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Chapitre CXVII


Première représentation de Romeo et Juliette, de Soulié. – Anaïs et Lockroy. – Pourquoi il n'y a pas, en France, d'actrice pour jouer Juliette. – Les études du Conservatoire. – Une seconde Christine au Théâtre-Français. – M. Evariste Dumoulin et madame Valmonzey. – Conspiration contre moi. – Je cède mon tour à la représentation. – Comment je trouve le sujet d'Henri III. – Mon opinion sur cette pièce.

Cependant, on était arrivé au commencement de juin 1828, et, comme me l'avait dit Soulié, l'Odéon, après avoir reçu son Roméo, l'avait mis en répétition, et s'apprêtait à le jouer.
Nous ne nous étions pas revus depuis le soir où nous étions convenus de faire notre Christine chacun de notre côté. Cependant, il ne m'oublia point, et je reçus, pour la représentation, mes deux stalles de galerie.
Comme ma mère m'avait souvent entendu parler de Soulié, comme elle savait que Soulié était de mes amis, c'était presque la préparer à ma première représentation que de l'emmener à la première représentation de Soulié.
Pauvre mère ! c'était une grande fête pour elle quand nous sortions ensemble. Hélas ! je la négligeais bien, depuis quelques mois ! Tant que vit cet ange gardien qu'on appelle une mère, on ne songe point, quand on le quitte pour toutes ces folles fantaisies de la jeunesse, qu'il viendra un moment – moment inattendu et fatal – où lui, à son tour, nous quittera ! C'est alors, seulement, qu'on se souviendra, les larmes dans les yeux et les remords dans le coeur, de toutes ces absences, inutiles et cruelles, et qu'on se dira : « Pour quoi et pour qui, mon Dieu ! me suis-je donc si souvent séparé momentanément de celle dont vous me séparez pour toujours ? »
Nous nous acheminâmes vers l'Odéon. – C'était une grande affaire, à cette époque, qu'une première représentation – surtout quand la pièce que l'on représentait pour la première fois était d'un homme appartenant à la nouvelle école.
Cependant, on savait que cette pièce de Soulié ne déciderait rien ; très avancée, si elle eût été jouée avant le passage des acteurs anglais à Paris, elle était fort en arrière, depuis leurs représentations. Il n'y avait donc pas crainte de grande chute ; mais il n'y avait pas chance non plus de grand succès.
Remarquez, en outre, qu'elle allait être jouée sur le même théâtre, et probablement dans les mêmes décorations où Kemble et miss Smithson venaient de jouer le chef-d'oeuvre de Shakespeare.
C'était Anaïs et Lockroy qui étaient chargés des rôles principaux.
Pour Lockroy, c'était presque un début. Beau, poétique, jeune, aventureux, Lockroy était, à cette époque, un acteur dont on pouvait tout attendre ; surtout dans ces sortes de rôles.
Mais il n'en était pas de même d'Anaïs. Charmante dans la comédie, adorable là où il ne fallait que du goût, de l'esprit, de la finesse, de la manière même, Anaïs était tout à fait insuffisante dans le drame et dans la tragédie.
Et, là, sur ces mêmes planches, devant ce même public, dans ce même rôle de Juliette, miss Smithson avait été si miraculeusement belle de la réunion de toutes les qualités qui font la tragédienne !
D'ailleurs, il n'y avait point, alors, à Paris, une seule femme qui pût jouer Juliette, et, disons-le, il n'y en a pas encore une aujourd'hui.
A quoi donc tient chez nous l'absence de ce type charmant, de la femme gaie, dramatique et poétique à la fois ? Pourquoi n'avons-nous jamais rien eu, et n'aurons-nous probablement que dans un avenir assez éloigné, quelque chose qui rappelle à la fois à nos yeux et à notre coeur miss Smithson ou miss Faucett ? Pourquoi mademoiselle Mars était-elle insuffisante à Desdémona ? Et pourquoi madame Dorval elle-même l'eût- elle été à Juliette ? C'est que l'éducation dramatique de nos femmes de théâtre se fait avec les ouvrages de trois maîtres d'un mérite immense, sans doute, mais dont le génie n'admet point, comme le fait celui de Shakespeare, cet heureux mélange de naturel, de dramatique et de poésie qu'on trouve dans la plupart des oeuvres du poète anglais. – D'ailleurs, au Conservatoire, on ne se destine qu'à une seule branche de l'art, à la tragédie ou à la comédie ; jamais à la comédie et à la tragédie à la fois. Pourquoi encore ? Parce que, chez les maîtres qu'on étudie – Molière, Corneille et Racine –, jamais on ne rencontre le mélange des deux genres. Cette exclusion de la comédie chez la tragédienne, ou de la tragédie chez la comédienne, est fatale ; elle rend la tragédienne raide dans la comédie, la comédienne maniérée dans la tragédie. Nous ne connaissons, avec notre théâtre du XVIIe et du XVIIIe siècle, que le réalisme des femmes de Molière, la rudesse des femmes de Corneille, l'emportement ou la douceur des femmes de Racine. Agnès et Célimène, voilà pour Molière ; Emilie et Rodogune, voilà pour Corneille ; Hermione et Aricie, voilà pour Racine. Cherchez, dans tout cela, quelque chose qui ressemble aux scènes de la nourrice, du balcon et des tombeaux, réunies dans le seul rôle de Juliette, et vous chercherez vainement. Pour arriver au résultat où arrivent les Anglais, il faudrait ou que nous n'eussions pas de Conservatoire – ce qui, à mon avis, serait un grand bonheur ! – ou que le Conservatoire admît, conjointement avec l'étude des maîtres français l'étude des maîtres étrangers ou des auteurs contemporains dont les oeuvres dramatiques contiennent ce triple élément : naturel, drame, poésie. Ce serait une chose bien simple que de décréter cela ; cela contrarierait, je le sais bien, M. Samson et M. Provost ; mais qu'importerait cette contrariété à un ministre de l'intérieur intelligent ? Cela, sans doute, ferait crier M. Viennet, M. Lebrun et M. Jay ; mais M. Viennet n'est plus membre de la Chambre des députés ; M. Lebrun n'est plus membre de la Chambre des pairs ; M. Jay n'est plus membre de la rédaction du Constitutionnel ; qu'importeraient leurs cris à un ministre de l'intérieur qui ne se soucierait pas d'être de l'Académie ? – Au premier abord, il semble que ce soit bien facile à trouver, cependant, un ministre de l'intérieur intelligent, et qui ne se soucie pas d'être de l'Académie ; eh bien, on se trompe ; nous le cherchons, nous autres, depuis trente ans ! Nous avons vu deux révolutions, sans trouver ce ministre-là, et il nous faudra encore peut- être deux autres révolutions pour qu'il apparaisse. – Je ne souhaite pas voir les deux révolutions avant ma mort, mais je souhaite bien voir le ministre.
Il résulta de tout cela qu'Anaïs, charmante comédienne probablement élève du Conservatoire – fut insuffisante dans Juliette, et que Lockroy, s'inspirant de Kemble, de Macready, et surtout de lui-même, eut des choses merveilleuses dans le rôle de Roméo.
Une de ces choses merveilleuses, une inspiration de génie, fut, quand il voit Juliette se lever de son tombeau et marcher, d'aller, lui, – à reculons, sans la quitter des yeux, de peur que ne s'évanouisse celle qu'il prend pour une ombre – tâter ce lit funèbre qu'elle vient de quitter, et de ne jeter son cri de joie que lorsqu'il s'est assuré que le lit est vide.
La pièce obtint ce qu'elle méritait, un succès littéraire que réchauffa le dernier acte, qui appartenait presque entièrement à Shakespeare.
Je n'ai jamais, à aucune de mes représentations, éprouvé d'émotion aussi vive qu'à cette représentation de Soulié ; je n'ai jamais tant souffert qu'à ces quatre premiers actes, où je sentais la pièce se traîner froidement et lentement, et où je comprenais que cette lenteur et cette froideur étaient dues au trop bon goût du poète, qui avait cru nécessaire d'émonder Shakespeare.
En somme, c'était assez d'innovation pour le public, et le public fut content – mais, Soulié, je suis bien sûr qu'il ne le fut pas, lui.
Cependant, l'influence du jugement de Picard sur Christine se faisait sentir à la Comédie-Française. Mademoiselle Mars, tout de feu d'abord pour son rôle de Christine, se refroidissait en l'étudiant ; car, si incomplet qu'il fût alors, elle le sentait au-dessus de ses forces ; Firmin, comédien d'inspiration, mais non de composition, commençait à s'inquiéter de Monaldeschi ; enfin, Ligier, qui devait jouer Sentinelli, avait quitté la Comédie-Française, et était passé à l'Odéon.
Quelque chose de plus grave encore venait de s'accomplir. Une seconde Christine avait été reçue par le comité du Théâtre-Français.
Cette seconde Christine était d'un M. Brault, ancien préfet, et ami de M. Decazes, qui le soutenait de tout son pouvoir.
Le rôle principal de cette nouvelle tragédie, c'est-à-dire le rôle de Christine, avait été distribué à madame Valmonzey.
Vous ne savez pas ce que c'était que madame Valmonzey ? Je vais vous le dire.
Madame Valmonzey était une assez mauvaise actrice, mais une assez belle femme, maîtresse de M. Evariste Dumoulin, rédacteur du Constitutionnel. On me demandera peut-être pourquoi je dis cela. Je répondrai que c'est parce qu'il faut que je le dise. Dieu me garde de chercher un scandale inutile, et de faire inutilement une croix rouge à la pierre qui couvre la tombe de deux morts ; mais, ce que j'écris, c'est surtout l'histoire de l'art, l'histoire de la littérature, l'histoire du théâtre. Or, pour que cette histoire soit de l'histoire, il faut que je dise la vérité.
Voici ce qui résulta de la réception d'une seconde Christine au Théâtre- Français, et des amours de M. Evariste Dumoulin avec madame Valmonzey : c'est que M. Evariste Dumoulin déclara que, si l'on ne jouait pas la pièce de son ami M. Brault avant celle de M. Alexandre Dumas, il éreinterait le Théâtre-Français dans son journal.
Cette déclaration de guerre effraya fort le Théâtre-Français ; cependant, comme c'était une chose grave et qui n'avait pas d'antécédents que cette décision du comité réclamée par M. Evariste Dumoulin, le comité répondit qu'il était tout prêt à jouer la Christine de M. Brault, mais qu'il était indispensable, pour cela, que je lui cédasse mon tour.
M. Brault, d'ailleurs, était malade d'une maladie incurable dont il mourut quelque temps après – ce serait une consolation pour le pauvre mourant que de voir jouer sa pièce avant sa mort.
Voilà comment la supplique me fut adressée par son fils, en une lettre des plus polies et des plus gracieuses, et par M. Decazes, en paroles pleines de chaleur et d'offres de service.
De leur côté, MM. les comédiens du Théâtre-Français s'engageaient, par décision prise en comité, M. Brault joué, à me jouer à mon tour sur ma première réquisition.
J'ai toujours eu le coeur fort ouvert à ces sortes de demandes. C'était, cependant – pour moi qui attendais littéralement, ainsi que ma mère, le produit de cette pièce pour manger –, une chose grave que ce retard. Les gratifications dont j'avais parlé à ma mère étaient venues, mais de cinquante francs, pour moi, au-dessous de celles de mes camarades ; ce qui était un avertissement de me bien tenir. De plus, j'étais chez M. Deviolaine, qui m'avait prédit que ma pièce ne serait pas jouée, et qui allait bondir de joie en voyant sa prédiction en train de s'accomplir. Enfin, cette promesse de me jouer à première réquisition était illusoire, attendu qu'une première Christine jouée, je devais raisonnablement attendre un an au moins avant d'exiger des comédiens qu'ils en jouassent une seconde.
Mais, en vérité, il n'y avait pas moyen de faire autrement, tant le cercle des sollicitations m'enveloppait de toutes parts, même dans la famille Villenave, et tant, d'ailleurs, mon propre instinct était d'accord avec ces sollicitations.
Je cédai donc, et donnai mon tour à M. Brault.
La récompense ne se fit pas attendre. – Dès le lendemain, les journaux annoncèrent que, le comité du Théâtre-Français ayant trouvé plus de chances dans l'ouvrage de M. Brault que dans le mien, le comité avait décidé que l'ouvrage de M. Brault serait joué, tandis que le mien resterait indéfiniment dans les cartons.
Je pouvais réclamer, envoyer la lettre de M. Brault fils, exciper de l'engagement de MM. les comédiens français : je ne fis rien de tout cela, tant, dès cette époque, je m'inquiétais peu de toutes ces petites intrigues de journaux auxquelles je me vante hautement, et sans crainte d'être démenti, de n'avoir jamais donné les mains, soit à mon profit, soit au détriment des autres.
Il va sans dire que ni M. Brault, pauvre poète mourant, ni son fils, ni M. Decazes n'étaient pour rien dans le cabotinage de toutes ces annonces.
Je crois même que M. Brault fils eut la délicatesse d'écrire pour raconter comment les faits s'étaient passés, et pour me remercier tout haut, après m'avoir remercié tout bas.
Ces misères que je dédaignais avaient cependant leur désagrément : ma mère ne lisait pas les journaux, mais on les lisait dans la famille Deviolaine, mais on les lisait dans les bureaux, et des âmes charitables allaient dire à ma mère :
- Diable ! votre fils, savez-vous qu'il fait parler de lui ?
- En quoi ? demandait ma mère toute tremblante.
Et, alors, on s'empressait de le lui dire, et la tristesse prenait ce pauvre coeur, qui, n'ayant que moi au monde pour seul et unique amour, s'inquiétait bien plus de moi que je ne m'en inquiétais moi-même.
Les répétitions de la Christine de M. Brault étaient poussées avec autant de rapidité que l'on avait mis de lenteur à poursuivre les miennes ; mais on sait ce que c'est que la rapidité du Théâtre-Français : – M. Brault eut tout le temps de mourir avant la représentation de son oeuvre, qui n'eut qu'un succès médiocre. – Quant à madame Valmonzey, elle fut au-dessous du succès.
Mais ma pièce n'en était pas moins retardée indéfiniment.
De son côté, Soulié avait terminé sa Christine, et l'avait fait recevoir à l'Odéon : c'étaient mademoiselle George et Ligier qui y jouaient les principaux rôles.
Que m'arrivait-il, à moi, pendant ce temps-là ?...
Un de ces hasards comme il n'en arrive qu'aux prédestinés me donnait le sujet d'Henri III, comme un autre hasard m'avait donné celui de Christine.
La seule armoire que j'eusse dans mon bureau – bureau si ardemment convoité, on s'en souvient – était commune à Féresse et à moi : j'y mettais mon papier ; il y mettait ses bouteilles. Un jour, soit pour me faire une niche, soit pour constater la supériorité de ses droits sur les miens, il emporta la clef de cette armoire, en allant faire une course. J'usai en son absence le reste du papier qui se trouvait dans mon bureau, et, comme j'avais encore trois ou quatre rapports à expédier, je montai à la comptabilité pour en prendre quelques feuilles.
Un volume d'Anquetil se trouvait égaré sur un bureau. Il était tout ouvert ; j'y jetai machinalement les yeux, et je lus, à la page 95, les lignes suivantes :
« Quoique attaché au roi, et, par état, ennemi du duc de Guise, Saint-Mégrin n'en aimait pas moins la duchesse, Catherine de Clèves, et on dit qu'il en était aimé. L'auteur de cette anecdote nous représente l'époux indifférent sur l'infidélité réelle ou prétendue de sa femme. Il résista aux instances que les parents lui faisaient de se venger, et ne punit l'indiscrétion ou le crime de la duchesse que par une plaisanterie. – Il entra, un jour, de grand matin, dans sa chambre, tenant une potion d'une main et un poignard de l'autre ; après un réveil brusque suivi de quelques reproches : "Déterminez-vous, madame, lui dit-il d'un ton de fureur, à mourir par le poignard ou par le poison !" En vain demande-t-elle grâce, il la force de choisir ; elle avale le breuvage et se met à genoux, se recommandant à Dieu, et n'attendant plus que la mort. Une heure se passe dans ces alarmes. le duc, alors, rentre avec un visage serein, et lui apprend que ce qu'elle a pris pour du poison est un excellent consommé. Sans doute cette leçon la rendit plus circonspecte par la suite. »
J'eus recours à la Biographie ; la Biographie me renvoya aux Mémoires de l'Estoile. J'ignorais ce que c'était que les Mémoires de l'Estoile ; je m'informai à M. Villenave, qui me les prêta.
Les Mémoires de l'Estoile, tome I, page 35, contiennent ces lignes :

« Saint-Mégrin, jeune gentilhomme bourdelois, beau, riche et de bonne part, l'un des mignons fraisez du Roy, sortant à onze heures du soir du Louvre, où le Roy était, en la même rue du Louvre, vers la rue Saint-Honoré, fut chargé de coups de pistolet, d'épée et de coutelas, par vingt ou trente hommes inconnus qui le laissèrent sur le pavé pour mort ; comme aussi mourut-il le jour ensuivant, et fut merveilles comme il put en vivre étant atteint de trente-quatre ou trente-cinq coups mortels : le Roy fit porter son corps mort au logis de Boisy près la Bastille, où étoit mort Quélus, son compagnon, et enterrer à Saint-Paul avec semblable pompe et solennité qu'avoient été auparavant inhumés, en ladite église, Quélus et Maugiron, ses compagnons. De cet assassinat, n'en fut fait aucune instance, Sa Majesté étant bien avertie que le duc de Guise l'avoit fait faire pour le bruit qu'avoit ce mignon d'entretenir sa femme, et que celui qui avoit fait ce coup portoit la barbe et la contenance du duc du Maine, son frère. Les nouvelles venues au roi de Navarre, il dit : "Je sçai bon gré au duc de Guise, mon cousin, de n'avoir pu souffrir qu'un mignon de couchette, comme Saint-Mégrin, le fît cocu ; c'est ainsi qu'il faudroit accoutrer tous les autres petits galants de cour qui se mêlent d'approcher les princesses pour les mugueter et leur faire l'amour..." »

Plus loin, à propos de la mort de Bussy d'Amboise, les Mémoires de l'Estoile contiennent ce qui suit :

« Le mercredi 19 août, Bussy d'Amboise, premier gentilhomme de M. le duc, gouverneur d'Anjou, abbé de Bourgueil, qui faisoit tant le grand et le hautain à cause de la faveur de son maître, et qui tant avoit fait de maux et pilleries ès païs d'Anjou et du Maine, fut tué par le seigneur de Monsoreau, ensemble avec lui le lieutenant criminel de Saumur, en une maison dudit seigneur de Monsoreau, où, la nuit, ledit lieutenant, qui étoit son messager d'amour, l'avoit conduit pour coucher, cette nuit-là, avec la femme dudit Monsoreau, à laquelle Bussy dès longtemps faisoit l'amour, et auquel ladite dame avoit donné exprès cette fausse assignation pour le faire surprendre par Monsoreau, son mari ; à laquelle comparoissant sur la mi-nuit, fut aussitôt investi et assailli par dix ou douze qui accompagnoient le seigneur de Monsoreau, lesquels de furie se ruèrent sur lui pour le massacrer : ce gentilhomme, se voyant si pauvrement trahi, et qu'il étoit seul comme on ne s'accompagne guère pour telles exécutions, ne laissa pourtant de se défendre jusques au bout, montrant que la peur, comme il disoit souvent, jamais n'avoit trouvé place en son coeur ; car, tant que lui demeura un morceau d'épée dans la main, il combattit toujours, et jusques à la poignée, et après s'aida des tables, bancs, chaises et escabelles, avec lesquels il en blessa trois ou quatre de ses ennemis, jusques à ce qu'étant vaincu par la multitude, et dénué de toutes armes et instruments pour se défendre, fût assommé près une fenêtre par laquelle il se vouloit jeter pour se cuider sauver. Telle fut la fin du capitaine Bussy... »

C'est avec ce paragraphe relatif à Bussy, et le paragraphe relatif à Saint Mégrin, que j'ai fait mon drame.
Quant aux détails de moeurs, M. Villenave m'avait indiqué, à cet endroit, deux livres précieux : La Confession de Sancy, et L'Ile des Hermaphrodites.
C'est à propos d'Henri III qu'il est facile de voir que la faculté dramatique est innée chez certains hommes. J'avais vingt-cinq ans ; Henri III était ma seconde oeuvre sérieuse : qu'un critique consciencieux la prenne et la soumette au plus sévère examen, il y trouvera tout à reprendre comme style, rien comme plan. J'ai fait cinquante drames depuis Henri III, aucun n'est plus savamment fait.

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© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
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