M. de Talleyrand ?
Le 16 mars, Napoléon avait écrit de Reims :

« Mon frère,
Conformément aux instructions verbales que je vous ai données, et à l'esprit de toutes mes lettres, vous ne devez permettre, en aucun cas, que l'impératrice et le roi de Rome tombent entre les mains de l'ennemi. Vous serez plusieurs jours sans nouvelles de moi. Si l'ennemi s'avance sur Paris avec des forces telles, que vous jugiez toute résistance inutile, faites partir dans la direction de la Loire la régente, mon fils, les grands dignitaires, les ministres, les officiers du sénat, les présidents du conseil d'Etat, les grands officiers de la couronne, le baron de la Bouillerie et le trésor. Ne quittez pas mon fils, et rappelez-vous que je préférerais le savoir dans la Seine plutôt qu'entre les mains des ennemis de la France. Le sort d'Astyanax, prisonnier des Grecs, m'a toujours paru le sort le plus malheureux de l'histoire. »
                    Napoléon.

Cette lettre était adressée à Joseph.
Ce trésor dont parlait Napoléon était, bien entendu, son trésor particulier.
Le 28 mars, le départ de l'impératrice fut mis en délibération. MM. de Talleyrand, Boulay de la Meurthe, le duc de Cadore et M. de Fermon, étaient d'avis que l'impératrice restât. Joseph, la lettre de l'empereur à la main, insista pour le départ. Ce départ fut résolu pour le lendemain à neuf heures du matin.
Plus tard, on fit un reproche à M. de Talleyrand d'avoir insisté pour que Marie-Louise restât à Paris. Un pâle et froid sourire dessina ce rictus qui servait de bouche au diplomate.
- Je savais que l'impératrice se défiait de moi, et que, si je conseillais le départ, elle resterait. J'ai été pour qu'elle restât, afin qu'elle partît.
O monseigneur l'évêque d'Autun ! c'est Harel qui vous a fait, dans Le Nain jaune, ce fameux mot : « La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. » Mais, monseigneur, que vous étiez bien digne de le faire vous même !
Le 29 mars au matin, à travers les fenêtres ouvertes des Tuileries, on pouvait voir, aux douteuses lueurs du jour naissant, aux lueurs plus douteuses encore des lampes et des bougies mourantes, les femmes de l'impératrice courant pâles de fatigue et de crainte, après une nuit tout entière passée dans les préparatifs du voyage.
Le départ, nous l'avons dit, était fixé à neuf heures.
A dix heures, l'impératrice n'avait pas encore quitté ses appartements. Elle espérait toujours qu'un contre-ordre arriverait, soit de l'empereur, soit de Joseph.
A dix heures et demie, le roi de Rome, tout en larmes, se cramponnait aux rideaux de ce palais des Tuileries, que lui aussi, pauvre enfant, ne voulait pas quitter.
Hélas ! à dix-sept ans de distance l'un de l'autre, trois enfants, subissant tour à tour les fautes de leur père, devaient inutilement se cramponner ainsi aux rideaux de ces Tuileries, qui, depuis soixante ans, ne sont plus qu'une hôtellerie royale où logent en passant les dynasties qui s'en vont.
A onze heures moins un quart, l'impératrice, vêtue d'une amazone de couleur brune, montait avec le roi de Rome dans une voiture qu'entourait un fort détachement de la garde impériale.
Le même jour et à la même heure, l'empereur partait de Troyes pour Paris avec les escadrons de service. On sait comment l'empereur fut arrêté à Fromenteau. Mais, ce que l'on ne sait pas, ou ce que l'on sait mal, c'est ce que nous allons raconter.
Un autre jour, dans un autre moment – à propos de la révolution de juillet probablement –, nous reviendrons sur un de ces hommes que le destin, on ne sait pourquoi, marque d'un sceau fatal.
Nous voulons parler de Marmont.
Nous le montrerons, non pas tel qu'on l'a fait, mais tel qu'il a été : magnifique, pendant cette retraite, dans laquelle il ne laissa ni un canon ni un prisonnier aux mains de l'ennemi ; magnifique, quand – lion acculé aux murs d'octroi de Paris, enveloppé de Russes et de Prussiens, dans la grande rue de Belleville ; le bras droit encore en écharpe, depuis la bataille des Arapiles ; tenant son épée de la main gauche, mutilée à Leipzig ; ses habits troués de balles ; enjambant par-dessus les morts et les blessés qui tombaient tout autour de lui ; à la tête de quarante grenadiers seulement –, il se faisait jour jusqu'à la barrière, où il abandonnait, criblé de blessures, le cinquième cheval qui mourait sous lui depuis le commencement de la campagne.
Hélas ! pourquoi ne traversa-t-il point Paris, de la barrière de Belleville à la barrière de Fontainebleau ? pourquoi s'arrêta-t-il à son hôtel de la rue Paradis-Poissonnière ? pourquoi ne se présenta-t-il point à Napoléon, avec sa redingote en lambeaux et son visage noir de poudre ? Quelle opposition dans sa destinée ! quelle différence dans le jugement de l'avenir !
Mais nous qui arrivons parmi les derniers, nous, spectateur presque désintéressé de tous ces grands événements, nous que notre caractère a fait sans haine privée, nous que notre position a fait sans haines politiques, c'est à nous, éclaireur de la postérité, placé sur la limite du monde aristocratique qui tombe, et du monde démocratique qui s'élève, de chercher la vérité partout où elle est ensevelie, et de la glorifier partout où nous la trouverons.
Et maintenant, ceci posé, revenons à Napoléon et à Marie-Louise.
Enjambons par-dessus quelques journées ; laissons derrière nous les grandes trahisons et les grandes hontes ; malheureusement, nous ne sommes pas au bout.
Passons du 29 mars au 7 avril.
Voici ce qui s'est passé pendant ces huit jours :
Le 30 mars, Paris a capitulé.
Le 31, les alliés sont entrés dans la capitale.
Le 1er avril, le sénat a nommé un gouvernement provisoire.
Le 2, le sénat a déclaré Napoléon déchu du trône.
Le 3, le Corps législatif a adhéré à la déchéance.
Le 4, Napoléon a abdiqué en faveur de son fils.
Le 5, Marmont a traité avec l'ennemi.
Le 6, le sénat a proposé un plan de constitution.
Le 7, les troupes du duc de Raguse s'insurgent et refusent d'obéir à ses ordres. De son côté, Napoléon fait ses dispositions pour se retirer derrière la Loire.
Le gouvernement de la rue Saint-Florentin a été vite en besogne, comme on voit.
L'impératrice est restée à Blois ; là, elle a successivement appris : la déclaration de déchéance du sénat ; la première abdication de l'empereur, et la défection du duc de Raguse.
Le 7 au matin, elle apprend le rappel des Bourbons.
Jusque-là, comme un nuage couvre encore l'avenir, l'égoïsme, qui veille et qui attend, n'a pas trop osé se manifester autour d'elle ; mais, à la nouvelle du retour des Bourbons, chacun songe à faire son pacte avec les nouveaux venus.
Ce qui est arrivé à Napoléon arrive à Marie-Louise.
C'est à qui la quittera le plus promptement et le plus publiquement ; c'est une course à l'ingratitude, c'est un steeple-chase à la trahison.
Huit jours auparavant, elle a quitté Paris, fille d'empereur, femme d'empereur, mère de roi ! Orléans l'a saluée, en passant, du branle de ses cloches et du bruit de son artillerie. Elle a autour d'elle une cour, sous sa main un trésor ; en France et en Italie, un double peuple, quelque chose comme quarante millions de sujets.
En huit jours, elle a perdu rang, puissance, hérédité, royaume ; en une heure, elle se trouve seule avec un pauvre enfant abandonné, et un trésor qu'on ne tardera pas à lui venir prendre.
Dieu me garde de m'apitoyer sur le sort de cette femme, qui n'avait qu'à rester veuve pour être sublime. Mais ceux-là qui la trahissaient ceux-là qui l'abandonnaient, n'avaient pas l'excuse d'un avenir couvert encore du voile de l'inconnu.
Le 7, nous l'avons dit, toute la cour a fui.
Le 8 au matin, les deux rois Jérôme et Joseph l'ont quittée à leur tour. Le 8 au soir, le général Schouvalof, chargé par les souverains de la conduire de Blois à Orléans, et d'Orléans à Rambouillet, est arrivé auprès d'elle.
Enfin, le 9 au matin ; on a pu lire dans Le Moniteur :

« Le gouvernement provisoire, informé que, d'après les ordres du souverain dont la déchéance a été prononcée solennellement le 3 avril, des fonds considérables ont été enlevés de Paris, dans les jours qui ont précédé l'occupation de cette ville par les troupes alliées,
« Arrête :
« Que ces fonds seront saisis partout où ils se trouveront, en quelques mains qu'ils se trouvent, et que le dépôt en sera immédiatement opéré dans la caisse la plus voisine. »

L'ordre était élastique : il ne faisait pas de différence entre le trésor public de la nation et le trésor privé de l'empereur.
Il fallait, au reste, confier l'exécution de cet ordre à un homme que sa haine pour ce qui venait de tomber poussât naturellement aux suprêmes violences. On choisit M. Dudon.
Qu'était-ce que M. Dudon ? Je suis heureusement trop jeune pour savoir cela ; je le demande, en conséquence, à un homme qui a eu le mérite de la fidélité, au duc de Rovigo.
Voici ce qu'il me répond :

« M. Dudon avait été enfermé à Vincennes, pour avoir déserté son poste, abandonné l'armée d'Espagne, et répandu la terreur dont il était saisi, sur toute la route qu'il avait parcourue. »

Cependant, M. Dudon hésite ; il lui faut un intermédiaire. il n'ose pas mettre directement la main sur cet or, dont on a si grand besoin pour payer les trahisons passées et les défections à venir.
Voyons, monsieur le duc de Rovigo, à qui s'adresse-t-il ? Dites ! Soyez la bouche de bronze de la Vérité ; j'écris sous votre dictée.

« On eut recours à un officier de gendarmerie d'élite, M. Janin de Chambéry, aujourd'hui officier général, qui était commis à l'escorte de cet argent. Ce jeune homme, voyant un moyen de faire sa fortune, se donna à M. Dudon. Il rassembla son régiment, fit enlever d'autorité les caissons qui contenaient le trésor de l'empereur Napoléon, car on ne les avait pas encore déchargés, et se mit en route pour Paris, où il arriva sans coup férir. »

Mais tout cela, ce n'est point assez ; on a volé l'impératrice, il faut tuer l'empereur.
« Il n'y a que les morts qui ne reviennent pas », a dit l'homme qu'on a délicatement surnommé l'Anacréon de la guillotine. On prête tant de mots à M. de Talleyrand, qu'il peut bien emprunter une maxime à Barère.
D'ailleurs, on en conviendra, le 31 mars, Napoléon était bien embarrassant. Il ne faut donc pas trop en vouloir aux gens qui voulaient s'en débarrasser.
Quels étaient ces gens-là ? Maubreuil les nommera lui-même.
Il y avait conférence dans l'hôtel de la rue Saint-Florentin.
- Oui, disait le président à quelqu'un qui n'avait pas encore ouvert la bouche ; oui, vous avez raison ; il faudrait nous débarrasser de cet homme !
- Oui, répondirent en choeur les assistants.
- Eh bien, c'est convenu, on s'en débarrassera.
- Il ne manque plus qu'une chose, dit un des membres du conciliabule.
- Laquelle ?
- La principale ! l'homme qui frappera le coup.
- J'ai l'homme, dit une voix.
- Un homme sûr ?
- Un homme ruiné, un homme ambitieux, un homme tombé de haut, et qui fera tout pour de l'argent et une position.
- Son nom ?
- Maubreuil.
Cela se passait le 31 mars, au soir.
Le même jour, Marie-Armand de Guerry, comte de Maubreuil, marquis d'Orvault, avait attaché la croix de la Légion d'honneur, qu'il avait bravement gagnée en Espagne, à la queue de son cheval, et s'était fait voir ainsi sur les boulevards et sur la place Louis XV.
Il est vrai qu'à la place Vendôme, il avait fait mieux encore : il avait passé une corde au cou de la statue de l'empereur, et il avait tiré de toutes ses forces, avec une douzaine d'autres honnêtes gens de son espèce ; mais, voyant que ses forces ne suffisaient point, il avait attelé son cheval à cette corde. Cela n'avait pas suffi encore. Alors, on avait été demander un renfort de chevaux au grand-duc Constantin, qui avait refusé en disant :
- Cela ne me regarde pas.
Maintenant, qui avait été chercher ce renfort ? qui s'était fait le commissionnaire de Maubreuil ? Un très grand seigneur, ma foi, un très beau nom historique ! Il est vrai que le très grand seigneur, porteur de ce beau nom, avait une chose à faire oublier : c'est qu'il devait tout à l'empereur.
Son nom, demandez-vous ?
Ah ! ma foi, cherchez ; j'ai bien cherché, moi.
Maubreuil était en effet tombé de haut, comme l'avait dit son protecteur Roux-Laborie.
Bon ! je m'aperçois que je nomme son protecteur, moi qui ne voulais nommer personne.
N'importe ! continuons.
Maubreuil était tombé de haut, car il était d'une excellente famille. Son père, marié en secondes noces à une soeur de MM. de la Rochejaquelein, était mort dans les guerres de la Vendée, avec une trentaine d'autres personnes de sa famille.
Roux-Laborie, secrétaire du gouvernement provisoire, avait donc répondu de Maubreuil.
Il avait fait plus : il avait dit à M. de Talleyrand... – Allons ! voilà que, sans m'en douter, j'arrache encore un masque ; ma foi, tant pis ! puisque ce visage blême est à découvert, qu'il y reste ! – Il avait donc fait plus : il avait dit à M. de Talleyrand :
- Je vous l'amènerai.
Mais, toujours prudent, M. de Talleyrand s'était écrié :
- Y pensez-vous, mon cher monsieur ? amener M. de Maubreuil à moi ! Et pourquoi faire ? C'est chez Anglès qu'il faut le conduire ! c'est chez Anglès qu'il faut aller ! Vous savez bien que c'est Anglès qui mène tout cela.
- Eh bien, soit ; je l'y conduirai, avait répondu le secrétaire du gouvernement provisoire.
- Quand cela ?
- Ce soir même.
- Mon cher, vous êtes un homme impayable.
- Retenez le mot, monseigneur.
Et Roux-Laborie salue, sort et court chez Maubreuil.
Maubreuil n'était pas chez lui.
Quand Maubreuil n'était pas chez lui, on savait où il était. Il était au jeu. Mais à quel jeu ? Il y a tant de tripots à Paris !
Roux-Laborie court toute la nuit sans le trouver, revient chez Maubreuil, et, comme Maubreuil n'était pas encore rentré, il laisse un mot à son domestique.
Dans ce mot, il lui donne rendez-vous chez lui, pour le lendemain, 1er avril. Il l'attendra toute la journée.
La journée se passe, et, le soir, Maubreuil n'a pas paru.
C'est terrible pour un homme d'honneur, de manquer à sa parole. Que pensera M. de Talleyrand d'un homme qui a tant promis, et qui tient si peu ?
Deux fois dans la journée, il a écrit à Maubreuil ; le temps presse ; aussi le second billet est pressant.
Voyez plutôt :
« Pourquoi n'êtes-vous pas venu ? Je vous ai attendu toute la journée. Vous me désespérez ! »
Maubreuil rentre à six heures du soir pour changer de linge. Il trouve le billet ; il court chez Roux-Laborie.
- Qu'y a-t-il ?
- Votre fortune à faire.
- Me voici !
- Suivez-moi. On monte en voiture, on va chez M. Anglès ; M. Anglès est à l'hôtel de la rue Saint-Florentin. On court à l'hôtel de la rue Saint Florentin ; M. Anglès vient d'en sortir. On demande le prince.
Impossible ! le prince est très occupé : il trahit.
Il est vrai qu'il trahit en bonne société ; il trahit avec le sénat. Le lendemain, Maubreuil et Roux-Laborie reviennent.
Le prince n'est pas plus visible que la veille ; le prince est au Luxembourg.
Mais n'importe, on les introduira tout à l'heure dans son cabinet, qui est occupé en ce moment. D'ailleurs, peut-être reviendra-t-il.
- Attendons ! dit Roux-Laborie.
Et ils attendent un instant dans le salon vert – vous savez, dans ce salon vert devenu historique –, ils attendent en lisant les journaux.
Les journaux étaient bien amusants.
Le Journal des Débats et le Journal de Paris rivalisaient surtout de verve et d'esprit.

« Aujourd'hui, disait l'ancien Journal de l'Empire, qui venait, depuis la veille, de se faire faire une casaque neuve, et qui s'appelait Journal des Débats, aujourd'hui Sa Majesté passa devant la colonne Vendôme... »

Pardon, si je m'arrête une seconde ; je tiens à ce que l'on ne fasse pas confusion.
Sa Majesté ! vous pourriez croire que c'est l'empereur Napoléon, sur lequel, huit jours auparavant, le Journal de l'Empire publiait ces beaux vers :

          I

          « Ciel ennemi, ciel, rends-nous la lumière !
          Disait Ajax, et combats contre nous ! »
          Seul contre tous, malgré le ciel jaloux,
          De notre Ajax voici la voix guerrière :
          « Que les cités s'unissent aux soldats ;
          Rallions-nous pour les derniers combats !
          Français, la Paix est aux champs de la gloire,
          La douce Paix, fille de la Victoire. »

          II

          Il a parlé, le monarque, le père ;
          Qui serait sourd à sa puissante voix ?
          Patrie, honneur ! c'est pour vos saintes lois,
          Nous marchons tous sous la même bannière.
          Rallions-nous, citoyens et soldats,
          Rallions-nous pour les derniers combats !
          Français, la Paix est au champ de la gloire,
          La douce Paix, fille de la Victoire.

          III

          Napoléon, roi d'un peuple fidèle,
          Tu veux borner la course de ton char;
          Tu nous montras Alexandre et César ;
          Oui, nous verrons Trajan et Marc-Aurèle !
          Nous sommes tous tes enfants, tes soldats,
          Nous volons tous à ces derniers combats !
          Elle est conquise aux nobles champs de gloire,
          La douce Paix, fille de la Victoire.

Car, enfin, on peut bien appeler Majesté, cinq jours avant son abdication, un monarque, un père, qu'on vient d'appeler Ajax, Alexandre, César, Trajan et Marc-Aurèle.
Détrompez-vous ! Aujourd'hui, Sa Majesté, c'est l'empereur Alexandre ; quant à l'autre empereur – l'empereur Napoléon – nous verrons ou plutôt nous avons déjà vu, au retour de l'île d'Elbe, ce qu'il est devenu.
Après avoir été un monarque, un père, Ajax, Alexandre, César, Trajan et Marc-Aurèle, il est devenu Teutatès.
Fi, la vilaine chute !
Reprenons, car nous n'en finirions pas, et nous avons eu plus de peine à franchir ce mot Majesté, que César n'en eut à franchir le Rubicon.

« Aujourd'hui, Sa Majesté passa devant la colonne de la place Vendôme, et, regardant la statue, elle dit aux seigneurs qui l'entouraient :
- Si j'étais placé si haut, je craindrais d'en être étourdi.
Ce mot, si philosophique, est digne d'un Marc-Aurèle. »

Pardon, monsieur Bertin, de quel Marc-Aurèle ? Est-ce de celui auquel vous compariez tout à l'heure Napoléon, ou de quelque autre Marc-Aurèle que nous ne connaissons pas ?
Ah ! monsieur, vous êtes comme Titus, vous ; vous n'avez pas perdu votre journée, ou plutôt votre nuit !
Nous dirons tout à l'heure ce qui s'était passé dans cette nuit, que n'avait pas perdue M. Bertin, et dans le cours de laquelle le serpent avait changé sa peau tricolore contre une peau blanche, et, de Journal de l'Empire, était devenu Journal des Débats.
Il est vrai que, dans la nuit du 20 au 21 mars 1815, vous reprendrez votre vieille peau tricolore que vous avez vendue, monsieur Bertin, mais que vous n'avez pas livrée.
Passons au Journal de Paris :

« Il est bon de savoir, disait le Journal de Paris, que Bonaparte ne s'appelait pas Napoléon, mais Nicolas. »

En vérité, monsieur le directeur, vous faites au pauvre empereur d'hier une trop sublime apothéose ; au lieu d'être bassement ingrat, comme votre confrère, vous êtes audacieusement flatteur. Bonaparte n'avait que la prétention de se prénommer Napoléon, c'est-à-dire le lion du désert, et voilà que vous en faites Nicolas, c'est-à-dire le vainqueur des peuples.
Ah ! monsieur le rédacteur du Journal de Paris, si votre journal eût été un journal littéraire comme le Journal des Débats, vous eussiez su le grec comme votre confrère, c'est-à-dire comme un véritable Grec, et vous n'eussiez pas fait de pareilles bévues.
Mais vous ne saviez pas le grec. Voyons au moins si vous saviez le français.
Complétons la phrase :

« Il est bon de savoir que Bonaparte ne s'appelait point Napoléon, mais Nicolas ; ni Bonaparte, mais Buonaparté. Il avait retranché l'u pour se rattacher à une famille illustre de ce nom. »

- Vous savez que les Balzac d'Entraigues prétendent que vous n'êtes point de leur famille, disait-on à M. Honoré de Balzac, auteur du Père Goriot et des Parents pauvres.
- Si je ne suis point de leur famille, répondit M. Honoré de Balzac, tant pis pour eux !
Revenons au Journal de Paris. C'est toujours lui qui parle :

« Plusieurs personnes se sont amusées à faire différentes anagrammes du nom de Buonaparté, en ôtant l'u de ce nom. Celle qui nous paraît mieux peindre le personnage est celle-ci : Nabot Paré. »

Quel malheur, monsieur le rédacteur, que vous ayez été obligé, pour arriver à cet adorable résultat, de faire comme le tyran, de sacrifier votre U !
Maintenant, pour faire un pendant aux vers du Journal des Débats, citons les vers du Journal de Paris ; ils n'ont qu'une strophe, mais à elle seule, pour les amateurs de poésie, celle-là en vaut bien trois. Ces vers étaient de circonstance, d'ailleurs ; M. de Maubreuil venait justement là pour faire du dernier une prophétie.

          Testament de Bonaparte.

          Je lègue aux enfers mon génie,
          Mes exploits aux aventuriers,
          A mes partisans l'infamie,
          Le grand-livre à mes créanciers,
          Aux Français l'horreur de mes crimes,
          Mon exemple à tous les tyrans,
          La France à ses rois légitimes,
          Et l'hôpital à mes parents.

Maintenant, et pour clore notre série de citations, nous avons promis de revenir encore une fois au Journal des Débats.
C'est un registre en partie double, avec son doit et avoir, que nous mettons sous les yeux du lecteur.
Il y a quatorze jours d'intervalle seulement entre les deux articles, comme on pourra voir par les dates.

          Journal des Débats
          Peau blanche.

          Paris, 6 mars 1815.

Buonaparte s'est évadé de l'île d'Elbe, où l'imprudente magnanimité des souverains alliés lui avait donné une souveraineté, pour prix de la désolation qu'il avait portée dans leurs Etats.
Cet homme, qui, en abdiquant le pouvoir, n'a jamais abdiqué son ambition et ses fureurs, cet homme, tout couvert du sang des générations, vient, au bout d'un an, essayer de disputer au nom de l'usurpation, la légitime autorité du roi de France.
A la tête de quelques centaines d'italiens et de Polonais, il ose mettre le pied sur une terre qui le repoussa pour jamais.
Quelques pratiques ténébreuses, quelques manoeuvres dans l'Italie, excitée par son aveugle beau-frère, ont enflé l'orgueil du Lâche Guerrier de Fontainebleau.
Il s'expose à mourir de la mort des héros : Dieu permettra qu'il meure de la mort des traîtres.
La terre de France l'a rejeté. Il y revient, la terre de France le dévorera.
Ah ! toutes les classes le repoussent, tous les Français le repoussent avec horreur, et se réfugient dans le sein d'un roi qui nous a apporté la miséricorde, l'amour et l'oubli du passé.
Cet insensé ne pouvait donc trouver en France de partisans que parmi les artisans éternels de troubles et de révolutions.
Mais nous ne voulons ni de troubles ni de révolutions. Ils désigneront vainement des victimes pour leur Teutatès.
Un seul cri sera le cri de toute la France :

Mort au tyran ! Vive le roi !

Cet homme, qui débarqua à Fréjus contre tout espoir, nous semblait alors appelé de Dieu pour rétablir en France la monarchie légitime ; cet homme, entraîné par sa noire destinée, et comme pour mettre le dernier sceau à la Restauration, revient aujourd'hui pour peser comme un rebelle sur cette même terre où il fut reçu, il y a quinze ans, par un peuple abusé, et détrompé depuis par douze ans de tyrannie.

          Journal de l'Empire
          Peau tricolore

          Paris, 20 mars 1815.

La famille des Bourbons est partie cette nuit... Paris offre l'aspect de la sécurité et de la joie ; les boulevards sont couverts d'une foule immense, impatiente de voir l'armée et le Héros qui lui est rendu. Le petit nombre de troupes qu'on avait eu l'espoir insensé de lui opposer s'est rallié aux aigles et toute la milice française, devenue nationale, marche sous les drapeaux de la gloire et de la patrie. Sa Majesté l'Empereur a traversé deux cents lieues de pays avec la rapidité de l'éclair, au milieu d'une population saisie d'admiration et de respect, pleine du bonheur présent et de la certitude du bonheur à venir.
Ici, des propriétaires se félicitant de la garantie réelle que leur assure ce retour miraculeux ; là, des hommes bénissant l'événement inespéré qui fixe irrévocablement la liberté des cultes ; plus loin, de braves militaires pleurant de joie de revoir leur ancien général ; des plébéiens, convaincus que l'honneur et les vertus seront redevenus le premier titre de la noblesse, et qu'on acquerra, dans toutes les carrières, la splendeur et la gloire pour les services rendus à la patrie.
Tel est le tableau qu'offrait cette marche ou plutôt cette course triomphale, dans laquelle l'Empereur n'a trouvé d'autre ennemi que les misérables libelles qu'on s'est vainement plu à répandre sur son passage, contraste bien étrange avec les sentiments d'enthousiasme qui éclataient à son approche. Ces sentiments, justifiés par la lassitude des onze mois qui viennent de s'écouler, ne le sont pas moins par les garanties que donnent à tous les rangs les proclamations de Sa Majesté, et qui sont lues avec une extrême avidité. Elles respirent la modération qui accompagne aujourd'hui la force, et qui est toujours inséparable de la véritable grandeur.

P.-S. Huit heures du soir.

L'empereur est arrivé ce soir au palais des Tuileries, au milieu des plus vives acclamations. Au moment où nous écrivons, les rues, les places, les boulevards, les quais, sont couverts d'une foule immense, et les cris de Vive l'Empereur ! retentissent de toutes parts, depuis Fontainebleau jusqu'à Paris. Toute la population des campagnes, ivre de joie, s'est portée sur la route de Sa Majesté, que cet empressement a forcé d'aller au pas.

N'est-ce pas que MM. de Maubreuil et Roux-Laborie ne devaient pas s'ennuyer avec une pareille galerie sous les yeux ? Aussi, quoiqu'ils fussent dans le salon vert depuis près d'une heure, à peine croyaient-ils y être depuis dix minutes, lorsque la porte du cabinet du prince de Talleyrand s'ouvrit.
Ils entrèrent.
Maintenant, n'allez pas croire que ce soit du roman que nous faisons ici. C'est je ne dirai pas de la belle et bonne histoire, mais de la laide et triste histoire.
Si vous en doutiez, faites-vous représenter le rapport que MM. Thouret et Brière de Valigny, substituts du procureur impérial, faisaient au mois de juin 1815, sur toute cette affaire, à une des chambres du tribunal de première instance de la Seine.
Quand Napoléon ne serait revenu que pour nous ramener avec lui cette pièce officielle, ce serait presque assez pour excuser son retour. On introduisit M. de Maubreuil dans le cabinet de M. de Talleyrand. Roux-Laborie le fit alors asseoir dans le propre fauteuil du prince et lui dit :
- Vous êtes impatient de retrouver votre position, de refaire votre fortune perdue ; il dépend de vous d'obtenir encore au-delà de ce que vous pouvez désirer.
- Que me faut-il faire ? demanda Maubreuil.
- Vous avez du courage, de la résolution : débarrassez-nous de l'empereur. Lui mort, la France, l'armée, tout est à nous, et l'on vous donne deux cent mille livres de rente ; on vous fait duc, lieutenant général et gouverneur d'une province.
- Je ne vois pas trop comment je pourrais réussir.
- Rien de plus facile.
- Voyons.
- Ecoutez.
- J'écoute.
- Il est impossible que, d'ici à deux jours, il n'y ait pas une grande bataille. Prenez cent hommes déterminés à qui vous donnerez des uniformes de la garde, mêlez-vous avec eux aux troupes de Fontainebleau, et il vous sera facile, soit avant, soit pendant, soit après la bataille, de nous rendre le service que je suis chargé de vous demander.
Maubreuil secoua la tête.
- Refusez-vous ? demanda vivement Roux-Laborie.
- Non pas. Je songeais seulement que cent hommes, c'est difficile à trouver ; heureusement, il n'est pas besoin de cent hommes : douze suffiront. Je les trouverai peut-être dans l'armée ; mais il me faudrait alors la faculté de les faire avancer de deux ou trois grades, et de leur accorder des récompenses pécuniaires, en harmonie avec le service qu'ils auront rendu.
- Vous aurez tout ce que vous voudrez. Que nous importent dix ou douze colonels de plus ou de moins !
- C'est bien.
- Vous acceptez alors ?
- Probablement... Cependant je demande jusqu'à demain pour réfléchir.
Et Maubreuil sortit, suivi de Roux-Laborie, très inquiet du sursis demandé. Mais Maubreuil le rassura, en prenant l'engagement de lui donner une réponse positive le lendemain. On comprend l'hésitation de Maubreuil. Il avait été introduit dans le cabinet du prince, il s'était assis dans le fauteuil du prince, mais, au bout du compte, il n'avait pas vu le prince. Or, quand on joue sa tête pour un autre, on aime assez à voir celui pour lequel on tient les cartes.
Le lendemain, on revient à l'hôtel.
Maubreuil accepte.
Roux-Laborie respire.
- Mais, ajoute Maubreuil, à une condition.
- Laquelle ?
- Je ne me regarde pas comme suffisamment autorisé par votre seule parole. J'ai besoin que les promesses que vous me faites soient solidement garanties. Je veux voir M. de Talleyrand lui-même, et recevoir de lui ma mission.
- Mais, mon cher Maubreuil, vous comprenez combien il est difficile...
- Je ne dis pas non ; mais ce sera ainsi, ou ce ne sera point.
- Ainsi, vous voulez voir M. de Talleyrand ?
- Je veux voir M. de Talleyrand, et recevoir de lui directement ma mission.
- Oh ! oh ! dit l'avocat en frappant sur la poitrine de son ami, on dirait que vous avez peur ?
- Je n'ai pas peur, mais je veux voir M. de Talleyrand.
- Eh bien, soit, dit Roux-Laborie, vous le verrez, et, puisque vous voulez absolument sa garantie, vous allez être satisfait. Attendez quelques instants dans ce salon.
Et il entra chez M. de Talleyrand.
Un instant après, il sortit.
- M. Talleyrand va passer, M. de Talleyrand va vous faire un geste de la main, M. de Talleyrand va vous sourire. Cela vous suffira-t-il ?
- Hum ! fit Maubreuil ; n'importe ! nous verrons.
M. de Talleyrand passa, fit le geste convenu, et sourit gracieusement à Maubreuil.
Tout cela, bien entendu, c'est Maubreuil qui le dit.
Le geste séduit Maubreuil, le sourire le transporte ; seulement, Maubreuil veut encore quelque chose : il veut deux cent mille francs. On marchande, on lésine, on n'a pas d'argent : il y a tant de trahisons à payer !
Mais, grâce à l'arrêté du 9, il rentre treize millions : c'est le trésor privé de Napoléon. On a fait la chose en conscience, on n'a rien laissé à Marie- Louise, ni argent ni argenterie ; c'est à ce point qu'elle a été obligée d'emprunter, à l'évêque chez lequel elle était logée, un peu de faïence et d'argenterie. On a donc treize millions – sans compter les dix millions en or laissés dans les caves des Tuileries, et sur lesquels on a déjà fait main basse.
C'est vingt-trois millions qu'on a déjà empruntés à Napoléon.
Que diable ! on peut bien prendre là-dessus deux cent mille francs pour le faire assassiner ! On prend donc deux cent mille francs, et on les donne à Maubreuil. Maubreuil court au jeu, et perd cent mille francs dans la nuit.
Assassinera-t-il Napoléon pour cent mille francs ? En vérité, non !... Ce n'est point assez.
Il a recours à M. A ***.
M. A *** est un homme d'imagination. Il lui vient une idée :
- La reine de Westphalie suit la même route que Napoléon...
- Oui.
- Nous supposons que la reine de Westphalie emporte les diamants de la couronne.
- Oui.
- Eh bien, emparez-vous de ce qu'elle possède, et ce sera de bonne prise.
- Oui ; mais je veux un ordre.
- Comment, un ordre ?...
- Un ordre écrit.
- Signé de qui ?...
- Signé de vous.
- Qu'à cela ne tienne !
Et M. A *** prend une plume, et signe l'ordre suivant... – Permettez, nous dira-t-on, qu'est-ce que M. A *** ? Pardieu ! lisez ; la signature est au bas de l'ordre :

Ministère de la police.

« Il est ordonné à toutes les autorités chargées de la police générale de France, aux préfets, commissaires généraux, spéciaux et autres, d'obéir aux ordres que M. de Maubreuil leur donnera ; de faire et d'exécuter à l'instant même tout ce qu'il prescrira, M. de Maubreuil étant chargé d'une mission secrète de la plus haute importance. »
                    Anglès.

Ce n'est pas tout. Maubreuil veut un autre ordre pareil, signé du ministre de la guerre : il dispose de la force civile, il faut qu'il dispose de la force militaire.
Il va trouver le ministre de la guerre. Il obtient un ordre pareil à celui que nous venons de citer.
Le ministre de la guerre est le général Dupont.
Il y a des signatures qui ont une fatale destinée !
Le 22 juillet 1808, cette signature est au bas de la capitulation de Baylen ; le 16 avril 1814, elle est au bas de la commission Maubreuil !
L'une, sans combat, livre la liberté de quatorze mille hommes à l'ennemi ; l'autre livre à un voleur et à un assassin l'or et la vie d'une reine !
Comme on est fier, en face de pareilles erreurs, de n'avoir jamais mis son nom, qu'au haut d'un drame, bon ou mauvais, qu'au bas d'un livre, mauvais ou bon ! Outre ces deux ordres, Maubreuil s'en fait donner encore trois autres dans les mêmes termes :
Un de Bourrienne, directeur provisoire des postes... De Bourrienne, comprenez-vous ? – Mais ce n'est pas ce même Bourrienne qui fut secrétaire de l'empereur ?... – Pardonnez, c'est bien le même !... Où serait l'infamie, sans cela ? Il met les postes à la disposition de M. de Maubreuil.
Un du général Sacken, gouverneur de Paris.
Un du général Brokenhausen.
Grâce à ces deux derniers ordres, Maubreuil, qui dispose déjà de la police par Anglès, de l'armée par Dupont, des postes par Bourrienne disposera aussi des troupes alliées par le général russe et par le générai prussien.
Il est vrai que, le 3 avril, le lendemain du jour où le Journal des Débats et le Journal de Paris ont publié les spirituels articles que vous connaissez, on chantait à l'opéra les deux charmants couplets que vous allez connaître, le tout sur l'air de Vive Henri IV ! air national, s'il en fut :

          Vive Alexandre !
          Vive ce roi des rois !
          Sans rien prétendre,
          Sans nous dicter des lois,
          Ce prince auguste
          A le triple renom,
          De héros, de juste,
          De nous rendre un Bourbon.

          Vive Guillaume !
          Et ses guerriers vaillants !
          De ce royaume,
          Il sauva les enfants ;
          Par sa victoire,
          Il nous donne la paix,
          Et compte sa gloire
          Par ses nombreux bienfaits.

En vérité, il y a une certaine fierté à se dire que ces vers sont presque aussi mauvais que la prose du Journal des Débats et du Journal de Paris !
Maubreuil avait donc ses cinq ordres, bien en règle, dans sa poche. Avec cela, il pouvait agir, non pas contre Napoléon – c'était trop chanceux – mais contre la reine de Westphalie.
En effet, n'était-ce pas bien joué que de faire payer le prix de l'assassinat de Napoléon, et de ne pas l'assassiner ?
C'est ce que Maubreuil va essayer de faire.
D'abord, il s'associe un nommé d'Asies, qu'en vertu de ses pleins pouvoirs, il nomme commissaire royal.
Puis il se met à l'affût au coin de la rue du Mont-Blanc et de la rue Saint Lazare.
La reine de Westphalie logeait à l'hôtel du cardinal Fesch.
Son départ était fixé au 18.
Les ordres sont signés du 16 et du 17.
Maubreuil était bien renseigné. Le 18, à trois heures du matin, la princesse Catherine de Wurtemberg, ex-reine de Westphalie, montait en voiture, et prenait la route d'Orléans.
La princesse Catherine était cousine de l'empereur de Russie et voyageait avec un passeport signé de lui et de l'empereur d'Autriche.
Maubreuil a pris les devants. A Pithiviers, il apprend, par le maître de poste – vous voyez bien que la recommandation de M. de Bourrienne était bonne à quelque chose – ; à Pithiviers, il apprend, par le maître de poste, que la princesse continuera son chemin par la Bourgogne.
Alors, il s'embusque à Fossard, maison de poste à une demi-lieue de Montereau.
Au reste, il n'y a pas de danger que Maubreuil se trompe, il connaît bien la princesse : il a été son écuyer.
Le 21, à sept heures du matin, la voiture de la princesse paraît sur la route. Maubreuil s'élance à la tête d'une douzaine de cavaliers, arrête la voiture, force l'ex-reine à entrer dans une espèce d'écurie, où tous les bagages sont successivement transportés.
Il y avait onze malles ou caisses.
Maubreuil en demande les clefs.
La princesse n'avait aucun moyen de faire résistance : elle les lui donne ; tout cela sans faire semblant de le reconnaître, sans daigner lui adresser la parole. Ce que voyant Maubreuil, il se met tranquillement à déjeuner, avec d'Asies, dans une chambre au rez-de-chaussée de l'auberge, en attendant un détachement de troupes qu'en vertu de ses ordres, il a envoyé chercher à Fontainebleau.
Cependant il faut rendre justice à Maubreuil. Comme le temps est mauvais, comme il pleut, comme il fait froid, il a offert à son ancienne souveraine d'entrer dans l'auberge ; mais, comme elle serait obligée de rester dans la même chambre que lui, elle préfère rester dans la cour.
Une femme qui a pitié de cette autre femme lui apporte une chaise, et elle s'assied.
Maubreuil achevait de déjeuner, quand un lieutenant arrive de Montereau avec une douzaine d'hommes, mamelouks et chasseurs.
Il faut donner une raison à cet officier et à ces soldats ; si impudent que l'on soit, on ne dit jamais : « Tel que vous me voyez, je suis un voleur. »
Non, ce sera la princesse Catherine qui sera une voleuse.
La princesse Catherine est arrêtée par Maubreuil, parce qu'elle emporte les diamants de la couronne.
Quatre factionnaires sont placés pour empêcher les voyageurs d'approcher... à moins que les voyageurs qui viendraient n'aient une voiture ; auquel cas, bon gré, mal gré, on utilisera la voiture.
Des marchands arrivent de Sens, conduisant une patache. La patache et les deux chevaux qui la conduisent sont confisqués par Maubreuil. On charge sur cette patache les coffres de la princesse.
C'est alors seulement qu'elle daigne adresser la parole à Maubreuil, qui s'excuse auprès d'elle sur sa mission.
- Fi ! monsieur, dit-elle, quand on a mangé le pain des gens, on ne se charge pas, à leur détriment, d'une pareille mission... Ce que vous faites là est abominable !
- Madame, répond Maubreuil, je ne suis que le commandant de la force armée. Parlez au commissaire, je ferai tout ce qu'il ordonnera.
Le commissaire était d'Asies, on s'en souvient.
Robert Macaire renvoyait à Bertrand.
Mais elle ne savait pas cela, la digne princesse : elle prenait d'Asies pour un vrai commissaire.
- Monsieur, dit-elle, vous me dépouillez de tout ce qui m'appartient. Le roi n'a jamais donné de pareils ordres... Je vous jure, sur mon honneur, et foi de reine, que je n'ai rien à la couronne de France !
D'Asies se redresse.
- Nous prenez-vous pour des voleurs, madame ? dit-il. Je vais vous montrer que nous avons des ordres. Toutes ces caisses vont partir.
En disant cela, d'Asies aperçoit une petite caisse carrée, entourée de rubans de fil.
Il porte la main dessus. La petite caisse est très lourde.
- Ah ! ah ! dit-il.
- Monsieur, dit la princesse, cette petite caisse renferme mon or.
D'Asies et Maubreuil échangent un coup d'oeil qui veut dire :
« Votre or, princesse, c'est justement ce que nous cherchons. »
Ils se retirent, et font semblant de délibérer.
Puis, se rapprochant après la délibération, ils ordonnent au commandant des mamelouks d'emporter cette caisse avec les autres.
La princesse doute encore de ce qu'elle voit, de ce qu'elle entend.
- Mais, s'écrie-t-elle, il n'est pas possible que vous preniez aussi mes bijoux et mon argent ! que vous m'exposiez à rester avec ma suite au milieu d'un grand chemin !
Alors la force lui manque, à cette noble créature, fille de roi, femme de roi, cousine d'empereur. Les larmes lui viennent aux yeux ; elle demande à parler à Maubreuil. Maubreuil s'approche.
- Mais, monsieur, lui dit-elle, que voulez-vous donc que je devienne ? Rendez-moi au moins cet or, qui m'est nécessaire pour continuer mon chemin.
- Madame, répondit Maubreuil, je ne suis que l'exécuteur des ordres du gouvernement. Je dois rendre vos caisses intactes à Paris. Tout ce que je puis faire pour vous, c'est de vous donner ma ceinture : elle renferme cent napoléons de vingt francs.
La princesse voit, dans cette offre, le dernier dévouement d'un homme qui a été à son service ; elle accepte, sur le conseil que lui donne le comte de Furstenstein.
D'ailleurs, elle croit qu'il va lui être permis de revenir à Paris, et, à Paris, elle retrouvera de l'argent.
Mais il n'en est pas ainsi : on la force à remonter en voiture. La princesse continuera son chemin vers Villeneuve-la-Guyard, sous l'escorte de deux chasseurs, tandis que ses caisses, son or, ses diamants, chargés sur la patache, vont retourner à Paris.
Si la princesse résiste, les deux chasseurs ont ordre d'employer la violence pour la forcer de continuer sa route.
Elle demande alors à faire au moins escorter ses caisses par une personne à elle. Mais, comme cette demande est exorbitante, elle est repoussée.
La voiture de la princesse continue donc sa route vers Villeneuve-la- Guyard. La conscience de Maubreuil et de d'Asies est tranquille : la princesse n'a-t-elle pas cent napoléons pour subvenir à ses besoins ?
A la poste suivante, on ouvre la ceinture de Maubreuil pour payer. On n'y trouve que quarante-quatre napoléons. On dépose aussitôt la ceinture et les quarante-quatre napoléons entre les mains du juge de paix de Pont-sur Yonne.
En quittant Fossard, Maubreuil défend au maître de poste de donner des chevaux à qui que ce soit avant trois heures. On est payé. Maintenant, on peut s'occuper de la seconde partie de la mission, de la moins importante pour Maubreuil, de tuer l'empereur. On est au 21 avril.
Le 19, l'empereur, abandonné de tout le monde, est resté avec un seul valet de chambre.
Le moment était bon ; malheureusement, on l'a laissé passer. On guettait la princesse rue Saint-Lazare ; on ne peut pas être partout à la fois.
Le 20, c'est-à-dire la veille, l'empereur a fait ses adieux à sa garde. Ce n'est pas au milieu de tous ces brigands-là qu'on pouvait l'aller attaquer.
Le 21, comme nous l'avons vu, on était bien occupé.
Et voilà que justement l'empereur a profité de ce moment pour partir de Fontainebleau, avec les commissaires des quatre puissances.
Bah ! si l'on ne tuait pas l'empereur ?... Puisqu'on a volé la reine de Westphalie, puisqu'on tient son or et ses diamants, cela reviendrait au même ! On ne tuera pas l'empereur. On revient à Paris, où l'on passe la nuit au jeu. Une partie des quatre-vingt-quatre mille francs de la princesse s'engloutit là. – Il y avait quatre-vingt-quatre mille francs en or dans la petite cassette que vous savez.
Le lendemain, Maubreuil se présente chez M. Anglès. Il est au désespoir : d'abord, d'avoir perdu une partie de son or ; ensuite, d'avoir manqué Napoléon.
M. Anglès n'est pas au désespoir : il est furieux ! – furieux, parce que l'empereur Alexandre sait tout, et que l'empereur Alexandre est fort irrité.
L'empereur Alexandre a juré qu'il vengerait sa cousine.
Le Journal de Paris ne sait pas que Nicolas veut dire vainqueur des peuples ; mais M. Anglès, qui est ministre de la police, doit savoir qu'Alexandre veut dire qui moud les hommes.
M. Anglès ne veut pas être moulu.
Il conseille donc à Maubreuil de fuir.
- Fuir ! dit Maubreuil. Et la police ?
- Bah ! est-ce que je ne suis pas là ?
Cette assurance ne tranquillise pas Maubreuil le moins du monde.
Il court chez M. de Talleyrand.
M. de Talleyrand le fait jeter à la porte. Est-ce que M. de Talleyrand connaît un voleur de grand chemin ? Fi donc !
Maubreuil se sauve. Il n'a pas fait trois lieues, qu'il est empoigné, comme on disait sous la Restauration, jeté dans un cachot, d'où il sort au retour de l'empereur, et où il rentre au retour de Louis XVIII.
Après deux nouvelles mises en liberté, et deux arrestations nouvelles, Maubreuil, qui n'a jamais cru qu'on oserait le juger, Maubreuil comparaît enfin devant la cour royale de Douai, chambre de police correctionnelle.
L'affaire faisait grand scandale, comme on s'en doute bien. M. de Talleyrand niait, M. Anglès niait, Roux-Laborie niait ; tout le monde niait, – excepté Maubreuil.
Maubreuil non seulement avouait tout, lui, mais, d'accusé, il s'était fait accusateur.
Il va sans dire que défense expresse était faite aux journaux de rendre compte des séances.
Mais maître Mennesson avait un ami qui assistait à ces séances. Cet ami, sténographe sans doute, notait, écrivait, constatait, et lui envoyait ses comptes rendus.
C'était cela que je copiais à deux, trois, quatre exemplaires, que je distribuais, au nom de notre notaire républicain, plein de foi, plein d'ardeur, plein de confiance. Or, voilà que j'ai gardé une copie de ce compte rendu.
Je ne sache pas que cette pièce ait été mise dans aucune histoire.
Elle est curieuse, la voici :

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1998-2010
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