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Chapitre CCLII


Lucerne. – Le lion du 10 août. – Les poules de M. de Chateaubriand. – Reichenau. – Un tableau de Couder. – Lettre à M. le duc d'Orléans. – Promenade dans le parc d'Arenenberg.

J'ai déjà dit que mon intention n'était point de recommencer le récit de mes pérégrinations en Suisse. Cependant, je demanderai au lecteur la permission de remettre sous ses yeux trois fragments de mes Impressions de voyage, qui sont indispensables à la suite de ces Mémoires.
Ces trois fragments, publiés en 1834, ont rapport à M. de Chateaubriand, à monseigneur le duc d'Orléans, et à Sa Majesté la reine Hortense ; on y retrouvera mes opinions indépendantes ; on y verra quelles étranges lueurs de l'avenir illuminaient parfois le poète. Si un homme d'Etat eût écrit ce que je vais citer, cet homme d'Etat eût passé pour un prophète.
Suivons l'ordre de mes visites à Lucerne, à Reichenau et à Arenenberg, et commençons par M. de Chateaubriand. A tout seigneur, tout honneur.

          Les poules de Monsieur de Chateaubriand
« La première nouvelle que j'appris en arrivant à l'hôtel du Cheval blanc, c'est que M. de Chateaubriand habitait Lucerne. On se rappelle qu'après la révolution de juillet, notre grand poète, qui avait voué sa plume à la défense de la dynastie déchue, s'exila volontairement, et ne revint à Paris que lorsqu'il y fut rappelé par l'arrestation de la duchesse de Berry. Il demeurait à l'hôtel de
l'Aigle.
« Je m'habillai aussitôt, dans l'intention d'aller lui faire une visite.
« Je ne le connaissais pas personnellement : à Paris, je n'eusse point osé me présenter à lui ; mais, hors de France, à Lucerne, isolé comme il l'était, je pensai qu'il y aurait peut-être quelque plaisir pour lui à voir un compatriote. J'allai donc hardiment me présenter à l'hôtel de l'Aigle. Je demandai M. de Chateaubriand au garçon de l'hôtel. Celui-ci me répondit qu'il venait de sortir pour donner à manger à ses poules. Je le fis répéter, croyant avoir mal entendu ; mais il me fit une seconde fois la même réponse.
« Je laissai mon nom, en réclamant en même temps la faveur d'être reçu le lendemain.
« Le lendemain matin, on me remit une lettre de M. de Chateaubriand, envoyée de la veille : c'était une invitation à déjeuner pour dix heures ; il en était neuf, je n'avais pas de temps à perdre. Je sautai à bas de mon lit et je m'habillai. Il y avait bien longtemps que je désirais voir M. de Chateaubriand ; mon admiration pour lui était une religion d'enfance ; c'était l'homme dont le génie s'était écarté le premier du chemin battu, pour frayer à notre jeune littérature la route qu'elle a suivie depuis ; il avait suscité, à lui seul, plus de haines que tous les cénacles ensemble ; c'était le roc que les vagues de l'envie, encore émues contre nous avaient en vain battu depuis cinquante ans ; c'était la lime sur laquelle s'étaient usées les dents dont les racines avaient essayé de nous mordre.
« Aussi, lorsque je mis le pied sur la première marche de l'escalier, le coeur faillit me manquer. Tout à fait inconnu, il me semblait que j'eusse été moins écrasé de cette immense supériorité, car, alors, le point de comparaison eût manqué pour mesurer nos deux hauteurs, et je n'avais pas la ressource de dire, comme le Stromboli au mont Rosa : "Je ne suis qu'une colline, et je renferme un volcan !" Arrivé sur le palier, je m'arrêtai... J'eusse moins hésité, je crois, à frapper à la porte d'un conclave. Peut-être, en ce moment, M. de Chateaubriand croyait-il que je le faisais attendre par impolitesse, tandis que je n'osais entrer par vénération. Enfin, j'entendis le garçon qui montait l'escalier ; je ne pouvais rester plus longtemps à cette porte ; je frappai. Ce fut M. de Chateaubriand lui-même qui me vint ouvrir ; certes, il dut se former une singulière opinion de mes manières, s'il n'attribua pas mon embarras à sa véritable cause. Je balbutiais comme un provincial ; je ne savais si je devais passer devant ou derrière lui. Je crois que, comme M. Parseval avec Napoléon, s'il m'eût demandé mon nom, je n'aurais su que lui répondre. Il fit mieux : il me tendit la main.
« Pendant tout le déjeuner, nous causâmes. Il envisagea, les unes après les autres, toutes les questions politiques qui se débattaient à cette époque, depuis la tribune jusqu'au club, et, cela, avec la lucidité de l'homme de génie qui pénètre au fond des choses, et de l'homme qui estime à leur valeur les convictions et les intérêts, et qui ne s'illusionne sur rien. Je demeurai convaincu que M. de Chateaubriand regardait, dès lors, le parti auquel il appartenait comme perdu, croyait tout l'avenir dans le républicanisme social, et demeurait attaché à sa cause plus encore parce qu'il la voyait malheureuse que parce qu'il la croyait bonne. Il en est ainsi de toutes les grandes âmes : il faut qu'elles se dévouent à quelque chose ; quand ce n'est pas aux femmes, c'est aux rois ; quand ce n'est pas aux rois, c'est à Dieu. Je ne pus m'empêcher de faire observer à M. de Chateaubriand que ses théories royalistes par la forme, étaient républicaines par le fond.
«- Cela vous étonne ? me dit-il en souriant. Mais cela m'étonne encore bien davantage ! J'ai marché sans le vouloir, comme un rocher que le torrent roule ; et, maintenant, voilà que je me trouve plus près de vous que vous de moi !... Avez-vous vu le lion de Lucerne ?
«- Pas encore.
«- Eh bien, allons lui faire une visite... C'est le monument le plus important de la ville. Vous savez à quelle occasion il a été érigé ?
«- En mémoire du 10 août.
«- C'est cela.
«- Est-ce une belle chose ?
«- C'est mieux que cela : c'est un beau souvenir !
«- Il n'y a qu'un malheur : c'est que le sang répandu pour la monarchie était acheté à une république, et que la mort de la garde suisse n'a été que le payement exact d'une lettre de change.
«- Cela n'en est pas moins remarquable, dans une époque où il y avait tant de gens qui laissaient protester leurs billets.
« Comme on voit, ici nous différions dans nos idées ; c'est le malheur des opinions qui partent de deux principes opposés ; toutes les fois que le besoin les rapproche, elles s'entendent sur les théories, mais elles se séparent sur les faits. Nous arrivâmes en face du monument, situé à quelque distance de la ville, dans le jardin du général Pfyffer. C'est un rocher taillé à pic, dont le pied est baigné par un bassin circulaire ; une grotte, de quarante-quatre pieds de longueur sur quarante-huit pieds d'élévation, a été creusée dans le rocher, et, dans cette grotte, un jeune sculpteur de Constance, nommé Ahrorth, a, sur un modèle en plâtre de Thorwaldsen, taillé un lion colossal percé d'une lance dont le tronçon est resté dans la plaie, et qui expire en couvrant de son corps le bouclier fleurdelisé, qu'il ne peut plus défendre. Au-dessus de la grotte, on lit ces mots : « Helvetiorum fidei ac virtuti », et, au-dessous de cette inscription, les noms des officiers et des soldats qui périrent le 10 août. Les officiers sont au nombre de vingt-six, et les soldats de sept cent soixante. Ce monument prenait, au reste, un intérêt plus grand de la nouvelle révolution qui venait de s'accomplir, et de la nouvelle fidélité qu'avaient déployée les Suisses. Cependant, chose bizarre ! l'invalide qui garde le lion nous parla beaucoup du 10 août, mais ne nous dit pas un mot du 29 juillet. La plus récente des deux catastrophes était celle qu'on avait déjà oubliée. C'est tout simple : 1830 n'avait chassé que le roi, et 1792 avait chassé la royauté. Je montrai à M. de Chateaubriand les noms de ces hommes qui avaient si bien fait honneur à leur signature, et je lui demandai, si l'on élevait un pareil monument en France, quels seraient les noms qu'on pourrait inscrire, sur la pierre funéraire de la royauté, pour faire pendant à ces noms populaires.
« - Pas un ! me répondit-il.
« - Comprenez-vous cela ?
« - Parfaitement : les morts ne se font pas tuer.
« L'histoire de la révolution de juillet était tout entière dans ces mots : la noblesse est le véritable bouclier de la royauté ; tant qu'elle l'a porté au bras, elle a repoussé la guerre étrangère, et étouffé la guerre civile ; mais, du jour où, dans sa colère, elle l'a imprudemment brisé, elle s'est trouvée sans défense. Louis XI avait tué les grands vassaux ; Louis XIII, les grands seigneurs, et Louis XIV, les aristocrates ; de sorte que, lorsque Charles X a appelé à son secours les d'Armagnac, les Montmorency et les Lauzun, sa voix n'a évoqué que des ombres et des fantômes.
« - Maintenant, me dit M. de Chateaubriand, si vous avez vu tout ce que vous vouliez voir, allons donner à manger à mes poules.
« - Au fait, vous me rappelez une chose : c'est que, quand je me suis présenté hier à votre hôtel, le garçon m'a dit que vous étiez sorti pour vous livrer à cette champêtre occupation. Votre projet de retraite irait-il jusqu'à vous faire fermier ?
« - Pourquoi pas ?... Un homme dont la vie aurait été, comme la mienne, poussée par le caprice, la poésie, les révolutions et l'exil sur les quatre parties du monde, serait bien heureux, ce me semble, non pas de posséder un chalet dans ces montagnes – je n'aime pas les Alpes – mais un herbage en Normandie, ou une métairie en Bretagne. Je crois, décidément, que c'est la vocation de mes vieux jours.
« - Permettez-moi d'en douter... Vous vous souviendrez de Charles Quint à Saint-Just ; vous n'êtes pas de ces empereurs qui abdiquent, ou de ces rois qu'on détrône : vous êtes de ces princes qui meurent sous un dais, et qu'on enterre, comme Charlemagne, les pieds sur leur bouclier, l'épée au flanc, la couronne en tête, le sceptre à la main.
« - Prenez garde ! il y a longtemps qu'on ne m'a flatté, et je serais capable de m'y laisser reprendre. Allons donner à manger à mes poules.
« Sur mon honneur, j'aurais voulu tomber à genoux devant cet homme, tant je le trouvais à la fois simple et grand.
« Nous nous engageâmes sur le pont de la Cour, qui traverse un bras du lac : c'est le pont couvert le plus long de la Suisse, après celui de Rappersweil. Nous nous arrêtâmes aux deux tiers à peu près de son étendue, à quelque distance d'un endroit couvert de roseaux. M. de Chateaubriand tira de sa poche un morceau de pain qu'il y avait mis après le déjeuner, et commença de l'émietter dans le lac. Aussitôt, une douzaine de poules d'eau sortirent de l'espèce d'île que formaient les roseaux, et vinrent en hâte se disputer le repas que leur préparait à cette heure la main qui avait écrit le Génie du christianisme, Les Martyrs et Le Dernier des Abencérages. Je regardai longtemps, sans rien dire, le singulier spectacle de cet homme penché sur le pont, les lèvres contractées par un sourire, mais les yeux tristes et graves. Peu à peu, son occupation devint machinale. Sa figure prit une expression de mélancolie profonde ; ses pensées passèrent sur son large front comme des nuages au ciel : il y avait parmi elles des souvenirs de patrie, de famille, d'amitiés tendres, plus sombres que les autres. Je devinai que ce moment était celui qu'il s'était réservé pour penser à la France, je respectai cette méditation tout le temps qu'elle dura. A la fin, il fit un mouvement, et poussa un soupir. Je m'approchai de lui ; il se souvint que j'étais là, et me tendit la main.
« - Mais, si vous regrettez tant Paris, lui dis-je, pourquoi n'y pas revenir ? Rien ne vous en exile, et tout vous y rappelle.
« - Que voulez-vous que j'y fasse ? me répondit-il. J'étais à Cauterets lorsque arriva la révolution de juillet. Je revins à Paris : je vis un trône dans le sang, et l'autre dans la boue, des avocats faisant une charte, un roi donnant des poignées de main à des chiffonniers... C'est triste à en mourir, surtout quand on est plein, comme moi, des grandes traditions de la monarchie. Je m'en allai.
« - D'après quelques mots qui vous sont échappés ce matin, j'avais cru que vous reconnaissiez la souveraineté populaire ?
« - Oui, sans doute, il est bon que, de temps en temps, la royauté se retrempe à sa source, qui est l'élection ; mais, cette fois, on a sauté une branche de l'arbre, un anneau de la chaîne : c'était Henri V qu'il fallait élire, et non Louis-Philippe.
« - Vous faites peut-être un triste souhait pour ce pauvre enfant, répliquai- je. Les rois du nom de Henri sont malheureux en France : Henri 1er a été empoisonné ; Henri II, tué dans un tournoi ; Henri III et Henri IV ont été assassinés.
« - Eh bien, mieux vaut, à tout prendre, mourir du poignard que de l'exil : c'est plus tôt fait, et l'on souffre moins !
« - Mais, vous, ne retournerez-vous pas en France ?
« - Si la duchesse de Berry, après avoir fait la folie de revenir dans la Vendée, fait la sottise de s'y laisser prendre, je retournerai à Paris pour la défendre devant ses juges, puisque mes conseils n'auront pu l'empêcher d'y paraître.
« - Sinon... ?
« - Sinon, poursuivit M. de Chateaubriand en émiettant un second morceau de pain, je continuerai à donner à manger à mes poules. »
Deux heures après cette conversation, je m'éloignais de Lucerne sur un bateau conduit par deux rameurs...
A quelque temps de là, je me trouvais dans les Grisons, non loin de la petite ville de Reichenau, dont le nom éveillait dans ma mémoire un singulier souvenir.
J'avais été, pendant mon séjour dans les bureaux du duc d'Orléans, longtemps chargé de donner des billets aux personnes qui désiraient visiter les appartements du Palais-Royal, ou se promener au parc de Monceaux. – On visitait les appartements le samedi, et l'on se promenait dans le parc les jeudis et les dimanches.
Le jour où l'on visitait les appartements, le duc, la duchesse, madame Adélaïde et le reste de la famille princière se confinaient dans une ou deux chambres où ils demeuraient séquestrés de dix heures du matin à quatre heures du soir ; et encore arrivait-il souvent que quelque visiteur indiscret, tandis que le valet de pied était occupé d'un autre côté, tournait une clef, entrebâillait la porte, allongeait la tête, et plongeait dans le retiro ducal.
La première chose que l'on visitait, celle que l'on visitait surtout, c'était la galerie de tableaux – non pas que tous les tableaux fussent bons, il s'en fallait, Dieu merci ! :mais il y en avait quelques-uns qui à cette époque, faisaient scandale : c'étaient les tableaux de bataille d'Horace Vernet, quatre chefs-d'oeuvre, quatre merveilles dont j'ai déjà parlé, les batailles de Montmirail, de Hanau, de Jemmapes et de Valmy. Il y avait particulièrement dans la Bataille de Montmirail un point qui attirait les yeux : c'était, au lointain, dans une allée d'arbres, perdu dans la brume, un cavalier courant sur un cheval blanc. Cheval et cavalier avaient bien, à eux deux, quatre centimètres de long sur deux centimètres de haut ; et pourtant cette petite tache blanche et grise avait suffi pour que le tableau fût exclu du salon de 1821. C'est que – comme nous l'avons dit quand nous nous sommes spécialement occupé d'Horace Vernet – le cavalier microscopique n'était autre que l'empereur Napoléon.
Quand on avait bien regardé ces quatre tableaux de bataille, pour lesquels on venait surtout au Palais-Royal, le valet de pied disait :
- Messieurs et mesdames, voulez-vous venir par ici, s'il vous plaît ?
Et l'on suivait le valet de pied, lequel conduisait les curieux devant un petit tableau de genre représentant un beau jeune homme en habit bleu, en culotte de peau, les yeux levés au ciel, montrant à une douzaine d'enfants dont il est entouré le mot France, écrit sur un globe terrestre.
Ce beau jeune homme, c'était le duc d'Orléans exilé, et donnant, au collège de Reichenau, des leçons de géographie et de mathématiques.
Je voyais encore ce petit tableau de Couder ; je n'étais, comme je l'ai dit, qu'à quelques lieues de Reichenau : je résolus de visiter cette salle où le roi de France actuel avait passé, en gagnant cinq francs par jour, une des plus honorables années de sa vie. J'avais souvent entendu dire que, malgré ses seize millions de liste civile et son château des Tuileries, peut-être même à cause de son château des Tuileries et de ses seize millions de rente, il murmurait quelquefois :
- O Reichenau ! Reichenau !...
Je fis donc mes quelques lieues – dont deux ou trois en côtoyant le Rhin, couleur d'ardoise à cet endroit-là, lui si bleu en Allemagne – et j'arrivai à Reichenau.
Le même jour, j'écrivis au duc d'Orléans la lettre suivante, qui se trouve entièrement reproduite dans mes Impressions de voyage :

Reichenau, 29 juillet 1832.
« Monseigneur,
La date de cette lettre, le lieu d'où elle est datée, vous expliqueront facilement le sentiment auquel je cède en l'adressant à Votre Altesse.
Je viens parler, non pas au prince royal héritier de la couronne de France, de Sa Majesté le roi Louis-Philippe, actuellement régnant, mais au duc de Chartres, élève à Henri IV, du duc d'Orléans, professeur à Reichenau.
J'écris à Votre Altesse de cette même salle où votre père exilé a enseigné les mathématiques et la géographie ou plutôt de cette même salle, pressé par l'heure de la poste, j'envoie à Votre Altesse la page que je viens de déchirer de mon album. »
                    Reichenau
« Ce petit village des Grisons n'a rien de remarquable, que l'anecdote étrange à laquelle son nom se rattache.
« Vers la fin du dernier siècle, le bourgmestre Tscharner, de Coire, avait établi une école à Reichenau. On était en quête, dans le canton, d'un professeur de français, lorsque se présenta à M. Boul, directeur de l'établissement, un jeune homme porteur d'une lettre de recommandation signée par le bailli Aloys Toost, de ­izers. Le jeune homme était français, parlait sa langue maternelle, l'anglais et l'allemand, et pouvait, outre ces trois langues, professer les mathématiques, la physique et la géographie. La trouvaille était trop merveilleuse et trop rare pour que le directeur du collège la laissât échapper. D'ailleurs, le jeune homme était modeste dans ses prétentions. M. Boul fit prix avec lui à quatorze cents francs par an, et le nouveau professeur, immédiatement installé, entra en fonctions.
« Ce jeune professeur était Louis-Philippe d'Orléans, duc de Chartres, aujourd'hui roi de France.
« Ce fut, je l'avoue, avec une émotion mêlée de fierté que, sur les lieux mêmes, dans cette chambre située au milieu du corridor, avec sa porte d'entrée à deux battants, ses portes latérales à fleurs peintes, ses cheminées placées aux angles, ses tableaux Louis XV entourés d'arabesques d'or, et son plafond ornementé ; ce fut, dis-je, avec une vive émotion que, dans cette chambre où avait professé le duc de Chartres, je recueillis des renseignements sur cette singulière vicissitude d'une fortune royale qui, ne voulant pas mendier le pain de l'exil, l'avait dignement acheté de son travail.
« Un seul professeur, collègue du duc d'Orléans, et un seul écolier, son élève, existaient encore en 1832, époque à laquelle je visitai Reichenau. Le professeur est le romancier ­schokke, et l'écolier, le bourgmestre Tscharner, fils de celui-là même qui avait fondé l'école. Quant au digne bailli Aloys Toost, il est mort en 1827, et il a été enterré à ­ivers, sa ville natale. Aujourd'hui, il ne reste plus rien du collège où professa un futur roi de France, si ce n'est la chambre d'étude que nous avons décrite, et la chapelle, attenante au corridor, avec sa tribune et son autel surmonté d'un crucifix peint à fresque. Quant au reste des bâtiments, ils sont devenus une espèce de villa appartenant au colonel Pastalluzzi, et ce souvenir, si honorable pour tout Français, qu'il mérite d'être rangé parmi nos souvenirs nationaux, menacerait de disparaître avec la génération de vieillards qui s'éteint, si nous ne connaissions un homme au coeur artiste, noble et grand, qui ne laissera rien oublier, nous l'espérons, de ce qui est honorable pour lui et pour la France.
« Cet homme, c'est vous, monseigneur Ferdinand d'Orléans, vous qui, après avoir été notre camarade de collège, serez aussi notre roi ; vous qui, du trône où vous monterez un jour, toucherez, d'une main à la vieille monarchie, de l'autre, à la jeune république ; vous qui hériterez des galeries où sont renfermées les batailles de Taillebourg et de Fleurus, de Bouvines et d'Aboukir, d'Azincourt et de Marengo ; vous qui n'ignorez pas que les fleurs de lis de Louis XIV sont les fers de lance de Clovis ; vous qui savez si bien que toutes les gloires d'un pays sont des gloires, quel que soit le temps qui les a vues naître, et le soleil qui les a fait fleurir ; vous, enfin, qui, de votre bandeau royal pourrez lier deux mille ans de souvenirs, et en faire le faisceau consulaire des licteurs qui marcheront devant vous !
« Alors, il sera beau à vous, monseigneur, de vous rappeler ce petit port isolé où, passager battu par la mer de l'exil, matelot poussé par le vent de la proscription, votre père a trouvé un si noble abri contre la tempête ; il sera grand à vous, monseigneur, d'ordonner que le toit hospitalier se relève pour l'hospitalité, et, sur la place même où croule l'ancien édifice, d'en élever un nouveau destiné à recevoir tout fils proscrit qui viendrait, le bâton de l'exil à la main, frapper à ses portes comme votre père y est venu, et, cela, quelles que soient son opinion et sa patrie ; qu'il soit menacé par la colère des peuples, ou poursuivi par la haine des rois ; car, monseigneur, l'avenir, serein et azuré pour la France, qui a accompli son oeuvre révolutionnaire, est gros de tempêtes pour le monde ! Nous avons tant semé de liberté dans nos courses à travers l'Europe, que la voilà qui, de tous côtés, sort de terre, comme les épis au mois de mai ; si bien qu'il ne faut qu'un rayon de notre soleil pour mûrir les plus lointaines moissons... Jetez les yeux sur le passé, monseigneur, et ramenez-les sur le présent. Avez-vous jamais senti plus de tremblements de trônes, et rencontré par les grands chemins autant de voyageurs découronnés ? Vous voyez bien qu'il faudra fonder, un jour, un asile, ne fût-ce que pour les fils de rois dont les pères ne pourront pas, comme le vôtre, être professeurs à Reichenau ! »
Je voulais revenir de Reichenau par Arenenberg. Ces sortes d'oppositions d'un professeur de mathématiques roi de France avec une reine de Hollande exilée plaisent aux imaginations des poètes. D'ailleurs, si, tout enfant, j'avais entendu dire grand mal de Napoléon, j'avais entendu dire tant de bien de Joséphine ! Or, qu'était-ce pour moi que la reine Hortense ? Joséphine ressuscitée. Je tenais donc à voir la reine Hortense, et un détour, si long qu'il fût, n'était rien, comparé à ce désir.
Au reste, comme je ne veux pas qu'on prenne ces lignes pour une flatterie tard venue, et que je tiens à ce que l'on me sache incapable de flatter autre chose que les exilés ou les morts, j'écrirai ici sur la reine Hortense ce que j'écrivais en 1832.
Je copie les lignes suivantes dans mes Impressions de voyage :
« Comme le château d'Arenenberg est situé à une lieue seulement de Constance, il me prit un grand désir de mettre mes hommages aux pieds de cette Majesté déchue, et de voir ce qui restait d'une reine dans une femme lorsque le destin lui a arraché la couronne du front, le sceptre de la main, le manteau des épaules ; et de cette reine surtout, de cette gracieuse fille de Joséphine Beauharnais, de cette soeur d'Eugène, de ce diamant de la couronne de Napoléon.
« J'en avais tant entendu parler dans ma jeunesse comme d'une belle et bonne fée, bien gracieuse et bien secourable, et, cela, par les filles auxquelles elle avait donné une dot, par les mères dont elle avait racheté les enfants, par les condamnés dont elle avait obtenu la grâce, que j'avais une sorte de culte pour elle. Joignez à cela les souvenirs des romances que ma soeur chantait, qu'on disait de cette reine, et qui s'étaient tellement répandues de ma mémoire dans mon coeur, qu'aujourd'hui encore, quoiqu'il y ait vingt ans que j'ai entendu ces vers et cette musique, je répéterais les uns sans en oublier un mot, et noterais l'autre sans transposer une note. C'est que des romances de reine, c'est qu'une reine qui chante, cela ne se voit que dans les Mille et Une Nuits, et cela était resté dans mon esprit comme un étonnement doré »
Je n'avais pour la comtesse de Saint-Leu aucune lettre de recommandation ; mais j'espérai que mon nom ne lui était pas tout à fait inconnu : j'avais déjà donné, à cette époque, Henri III, Christine, Antony, Richard Darlington, Charles VII et La Tour de Nesle.
Lorsque j'arrivai à Arenenberg, il était de trop grand matin pour me présenter à la reine. Je laissai ma carte chez madame Parquin, lectrice de la comtesse de Saint-Leu, et soeur du célèbre avocat de ce nom, et je profitai d'une jolie tempête qui venait de s'élever pour aller faire une promenade sur le lac.
A mon retour, je trouvai une invitation à dîner qui m'attendait à l'hôtel. Puis une lettre de France était venue me chercher là avec une intelligence qui faisait le plus grand honneur à la poste suisse : cette lettre contenait l'ode manuscrite de Victor Hugo sur la mort du roi de Rome.
Je me rendis à pied chez la reine, et je lus la lettre en m'y rendant.
On peut voir, dans mes Impressions de voyage, tous les détails de cette gracieuse hospitalité que la reine me força de prolonger pendant trois jours. Je ne veux reproduire ici qu'une conversation où l'on trouvera une étrange profession de foi dans le présent – si l'on veut bien se rappeler que le présent de cette époque correspondait à septembre 1832 – et une singulière prévision de l'avenir.
Une promenade dans le parc d'Arenenberg.
« Nous fîmes à peu près cent pas en silence, la reine et moi. Le premier, j'interrompis ce silence.
« - Je crois que vous avez quelque chose à me dire, madame la comtesse ? demandai-je.
« - C'est vrai, dit-elle en me regardant ; je voulais vous parler de Paris. Qu'y avait-il de nouveau quand vous l'avez quitté ?
« - Beaucoup de sang dans les rues, beaucoup de blessés dans les hôpitaux, pas assez de prisons et trop de prisonniers.
« - Vous avez vu les 5et 6 juin ?
« - Oui, madame.
« - Pardon, je vais être indiscrète peut-être : mais, d'après quelques mots que vous avez dits hier, je crois que vous êtes républicain.
« Je souris.
« - Vous ne vous êtes pas trompée, madame, et, cependant, grâce au sens et à la couleur que les journaux qui représentent le parti auquel j'appartiens, et dont je partage toutes les sympathies, mais non tous les systèmes, ont fait prendre à ce mot, avant d'accepter la qualification que vous me donnez, je vous demanderai la permission de vous faire un exposé de principes. A toute autre femme, une pareille profession de foi serait ridicule. Mais, à vous, madame la comtesse, à vous qui comme reine, avez dû entendre autant de paroles austères que vous avez dû écouter de mots frivoles comme femme, je n'hésiterai pas à dire par quel point je touche au républicanisme social, et par quelle dissidence je m'éloigne du républicanisme révolutionnaire.
« - Vous n'êtes donc point d'accord entre vous ?
« - Notre espoir est le même, madame ; mais les moyens par lesquels chacun veut procéder sont différents. Il y en a qui parlent de couper les têtes et de partager les propriétés : ceux-là, ce sont les ignorants et les fous... Il vous parait étonnant que je ne me serve pas, pour les désigner, d'un nom plus énergique ; c'est inutile : ils ne sont ni craints ni à craindre ; ils se croient fort en avant, et sont tout à fait en arrière ; ils datent de 1793, et nous sommes en 1832. Le gouvernement de Louis-Philippe fait semblant de les redouter beaucoup, et serait bien fâché qu'ils n'existassent point ; car leurs théories sont le carquois où il prend ses armes. Ceux-là, ce ne sont point les républicains, ce sont les républiqueurs. – Il y en a d'autres qui oublient que la France est la soeur aînée des nations, qui ne se souviennent plus que son passé est riche de tous les souvenirs, et qui vont chercher, parmi les constitutions de la Suisse, de l'Angleterre, de l'Amérique, celle qui serait la plus applicable à notre pays : ceux-là, ce sont les rêveurs et les utopistes, tout entiers à leurs théories de cabinet, ils ne s'aperçoivent pas, dans leurs applications imaginaires, que la constitution d'un peuple ne peut être durable qu'autant qu'elle est née de sa situation géographique, qu'elle ressort de sa nationalité, et qu'elle s'harmonise avec ses moeurs. Il en résulte que, comme il n'y a pas sous le ciel deux peuples dont la situation géographique, dont la nationalité et dont les moeurs soient identiques, plus une constitution est parfaite, plus elle est individuelle, et moins, par conséquent, elle est applicable à une autre localité que celle qui lui a donné naissance. Ceux-là, ce ne sont point non plus les républicains, ce sont les républiquistes. – Il y en a d'autres qui croient qu'une opinion, c'est un habit bleu barbeau, un gilet à grands revers, une cravate flottante et un chapeau pointu : ceux-là ce sont les parodistes et les aboyeurs. Ils excitent les émeutes, mais se gardent bien d'y prendre part ; ils élèvent des barricades, et laissent les autres se faire tuer derrière ; ils compromettent leurs amis, et vont partout se cachant, comme s'ils étaient compromis eux-mêmes. Ceux-là, ce ne sont point encore les républicains, ce sont les républiquets. – Mais il y en a d'autres, madame, pour qui l'honneur de la France est chose sainte, et à laquelle ils ne veulent pas que l'on touche ; pour qui la parole donnée est un engagement sacré, qu'ils ne peuvent souffrir de voir rompre, même de roi à peuple ; dont la noble et vaste fraternité s'étend à tout pays qui souffre, à toute nation qui se réveille ; ils ont été verser leur sang en Belgique, en Italie, en Pologne, et sont revenus se faire tuer ou prendre au cloître Saint-Merri : ceux-là, madame, ce sont les puritains et les martyrs. Un jour viendra où non seulement on rappellera ceux qui sont exilés, où non seulement on ouvrira les prisons de ceux qui sont captifs, mais encore où l'on cherchera les cadavres de ceux qui sont morts, afin de leur élever des tombes. Tout le tort que l'on peut leur reprocher, c'est d'avoir devancé leur époque, et d'être nés trente ans trop tôt. Ceux-là, madame, ce sont les vrais républicains.
« - Je n'ai pas besoin de vous demander, me dit la reine, si c'est à ceux-là que vous appartenez.
« - Hélas ! madame, lui répondis-je, je ne puis pas me vanter tout à fait de cet honneur... Oui, certes, à eux toutes mes sympathies ; mais, au lieu de me laisser emporter à mon sentiment, j'en ai appelé à ma raison ; j'ai voulu faire pour la politique ce que Faust a fait pour la science : descendre et toucher le fond. Je suis resté un an plongé dans les abîmes du passé ; j'y étais entré avec une opinion instinctive, j'en suis sorti avec une conviction raisonnée. Je vis que la révolution de 1830 nous avait fait faire un pas, il est vrai, mais que ce pas nous avait conduit, tout simplement, de la monarchie aristocratique à la monarchie bourgeoise, et que cette monarchie bourgeoise était une ère qu'il fallait épuiser avant d'arriver à la magistrature populaire. Dès lors, madame, sans rien faire pour me rapprocher du gouvernement, dont je m'étais éloigné, j'ai cessé d'en être l'ennemi ; je le regarde tranquillement poursuivre sa période, dont je verrai probablement la fin ; j'applaudis à ce qu'il fait de bon ; je proteste contre ce qu'il fait de mauvais ; mais, tout cela, sans enthousiasme et sans haine. Je ne l'accepte ni ne le récuse : je le subis ; je ne le regarde pas comme un bonheur, mais je le crois une nécessité.
« - Mais, à vous entendre, il n'y aurait pas de chance pour qu'il changeât.
« - Non, madame... pendant de longues années du moins.
« - Si, cependant le duc de Reichstadt n'était point mort, et qu'il eût fait une tentative ?
« - Il eût échoué, je le crois.
« - C'est vrai, j'oubliais qu'avec vos opinions républicaines, Napoléon doit n'être pour vous qu'un tyran.
« - Je vous demande pardon, madame, je l'envisage sous un autre point de vue. A mon avis, Napoléon est un de ces hommes élus dès le commencement des temps, et qui ont reçu de Dieu une mission providentielle. Ces hommes, on les juge, non point selon la volonté qui les a fait agir, mais selon la sagesse divine qui les a inspirés ; non pas selon l'oeuvre qu'ils ont faite, mais selon le résultat qu'elle a produit. Quand leur mission est accomplie, Dieu les rappelle ; ils croient mourir : ils vont rendre compte.
« - Et, selon vous, quelle était la mission de l'empereur ?
« - Une mission de liberté.
« - Savez-vous que toute autre que moi vous en demanderait la preuve ?
« - Et je la donnerai, même à vous.
« - Voyons ! Vous n'avez pas idée à quel degré cela m'intéresse !
« - Lorsque Napoléon, ou plutôt Bonaparte, apparut à nos pères, madame, la France sortait, non pas d'une république, mais d'une révolution. Dans un de ses accès de fièvre politique, elle s'était jetée si fort en avant des autres nations, qu'elle avait rompu l'équilibre du monde. Il fallait un Alexandre à ce Bucéphale, un Androclès à ce lion ! Le 13 vendémiaire les mit face à face : la Révolution fut vaincue. Les rois, qui auraient dû reconnaître un frère au canon de la rue Saint-Honoré, crurent avoir un ennemi dans le dictateur du 18 brumaire ; ils prirent pour le consul d'une république celui qui était déjà le chef d'une monarchie, et, insensés qu'ils étaient, au lieu de l'emprisonner dans une paix générale, ils lui firent une guerre européenne. Alors, Napoléon appela à lui tout ce qu'il y avait de jeune, de brave et d'intelligent en France, et le répandit sur le monde. Homme de réaction pour nous, il se trouva être en progrès sur les autres ; partout où il passa, il jeta au vent le blé des révolutions : l'Italie, la Prusse, l'Espagne, le Portugal, la Pologne, la Belgique, la Russie elle-même ont tour à tour appelé leurs fils à la moisson sacrée ; et lui, comme un laboureur fatigué de sa journée, il a croisé ses bras, et les a regardés faire du haut de son roc de Saint-Hélène. C'est alors qu'il eut une révélation de sa mission divine, et qu'il laissa tomber de ses lèvres la prophétie d'une Europe républicaine.
« - Et croyez-vous que, si le duc de Reichstadt ne fût pas mort, il eût continué l'oeuvre de son père ?
« - A mon avis, madame, les hommes comme Napoléon n'ont pas de père, et n'ont pas de fils : ils naissent tels que des météores dans le crépuscule du matin, traversent d'un horizon à l'autre le ciel qu'ils illuminent, et vont se perdre dans le crépuscule du soir.
« - Savez-vous que ce que vous dites là est peu consolant pour ceux de sa famille qui conserveraient quelque espérance ?
« - Cela est ainsi, madame. Car nous ne lui avons donné une place dans notre ciel qu'à la condition qu'il ne laisserait pas d'héritier sur la terre.
« - Et, cependant, il a légué son épée à son fils.
« - Le don lui a été fatal, madame, et Dieu a cassé le testament.
« - Mais vous m'effrayez, car son fils, à son tour, l'a léguée au mien.
« - Et elle sera lourde à porter à un simple officier de la confédération suisse !
« - Oui, vous avez raison, car, cette épée, c'est un sceptre.
« - Prenez garde de vous égarer, madame ! J'ai bien peur que vous ne viviez dans cette atmosphère trompeuse et enivrante qu'emportent avec eux les exilés ; le temps, qui continue de marcher pour le reste du monde, semble s'arrêter pour les proscrits : ils voient toujours les hommes et les choses comme ils les ont quittés. Et, cependant, les hommes changent de face, et les choses d'aspect ; la génération qui a vu passer Napoléon revenant de l’île d'Elbe s'éteint tous les jours, madame, et cette marche miraculeuse n'est déjà plus un souvenir : c'est un fait historique.
« - Ainsi vous croyez qu'il n'y a plus d'espoir, pour la famille de Napoléon, de rentrer en France 7
« - Si j'étais le roi, je la rappellerais demain.
« - Ce n'est point cela que je veux dire...
« - Autrement, il y a peu de chances.
« - Quel conseil donneriez-vous à un membre de cette famille qui rêverait la résurrection de la gloire et de la puissance napoléoniennes ?
« - Je lui donnerais le conseil de se réveiller.
« - Et s'il persistait, malgré ce premier conseil – qui, à mon avis aussi, est le meilleur – et qu'il vous en demandât un second ?
« - Alors, madame, je lui dirais d'obtenir la radiation de son exil, d'acheter une terre en France, de se servir de l'immense popularité de son nom pour se faire élire député, de tâcher, par son talent, de disposer de la majorité de la Chambre, et de s'en servir pour déposer Louis-Philippe, et se faire élire roi à sa place.
« - Et vous pensez, dit la comtesse de Saint-Leu en souriant avec mélancolie, que tout autre moyen échouerait ?
« - J'en suis convaincu.
« La comtesse soupira.
« En ce moment, la cloche sonna le déjeuner ; nous nous acheminâmes vers le château, pensifs et silencieux. Pendant tout le retour, la comtesse ne m'adressa point une seule parole ; mais, en arrivant au seuil de la porte, elle s'arrêta, et, me regardant avec une expression indéfinissable d'angoisse :
« - Ah ! me dit-elle, j'aurais bien voulu que mon fils fût ici, et qu'il entendît ce que vous venez de me dire ! »

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