Mes Mémoires Vous êtes ici : Accueil > Accueil > Bibliothèque
Page précédente | Imprimer

Chapitre CXV


Cordelier-Delanoue. – Une séance de l'Athénée. – M. Villenave. – Sa famille. – Les cent trente-deux Nantais. – Cathelineau. – La chasse aux Bleus. – Forest. – Une page d'histoire. – Sauveur. – Le comité royaliste. – Souchu. – La tombe miraculeuse. – Carrier.

Lors des premières représentations des acteurs anglais, – lequel temps coïncidait avec mes séances du soir au bureau du secrétariat –, j'avais fait la connaissance d'un jeune homme nommé Cordelier-Delanoue.
Cette connaissance s'était faite tout naturellement. Nous publiions La Psyché, à cette époque ; Delanoue nous avait envoyé une pièce de vers intitulée Hamlet ; nous l'avions insérée dans notre journal ; il était venu nous remercier, et Adolphe et moi nous étions liés avec lui.
Moi surtout. – Delanoue était fils d'un général de la Révolution qui avait autrefois connu mon père : cette circonstance avait été une cause de rapprochement entre nous ; nos sympathies dramatiques et politiques avaient fait le reste.
Un soir, Delanoue était venu me voir à mon bureau et m'avait proposé, tandis que le courrier du Palais-Royal allait à Neuilly et en revenait, de me conduire à l'Athénée.
J'ignorais tant de choses, qu'on ne sera pas étonné, je l'espère, que j'ignorasse ce que c'était que l'Athénée.
M. Villenave y donnait, ce soir-là, une séance littéraire.
J'ignorais ce que c'était que M. Villenave ; ce qui m'était un peu plus permis que d'ignorer ce que c'était que l'Athénée.
J'acceptai, cependant. A cette époque, je n'avais pas cette horreur des nouvelles connaissances qui m'est venue depuis. On me promettait de la littérature et des littérateurs ; avec cette promesse-là, on m'eût fait passer sur le tranchant du rasoir qui sert de pont au paradis de Mahomet.
Aujourd'hui, j'y passerais encore, tout enclin aux vertiges que je suis, mais ce serait pour fuir ce que j'allais chercher à cette époque.
Les séances de l'Athénée se tenaient, autant que je puis me le rappeler, dans une salle basse du Palais-Royal dont l'entrée était rue de Valois. On y parlait de toute sorte de choses qui eussent été assommantes dans un salon, et qui, à l'Athénée, n'étaient qu'ennuyeuses.
Ceux qui disaient ces choses ennuyeuses avaient, de droit, un certain nombre de billets qu'ils distribuaient à leur famille, à leurs amis et à leurs connaissances.
Ils auraient pu dire ces choses-là tout seuls ; mais ils préféraient, je ne sais pourquoi, qu'il y eût des auditeurs.
Ce soir-là, la salle était pleine. M. Villenave était fort répandu dans le monde ; d'ailleurs, ses séances avaient une certaine réputation.
De quoi traitait celle-là ? Si j'étais condamné à être pendu, et qu'il fallût le dire pour racheter ma vie, je serais pendu.
C'était, selon toute probabilité, une étude sur quelque mort médiocre qui servait de prétexte à celui qui la faisait pour donner quelques coups de patte aux vivants.
M. Villenave tenait la tribune : il parlait debout, éclairé par deux candélabres, et avait un verre d'eau sucrée près de lui.
C'était un beau vieillard qui pouvait avoir, à cette époque, soixante-six ou soixante-huit ans. Il avait de magnifiques cheveux blancs coquettement roulés sur les tempes, des yeux pleins d'un feu tout méridional et, malgré son grand corps, un peu courbé en avant par l'habitude du bureau, quelque chose de distingué et d'élégant dans le geste et dans les manières.
Je m'étais modestement arrêté près de la porte, pour deux raisons :
La première, c'est que j'étais encore trop inconnu pour me croire le droit de déranger qui que ce fût au monde, même l'orateur ;
La seconde, parce que, ayant à retourner à mon bureau à neuf heures et demie, il m'était, pour sortir incognito comme j'étais entré, plus commode d'être près de la porte que partout ailleurs.
Delanoue, plus familier que moi avec les auditeurs, m'avait quitté pour aller coqueter avec eux, pendant les courts intervalles où la séance était suspendue afin de donner le temps à M. Villenave de reprendre haleine.
L'heure de mon courrier arrivée, je m'esquivais tout doucement pour aller le recevoir à mon bureau, lorsque Delanoue, accourant à moi, me rejoignit sous le péristyle.
Il était chargé par la famille Villenave de m'inviter à venir, après la séance, prendre une tasse de thé avec elle et chez elle.
Le bien qu'avait dit de moi mon ami Delanoue me valait cet honneur.
Restait à savoir où demeurait la famille Villenave.
- Rue de Vaugirard, 82. Ouf ! c'était un peu loin, pour moi qui demeurais rue du Faubourg-Saint-Denis, 53.
Heureusement que, pendant mes cinq ans de séjour, je m'étais familiarisé avec les rues de Paris, et que je ne me croyais plus obligé, comme lors de mon premier voyage, de prendre un fiacre pour aller de la place du Palais Royal à la rue des Vieux-Augustins.
L'invitation transmise par Delanoue avait été faite avec tant de grâce et d'insistance, que je n'en acceptai pas moins.
J'allai tout courant à mon bureau ; je reçus mon courrier, et je revins.
Pendant la demi-heure qu'avait duré mon absence, la séance avait pris fin, et je retrouvai M. Villenave dans un petit salon attenant à la grande salle, où il recevait les compliments de ses familiers.
Delanoue me présenta à M. Villenave et à sa famille.
La famille Villenave se composait :
De madame Villenave, petite vieille fort gracieuse, fort spirituelle et fort instruite dans le monde, mais fort grognon dans l'intimité, souffrante qu'elle était, comme Anne d'Autriche, d'un cancer dont elle est morte ;
De Théodore Villenave, grand et vigoureux garçon, auteur, à cette époque, de différentes poésies fugitives, et traducteur d'un Wallenstein, qui devait faire, pendant trois ou quatre ans, grand bruit dans les coulisses du théâtre de l'Odéon, de paraître sur la scène, où il obtint un succès d'estime ;
De madame Mélanie Waldor, femme d'un capitaine d'infanterie au service et en garnison, lequel ne faisait que de courtes et rares apparitions à Paris, où ceux qui le connaissaient parlaient de lui comme d'un brave et loyal militaire. Madame Mélanie Waldor, ainsi que son frère, composait des poésies fugitives, qu'elle publiait dans les journaux du temps ; comme son frère, elle a fait, depuis, une pièce qui a été représentée avec succès sous le titre de L'Ecole des jeunes filles ;
Enfin d'Elisa Waldor, qui n'était, à cette époque, qu'une charmante petite tête de chérubin avec de beaux cheveux dorés et bouclés, et qui depuis, est devenue une grande belle femme deux fois mariée, et, je l'espère, deux fois heureuse.
Tout ce monde-là s'en retournait patriarcalement à pied, accompagné de cinq ou six amis qui, comme moi, allaient rue de Vaugirard prendre une tasse de thé et grignoter un gâteau.
En ma qualité d'étranger, j'eus le poste d'honneur, c'est-à-dire que je donnai le bras à madame Waldor. Vu la longueur de la route, c'était un moyen de faire connaissance.
Au reste, ne nous étant jamais vus, ne nous étant jamais parlé, ce long trajet n'eût pas été sans embarras pour nous deux, si Delanoue ne se fût mis en tiers dans la conversation, de la place du Palais-Royal à la rue de Vaugirard.
Ce fut un grand service qu'il rendit à chacun de nous, et dont chacun de nous lui sut gré au fond du coeur.
Quelle étrange chose que ces rencontres fortuites, et combien il m'eût étonné, celui qui m'eût dit que cette famille, que je ne connaissais pas deux heures auparavant, qui m'était complètement étrangère, allait, pour deux ou trois ans, presque devenir la mienne, et que ce chemin qui m'avait paru si long, de la rue du Faubourg-Saint-Denis à la rue de Vaugirard, je le ferais, à l'avenir, tous les jours deux fois !
Au reste, j'avais hâte d'arriver pour causer avec M. Villenave. Je ne sais comment et à quelle occasion une brochure de lui m'était, un jour, tombée sous la main ; cette brochure avait été publiée par lui en 1794, et était intitulée Relation des noyades de cent trente-deux Nantais.
Dès que j'avais aperçu M. Villenave, j'avais pensé à la brochure, et du moment où j'avais pensé à la brochure, je m'étais bien promis de mettre la conversation sur Carrier, sur Nantes et sur les cent trente-deux Nantais.
Ce n'était pas chose difficile que de faire causer M. Villenave ; seulement, sa causerie ressemblait beaucoup à un discours. Il fallait, quand il causait, le laisser aller, ne pas l'interrompre, et l'écouter religieusement.
En effet, il s'était trouvé à Nantes en 1793, c'est-à-dire en même temps que Jean-Baptiste Carrier, de sanglante mémoire.
Dieu nous garde d'excuser le moins du monde le terrible proconsul et les horreurs commises par lui ! Mais, il faut le dire, un abominable exemple lui avait été donné par les Vendéens eux-mêmes. Ce sont de rudes guerres que ces guerres de prêtres, et, on le sait, ou plutôt on ne le sait pas, les commencements de l'insurrection furent tout aux mains des prêtres ; les nobles ne s'y mêlèrent que plus tard, et, quand ils s'y mêlèrent, l'assassinat devint un peu plus humain : il se changea en fusillade.
Le premier qui joua un rôle dans toute cette sanglante bagarre fut Cathelineau – un sacristain.
« Quand il fut décidé, dit Machiavel, qu'on assassinerait Julien de Médicis dans l'église de Sainte-Marie-des-Fleurs, on choisit, pour cet assassinat, des hommes d'Eglise, afin qu'ils fussent moins impressionnés par la majesté du lieu. »
Chose étrange et cependant incontestable, c'est que, lorsque ces hommes de paix, de charité, d'amour, se mettent à se faire bourreaux, ce sont les plus raffinés bourreaux qu'il y ait au monde ; témoin les in-pace des couvents, témoin les cachots de l'Inquisition, témoin les massacres d'Albi, témoin les autodafés de Madrid, témoin Jeanne d'Arc, témoin Urbain Grandier !
C'était un solide gars, que ce Cathelineau, comme on dit entre Angers et Saint-Laurent. Il ne s'écoula que trois mois entre le jour où il tira son premier coup de fusil et le jour où il fut tué ; ces trois mois suffirent à lui faire un nom historique – non pas qu'il fût de haute taille, non pas qu'il eût de grandes manières ; non, il n'avait guère que cinq pieds quatre pouces ; mais il était carré d'épaules, bien campé sur les reins ; joignez à cela un grand courage –, le courage froid et prudent des hommes de l'ouest.
Nous avons dit qu'il était sacristain. Oui, mais il était bien autre chose encore : il était maçon, voiturier, marchand d'étoffes, marié, père de douze ou quatorze enfants. A peine eut-il obtenu quelques avantages, qu'il fit établir un conseil supérieur composé de prêtres surtout ; des nobles, ou s'en souciait fort peu. Le chef de ce conseil était le fameux Bernier, curé d'Angers.
Cathelineau était son homme : il avait trouvé un moyen, lui, simple paysan, d'aller plus vite dans la besogne de l'insurrection que le pape avec ses bulles, que les prêtres avec leurs sermons. Il avait recommandé aux curés d'envelopper les crucifix de crêpes noirs, et de les porter ainsi dans les processions. A cette vue de leur Christ en deuil, les paysans n'y tenaient plus : les femmes s'arrachaient les cheveux, les hommes se frappaient la poitrine, et tous juraient de tuer, jusqu'au dernier, ces républicains qui attristaient ainsi Notre-Seigneur.
Il faut dire, au reste, que rien n'était moins chevaleresque et moins national que les proclamations de ces braves gens.
« Point de conscription ! Point de milice ! Demeurons dans nos campagnes. L'ennemi vient, dites-vous, il menace nos foyers ? Eh bien, c'est sur notre sol, s'il y met le pied, que nous saurons le combattre ! »
Et ils savaient bien, ceux qui disaient cela, qu'avant de se hasarder dans leurs haies, dans leurs ajoncs, dans leurs chemins creux, l'ennemi aurait dévasté, pillé, brûlé la France, démoli Paris.
Cela voulait dire : « Que nous importent l'Alsace, la Lorraine, la Champagne, la Bourgogne, le Dauphiné, la Provence ?... Que nous importe qu'on éteigne Paris, le flambeau du monde ?... Quand le Cosaque sautera par-dessus nos haies avec son cheval, oh ! alors, nous nous déciderons à prendre notre fusil. »
Les écrivains les plus poétiques auront grand peine à donner à tout cela un caractère chevaleresque. Quant à moi, je préfère de beaucoup ces volontaires courant au-devant des Prussiens jusqu'à Valmy, à ces paysans les attendant tranquillement derrière leurs haies ; d'autant plus qu'il ne m'est pas bien prouvé qu'ils ne les attendissent pas pour se joindre à eux. Pourquoi n'auraient-ils pas pactisé avec les Prussiens ? Ils pactisaient bien avec les Anglais !
La guerre commença donc entre patriotes et royalistes, entre citadins et paysans.
Il y avait des villes constitutionnelles – les villes manufacturières – Cholet par exemple, où l'on faisait de si beaux mouchoirs ; il y avait là beaucoup d'ouvriers qui ne voulaient en France ni Prussiens ni amis des Prussiens. Un beau jour, ils apprirent que ceux de Bressuire s'étaient révoltés ; ils s'armèrent de piques, et coururent les attaquer.
Aussi la ville de Cholet fut-elle tout particulièrement désignée à la haine des paysans.
Le 4 mars 1793, ceux-ci l'attaquèrent à leur tour. Un commandant de la garde nationale se fia à un groupe royaliste ; il y entra pour tâcher de réconcilier les deux partis ; bientôt des cris douloureux sortirent de ce groupe ; ce groupe s'était refermé sur lui, et on lui sciait les jambes avec son sabre.
Le 10, ce fut le tour de Machecoul ; là, il y eut moins de besogne qu'à Cholet. Machecoul était une petite ville ouverte de tous les côtés et facile à prendre. C'était un dimanche qu'on y apprit le danger ; le tocsin sonnait, et tous les paysans des environs marchaient sur la ville. Deux cents patriotes se réunirent et s'avancèrent bravement contre les assaillants – deux cents contre deux mille ! – la masse s'ouvrit, enveloppa la petite troupe, et n'en fit qu'une bouchée. Machecoul avait un curé constitutionnel ; les prêtres non assermentés en voulaient fort aux prêtres assermentés : ceux-ci gâtaient le métier, disaient-ils ; on prit le pauvre homme, qui venait de dire la messe : on le tua ; mais on était convenu d'avance de ne le tuer qu'à petits coups, et en le frappant au visage. Le supplice dura longtemps : la vie est quelquefois bien obstinée, quand elle trouve surtout des bourreaux intelligents qui ne tiennent pas à la chasser trop vite du corps. Mais tout a une fin : le curé mourut martyr ; puis, le curé mort, on avisa un ancien piqueur, un habile sonneur de cor : on organisa une chasse ; on fouillait les maisons pour en faire sortir le gibier. Quand on apercevait un patriote, on sonnait la vue ; alors, tout le monde courait dessus, hommes, femmes et enfants – dans ces sortes de guerres, les femmes et les enfants sont plus terribles encore que les hommes –. Le patriote abattu, on sonnait l'hallali ; puis venait la curée, qui durait longtemps : elle se faisait, en général, par les femmes, à coups de ciseaux, à coups d'ongles, et, par les enfants, à coups de pierres.
Machecoul est sur une hauteur, entre deux départements. On jugea la place bien choisie pour y établir un tribunal ; on y massacra, pendant quarante deux jours, du 10 mars au 22 avril.
Vous savez comment l'insurrection passa de la basse dans la haute Vendée. Ce fut à l'affaire de Saint-Florent ; un émigré avait congédié son domestique, un Vendéen nommé Forest ; il l'avait envoyé en Vendée, prêcher la résistance, le refus à la milice. On voulut l'arrêter. – Il n'y avait pas à nier : celui-là prêchait la révolte en pleine rue –. Un gendarme s'approcha de lui ; il tira un pistolet de sa poche, fit feu sur le gendarme, et le tua.
Ce coup de pistolet réveilla ceux qui dormaient encore.
Et notez bien que, quand fut tiré ce malheureux coup de pistolet, le tocsin sonnait déjà dans six cents paroisses ; alors, il s'envola dans toutes les directions ; on n'entendait que le son des cloches : on eût dit des troupes d'oiseaux invisibles passant sur leurs ailes de bronze. Ces vibrations mortelles, qui se répondaient d'un village à l'autre, se croisaient, se heurtaient dans l'air, et, comme un orage charge l'atmosphère d'électricité, elles chargeaient l'atmosphère de haines et de vengeances.
Que faisait, pendant ce temps, Cathelineau, le grand moteur de tout cela ? – Tenez, Michelet va vous le dire :
« Il avait très bien entendu le combat de Saint-Florent, les décharges de canon ; il ne pouvait ignorer, le 12, l'affreux massacre qui, le 10, avait compromis sans retour dans la révolte le littoral vendéen. N'eût-il rien su, le tocsin se faisait assez entendre : tout le pays semblait en mouvement, et la terre tremblait. Il commença à croire que l'affaire était sérieuse ; soit prévoyance de père pour la famille qu'il allait laisser, soit prudence militaire pour emporter des vivres, il se mit à chauffer son four et à faire du pain.
« Son neveu arrive d'abord, lui conte l'affaire de Saint-Florent. Cathelineau continue à brasser sa pâte. Les voisins arrivent ensuite, un tailleur, un tisserand, un sabotier, un chapelier.
« - Eh ! voisin, que ferons-nous ?
« Il en vint jusqu'à vingt-sept qui tous étaient là à attendre, décidés à faire tous comme il ferait. Il avisa, alors, que la chose était à point : le levain était bien pris, la fermentation suffisante ; il n'enfourna point, essuya ses bras, et prit son fusil.
« Ils sortirent vingt-sept : au bout du village, ils étaient cinq cents. C'était toute la population, tous bonshommes bien solides, une population honnête et brave immuablement : noyau des armées vendéennes, qui, presque toujours, fit le centre, l'intrépide, vis-à-vis du canon républicain. »
En arrivant à Cholet, ils étaient quinze mille. Ils avaient pris une pièce de canon à Jallais, et l'avaient nommée Le Missionnaire ; une autre, je ne sais où, et l'avaient nommée Marie-Jeanne.
Tout le long de la route, des prêtres se joignaient à eux, les exhortant, les prêchant, leur disant la messe. Ils étaient partis le 12, comme on l'a vu ; dès le 14, une grosse bande les rejoignit : elle était commandée par un homme qui devait partager le pouvoir avec Cathelineau, et lui succéder, c'était Stofflet, un autre paysan rude et brave, un garde-chasse de M. de Maulevrier, dont le petit-fils, pauvre enfant, seul descendant de la race, fut tué en chassant, à l'âge de seize ans.
Arrivée à Cholet, l'armée vendéenne envoya un parlementaire – étrange parlementaire, et qui donnait une idée du temps, du lieu, de la situation ! – il était tête nue et pieds nus. il portait à la main un crucifix couronné d'épines ; ceint d'un gros chapelet, il tenait ses yeux au ciel, comme un inspiré ou un martyr, et criait avec des sanglots :
- Rendez-vous, mes bons amis, ou tout va être mis à feu et à sang !
Cette sommation se faisait au nom du commandant Stofflet, et de l'aumônier Barbotin.
Trois cents patriotes armés de fusils, et cinq cents armés de piques, c'était là toute la garnison de Cholet ; ils essayèrent de résister à ces quinze mille hommes ; mais, comme on le comprend bien, toute résistance était impossible : au premier coup, tomba le chef des républicains, M. de Beauvau. Les patriotes se retirèrent dans un pavillon du château qui commandait la place, et d'où ils tirèrent sur les Vendéens, au fur et à mesure qu'ils entraient ; cela était d'autant plus facile qu'il y avait un calvaire sur cette place, et que chaque paysan, sans s'inquiéter des coups de fusil, en passant près de ce calvaire, s'y agenouillait, y faisait son oraison, et ne se remettait au combat que son oraison faite, et son signe de croix achevé.
Ces bonnes gens – appuyons sur le mot, ces braves gens, – car ils ne se doutaient pas des crimes qu'ils commettaient, ces crimes leur étant commandés par leurs prêtres ! – ces braves gens ne volaient pas, mais ils tuaient, non seulement pendant la bataille, ce qui ne serait rien, mais encore après. Ils tuaient cruellement, vous allez voir.
C'est encore Michelet qui va vous raconter comment ils tuaient ; si je vous racontais seul et moi-même, vous diriez que je fais du roman.
Vous ne supposerez pas que celui-là ment ; on l'a chassé de sa chaire parce qu'il y disait, non seulement la vérité du passé, mais encore celle de l'avenir :
« Dès qu'un prisonnier était confessé – c'est Michelet qui parle –, les paysans n'hésitaient pas à le tuer, bien sûrs qu'il était sauvé ; plusieurs évitèrent la mort en se refusant à la confession, et en disant qu'ils n'étaient pas encore en état de grâce ; l'un d'eux fut épargné parce qu'il était protestant, et ne pouvait se confesser. Ils craignirent de le damner.
« L'histoire a été bien dure pour les malheureux patriotes qu'égorgeaient les Vendéens ; beaucoup d'eux montrèrent une foi héroïque, et moururent martyrs. On compte par centaines ceux qui se firent tailler en pièces. Je citerai, entre autres, un garçon de seize ans, qui, sur le corps de son père mort, cria : Vive la nation ! jusqu'à ce qu'il eût été percé de vingt baïonnettes. De ces martyrs, le plus célèbre est Sauveur, officier municipal de la Roche-Bernard, disons mieux, de la Roche-Sauveur : elle eût dû conserver ce nom.
« Cette ville, qui est le passage entre Nantes et Vannes, fut attaquée le 16, par un rassemblement immense, d'environ six mille paysans ; elle avait à peine quelques hommes armés ; il fallut se rendre, et les furieux, sous prétexte d'un fusil parti en l'air, égorgèrent tout d'abord vingt-deux personnes sur la place. Ils foncent dans la maison de ville, et trouvent le procureur syndic Sauveur, magistrat intrépide, qui n'avait pas quitté son poste. On le saisit, on le traîne ; mis au cachot, il en est tiré, le lendemain, pour être barbarement massacré. Il essuya je ne sais combien de coups d'armes de toute espèce, surtout des coups de pistolet : on tirait à petit plomb ; on voulait lui faire crier : Vive le roi ! il criait : Vive la République ! De fureur, on lui tirait des coups à poudre dans la bouche ; on le traîna au calvaire pour faire amende honorable ; il leva les yeux au ciel, adora ; mais, en même temps, cria : Vive la nation ! Alors, on lui fit sauter l'oeil gauche d'un coup de pistolet. On le poussa un peu plus loin ; mutilé, sanglant, il restait debout les mains jointes, regardant le ciel.
« - Recommande ton âme à Dieu ! crient les assassins.
« On l'abat d'un coup de feu : il tombe, mais se relève, serrant et baisant encore sa médaille de magistrat. Nouveau coup de feu : il tombe sur un genou, se traîne jusqu'au bord d'un fossé dans une tranquillité stoïque. Pas une plainte ! Pas un cri de colère ni de désespoir ! C'est ce qui portait au comble la rage de ces furieux ; il ne disait que ces mots :
« - Mes amis, achevez-moi, et vive la République ! Ne me faites pas languir, mes amis ; vive la nation !
« Il confessa sa foi jusqu'au bout, et on ne lui imposa silence qu'en l'écrasant à coups de crosse de fusil ! »
Que dites-vous de cela, messieurs les royalistes ? Le 2 et le 3 septembre n'ont rien de mieux à vous offrir, n'est-ce pas ?... Attendez ! Ce n'est pas tout, et, ce que nous en dirons, comprenez-vous bien ? Ce n'est point pour raviver les haines ; non, c'est pour faire haïr les guerres civiles. Si j'emprunte encore une fois la voix de Michelet, c'est, non seulement parce qu'elle est plus éloquente que la mienne, mais encore pour que nous soyons deux à crier malheur.
Ecoutez, et vous allez voir comme c'est exact, ce qu'il dit là :
« Une différence essentielle que nous avons signalée entre la violence révolutionnaire et celle de ces fanatiques animés des fureurs des prêtres, c'est que la première, en tuant, ne voulait rien autre chose qu'être quitte de l'ennemi ; l'autre, fidèle à l'esprit de férocité des temps de l'Inquisition, voulait moins tuer que faire souffrir, faire expier, tirer de l'homme, pauvre créature finie, d'infinies douleurs, de quoi venger Dieu !
« Lisez les doucereuses idylles des écrivains royalistes, vous serez tenté de croire que les insurgés ont été des saints ; qu'à la longue, seulement, forcés par les barbaries des républicains, ils ont exercé des vengeances et tiré des représailles. Qu'ils nous disent quelles représailles on avait à exercer sur les gens de Pontivy, lorsque, au 12 ou 13 mars, les paysans, conduits par un curé réfractaire, martyrisèrent, sur la place, dix-sept gardes nationaux ! Etaient-ce des représailles que l'on exerçait à Machecoul, pendant six semaines, sous l'autorité régulière du comité royaliste ? Un receveur des gabelles, Souchu, qui le présidait, remplit et vida quatre fois les prisons de cette ville. – La foule avait, on l'a vu, tué par jeu d'abord, dans sa brutalité joyeuse. Souchu mit ordre à cela : il eut soin que les exécutions fussent longues et douloureuses. Comme bourreaux, il aimait surtout les enfants, parce que leurs mains maladroites faisaient plus longtemps souffrir. Des hommes très durs, des marins, des militaires, ne purent voir ces choses sans indignation, et voulurent y mettre obstacle ; le comité royaliste fit, alors, ses coups de nuit : on ne fusillait plus, on assommait, et l'on recouvrait à la hâte les mourants de terre.
« Suivant les rapports authentiques faits à la Convention, cinq cent quarante-deux personnes périrent en un mois, et de quelle mort ! Ne trouvant presque plus d'hommes à tuer, on allait passer aux femmes. Beaucoup étaient républicaines, peu dociles aux prêtres, qui leur en gardaient rancune. Un miracle affreux se fit : il y avait dans une église, la tombe de je ne sais quelle sainte en réputation ; on la consulta ; un prêtre dit la messe sur sa tombe, y posa les mains. Voilà que la pierre remue...
« - Je la sens, criait le prêtre, je la sens qui se soulève !
« Et pourquoi se soulevait-elle ? Pour demander un sacrifice agréable à Dieu, qu'on ne ménageât plus les femmes, qu'on les égorgeât ! Fort heureusement, les républicains arrivèrent, – la garde nationale de Nantes.
« - Hélas ! leur disaient les gens de la ville, qui venaient à eux en pleurant et en leur serrant les mains, vous venez trop tard ! Vous venez sauver les murailles ; la ville est exterminée !...
« Et ils leur montraient la place des hommes enterrés vifs. On voyait avec horreur sortir une main crispée qui, dans l'effroyable angoisse de l'étouffement, avait saisi et tordait des herbes flétries... »
Reparlerons-nous de Carrier, après tout cela ? De ses bateaux à soupapes ; de ses baignades républicaines ; de ses mariages révolutionnaires ; de ses déportations verticales ?... A quoi bon ? Ce serait opposer des crimes à des crimes, et cela ne prouverait rien, sinon que l'homme est mauvais.
D'ailleurs, Carrier a expié. Je sais bien que, si c'est assez pour l'homme, ce n'est pas assez pour l'histoire ; Carrier a eu beau lutter corps à corps contre l'accusation, Carrier a été terrassé par elle ; c'est inutilement que, l'oeil sombre, le bras étendu et la voix stridente, il criait à ses anciens collègues devenus ses juges :
- Mais je ne vous comprends pas ! Mais vous êtes donc insensés ! Pourquoi donc blâmer aujourd'hui ce que vous me commandiez hier ? Mais, en m'accusant, la Convention s'accuse... Ma condamnation, c'est votre condamnation à tous, songez-y ; tous vous serez enveloppés dans la proscription qui m'enveloppera ; si je suis coupable, tout est coupable ici... tout, tout, tout ! Jusqu'à la sonnette du président !
Mais ses cris furent inutiles. – Et voilà le terrible des révolutions c'est qu'il arrive une époque où la terreur qui avait poussé dans l'action pousse dans la réaction, et où la guillotine, après avoir bu le sang des condamnés, boit, impassible pour les uns comme pour les autres, le sang des juges et des bourreaux !
Cette réaction, qui, arrivant deux jours plus tôt, sauvait André Chénier, sauva M. Villenave, et les cent trente et un Nantais, ses compagnons.

Chapitre précédent | Chapitre suivant

© Société des Amis d'Alexandre Dumas
1998-2010
Haut de page
Page précédente